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文章基本信息

  • 标题:Etude comparative entre rue de Rennes et dans la rue de Rennes --une analyse syntaxique et semantique.
  • 作者:Chiang, Chih-Ying
  • 期刊名称:Fu Jen Studies: literature & linguistics
  • 印刷版ISSN:1015-0021
  • 出版年度:2015
  • 期号:September
  • 语种:English
  • 出版社:Fu Jen University, College of Foreign Languages & Literatures (Fu Jen Ta Hsueh)
  • 摘要:En francais, les noms de lieu en fonction de complement circonstanciel, qu'ils soient noms propres ou noms communs, sont la plupart du temps necessairement introduits par une preposition:

Etude comparative entre rue de Rennes et dans la rue de Rennes --une analyse syntaxique et semantique.


Chiang, Chih-Ying


0. Introduction

En francais, les noms de lieu en fonction de complement circonstanciel, qu'ils soient noms propres ou noms communs, sont la plupart du temps necessairement introduits par une preposition:

(1) --U allez-vous ?

--Jevais (en France + en ville + a Paris + au centre-ville + dans la banlieue Nord + dans le jardin).

Il existe cependant un phenomene qui intrique beaucoup les professeurs de francais langue etrangere: dans un contexte analogue a (1), ou il s'agit d'une demande de destination, si l'objet de la reponse correspond a un nom faisant partie de la liste de noms de rue (avenue d'Italie, boulevard Raspail, place Vendome, rue de Rennes, etc.) (2), ce dernier n'aura besoin d'etre introduit par aucune preposition. De plus, l'ajout d'une preposition destabilise l'acceptabilite de la phrase:

(2) --OU allez-vous ?

--Je vais (avenue d'Italie + boulevard Raspail + place Vendome + rue de Rennes).

(2a) --OU allez-vous ?

--Je vais (??sur l'avenue d'Italie + ??sur le boulevard Raspail + ??sur la place Vendome + ?dans la rue de Rennes). (3)

Dans C.-Y. Chiang (2009), j'avais postule que le nom de rue dans les phrases du type (2) constituait un syntagme prepositionnel. Plus precisement, loin d'etre un syntagme nominal, boulevard Raspail, place Vendome, rue de Rennes, etc. (notes dorenavant rue X) sont des syntagmes prepositionnels (abrege SP) dont le noyau, a la difference de celui des groupes sur le boulevard Raspail, sur la place Vendome, dans la rue de Rennes, etc. (notes desormais dans la rue X), n'apparait pas a la surface de la langue, mais se trouve bel et bien dans la structure profonde de la langue. Cette proposition a ete demontree par plusieurs arguments d'ordre syntaxique dont je donne ici trois exemples. Les deux premiers demontrent que rue X n'est pas une variante de la suite la rue X reconnue comme un syntagme nominal (abrege SN). Tout d'abord, leur commutation est strictement impossible (cf. l'opposition entre Je vais rue de Rennes et *Je vais la rue de Rennes, ainsi que celle entre *Je connais bien rue de Rennes et Je connais bien la rue de Rennes). Ensuite, le fait que la sequence la rue X accepte de se combiner avec dans pour former un SP justifie que la rue X est un SN. En revanche, rue X n'a pas cette possibilite: *dans rue X. La non-existence de cette derniere formule soutient mon hypothese selon laquelle rue X est un SP puisqu'en francais dans n'est pas en mesure d'introduire un SP. Enfin, comme les autres SP classiques en fonction de complement circonstanciel de lieu (a Paris, en France, dans le jardin, etc.), rue X peut etre repris par le pronom y (ex.: Allez-vous rue de Rennes ? Oui, j'y vais.)

Cette precedente etude avait apporte un premier eclairage sur la constitution des expressions du type rue X. Dans le present travail, sur le plan formel, je voudrais approfondir la composition syntaxique de rue X afin d'affiner l'analyse en precisant que le SP rue X comporte, en fait, un autre signe ne figurant pas a la surface mais se trouvant dans la structure profonde de la langue, a savoir l'article zero. Sur le plan semantique, je vais tenter d'aborder un probleme aussi fondamental que delicat dans l'analyse de rue X: quelle est la valeur semantique specifique de rue X par rapport a dans la rue X ? Par ailleurs, je vais montrer au fur et a mesure que l'emploi de rue X n'est pas un cas particulier dans la langue francaise. Il existe bien d'autres noms de lieu (bassin, quai, voie, piste, etc.) qui se comportent comme rue X lorsqu'ils s'emploient comme des noms propres (bassin no 5, quai no 5, voie C, piste no 1, etc.).

Par prudence, je n'irai pas jusqu'a appeler "preposition zero" le noyau du SP rue X. En effet, cela signifierait ajouter un nouvel element dans la classe des prepositions, et il faudrait, pour etayer cette proposition, presenter davantage d'elements que je n'en presente ici, dans le cadre de ce travail bien delimite.

Le deroulement du present article s'organisera comme suit: je commencerai ([section]1.) par exposer, tres brievement, les difficultes que rencontrent les enseignants de francais langue etrangere. Ensuite, je ferai un resume ([section]2.) du livre de L. Palm (1989) intitule On va a la Mouff' ?--etude sur la syntaxe des noms de rues en francais contemporain. S'appuyant sur l'analyse referentialiste, l'auteur distingue rue X de dans la rue Xpar les differents referents auxquels renvoient les deux locutions. Enfin, par une approche differente de celle de L. Palm, je montrerai ([section]3.) les divergences syntaxiques et semantiques de ces deux tournures.

Pour ne pas m'etendre plus que de raison, mon analyse sera principalement illustree par des exemples comportant le classificateur rue. L'opposition entre rue de Rennes / dans la rue de Rennes sera valable pour celle entre boulevard Raspail / sur le boulevard Raspail, place Vendome / sur la place Vendome, etc.

Les exemples qui font l'objet de l'analyse correspondront essentiellement a la construction dans laquelle rue X et dans la rue X seront places dans le co-texte a droite du verbe, sans etre separes de ce dernier par une virgule. Je ne prendrai donc pas a priori comme exemple les structures suivantes:

(3) (Rue des Ecoles + Dans la rue des Ecoles), quelques ouvriers passaient a pied ou a bicyclette.

