Les ravages de la jalousie dans La Cousine Bette.
Chen, Wei-ling
ENGLISH ABSTRACT
Jealousy is the passion that drives the title character in
Balzac's La Cousine Bette. Bette indulges this passion by trying to
take revenge against the Hulot family. But this unmarried woman is
hardly the only jealous character in a novel that offers a veritable
panorama of the possible incarnations of jealousy. This essay will first
examine the jealousy that eventually drives Bette to extremes. Next it
will tackle four types of jealousy related to love, as well as the
thirst for revenge born of such jealousy. In conclusion, it will discuss
Bette's role in the novel beyond her personal frustrations, and the
phenomenon of deviations of desire among Balzacian characters.
Introduction
La Cousine Bette connut un succes etourdissant, alors que Balzac,
epuise, doutait de sa puissance creatrice. Difficilement commence, mais
redige pour l'essentiel en quelques jours, le texte accumule tous
les elements d'une vision sombre, fortement dramatisee. Malgre la
complexite de ('intrigue, le roman met avant tout en scene une
catastrophe: la destruction de l'univers familial. Car si les
mechants meurent, les bons ou les victimes disparaissent egalement. A la
fin de Bette, de Crevel et de Valerie, courtisane bourgeoise aux talents
dignes de ceux d'Esther (voir Splendeurs et Miseres des
courtisanes), repond celle du marechal Hulot et d'Adeline. Si
Balzac utilise les soudains retournements de situation et les
personnages mysterieux du roman feuilleton, l'univers qu'il
decrit est tragique : les personnages sont impuissants a s'opposer
a leur destin, a leurs passions, a l'ordre social, << malgre
leurs desirs de revolte personnelle >> (Cezari 75). Une fois de
plus, chez Balzac, l'argent, le commerce, l'industrie et la
bourgeoisie triomphent. Bette incarne la volonte de puissance et tire sa
force de la vengeance ; cependant, ce parasite social ne jouit de la vie
que de maniere interposee et epuise vainement son energie.
Dominee par l'argent, la societe du roman traduit le pouvoir
d'une nouvelle bourgeoisie negociante, typifiee terrifiante. Bette
est aussi, selon l'expression de Pierre Roger, << une victime
de cet univers froid >> (Roger 5). Parente pauvre, elle est
marginalisee par une famille riche. La malediction moderne derase des
etres incapables d'acceder au statut d'individu maitrisant son
propre destin (meme l'artiste Steinbock ne peut creer). Fatalite a
l'oeuvre dans un Paris une nouvelle fois explore par Balzac, en
particulier grace aux peregrinations du baron Hulot, <<
l'exacerbation des passions et des interets aliene des personnages
qui s'entre-egorgent >> (Gengembre 82). La Cousine Bette
presente un univers desaccorde. Cette disharmonie peut etre rattachee a
un desordre social : dans le monde decadent de la monarchie de Juillet
qui a succede a l'ordre imperial (domine par un vrai << pere
>>), les traditions familiales et sociales ont vole en eclats.
Mais on peut aussi relier plus profondement ce roman a une sensibilite
pessimiste.
Le roman ne s'acheve pas sur une rupture : la vie continue.
Elle continue d'abord sordidement pour le vieux baron, passe progressivement au statut de centenaire : << il revenait presque
centenaire, casse, voute, la physionomie degradee >> (457),
partant exercer sous d'autres cieux un libertinage qui survit au
naufrage de toutes ses facultes. Elle continue de facon plus rassurante
pour la famille Hulot : l'achevement du roman sur une conversation
entre Victorin Hulot, heritier de Crevel, l'ancien premier commis de Cesar Birotteau, et maitre Popinot, fils de l'ancien second
commis du meme parfumeur, symbolise clairement, au-dela des desordres
passionnels, la stabilisation d'un equilibre bourgeois (Kim 102).
L'effet destructeur de l'envie et l'horreur que
cette destruction provoque sont un theme present chez les plus grands
auteurs dans l'histoire humaine: d'Ovide dans les
Metamorphoses a Dostoievski dans les Memoires ecrits dans un souterrain,
en passant par Shakespeare--Rene Girard en a fait l'objet de son
etude dans Shakespeare, les feux de l'envie--, sans parler de
Balzac dans La cousine Bette, de Charles Dickens dans les Souvenirs
intimes de David Copperfield et de Herman Melville dans Billy Budd.
Rares sont les themes qui ont suscite un sentiment de desapprobation
universelle aussi fort que l'envie qui detruit.
A. Betteou la personnification de la jalousie (1) Des jalousies
variees
Le premier portrait de Bette dans le roman insiste sur sa passion
viscerale : << aussi avant-elle ete prodigieusement jalouse
d'Adeline. La jalousie formait la base de ce caractere plein
d'excentricites (81). Bette est donc le type de la femme jalouse.
