摘要:Le développement, depuis les années 1990, d’une « analyse du discours littéraire » soulève des difficultés épistémologiques et institutionnelles, pour les spécialistes de littérature comme pour les analystes du discours. On commence par considérer les résistances à l’analyse du discours littéraire qui viennent des spécialistes de littérature. Mais ces réticences rejoignent celles des analystes du discours à l’égard de la littérature ; car depuis les années 1960, l’analyse du discours a pris l’habitude de ne traiter que des textes délaissés par les facultés de lettres. Pourtant, le fait que se constitue à l’intérieur de l’analyse du discours une branche dédiée spécifiquement au discours littéraire donne davantage de consistance à un postulat fondateur de l’analyse du discours, à savoir que le discours est « un » : toute énonciation socialement circonscrite peut a priori être abordée à travers le même réseau de concepts. Ce postulat doit néanmoins être associé à un autre, celui de la « diversité » irréductible des modes d’existence de ce discours. Ce double postulat a des conséquences importantes sur le plan institutionnel, puisqu’il met à mal la frontière entre les départements de lettres et ceux de sciences sociales et humaines. Ce qui n’a rien d’étonnant, si l’on songe que l’étude de la littérature ne constitue pas véritablement une discipline. Encore faut-il s’entendre sur ce que signifie ici « discipline ». Une distinction doit être établie entre les disciplines au sens institutionnel, et les disciplines heuristiques, celles qui structurent la recherche. En outre, à l’intérieur de ces dernières, on peut distinguer les groupements fondés sur un intérêt épistémologique partagé, et les groupements autour d’un même objet, d’un même « territoire », qui est abordé par diverses disciplines. Il en ressort qu’en fait, dans le monde universitaire, le domaine appelé « littérature » s’accommode d’un compromis instable entre une logique du « territoire » et une logique « herméneutique », qui légitime le littéraire par sa capacité à entrer en contact avec des textes prestigieux en surplomb de l’ordinaire de la vie sociale. Grâce à ce compromis, le littéraire commente les œuvres en s’appuyant sur des routines interprétatives et son propre charisme, tout en s’efforçant de montrer que son activité appartient de plein droit à un monde scientifique que, par ailleurs, il disqualifie en tant qu’herméneute. Dans ces conditions, on comprend que l’analyse du discours soit mal perçue du littéraire traditionnel, car elle s’avère beaucoup plus menaçante pour ce compromis que des approches de la littérature issues de la psychologie ou de la sociologie. Elle se construit en effet sur le rejet de la topique même qui oppose un intérieur et un extérieur du texte, un texte et un contexte. Face à cette menace, pour préserver l’autonomie de leur espace et leur autorité, les littéraires recourent aujourd’hui à deux stratégies qu’on pourrait métaphoriquement désigner comme la fuite vers le haut, vers la philosophie, et la fuite vers le bas, vers l’érudition. Dans un dernier temps, on montre en quoi son ouverture à des corpus littéraires oblige l’analyse du discours à se préoccuper davantage de la question du texte, en accordant un rôle privilégié à la mémoire, à la diversité des supports matériels, aux modes de diffusion, à la diversité des usages des textes. De même, elle l’incite à renouveler sa réflexion sur l’« auctorialité » et sur la question des appareils d’interprétation : quand il s’agit de textes littéraires, philosophiques, religieux, scientifiques…, il faut accorder une place essentielle à un tiers invisible : les communautés de commentateurs et leurs pratiques.
其他摘要:The development, from the nineties onwards, of literary discourse analysis trends raises many theoretical and institutional problems, for discourse analysts as well as for traditional scholars in the Humanities. In this article, I begin by considering the widespread mistrust of literary discourse analytical approaches among discourse analysts and scholars working in the field of the Humanities. From the viewpoint of the latter, discourse analysis has no legitimacy to tackle literary works. A symmetrical reluctance can be observed in the attitude of discourse analysts towards literature. From the Sixties onwards, discourse analysis has been accustomed to dealing only with texts that were neglected by scholars in Humanities. But this attitude is not theoretically grounded; the existence, inside discourse analysis, of a branch specifically dedicated to literary discourse is quite natural, given the implicit postulate of discourse analysis: discourse is one, and utterances produced in any social setting can be studied with the help of the same concepts. However, such a postulate must be associated to another one, which claims that discourse is basically diverse. The development of literary (or philosophical or religious) discourse analysis has important consequences from an institutional perspective, since it questions the very frontier between faculties of Humanities and faculties of Human and Social sciences. In fact, literary studies are not a true discipline, if we make a distinction between “institutional disciplines” and “heuristic disciplines”. The scholars who work in this area constitute neither groups whose members share basic conceptual and methodological assumptions, nor groups whose members belong to a wide range of heuristic disciplines but are interested in the same object, in the same “territory”. I try to demonstrate that in faculties of “literature” most people satisfy themselves with a subtle compromise between scientific claims and “hermeneutic” prejudices: to be legitimate, they need to show that they are familiar with prestigious texts, beyond ordinary social life. So, while commenting on works by using interpretation routines as well as their personal talent, they also try to show that their activity legitimately belongs to the world of science (a world where, in fact, their hermeneutic assumptions are disqualified). To preserve the autonomy of their academic space and their authority, today, most specialists of literature have recourse to two complementary strategies: reading literature through philosophical concepts and developing data-oriented programs. But that does not resolve the uncomfortable situation in which they find themselves. Under these circumstances, we can easily understand why discourse analysis is not positively perceived by traditional specialists of literary studies. A discourse analytical outlook is more a threat to them than are classical approaches to literature, which spring from sociology or psychology. For discourse analysis is based on the very rejection of the prejudice according to which text and context, inside the text and outside the text, must be opposed. Finally, I claim that exposing literary texts to discourse analytical approaches should amount to very positive effects on discourse analysis itself. People will concern themselves more with some aspects of “textuality”, especially by ascribing a more important role to memory, to the material existence of texts, and to the ways in which they circulate in society. What’s more, taking into consideration the full diversity of discourse genres, we can renew the reflection on manifold forms of “auctoriality” and of commentary practices: when we study literary, philosophical, religious, scientific or other texts, we must pay special attention to the communities of commentators and to the institutions to which they belong.
关键词:analyse du discours; littérature; discipline; relation Herméneutique