(4) Il tenait un magasin, (rue de Rennes + dans la rue de Rennes).

Les exemples forges pour le present travail sont inspires d'un corpus extrait de la base de donnees Frantext de la periode 1940-1980. Il contient environ 3600 occurrences de rue Xet 300 occurrences de dans la rue X.

1. Presentation du probleme

Si les noms de rue en fonction de complement de lieu s'employaient constamment avec une preposition non representee en surface (le cas de (2)) et que la formule avec une preposition en surface etait a chaque fois douteuse (le cas de (2a)), le probleme serait beaucoup moins complexe. En effet, d'apres mon corpus d'etude, hormis le cas de (2) et (2a), il existe, d'un cote, des phrases dans lesquelles l'emploi de rue X est strictement impossible alors que celui de dans la rue X est admis sans restriction (cf. (3) vs. (3a)), et, de l'autre cote, des phrases dans lesquelles les deux emplois sont recevables (cf. (4) et (4a)):

(3) * Il s'engage rue de Rennes.

(3a) Il s'engage dans la rue de Rennes.

(4) Le taxi s'est arrete rue de Rennes.

(4a) Le taxi s'est arrete dans la rue de Rennes.

A premiere vue, l'examen de (4) et (4a) pourrait laisser croire que rue X est une simple variante synonymique de dans la rue X puisque les deux locutions de lieu sont admises dans un co-texte identique et que la nuance semantique entre les deux phrases est si minime que tous les francophones d'origine francaise n'arrivent pas forcement a la determiner. Mais une telle hypothese est battue en breche par les deux paires de phrases precedentes, (2)/(2a) et (3)/(3a), dans lesquelles rue X et dans la rue Xne sont pas acceptes avec le meme degre. L'existence des couples d'exemples tels que (2)/(2a) et (3)/(3a) me conduit donc a poser la question de savoir quelle est la caracteristique qui specifie respectivement rue X et dans la rue X.

2. Travail de L. Palm (1989)

Bien qu'originaux par leur construction, les noms de rue sont tres peu traites dans les grammaires et les travaux linguistiques. Dans les rares cas ou ils sont evoques, on se contente tres souvent de mentionner tout simplement l'existence de deux formules--a savoir rue de Rennes sans preposition et sans article, d'une part, et dans la rue de Rennes avec preposition et avec article, d'autre part--ainsi que leur fonction comme complement circonstanciel de lieu.

A ma connaissance, le livre de L. Palm est, jusqu'a present, l'etude la plus complete sur l'analyse des emplois des noms de rue. Parmi les deux chapitres constituant le corps d'analyse de son ouvrage (Ch. 2 et Ch. 3), le Ch. 2 dans lequel sont examines rue X et dans la rue X en tant que complements de lieu concerne plus directement ma propre recherche. L'analyse de ce chapitre s'appuie sur un corpus de 635 occurrences (dont 477 de rue X et 158 de dans la rue X) relevees dans differentes sources ecrites publiees entre 1958 et 1985.

2.1. Caracteristiques syntaxiques de rue Xet de dans la rue X

En ce qui concerne les caracteristiques syntaxiques des noms de rue, deux points assez banals sont mentionnes par L. Palm. Premierement, comme ses predecesseurs grammairiens et linguistes, notamment C. Fahlin (1942), K. Togeby (1965, 1985), M. Grevisse (2001) entre autres, L. Palm considere que la sequence rue X en fonction de complement de lieu ne comporte ni preposition, ni determinant (4).

Deuxiemement, L. Palm fait remarquer deux positions syntaxiques possibles que peuvent avoir les noms de rue: soit ils se trouvent en position posterieure par rapport au verbe (cf. (5) et (6)), soit ils sont anteposes au verbe (cf. (7) et (8)). Dans ce dernier cas, ils sont en general (5) mis en position frontale et detaches du reste de la phrase par une virgule.

(5) L'hotel des Stein se situait rue de la Tour. (J. Green (1974) Jeunesse. Ex. (7) de L. Palm.)

(6) Je decidai d'en parler a Maurice le soir meme, tout fier d'avoir deja un projet et je le rencontrai dans la rue Longue, un grand tablier bleu serre autour de la taille, les cheveux et les sourcils gris de farine. (J. Joffo (1973) Un sac de billes. Ex. (91) de L. Palm.)

(7) Rue de Durance, une enseigne etait allumee. (J. Cordelier (1982) Chez l'Esperance. Ex. (124) de L. Palm.)

(8) Dans la rue du Ranelagh, Marie-Juan essaya de donner a sa demarche la souplesse voulue au lieu de cette raideur de soldat de plomb. (A. Carmentier (1974) Sui generis. Ex. (134) de L. Palm.)

2.2. Divergences semantiques entre rue Xet dans la rue X

Bien que le titre de son livre indique qu'il s'agit d'un travail syntaxique sur les noms de rue, L. Palm cherche constamment a savoir si les noms de rue en construction prepositionnelle (dans la rue X) et en construction non-prepositionnelle (rue X) produisent des divergences semantiques. Il procede a la recherche en adoptant la solution referentialiste. Pour les referentialistes, le signifie d'un signe linguistique (qui peut etre un lexique ou une expression) est equivalent au referent de ce signe. Le referent se definit comme ce a quoi renvoie le signe dans la realite extra-linguistique (6). Ainsi, une des grandes preoccupations de L. Palm est-elle de trouver dans le monde reel les objets auxquels correspondent les differentes formes que revetent les noms de rue en complement circonstanciel de lieu.

C'est au moyen du contexte des noms de rue que L. Palm parvient a reperer les types de referent auxquels renvoient rue X et dans la rue X: rue X designe referentiellement soit << une des maisons de la rue X >>, soit << la rue X elle-meme >> alors que dans la rue X designe referentiellement << la rue X >>.

Identification referentielle de rue X

Pour L. Palm, les noms de rue en (9), d'une part, et en (10) et (11), d'autre part, indiquent respectivement << la rue en question >> et << un magasin ou une autorite dans la rue en question >>. L'identification au referent se fait en (9)-(10) a partir des elements linguistiques se trouvant dans la phrase. En revanche, elle est operee en (11) par des facteurs extra-linguistiques; c'est-a-dire que le locuteur et le destinataire partagent le savoir commun que rue de Rivoli designe le Ministere des Finances.