Ce roman nous presente une celibataire frustree, acariatre et envieuse
de tout ce qui s'apparente au bonheur. Sa jalousie prend
differentes formes. On en trouve Pacte de naissance dans l'enfance,
et elle s'est, avant tout, exercee contre Adeline. Bette est
jalouse d'Adeline non seulement parce qu'elle-meme a le
malheur d'etre un laideron face a une beaute, mais aussi parce
qu'elle a ete frustre d'affection pendant son enfance au
profit de sa rivale cherie et dorlotee, (2) et parce que sa vie
d'ouvriere et de parasite lui parait derisoire face a la
prestigieuse reussite de sa cousine. Tout cela est clairement fixe des
les premieres pages du roman, et Bette reste jusqu'au bout <<
l'enfant qui voulait arracher le nez a sa cousine, et qui
peut-etre, si elle n'etait devenue raisonnable, l'aurait tuee
dans un paroxysme de jalousie >> (62). La rivalite avec Adeline,
la volonte de l'abattre, de la dominer, font d'elle un
<<lago femelle, >> selon le mot de Jean-Yves Hoisnard
(Hoisnard 154).
Au debut du roman, cette jalousie enfantine est un peu apaisee,
mais le feu couve sous la cendre, comme l'indique cette reflexion
du narrateur : << L'envie restait cachee dans le fond du
coeur >> (83). Le debut du roman fait resurgir cette jalousie qui
est le declencheur de l'intrigue romanesque : la jalousie envers
Adeline est en fait ranimee par une autre jalousie, celle
qu'eprouve Bette envers Wenceslas, qui apparait quand Bette est
depossedee de son < amoureux, >> par celle qui est en fait un
double de sa rivale Adeline: sa fille Hortense. La Lorraine passe alors
de l'envie venimeuse face aux bonheurs infiniment desirables echus
a autrui, aux tortures inavouees d'une passion insatisfaite. (3)
Balzac donne a son heroine un conditionnement rigoureux. Le point
de depart du destin de Bette, c'est sa laideur: (4) laideur
d'une nature sombre et sauvage, d'une paysanne maigre et
brune, constamment rattachee a l'animalite par des metaphores
multiples qui prolongent l'etrangete de ce surnom si etrangement
symbolique, souligne par la formule extraordinaire : << les
malheurs de sa famille ... dompterent la Bette (Bote) >> (45) (5)
elle est << simiesque (51), refuse tout << joug >>
(64) et tout << licou >> (64), elle est << d'un
entetement de mule >> (39); le baron la surnomme << la
chevre >> (89), et elle est finalement comparee <<aux singes
habilles en femme (23). Bette est avant tout une nature humiliee,
humiliee par cette laideur qui lui a etrangement valu le mepris de sa
famille d'origine Lisbeth travaillait la terre quand sa cousine
etait dorlotee >> (21); humiliee apres son arrivee a Paris par son
inferiorite sociale de paysanne illettree, puis de simple ouvriere, et
enfin de parente pauvre traitee avec une bonte condescendante. Cette
humiliation est le principe de cette jalousie devorante a
l'encontre d'Adeline, qui prend rapidement une force
pathologique : << La jalousie formait la base de ce caractere
>> (81). Comme l'a remarque Lorant Andre, la terrible
jalousie de Bette n'a pu etre diminuee ni par les bontes
d'Adeline vecues comme autant d'avanies, ni par la decadence
de la famille Hulot, que son envie meme l'empeche de percevoir :
<< la maison de la baronne conservait toute sa splendeur aux yeux
de la cousine Bette >> (61; Lorant 31).
Fantasme de possession
En effet, les emotions que Bette ressent pour son jeune amoureux
sont tres ambigues et contradictoires, comme ne cesse de le souligner le
narrateur : << elle surveillait cet enfant du Nord avec la
tendresse d'une mere, avec la jalousie dune femme et ('esprit
d'un dragon. Elle l'aimait trop pour le ceder a une autre
femme > (123). D'une part, elle eprouve une affection maternelle
a son egard, et c'est sur cette affection que se fonde sa relation
avec Wenceslas au depart. Quand il lui demande d'etre son amie,
elle lui repond d'abord : << Oh non, je suis trop jalouse, je
vous rendrais malheureux ; mais je serais volontiers quelque chose comme
votre camarade >> (117), puis conclut : << Eh bien, je vous
prends pour mon enfant >> (117). D'ailleurs, Wenceslas la
voit comme une mere, du fait de leur difference d'age et des
exigences terribles de Bette : << la vieille fille deployait la
tendresse d'une brutale, mais reelle maternite >>. Le jeune
homme subissait comme un fils respectueux la tyrannie d'une mere
(112).
Mais d'autre part, (instinct maternel laisse souvent place a
des sentiments amoureux. Hortense soupconne ainsi l'ambiguite des
sentiments de Bette ; elle dit a son pere : << ses regards ne sont
pas bons, quand je vais trop loin, fut-ce en riant, a propos de son
amoureux >> (140). De plus, Bette demande a Wenceslas de
l'epouser au moment ou elle sent qu'il va lui echapper
definitivement en se mariant avec Hortense, et ce sont les larmes
d'une maitresse delaissee qui lui echappent quand il lui rappelle
leur difference d'age.
Il n'y a cependant pas d'amour veritable dans
l'attitude de Bette. En fait, la seule passion qu'elle eprouve
incontestablement a l'egard de Wenceslas, c'est un fantasme de
possession absolument incontrolable. Voici comment le narrateur explique
le bonheur qu'elle ressent : v ces contradictions, cette feroce
jalousie, ce bonheur de posseder un homme a elle. Elle se vengerait sur
ce jeune homme de ce qu'elle n'etait ni jeune, ni riche, ni
belle << (123). Enfin, o elle crut avoir a elle son Livonien en se
flattant de couper toutes les communications entre le monde et lui
>> (165).
Comme l'a remarque Marceau Felicien, le theme de la puissance
deleguee, un des grands themes du monde balzacien domine les relations
entre Bette et Wenceslas. Comme Vautrin sauvant Rubempre du suicide,
Bette arrache Wenceslas a la mort : << Me voila avec un garcon qui
releve du cercueil >> (92). Or, Balzac avait deja annonce
mysterieusement que << cette fille, travaillee inutilement par les
instincts des natures fortes, eut aime a proteger un homme faible
>> (59). La resurrection de Wenceslas lui donne la possibilite de
l'aider, de le proteger, mais aussi de le dominer. Il devient sa
creation, son enfant. Elle fait tout pour l'aider a devenir un
artiste, mais elle tient a avoir barre sur lui et garde precieusement la
lettre de change qui pourra lui permettre a l'occasion de
l'envoyer en prison. Sans rien comprendre a son genie artistique,
elle le pousse au travail avec un melange de tendresse maternelle,
d'interet financier (seul le travail de Steinbock pourra lui
permettre de recuperer l'argent avance), et de plaisir despotique :
<< L'amour de domination reste dans ce coeur de vieille Pille
a l'etat de germe se developpe rapidement : n'avait-elle pas
une creature a elle, a gronder, a diriger, a flatter, a rendre heureuse
sans avoir a craindre aucune rivalite ? >> (96; Marceau 38).
Bette ne supporte pas d'echouer a posseder Wenceslas, et
c'est par le biais de sa jalousie envers Wenceslas qu'est
relancee definitivement sa jalousie envers sa cousine d'abord, puis
contre toute la famille Hulot ensuite. Son desir de vengeance devient le
moteur de l'intrigue romanesque. Balzac fait de Bette le type de la
vieille fille. L'importance de ce type chez Balzac permet de
comprendre sa conception de la femme dans la societe. << La
vieille fille n'accomplit pas la mission assignee a la feminite. De
la un transfert de cette activite biologico-sociale sur les intrigues
mesquines, qui rendent ce genre de personnage particulierement
redoutable >> (Gengembre 182).
Les manifestations de la jalousie
Bette vaut d'abord comme etre investi d'une energie et
d'une volonte extraordinaires. Bette est une sauvage Lorraine, en
proie a un seul sentiment qui, une fois cristallise, envahit tout son
etre. La jalousie de Bette se caracterise par des manifestations
physiques exterieures qui temoignent de la violence de son ressentiment L'envie resta cachee au fond de son coeur comme un germe de peste
qui peut eclore et ravager une ville, si l'on ouvre le fatal ballot
de laine ou il est comprima >> (58). Ces manifestations sont
d'autant plus frappantes que Bette tache toujours de se maitriser
car elle agit en cachette. Le narrateur nous livre un spectacle sublime
de la colere de Bette : << la physionomie de la Lorraine etait
devenue terrible. Sa figure ressemblait a celles que nous supposons aux
pythonisses, elle serrait ses dents pour les empecher de claquer ; et
une affreuse convulsion faisait trembler ses membres (...) elle brulait
! La fumee de l'incendie qui la ravageait semblait passer par ses
rides comme par autant de crevasses labourees par une eruption
volcanique (154). La comparaison avec un incendie est materialisde un
peu plus loin, lorsque Bette s'exclame << ma tete brule, je
deviens folle !>> (155), et elle ne se calme qu'en se
trempant le front dans l'eau, arretant ainsi <<
l'inflammation commencee >> (156).
La jalousie est une passion totalitaire qui pourrait facilement la
conduire a des extremites, comme le dit explicitement le texte : Bette
est prete a tuer pour l'assouvir, << dans cet etat
d'irritation mentale qui fait commettre les meurtres >>
(165), elle << aurait tue Adeline en un paroxysme de jalousie
>> (86), et le monstre devient litteralement sadique : <<
Elle voulait jouir des tortures auxquelles sa petite cousine allait etre
en proie >> (181).