(9) Un camion la faucha rue des Vignoles. (J. Cordelier, Chez l'Esperance. Ex. (49) de L. Palm.)

(10) J'ai cependant trouve rue de Turenne au magasin de meubles neufs << Le Bois Joli >> une chaise longue en osier copiee sur un modele antillais [...]. (M. Tournier (1975) Les meteores. Ex. (57) de L. Palm.)

(11) Tableau noirci a plaisir ? On le pense rue de Rivoli. (Le Monde, le 1/03/1985. Ex. (60) de L. Palm.)

Cependant, on pourrait se demander quels sont les elements "linguistiques" permettant la determination referentielle de rue X en (9). Car le nom de rue dans cette phrase peut aussi bien s'interpreter comme << la rue X >> que comme << une maison de la rue X >>.

La meme question se pose pour (10). La difference entre (9) et (10) est qu'en (10), dans le co-texte a droite de rue X il y a la sequence au magasin de meubles neufs << Le Bois Joli >>. Est-ce cette suite qui fait croire a l'auteur que rue de Turenne designe le magasin Le Bois Joli ? (L. Palm ne le precise pas.) Si c'est le cas, on verra plus loin, avec les exemples (13) et (14), comment le probleme se pose a cause de cette facon de calculer le referent a partir de ce genre de contexte, c'est-a-dire que le nom de rue est modifie par l'indication d'un lieu plus precis.

D'apres L. Palm, rue X en (9)-(11) ne presente aucune ambiguite referentielle. Mais il n'est pas impossible que rue X soit referentiellement ambigu:

(12) Nous nous trouvons rue Pigalle. (P. Modiano (1969) La ronde de nuit. Ex. (45) de L. Palm.)

Dans ce cas, la solution que propose L. Palm est de sortir du cadre de la phrase afin de trouver le referent dans un contexte plus large. Le contexte extra-phrastique de (12) montre qu'il est question d'une promenade faite dans les rues de Paris: << Nous montons dans une automobile. Nous traversons la place Vendome [...]. >> (7)

Identification referentielle de dans la rue X

L. Palm emet l'hypothese que contrairement a rue X, dans la rue X refere toujours a << la rue X elle-meme >> en raison de sa construction syntaxique, a savoir sa construction prepositionnelle:

<< Nous partons de la constatation que, si un nom de rue construit sans preposition permet un acte de reference a telle rue elle-meme aussi bien qu 'un acte de reference a une des maisons de la rue en question, un nom de rue introduit par dans ou par sur refere toujours a telle rue elle-meme. Autrement dit, tandis que, dans le premier cas [i.e. les noms de rue constuits sans preposition], la reussite de l'acte referentiel est fonction de facteurs contextuels, la structure syntaxique suffit, dans le second cas [i.e. les noms de rue construits avec dans ou sur], pour garantir l'univocite referentielle. >> (8)

Mais l'ennui, dans ce texte de L. Palm, est que son hypothese posee pour l'univocite referentielle de dans la rue X se heurte a des obstacles. Les deux exemples suivants illustrent le probleme:

(13) [...] j'esperai un instant que le realisateur avait eu l'idee de photographier les mannequins dans la rue de Clignancourt devant le magasin. (J. Joffo, Un sac de billes. Ex. (94) de L. Palm.)

(14) Nous etions sur le boulevard Massena. Je cherchai au deuxieme etage les carreaux de l'atelier. (C. Etcherelli, Elise ou la vraie vie.

Ex. (96) de L. Palm.)

Pour L. Palm, ces deux exemples vont a l'encontre de son idee selon laquelle << un nom de rue introduit par dans ou par sur refere toujours a telle rue elle-meme >>. En effet, l'auteur constate que dans les exemples comme (13) et (14) << la preposition ne parait pas indispensable pour la reussite de l'acte referentiel >> (9) parce que dans l'environnement immediat de ces noms de rue << il y a [...] un contexte tout a fait capable d'assurer seul l'univocite referentielle >> (10), a savoir devant le magasin en (13) et je cherchai au deuxieme etage les carreaux de l'atelier en (14). En consequence, ce sont ces deux sequences qui assurent l'identification referentielle des noms de rue en indiquant que dans la rue de Clignancourt et sur le boulevard Massena renvoient a des << maisons specifiques >>--valeur referentielle totalement opposee a celle qui est affirmee plus haut pour dans la rue X.

A mon avis, les exemples (13) et (14) ne constituent pas forcement des cas qui contredisent l'hypothese de L. Palm sur l'univocite referentielle de dans la rue X. Tout depend comment on traite les sequences qui se trouvent dans le co-texte a droite de dans la rue X. Pour moi, les indications de lieu ajoutees aux noms de rue n'ont pas la fonction d'indiquer, pour reprendre les termes de L. Palm, le referent de dans la rue X. Elles sont la, apres l'evocation de dans la rue X (qui refere a << la rue X >>), pour donner une precision quant a la localisation spatiale. Cette explication semble pouvoir maintenir l'hypothese de L. Palm proposee pour l'univocite referentielle de dans la rue X. Mais, si l'on adopte cette solution, l'analyse de (10) sera mise en cause. Car, si l'indication de lieu ajoutee au nom de rue ne participe pas a l'operation d'identification referentielle, quels sont alors les elements linguistiques dans le contexte de (10) permettant de referer rue de Turenne au magasin Le Bois Joli ?

2.3. Commentaire et prise de position personnelle

Au niveau syntaxique, on constate que la contribution de L. Palm a l'analyse syntaxique des noms de rue en fonction de complement de lieu a ses limites. Dans le corps d'analyse de ce present article, je vais donc, d'un cote, montrer que rue X, en tant que SP, comporte un article zero et, de l'autre, faire ressortir des proprietes syntaxiques qui opposent rue X et dans la rue X.

Sur le plan semantique, je defends une position radicalement differente de celle de L. Palm. En ce qui concerne le signifie (ou la signification), je pense que non seulement le signifie d'un terme ne se limite pas a son referent, mais de plus le referent ne represente pas la valeur essentielle du terme. De ce fait, j'adopte la conception de F. de Saussure, soutenue par de nombreux linguistes, selon laquelle ce sont des traits semantiques du terme, plus precisement des traits semantiques propres a chaque terme, qui constituent la signification du terme. Par ailleurs, un autre point par lequel je me differencie de L. Palm: la caracteristique de rue X et de dans la rue Xsera justifiee, dans mon travail, par des proprietes linguistiques.