C'est grace a ces manifestations physiques que Balzac peut
reprdsenter de facon frappante la << jalousie de tigre >> de
Bette (113). << Qui vous a dit qu'elle [Hortense] etait jolie
? demanda vivement Lisbeth [a Steinbock] avec un accent ou rugissait une
jalousie de tigre >> (60); << ses yeux noirs et penetrants
avaient la fixite de ceux des tigres >> (61). La metaphore du
tigre est specifiquement revelatrice de la jalousie ; on la retrouve
pour Crevel depossddd de Josepha : << j'etais comme une
tigresse a laquelle on a enleve ses petits >> (167), et pour
Montes decouvrant les trahisons de Valerie. En effet, Bette se
transforme peu a peu en une allegorie symbolique de la jalousie.
<< Elle fut la Haine et la Vengeance sans transaction >), et
elle devient << a la fois un lago et un Richard III >>
(161), qui sont deux personnages de Shakespeare caracterises par leur
ressentiment (Rastier 3). Sa violence precipite la decheance de la
famille Hulot, comme l'indique le narrateur dans cette phrase
terrifiante : << la main (de Bette) demolissait a coups presses
cette famille qui de jour en jour lui devenait de plus en plus odieuse
>> (216).
Dans la lignee des vieilles filles frustrees, sadiques et
perverses, qui obsedent ('imagination de Balzac depuis le debut de
sa carriere, la cousine Bette est ('une des plus redoutables de La
Comedie humaine. Au fil de divers evenements, nous decouvrons en la
cousine Bette une manipulatrice et une grande calculatrice. Pour arriver
a ses fins, elle n'a pas de scrupule. Attirant les confidences des
gens qui l'entourent, elle arrive a leur faire dire ce qu'elle
veut qu'ils disent et elle parvient egalement a les faire agir de
la facon dont elle veut qu'ils agissent. Mais peut-on manipuler les
gens, les faire se dechirer entre eux, les blesser profondement sans que
tout va nous revienne, sans que nous en subissions les consequences
(Lavoie 1)? (6)
B. La jalousie amoureuse La jalousie virulente
Bette incarne un destin impitoyable a l'egard de ses futures
victimes : << C'etait du granit, du basalte, du porphyre qui
marchait >> (254). Les deux aspects de la jalousie de Bette
donnent a l'oeuvre une unite psychologique fondamentale : ses
fureurs et ses tortures trouvent des reflets multiples dans le
kaleidoscope des personnages qui l'entourent. Deux personnages
expriment leur jalousie avec beaucoup de virulence. Comme pour Bette, ce
sont leurs corps qui manifestent physiquement leur jalousie. Il y a
d'ailleurs une symetrie entre ces deux personnages, un homme et une
femme, qui souffrent (a des moments differents du roman) de la liaison
entre Valerie et Wenceslas.
Hortense est le portrait de sa mere; (7) mais sa chevelure doree,
plus fauve et abondante que celle d'Adeline, d'un blond
ardent, la singularise. Cette chevelure ardente annonce deja que la
jeune fille allie a la douceur maternelle un caractere plus passsionne
et volontaire. Ainsi Hortense a une nature originale : partagee entre la
vertu aimable d'Adeline et les passions vehementes de Hulot. Sa
decision de quitter Wenceslas met en Evidence ce caractere volontaire,
conforme a cette ardeur passionnelle qu'elle a conscience de devoir a l'heritage paternel : ((Je suis malheureusement pour moi une
Hulot et non pas une Fischer >> (271). Elle influence
d'ailleurs un peu la pitoyable Adeline dont le perpetuel devouement
vire peu a peu a l'absurde.
Le baron Montes de Montejanos, le fauve inquietant et sauvage,
n'apparait dans le roman que pour introduire la menace tragique
d'une jalousie meurtriere qui conduit effectivement a la mort de
celle qui s'est imprudemment jouee de lui. Le trait de caractere
fondamental et presque unique de cet Othello, c'est la jalousie: ce
qui le rattache a l'univers passionnel de l'oeuvre et plus
profondement encore au personnage-titre. Ainsi, le narrateur precise que
Valerie, decidee a epouser Crevel, s'inquiete des reactions de son
beau Bresilien a qui elle a su cacher toutes ses liaisons : <<
Elle connaissait trop bien le caractere quasi sauvage du baron, qui se
rapprochait beaucoup de celui de Lisbeth, pour ne pas trembler en
pensant a ce More de Rio de Janeiro >> (402).
Le baron Montes, eperdument amoureux de Valerie, ignore sa vie de
courtisane et lui est strictement fidele, au point d'etre un objet
de plaisanterie pour toutes les lorettes et les viveurs parisiens. Il
tue vraiment Valerie lorsqu'il apprend sa trahison : il est ainsi
le seul personnage a aller vraiment au bout de sa colere, de facon
concrete. La jalousie l'affecte, lui aussi, physiquement : <<
ces trois phrases furent trois coups de pistolets que Montes recut en
pleine poitrine. Il devint bleme et souffrit tant qu'il se leva
peniblement > (446). o Montes etait effrayant a voir, et plus
effrayant a entendre : Il rugissait, il se tordait, tout ce qu'il
touchait etait brise >> (454). Il est metamorphose en tigre
>> (455). Montes, appele tres souvent le Bresilien, >>
represente dans le roman le type de l'etranger aux passions
violentes.
La jalousie contenue
A l'oppose de ces reactions virulentes, on trouve
l'etonnante forme de jalousie d'Adeline Hulot, explicitement
designee par le nom de sainte femme. (8) Sa jalousie est faite de
souffrances entierement rentrees et cachees : <<elle souffrait
comme femme, comme mere et comme epouse >> (86), <<elle
souffrait neanmoins, elle s'abandonnait secretement a des rages
affreuses >> (75). A la difference de sa fille, Adeline <<
s'etait mis sur les yeux un voile de plomb, elle avait pleure
silencieusement, et jamais une parole de reproche ne lui etait echappee
>> (72). Lorsqu'elle decide de quitter rapidement Wenceslas,
Hortense refuse le modele de soumission absolue que lui offre sa mere.
La difference radicale entre Adeline et tous les autres
personnages, c'est qu'elle est absolument incapable de
vengeance, puisqu'elle va jusqu'a << empecher Hulot de
dire du mal de lui-meme >> (98). Jamais elle ne cesse d'aimer
son mari. En realite, comme la plupart des personnages du roman, le
desir de vengeance touche la sainte Adeline, mais juste a la fin de sa
vie, sur son lit de mort : elle meurt un a mot de reproche >>
(469) a la bouche : << tu pourrais faire une baronne Hulot
>> (469). Hulot, de nouveau saisi par le vice, promet a une fille
de cuisine de l'epouser sitot son veuvage. Ce dernier coup acheve
Adeline qui disparan en 1846. Hulot epouse sa souillon et fait
d'Agathe Piquetard une baronne. Cette vision catastrophique de
l'adultere et de la dependance du beau sexe donne a ce roman
l'aspect d'une vraie descente aux enfers. Le pere Hulot, un
accro de tout ce qui est du sexe feminin passe ainsi par toutes les
conditions sociales pour assouvir sa passion, entrainant sa famille dans
sa chute. Hulot trouve a appliquer son energie, et sa quete frendtique
des femmes emporte tout. Plus encore que celle de la passion haineuse,
la force du desir motive des actions aux consequences mortelles pour
l'ordre social, remettant en cause le mariage. << J'ai
eu raison de rester fille ! >>, s'exclame Bette (235);
<< pourquoi ne suis je pas entree dans un couvent au lieu de me
marier ! >> (312), se lamente Hortense. En effet, l'image du
mariage que donne La Cousine Bette West guere rejouissante. Ce West pas
un hasard, car Balzac avait une tres mauvaise opinion du mariage tel
qu'il existait au XIXe siecle. Cette preoccupation parcourt toute
La Comedie humaine, et en particulier La Femme de frente ans, la
Physionomie du mariage, ou les Petites Miseres de la vie conjugale. On
trouve dans La Cousine Bette de nombreuses maximes sur le role des
femmes au sein du couple. (9)
La jalousie des debauches
On trouve enfin une forme devoyee de la jalousie dans les
personnages des deux vieux debauches, Crevel (10) et Hulot. (11) Ils se
remettent en effet tres rapidement des trahisons des femmes qu'ils
entretiennent. Par exemple, quand Josepha renvoie brutalement Hulot, il
rentre chez lui << marchant en furieux >> (130), mais decide
de seduire des le lendemain Mme Marneffe! (12) Lors de l'apparition
du beau Montes chez sa jeune maitresse Valerie, Hulot, longtemps epargne
par la jalousie, decouvre ce sentiment : << en sa qualite de bel
homme, le Conseiller d'Etat n'avait jamais connu la jalousie
>> (232), et en subit lui aussi les manifestations physiques :
<< Les philtres et les vertiges que verse a torrents ce sentiment
fou venaient de couler dans son coeur en un instant)) (231). Pourtant,
quand il apprend la derniere trahison de Valerie, il se fait vite une
raison, au point d'etre seduit par la premiere jeune fille que lui
presente Josepha. Hulot est donc inconstant, meme en jalousie.