3. Rue X vs. dans la rue X

Il est annonce, dans l'introduction, que le but de ce present travail est de mettre en evidence les differences syntaxiques et semantiques entre rue X et dans la rue X. Rappelons que je pose l'hypothese selon laquelle le SP rue X contient dans sa structure profonde l'article zero. Dans les pages qui suivent, je vais donc montrer successivement les caracteristiques syntaxiques ([section]3.1.) et semantiques ([section]3.2.) qui distinguent rue X de dans la rue X. Les trois premieres caracteristiques degagees, i.e. ([C.sub.1])-([C.sub.3]), sont en etroit rapport avec l'existence / la non-existence de l'article zero.

3.1. Caracteristiques syntaxiques opposees

3.1.1. Insertion adjectivale

Depuis presque une trentaine d'annees, certains linguistes s'interessent a la question de savoir si le determinant zero existe en francais contemporain, notamment J.-C. Anscombre (1990, 1991a, 1991b), C. Fuchs & A.-M. Leonard (1980), L. Benetti (2008), entre autres. Parmi eux, J.-C. Anscombre a etudie ce probleme de maniere systematique et a degage un certain nombre de proprietes syntaxiques et semantiques de ce determinant non-classique (qui ne se manifeste pas a la surface de la langue).

Selon le resultat des recherches de ce linguiste, l'une des proprietes de la presence de l'article zero est que le SN a article zero subit des contraintes liees a l'insertion adjectivale (11). En ce qui concerne le SN se trouvant dans l'expression rue X, a l'oppose de dans la rue X, on observe la caracteristique suivante:

([C.sub.1]) Propriete syntaxique: Il est impossible d'introduire aucun adjectif dans la suite rue X, quelle que soit la place de l'adjectif, alors que cette contrainte n'a aucun effet sur la locution dans la rue X.

Considerons d'abord les exemples (15)-(18) qui montrent qu'un adjectif qualitatif peut etre antepose ou postpose au nom de rue dans la sequence dans la rue X, mais non dans la formule rue X:

(15) Un gros camion s'arreta (* large rue de la Republique + dans la large rue de la Republique).

(16) Des qu'ils furent (* paisible rue Gambetta + dans la paisible rue Gambetta), Mederic reprit la parole sur un ton amical.

(17) Maigret l'attendait au coin de la rue de Rennes, car il ne pouvait stationner (* rue Bernard-Palissy + dans la rue Bernard-Palissy) trop etroite.

(18) Maigret fit tout de suite un demi-tour et revint (* rue Moncey + dans la rue Moncey) deserte et sombre.

A part les adjectifs qualitatifs, l'adjectif meme peut aussi etre insere dans la sequence dans la rue X. Dans ce cas, meme est constamment antepose au nom de rue. En revanche, l'insertion de meme dans la tournure rue X est impossible:

(19) On s'est retrouves deux heures plus tard (*meme rue du Cherche-Midi + dans la meme rue du Cherche-Midi).

De plus, le nom de rue introduit par la preposition dans admet d'etre modifie par un adjectif verbal--forme sur le participe passe--suivi d'un SP. En revanche, rue X n'a pas cette possibilite:

(20) Mederic marcha (* rue Gambetta + dans la rue Gambetta) encombree de voitures, de camionnettes de livraison et de gens affables et bruyants.

A cette etape, il est important de signaler qu'en constituant les exemples (15)-(20), j'ai volontairement choisi les verbes susceptibles de se combiner avec rue X et avec dans la rue X. Autrement dit, l'anomalie dans cette serie d'exemples avec rue X provient uniquement de l'insertion adjectivale; sans cette derniere, toutes les phrases en (15)-(20) seraient parfaitement recevables:

(15a) Un gros camion s'arreta (rue de la Republique + dans la rue de la Republique).

(16a) Ils etaient (rue Gambetta + dans la rue Gambetta).

(17a) Il ne pouvait stationner (rue Bernard-Palissy + dans la rue Bernard-Palissy).

(18a) Il revint tout de suite (rue Moncey + dans la rue Moncey).

(19a) On s'est retrouves plus tard (rue du Cherche-Midi + dans la rue du Cherche-Midi).

(20a) Mederic marcha (rue Gambetta + dans la rue Gambetta).

Il n'est pas ininteressant de voir que quai X, voie X et piste X se comportent comme rue X. C'est-a-dire que quai X, voie X et piste X sont refractaires a l'insertion adjectivale, mais pas au quai X, sur la voie X ni sur la piste X:

(21) Le bateau se trouve (* quai no 5 + au quai no 5) noirci de voyageurs.

(22) Le train de Lille se trouve (*voie C + sur la voie C) recemment renouvelee.

(23) L'avion se trouve (* grande piste no 1 + sur la grande piste no 1).

3.1.2. Changement de determinant

Une deuxieme propriete du SN a article zero observee par J.-C. Anscombre est que la substitution d'un determinant traditionnel a l'article zero n'engendre pas de grand glissement semantique (ex.: Luc a fixe (0 + un) rendez-vous a Lea, On nous en a donne (0 + la + une) confirmation le lendemain, Le general a donne (0 + l') ordre d'attaquer, etc.) (12).

En ce qui concerne la locution rue Xqui me preoccupe ici, je constate un double phenomene: d'abord, il est possible d'introduire un determinant classique dans l'expression rue X, sans produire d'importante difference de sens--phenomene du SN a article zero deja remarque et justifie par J.-C. Anscombre; ensuite, le changement de determinant dans la locution rue X entraine forcement un changement de preposition -phenomene specifique de la locution rue X. Nombreux sont les exemples qui temoignent ce double phenomene. C'est le cas de (15a)-(20a). En voici un autre petit echantillonnage (13):

(24) Mederic loue une grande maison (rue de la Liberte + * la rue de la Liberte + dans la rue de la Liberte).

(25) Mederic tient une epicerie (rue Ste.-Anne + * la rue Ste.-Anne + dans la rue Ste.-Anne).

(26) Un jour ou il pleuvait, j'ai rencontre Marie-Madeleine (rue des Larmes + * la rue des Larmes + dans la rue des Larmes).

(27) Mederic arriva enfin (rue de l'Avenir + * la rue de l'Avenir + dans la rue de l'Avenir). Le premier etage du pavillon etait eclaire.

(28) A cette heure-ci, il n'y avait plus personne (rue de la Mort + * la rue de la Mort + dans la rue de la Mort).

Une des explications de l'anomalie de la rue X en (24)-(28) est que la preposition sous-jacente refuse de s'associer avec l'article defini pour former un SP en fonction de complement de lieu (14).

Signalons que le fait que le changement de l'article zero s'accompagne du changement de preposition n'est pas reserve uniquement a rue X. Ce phenomene se trouve aussi avec les termes quai, voie et piste employes comme des noms propres:

(29) Le bateau se trouve (quai no 5 + * le quai no 5 + au quai no 5).

(30) Le train de Lille se trouve (voie C + * la voie C + sur la voie C).

(31) L'avion se trouve (piste no 1 + * la piste no 1 + sur la piste no 1).

Revenons a des phrases contenant rue X et dans la rue X. Analogues aux exemples (24)-(28), les phrases en (32)-(34) montrent cette fois-ci que le determinant qui remplace l'article zero dans l'expression rue X ne se limite pas a l'article defini. Mais le changement de determinant entraine toujours le changement de preposition:

(32) Mederic loue une grande maison (rue de la Liberte + * cette rue de la Liberte + dans cette rue de la Liberte).

(33) Mederic allait parfois (rue de la Prefecture + * cette rue de la Prefecture + dans cette rue de la Prefecture) pour rendre visite a Ludovic.

(34) Chasse de la rue du Heron, je retournais maintenant tres souvent (rue du Tonneau + * ma rue du Tonneau + dans ma rue du Tonneau), comme un promeneur desenchante. (Exemple inspire de L. Guilloux, cf. (35a) ci-apres)

Les exemples (24)-(28) et (32)-(34) me permettent d'affirmer la deuxieme caracteristique de rue X par rapport a dans la rue X:

([C.sub.2]) Propriete syntaxique: Le remplacement de l'article zero par un determinant classique dans la suite rue X ne produit pas de grand changement semantique, mais cette commutation entraine systematiquement l'ajonction d'une preposition. En revanche, l'article defini dans la sequence dans la rue X peut etre remplace par d'autres determinants habituels (l'adjectif demonstratif ou l'adjectif possessif) sans engendrer de changement de preposition.

Avant de terminer ce paragraphe, il n'est pas ininteressant de voir que le nom de rue introduit par dans en (32)-(34)--ou le determinant dans le complement de lieu n'est pas l'article defini--admet aussi l'insertion adjectivale.

(32a) Mederic loue une grande maison dans cette meme rue de la Liberte.

(33a) Mederic allait parfois dans cette vilaine rue de la Prefecture pour rendre visite a Ludovic.

(34a) Chasse de la rue du Heron, je retournais maintenant tres souvent dans ma vieille rue du Tonneau, comme un promeneur desenchante [...]. (L. Guilloux (1942) Le Pain des reves.)

(34b) Chasse de la rue du Heron, je retournais maintenant tres souvent dans ma vieille rue du Tonneau deserte et sombre.

L'analyse du [section]3.1. a pour objectif de justifier l'existence de l'article zero dans la construction rue X. Cette partie du travail montre parallelement des traits syntaxiques qui opposent rue X a dans la rue X. C'est-a-dire que contrairement a dans la rue X, rue X--construction a article zero--subit plus de contraintes de modification syntaxique. Rue X refuse energiquement l'insertion adjectivale (* revenir rue Moncey deserte) et le changement de l'article zero (revenir * la/* cette/* ma rue Moncey) alors que ce n'est pas le cas de dans la rue X (revenir dans la rue Moncey deserte, revenir dans cette/ma rue Moncey). De plus, dans la rue X accepte a la fois les deux operations syntaxiques (revenir dans cette/ma rue Moncey deserte).

3.2. Caracteristiques semantiques opposees

3.2.1. Homogeneite

D'une maniere generale, l'article zero est en rapport avec des phenomenes d'homogeneite entre le proces attache au nom presente par l'article zero et le verbe mis en correspondance avec ce nom. Les phrases suivantes concues par J.-C. Anscombre (15) illustrent bien cette propriete semantique de l'article zero:

(35) a. Savorgnan a ete tue par (balle + les balles).

b. Savorgnan a ete epargne par (* balle + les balles).

(36) a. Max a mene ce projet (a terme + a son terme).

b. Max a abandonne ce projet (* a terme + a son terme).

Selon J.-C. Anscombre, tout nom renvoie stereotypiquement a un certain nombre de proces (16). Lorsque le nom est precede de l'article zero, ce dernier convoque imperativement l'un des proces stereotypiquement attaches a ce nom. Dans le stereotype de balle, il y a le proces tirer. Il s'ensuit qu'en (35) lorsque le nom balle est introduit par l'article zero, on ne peut l'accompagner que du verbe etre tue puisque l'article zero impose une homogeneite entre le proces stereotypiquement attache a balle (i.e. tirer) et le verbe de la phrase (ici etre tue). Etre epargne est contraire a la notion de tirer. Il en va de meme pour les phrases en (36). Le nom terme << designe le point d'achevement naturel du deroulement processif >> (17). Il renvoie donc conventionnellement au proces realiser un projet et non a abandonner un projet. L'article zero contraint le verbe des phrases en (36) a etre homogene avec le proces implique dans terme (i.e. realiser un projet), d'ou la possibilite d'enoncer Max a mene ce projet a terme et non * Max a abandonne ce projet a terme. En (36), comme en (35), lorsque le nom regi par la preposition est introduit par un determinant autre que l'article zero, le verbe de la phrase n'a pas l'obligation de remplir la condition d'homogeneite imposee par l'article zero.