De plus, la jalousie des deux vieillards est decredibilisee car les
femmes sont un enjeu dans leur rivalite masculine. Comme le dit Crevel,
<< nous sommes manche a manche, baron, nous jouerons la belle
quand vous voudrez >> (249). Le titre du chapitre 20 (<<
Deux confreres dans la confrerie des confreres >>) souligne le
ridicule de leur etonnante association. Crevel, qui incarne tous les
travers de la bourgeoisie de Juillet, West pas seulement mesquin,
vulgaire, fat: il est reellement bas, inaccessible aux plus nobles
sentiments. Debauche libidineux, en s'imaginant jouer les libertins
raffines de la Regence, il semble par instant se rapprocher du
lamentable baron Hulot, mais en plus vil: il n'a pas ces sursauts
meme momentanes qui, chez Hulot, nous rappellent l'etre humain, il
lui manque aussi le demon de l'absolu qui conduira infailliblement
Hulot a la ruine mais en lui donnant, dans son ignominie, une sorte de
grandeur tragique. Dans sa luxure, ce marchand enrichi conserve sagement
ses principes d'economie bourgeoise, sa respectabilite, et
c'est sans doute cela qui fait de lui un des personnages les plus
repoussants du monde balzacien, bien digne de devenir l'epoux de la
Marneffe. Le lecteur est invita a avoir une mauvaise opinion des deux
debauches et a ne pas prendre leurs sentiments au serieux, comme le
montre la phrase suivante : << Ainsi la manoeuvre inspiroe a ces
deux passions roelles, devint-elle si comique par la simultaneite de
cette gymnastique, qu'elle fit sourire les gens d'assez
d'esprit pour y voir une revelation >> (230). Le narrateur
invite le lecteur a se mettre du cote des gens d'esprit et donc a
sentir le ridicule de l'attitude de Hulot et de Crevel. Le couple
des rivaux resume le degout qu'inspire une classe qui est grotesque
quand elle West pas sordide. Au-dela, se profile une societe ou fait
naufrage la creation (Steinbock), ou grouille l'immonde (Marneffe),
ou s'abolit la loi (a preuve cette sombre figure interlope a
laquelle l'heritier Hulot est force de deleguer le chatiment des
monstres).
La jalousie pervertie
La forme la plus perverse de la jalousie qu'on trouve dans le
roman est tout de meme celle de Marneffe. Celui-ci connait les activites
de sa femme, et les encourage : << Il se faisait le valet de son
auguste chef >> (151), quand Valerie devient la maitresse de
Hulot. Elle a son omari pour embaucheur et pour complice >> (202).
Marneffe est caracterise par son absence totale de jalousie, sauf a
l'ogard de Crevel qui lui deplait. Marneffe est en fait un pion
dans la terrible partie que jouent Bette et Valerie pour detruire la
famille Hulot : elles ont << invento a elles deux une prodigieuse
machine (...) Marneffe, en voyant sa femme embellie par le milieu dans
lequel elle tronait, comme le soleil d'un systeme sideral,
paraissait, aux yeux du monde, avoir senti ses feux se ranimer pour
elle, il en etait devenu fou. Si cette jalousie faisait du sieur
Marneffe un trouble-fete, elle donnait un prix extraordinaire aux
faveurs de Valerie >> (208). Quand Valerie evoque son mari,
c'est seulement pour faire pression sur ses amants, auxquels elle
fait croire que Marneffe ignore ses liaisons. Le couple infernal compose
une fausse scene de jalousie qui est une sorte de parodie des crises de
jalousie reelles du roman. Voici la description de Valerie : << je
l'ai vu monstrueux. Ses quatre veritables dents tremblaient
>> (320).
Marneffe, dans sa mesquine turpitude d'employe minable, West
defini que par sa corruption : c'est << un employe qui
resiste a l'abrutissement par l'espece de puissance que donne
la depravation >>.. (91). Il est l'image mome de la luxure la
plus basse, puisque, d'apres l'avertissement sans nuance du
narrateur, il incarne le type << que chacun se dessine d'un
homme traduit aux assises pour attentat aux moeurs >> (114). Le
fait que Marneffe soit un des seuls personnages en Age d'aimer a ne
pas eprouver de jalousie prouve que le roman ne condamne pas totalement
cette passion, puisque Marneffe est le seul personnage entierement
sombre et detestable. De plus Bette et Valerie jouent avec ce sentiment
qui est passionnel chez la plupart des autres personnages, ce qui montre
bien leur cynisme et leur cruaute. << Le trio infernal
Marneffe-Valerie-Bette parait ainsi attele a detruire toute la sincerite
des sentiments >> (Clark 20). Ces differentes figures de la
jalousie amoureuse, tres souvent reliee a la metaphore inquietante du
tigre, ont sans doute des amplitudes inegales --- la jalousie de Hulot
est passagere, celle de Crevel trouve une revanche rapide, seules celles
de Bette et de Montes sont inexpiables ---, mais toutes jouent un role
dans le deroulement dramatique et << inscrivent faction romanesque
dans une extreme violence passionnelle (Lorant 57). La conclusion
pessimiste du roman est donc qu'il n'y a aucun vrai gagnant
dans le jeu cruel qui oppose les deux femmes Hulot a Bette et Valerie.
Au contraire, tous les personnages sont malgre eux peu a peu vicies par
la jalousie mortelle qui emane de la cousine Bette.
C. De la jalousie a la vengeance La fletrissure de la jalousie
Comme Cain, (13) Bette n'a pas su dompter la bete sauvage de
la jalousie qui faisait rage en elle. << Mille soupeons pousserent
dans son Ame, comme poussent, dans les Indes, ces vegetations, grandes
et touffues, du jour au lendemain >> (296). Cette phrase est
symptomatique de la place que prend la jalousie dans le roman. Elle
croit peu a peu, comme le mal qui touche Valerie, et devore presque tous
les personnages, comme nous l'avons vu. Ainsi, quand ils ne la
ressentent pas eux-memes, ils l'attribuent aux autres. Par exemple,
quand la statue de Wenceslas est ereintee par la presse, << les
articles de journaux furent pour Hortense les cris de l'Envie
>> (266).