En ce qui concerne l'expression rue X, je m'apercois que son attestabilite separe deux groupes de verbes. Dans le premier sont classes avoir lieu, se derouler, construire ... qui s'emploient aisement avec rue X (cf. (37a)-(39a)). La raison en est probablement que ces verbes--faisant appel a un lieu--sont homogenes avec le proces stereotypiquement lie a rue, a savoir la realisation de tout evenement, de toute activite et de toute construction d'architecture susceptibles de se produire dans le lieu nomme "rue". Dans le second groupe sont ranges supprimer, annuler, detruire ... qui se montrent, en revanche, reticents a l'association avec rue X pour la raison qu'ils sont les antonymes des verbes du premier groupe, cf. (37b)-(39b):

(37) a. Le spectacle aura lieu rue Gambetta.

b. ?? Le spectacle est supprime rue Gambetta.

(38) a. La manifestation se deroulera rue de la Prefecture.

b. ?? La manifestation est annulee rue de la Prefecture.

(39) a. Un batiment ecologique sera construit rue Ste.-Anne.

b. ?? Les vieux batiments seront detruits rue Ste.-Anne (18).

Parallelement, on remarque, une fois de plus, que le probleme pose dans les phrases en (b), lie a la contrainte imposee par l'article zero, ne se produit pas uniquement avec rue X. Le meme type de probleme s'observe aussi avec les locutions telles que quai no 5, voie C, piste no 1 ... en fonction de complement de lieu:

(40) a. Le bateau (accoste + arrive + se trouve + reste encore) bassin no 5.

b. ?? Le bateau (a ete victime d'une collision + a coule) bassin no 5.

(41) a. Le train de Lille (arrivera + partira + est + reste encore) quai no 5

b. ?? Le train de Lille (a deraille + a ete renverse) quai no 5.

(42) a. L'avion (vient d'atterrir + vient de decoller + se positionne) piste no 1.

b. ?? L'avion a pris feu piste no 1.

Le bassin dans un port contient stereotypiquement le proces accoster. Ainsi, sont admis en (40) les verbes accoster, arriver, se trouver et rester qui sont semantiquement homogenes avec la notion d'accostage, mais pas les verbes avoir une collision et couler qui ne vont pas dans le meme sens qu'accoster. Le quai qui longe la voie ferree dans une gare est fait pour embarquer/debarquer les voyageurs. Le stereotype de quai en (41) contient donc les proces (le train) arriver et partir qui sont semantiquement compatibles avec les verbes d'etat etre et rester, ainsi qu'arriver et partir eux-memes. En revanche, derailler et etre renverse ne font pas partie du stereotype de quai. Quant a la piste dans un aeroport, elle est conventionnellement attachee au proces circuler, d'ou la possiblite d'avoir atterrir, decoller et se positionner en (42), mais pas prendre feu.

Il est a remarquer que toutes les phrases en (b), i.e. (37b)-(42b), deviennent recevables lorsque rue Xest remplace par dans la rue X:

(37c) Le spectacle est supprime dans la rue Gambetta.

(38c) La manifestation est annulee dans la rue de la Prefecture.

(39c) Les vieux batiments seront detruits dans la rue Ste.-Anne.

(40c) Le bateau (a eu une collision + a coule) dans le bassin no 5.

(41c) Le train de Lille (a deraille + a ete renverse) au quai no 5.

(42c) L'avion a pris feu sur la piste no 1.

L'analyse de ce paragraphe me permet d'affirmer un troisieme trait dinstinctif de rue X par rapport a dans la rue X:

([C.sub.3]) Propriete semantique: Rue X exige une homogeneite entre le proces stereotypiquement attache au terme rue et le verbe avec lequel rue X est mis en correspondance tandis que dans la rue n'impose pas cette contrainte d'homogeneite.

Avant de passer a la section suivante, je tiens a revenir sur le stereotype d'un terme. Selon J.-C. Anscombre (19), le stereotype d'un mot est une liste non-finie de proces attaches a ce mot. Cette liste est ouverte parce que la liste que possede un locuteur n'est pas forcement la meme que celle d'un autre. Dans cette liste, il y a des proces qui representent mieux le centre du stereotype (le stereotype primaire), s'associent de facon stable au terme, et d'autres, eloignes plus ou moins du centre, qui representent donc le stereotype secondaire du terme et s'attachent localement a l'occurrence du terme.

Le stereotype primaire de bassin (dans un port), quai (dans une gare) et de piste (dans un aeroport) semble comporter un nombre de proces assez limite. Quant au stereotype primaire de rue, je l'ai evoque plus haut comme la realisation de tout evenement, de toute activite et de toute construction d'architecture susceptibles de se produire dans le lieu nomme "rue ". Remarquons que les verbes qui sont homogenes avec les proces eventuellement impliques dans le stereotype de rue sont assez nombreux: courir, croiser quelqu 'un, dejeuner, marcher, perdre son chien, pleuvoir, se promener, stationner, tenir un magasin, etc. Il en resulte qu'un grand nombre de verbes peuvent s'employer confortablement avec rue X. De plus, ces verbes sont aussi acceptes par dans la rue X

(43) Ludovic (courait + a croise son patron + a dejeune + marchait + a perdu son chien + se promenait + a stationne + ...) (rue Gambetta + dans la rue Gambetta),

mais pas pour la meme raison. C'est-a-dire que dans n'impose pas la condition d'homogeneite et qu'il en decoule qu'il admet pratiquement tous les verbes. Ce phenomene augmente la difficulte de la mise en evidence de la difference semantique entre rue X et dans la rue X. Il est donc necessaire de trouver d'autres facteurs semantiques qui opposent ces deux expressions, d'ou l'analyse des deux prochaines sections.

3.2.2. << A l'interieur de >>

Bon nombre de linguistes qui travaillent sur dans suivi d'un nom de lieu admettent que cette preposition signifie << a l'interieur de >>. Ce point de vue est soutenu par des auteurs issus de differents courants linguistiques. G. Moignez (1974) et C. Guimier (1978) defendent une approche structuraliste fondee par G. Guillaume (1919), la Theorie psycho-mecanique. Prenant pour postulat que le signifie des signes linguistiques se trouve dans le mouvement de pensee, les guillaumiens cherchent a caracteriser la valeur de dans par le bais d'operations mentales. Pour G. Moignez et C. Guimier, dans est le signe d'une operation mentale d'interiorisation. Il met en jeu deux elements: l'interiorise (le contenu) et l'interiorisant (le contenant). Quant a C. Vandeloise (1986, 1993, 1995), ses recherches s'inscrivent dans le cadre cognitiviste dont le postulat principal est que le signifie des unites linguistiques represente nos modes de conceptualisation du monde. Prenant la position que dans construit une relation de contenu-contenant, C. Vandeloise s'efforce d'etablir un lien entre le fonctionnement du systeme de la langue et le monde reel.