Or cette jalousie ne s'arrete pas a un simple sentiment. Elle
est le moteur de l'intrigue de La Cousine Bette parce qu'elle
entraine un desir de vengeance qui motive les actions de la plupart des
personnages ; ainsi Crevel s'exclame, quand Hulot lui vole Josepha
(alors qu'il n'eprouve plus de chagrin): << Croyez-vous
que je pardonnerai jamais a monsieur Hulot le crime de m'avoir
enleve Josepha ? Je desire prendre ma revanche >> (170). De plus
la vengeance ne s'assouvit jamais vraiment : au contraire, une
revanche prise donne envie d'en prendre une autre encore. Quand
Adeline tente de seduire Crevel, (14) elle comprend <<que le
parfumeur se vengeait d'elle ignoblement, comme il s'etait
venge de Hulot >> (356). Autrement dit, une seule vengeance ne
suffit pas, et quand on entre dans ce cercle vicieux, il est impossible
d'en sortir. C'est d'ailleurs ce qui arrive a tous les
personnages du roman qui s'enlisent dans la vengeance et en
subissent les consequences.
La vengeance omnipresente
Si l'on recense les volontes de vengeance qui parcourent La
Cousine Bette, on se rend compte que c'est le sentiment le plus
repandu dans le roman. On a d'abord celui de Crevel (que l'on
vient de mentionner), un peu ridicule, qui revendique << la
vieille loi du talion >> (70). Crevel rejoint le desir de Bette :
<< Si vous vouliez m'aider a me venger, je veux faire rougir
votre famille >> (172). La Cousine Bette se montre capable de
vengeance, et de la plus terrible. Elle se venge en repandant le malheur
et la honte sur son entourage. Bette est une vieille fille ; <<
elle a toute la hargne d'une Gamard du Cure de Tours, elle a aussi
toute la fausse mansuetude d'une autre vieille fille balzacienne,
Mlle Cormon >> (Barrere 29). Bette nourrit une aspiration de
revanche qui restera longtemps indecise, confuse. Il y a en elle une
puissante energie refoulee, une passion dominatrice restee sans emploi.
C'est son amour pour Steinbock, qui va dechainer toutes ces
puissances contenues et aigries. Lorsque Hortense, la fille de ces Hulot
dont Bette a toujours ete jalouse, lui prend Steinbock et l'epouse,
la vieille fille West plus qu'une sauvagesse enragee par une We
fixe de vengeance. L'hypocrite phrase qu'elle lance a
Wenceslas quand elle fait semblant d'apprendre son mariage signale
le debut de sa vengeance: << desormais vous m'appartiendrez
par des liens, faibles il est vrai, mais qui suffisent aux sentiments
que je vous al voues ! >> (183). En effet, le lecteur est bien
place pour savoir que Bette ne peut, au contraire, pas du tout se
satisfaire de liens faibles, >> puisqu'elle est devoree par
un desir de possession absolue.
Frustree de sa proie, elle va se servir de Mme Marneffe pour
detruire le bonheur du jeune menage Steinbock, ruiner et deshonorer la
famille Hulot, sans jamais cesser de manoeuvrer avec l'habilete
raffinee d'un vrai Tartuffe en jupons, restant dans l'intimite
des Hulot et y savourant secretement son triomphe -- mais pour finir
victime de sa propre fureur, puisqu'elle fait mourir de desespoir
le vieux marechal Hulot qu'elle esperait epouser: is << elle
allait atteindre au but de son ambition, elle allait voir son plan
accompli, sa haine satisfaite. Elle jouissait par avance du bonheur de
regner sur la famille qui l'avait si longtemps meprisee. Elle se
promettait d'etre la protectrice de ses protecteurs, l'ange
sauveur qui ferait vivre la famille ruinee, elle s'appelait
elle-meme madame la comtesse ou madame la mardchale! en se saluant dans
la glace. Adeline et Hortense acheveraient leurs jours dans la detresse,
en combattant la misere, tandis que la cousine Bette, admise aux
Tuileries, tronerait dans le monde >> (Martin 9). (16)
Aux frustrations de l'enfance s'ajoute une nouvelle
frustration, d'autant plus terrible que Bette n'ose pas
regarder en face ses propres desirs. C'est sur cette base
empoisonnee que se construit tout le systeme de la vengeance, qui
constitue l'armature dramatique du roman. Bette meurt a son tour,
(17) mais en emportant le secret de sa haine. C'est la certainement
<< un des monstres les plus parfaits qui soit sorti de
l'imagination balzacienne, >> selon l'expression
d'Ahardane (Ahardane 98). Avec sa volonte perseverante et le
naturel de son hypocrisie, elle porte dans le mal une implacable,
hallucinante rigueur qui confine a la grandeur. Bette meurt en croyant
avoir rata sa vengeance : Adeline parait heureuse. (18) Non seulement la
Lorraine n'a pas pu obtenir le resultat souhaite, mettre sa rivale
<< dans la boue >>, (19) mais elle reste jusqu'au bout
dans une situation d'hypocrisie : personne ne sait le role
qu'elle a joue dans les desastres qui se sont produits, et tous la
regrettent << comme l'ange de la famille. >> Sans doute
l'aveugle reconnaissance familiale est-elle presentee comme une
source de satisfaction pour Bette, mais elle est frustree de la
reconnaissance de son role par les autres, et de la raalisation complete
de ses esperances. Or, bien que Bette meurt avant d'avoir pu le
savoir, son action destructrice parvient bien a pervertir totalement
Hulot et a achever Adeline. Le retour du vieux pere a ses ddmons
confirme l'efficacitd, meme apres sa mort, de l'action
corruptrice de Bette. Adeline meurt definitivement bristle par
l'infamie de son epoux, et << le seul veritable echec de
Bette est de ne pas avoir vecu assez longtemps pour le savoir >>
(Hoisnard 116). Balzac est cruel avec son personnage, mais l'echec
de Bette etait inscrit dans les exces de sa nature a la fois assez
passionnee pour agir et trop repliee sur elle-meme pour profiter
pleinement de ses victoires.