Je partage, bien entendu, l'idee de mes predecesseurs selon laquelle dans signifie << a l'interieur de >>. Mais, contrairement a eux, je procede a l'analyse d'une autre maniere: mon analyse sur dans va, d'une part, s'appuyer sur des proprietes linguistiques; d'autre part, je vais montrer la difference de signification entre rue X et dans la rue X par les memes proprietes linguistiques.

([C.sub.4]) Propriete morpho-semantique: plusieurs verbes formes sur le prefixe en-, qui tire son orignine du latin au sens << dans >>, se combinent aisement avec dans (dans la rue X), et non avec la preposition sous-jacente (rue X).

La difference de degres d'acceptabilite entre rue X et dans la rue X dans les exemples suivants illustre ([C.sub.4]):

(44) Elles retraverserent la place, s'engagerent dans la rue du Maillet. (J.-L. Bory (1945) Mon village a l'heure allemande.)

(45) Il hata le pas, atteignit le pont, franchit la Seine et s'engouffra dans la rue du Bac. (R. Martin du Gard (1940) Les Thibault.)

(46) Il s'enfuyait en criant dans la rue Gambetta.

(47) Les manifestants s'enfoncerent dans la rue Gambetta.

(44a) * Elles retraverserent la place, s'engagerent rue du Maillet.

(45a) * Il hata le pas, atteignit le pont, franchit la Seine et s'engouffra rue du Bac.

(46a) * Il s'enfuyait en criant rue Gambetta.

(47a) * Les manifestants s'enfoncerent rue Gambetta.

([C.sub.5]) Propriete semantique: certains verbes dont le semantisme contient l'element << a l'interieur d'un espace >>, bien qu'ils ne soient pas construits avec le prefixe en-, ont une grande affinite avec la preposition dans et non avec la preposition sousjacente.

Ce sont, par exemple, les verbes se glisser, penetrer et se faufiler:

(48) Par le portail entrouvert, il se glissa dans la rue de la Liberte.

(49) Reglant son allure sur la notre, l'automobile vira, penetra dans la rue Mansart. (J. Kessel (1936) La passante du Sans-Souci.)

(50) Il se faufila dans la rue Gambetta.

Comme dans les phrases (44)-(47), la sequence dans la rue X en (48) et (49) ne peut pas etre remplacee par rue X a cause de leur verbe:

(48a) * Par le portail entrouvert, il se glissa rue de la Liberte.

(49a) * Reglant son allure sur la notre, l'automobile vira, penetra rue Mansart.

(50a) * Il se faufila rue Gambetta.

La difference de recevabilite entre rue X et dans la rue X avec les deux series de verbes ci-dessus, (44)-(47) et (48)-(50), constitue un argument favorable a l'idee selon laquelle la signification de dans la rue X, a l'inverse de celle de rue X, est marquee par le composant << a l'interieur de >>. Ce composant specifie la valeur semantique de dans. Autrement dit, il distingue dans de la preposition sous-jacente. Quel est alors l'element distinctif dans la signification de rue X ? Le prochain paragraphe sera consacre a ce probleme.

3.2.3. Identite du lieu

Personne ne contesterait que rue X et dans la rue X ont la fonction d'indiquer le lieu. Mais ce n'est pas pour autant que la valeur de la localisation spatiale prend le meme poids dans la signification de ces deux expressions. A mon avis, dans la rue X denote purement et simplement la localisation spatiale, avec le sens a l'interieur de la rue X, alors que rue X revele autre chose que la localisation spatiale. C'est cet " autre chose " qui le distingue de dans la rue X.

D'apres moi, la fonction essentielle de rue X est de representer l'identite du lieu en question. Lorsqu'un lieu est designe par rue X, tout le monde sait le localiser, le reperer. C'est la raison pour laquelle tout francophone natif admet que rue X est utilise comme un point geographique. Au contraire de rue X, dans la rue X, dont la fonction principale--rappelons-la--est de marquer la localisation spatiale du sujet, ne represente strictement pas l'identite du lieu en question. Les exemples ci-dessous montrent que dans un meme contexte ou l'identite de la rue est en jeu, seul rue X peut intervenir:

(51) --OU sommes-nous ici ?

--Nous sommes (rue Gambetta + * dans la rue Gambetta).

(52) --Conduisez-moi (rue Gambetta + * dans la rue Gambetta), s'il vous plait.

--Oui, a quel numero, Monsieur ?

En (51), imaginons qu'un etranger arrivant pour la premiere fois dans une ville demande a son ami, qui l'accompagne en voiture, de lui donner le nom du lieu ou ils se trouvent. Entre rue Gambetta et dans la rue Gambetta, seul le premier est possible d'etre l'objet de la reponse a la question OU sommes-nous ici ?. La raison en est qu'en tant que representant de l'identite du lieu en question, rue X a toute legitimite pour repondre a la question. Il en va de meme en (52). La conversation en (52) peut se produire entre un client et un conducteur de taxi, ou bien entre un patron et son chauffeur personnel. Dans un cas comme dans l'autre, la personne faisant le deplacement donne a son chauffeur le " nom" de sa destination. L'emploi de rue X est nettement plus adequat que l'usage de dans la rue X.

Voici un autre groupe d'exemples:

(53) Adressez-vous (rue Gambetta + * dans la rue Gambetta). Ils vous donneront les informations dont vous avez besoin.

(54) Attendez-moi une seconde. Il faut que je telephone (rue Gambetta + * dans la rue Gambetta).

(55) Si vous avez des questions, ecrivez-moi (rue Gambetta + *dans la rue Gambetta). Je suis a votre disposition.

Ces trois exemples partagent un point commun: dans ces phrases, rue X s'interprete par metonymie comme un organisme ou une maison qui se situe dans la rue en question--emploi de rue X evoque dans L. Palm (1989), sans expliquer pourquoi cette locution peut avoir cette interpretation. En fait, cet emploi de rue X renforce davantage l'idee selon laquelle la caracteristique specifique de rue X est que ce dernier constitue un element identifiant le lieu. Cette caracteristique de rue X lui permet justement de representer l'identite (le nom) d'un organisme ou d'une maison se situant dans la rue en question lorsque cette transposition (du nom de la rue pour le nom d'une maison) fait reference a un element connu du locuteur et de son interlocuteur.

Il est a remarquer que les termes comme quai no 5, voie C, etc. ont aussi la fonction d'indiquer l'identite du lieu. La preuve en est que lorsqu'on annonce l'arrivee ou le depart d'un train ou d'un avion, on utilise exclusivement la formule a preposition sous-jacente. En revanche, la formule a preposition traditionnelle n'a strictement pas lieu d'etre employee, cf. les exemples suivants:

(56) Le train provenant de Lille entrera en gare (quai no 5 + voie C + * au quai no 5 + * sur la voie C).

(57) Le vol numero 3215 a destination de Prague decollera (piste no 1 + *sur la piste no 1).

Il est donc legitime de considerer l'indication de l'identite du lieu comme une valeur specifique de la preposition sous-jacente.

Les exemples (51)-(57) qui discriminent pertinemment les locutions a preposition sous-jacente et les locutions a preposition classique permettent de poser un nouveau trait qui distingue ces deux types de tournure:

([C.sub.6]) Propriete semantique: par vocation, rue X represente l'identite du lieu en question; en revanche, cette fonction n'est pas dans la nature de dans la rue X.

4. Conclusion

Par des preuves linguistiques, la constitution formelle du complement de lieu rue X est mise en evidence. Elle doit s'analyser comme "preposition sous-jacente + article zero + nom de rue". En raison de la presence de l'article zero, rue X se differencie de dans la rue X par des contraintes syntaxiques (cf. ([C.sub.1]) insertion adjectivale et ([C.sub.2]) changement de determinant) et semantiques (cf. ([C.sub.3]) homogeneite). Quant a la difference entre la preposition sous-jacente et la preposition dans, elles se distinguent par le fait que la premiere a pour vocation d'indiquer l'identite du lieu (i.e. ([C.sub.6])) et que la seconde denote la valeur purement spatiale, c'est-a-dire l'interieur du lieu (cf. ([C.sub.4]) et ([C.sub.5])). Toutes les proprietes opposant rue X a dans la rue X, a savoir ([C.sub.1])-([C.sub.6]), sont linguistiquement justifiees par des exemples appropries.

(1) Je tiens a remercier Jean-Claude Anscombre, Francoise Metzger et Andre Reichard pour de nombreuses discussions sur l'attestation des phrases, et en particulier Joelle Cailleaux pour ses remarques sur la version finale de cet article.

(2) En France, il existe aujourd'hui deux categories d'appellation odonymique: odonymie routiere et odonymie urbaine. Les noms de route sont formes d'une categorie institutionnelle et d'un chiffre, par exemple: nationale 1, departementale 12, etc. Les odonymies urbaines sont aussi formees d'un couplage binaire, << conjoignant un premier element nominal classificateur [ex. avenue, boulevard, place, impasse, pont, quai, route, rue, etc.] a un deuxieme element individualisateur >> (Bosredon B. & Tamba I. (1999: 56)). Dans le present travail, le centre d'interet est l'emploi des odonymies urbaines que j'appelle, par simplification, noms de rue.

(3) Le symbole * indique la non-acceptabilite de la phrase qui est souvent liee a l'agrammaticalite (* La Tour Eiffel est a la France). Le symbole ?? signifie que la phrase est tres maladroite bien qu'elle soit formee selon la regle de la construction syntaxique (??La Tour Eiffel est dans la France).

(4) Cf. surtout Palm L., op. cit., p.13.

(5) Il arrive que le nom de rue soit insere entre le sujet et le verbe. Mais, cette construction represente une frequence tres faible:

Tout le monde, rue de Sevigne, etait deja au travail [...]. (G. Simenon (1972) Les innocents. Ex. (116) de L. Palm.)

(6) Il faut souligner que la confusion entre sens et referent est restee ancree dans certaines theories linguistiques malgre la distinction signifie / referent faite par F. de Saussure. Cf. Dictionnaire de linguistique ([section]referent) et Anscombre J.-C. (1998).

(7) Palm L., op. cit., p.22.

(8) Ibid., p.27.

(9) Ibid., p.28.

(10) Ibid., p.31.

(11) En voici des exemples de J.-C. Anscombre (1991a), illustres par la locultion faire impression:

Ex.: Le candidat a fait impression.

Ex.: Le candidat a fait une (bonne + mauvaise + excellente + desastreuse + etrange + extraordinaire) impression.

Ex.: Le candidat a fait (bonne + mauvaise + excellente + * desastreuse + ??etrange + * extraordinaire) impression.

Pour plus de detrails, cf. Anscombre J.-C. (1990 et 1991a).

(12) Pour plus de details sur le sujet, cf. Anscombre J.-C. (1991a).

(13) Notons qu'il se peut que le changement de determinant entraine l'emploi de la preposition a. Cf. les deux exemples extraits de Frantext:

Ex.: Il arriva a la rue Notre-dame, continua a marcher devant lui, sans but. (G. Roy (1945) Bonheur d'occasion.)

Ex.: J'avais hate d'arriver a la rue Cases pour lui porter l'excellente nouvelle. (J. Zobel (1950) La Rue Cases-Negres, 2e partie.)

Limitee par la place, je ne discuterai pas ici la difference entre arriver rue X et arriver a la rue X.

(14) Une autre explication est que la rue X en (25)-(29) est un SN.

(15) Cf. Anscombre J.-C. (1991b).

(16) Sur ce sujet, cf. Anscombre J.-C. (2001).

(17) Ibid., p.31.

(18) Cependant, on peut tres bien dire:
   Les vieux batiments, rue Ste.-Anne, seront detruits.
   Rue Ste.-Anne, les vieux batiments seront detruits.
   Les vieux batiments seront detruits, en particulier rue Ste.-Anne.


La difference de degre d'acceptabilite entre les trois phrases ci-dessus, d'une part, et (40b), d'autre part, montre que l'usage de detruire avec rue X subit certaine contrainte syntaxique, liee au theme / theme. Or, ce n'est pas le cas avec dans la rue X, cf. (40c). Ce probleme merite une etude approfondie.

(19) Anscombre J.-C. (2001: 61 et 63).

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