Bette jure la perte de sa cousine, et sa haine (qui est la plus
extreme, la plus devastatrice du roman), contamine ensuite Valerie
Valerie epousa donc pour son compte la haine de Lisbeth envers
Hortense)) (296). Elle se rejouit de voir << Lisbeth outrevengee !
... >> (365). Enfin, le Bresilien, presente comme le bras de Dieu
sur Terre, cherche (et parvient) a se venger. It se voit comme <<
l'instrument de la colere divine >> (459). Le Bresilien
transmet a Valerie Marneff une mysterieuse maladie venerienne dont elle
meurt peu apres. En effet, le Dieu des jaloux est un Dieu vengeur, comme
le dit Bette: << ces messieurs (les pretres) ne nous disent-ils
pas que Dieu se venge, et que sa vengeance dure l'eternite !
>> (471). Le personnage de Montes, meme s'il est infiniment
moins complexe, presente quelques similitudes avec celui de Bette :
<< le caractere quasi sauvage du baron se rapprochait beaucoup de
celui de Lisbeth >> (402). En fait ces ressemblances tiennent
toutes a la violence et a la puissance de la jalousie. Mais
contrairement a Bette qui meurt en gardant le secret de sa haine, il
revele a Valerie la realite de sa vengeance (441).
Dans la bouche de Bette, la vengeance est un mal qui envahit et
salit tout: <<j'ai vu la vengeance partout dans la nature,
les insectes perissent pour satisfaire le besoin de se venger quand on
les attaque ! >> (470). (20) Cette vision animale de l'homme,
soumis a ses instincts de cruaute, envahit le roman. En effet, le
denouement donne peut-etre raison a Bette, puisque tous les personnages,
meme les plus irreprochables, parlent de vengeance. Ainsi, en apprenant
la maladie de Valerie,21 Hortense se rejouit en ces termes : <<
Cousine ! Ma mere et moi nous sommes vengees ! >> (468). De plus,
en parlant de la vengeance a venir de Montes, Carabine, la courtisane,
dit : << Le pistolet est si bien charge que j'ai peur
qu'il n'eclate >> (447). Or cette phrase reprend mot
pour mot celle de Rivet au debut du roman vous aurez toujours un
pistolet charge contre votre Polonais ! (118). Cette recurrence donne au
lecteur l' impression que le desir de vengeance de Bette a gagne
tous les personnages sans exception. Adeline elle-meme, qui n'avait
jamais laisse echapper la moindre recrimination contre son mari, meurt
un << mot de reproche)) a la bouche ; << Et l'on vit,
ce qui doit etre rare, des larme s sortir des yeux d' une morte
>> (490). La mort d'Adeline est terrible, car << la
ferocite du Vice a vaincu la patience de l'Ange, >> (22)
precisement sur son lit de mort. La mort de Bette est la seule dans tout
le roman qui ne soit pas accompagnee de dernieres paroles. Bette meurt
en silence, et la verite de Bette est precisement de ne pas se livrer.
Son dernier mot est un mot de rancoeur, qu'elle se dit seulement a
elle-meme : << Elle finira par etre heureuse >> (478). En
revanche, Adeline, fidele a son personnage sublime, a un mot pour son
epoux, ou le devouement se mele au reproche : << Je n'avais
plus que ma vie a te donner : dans un moment tu seras libre et tu
pourras faire une baronne Hulot (469). L'eloge du narrateur, qui
exalte la patience de l'ange pronongant sur son lit de mort
<< le seul mot de reproche qu'elle eut fait entendre de toute
sa vie >> (468), garde l'ambiguite de tous les commentaires
moralisateurs sur les vertus de la malheureuse Adeline. Apres
l'eloge, en effet, l'epreuve des faits, qui suit
immediatement, denonce l'inefficacite totale de cette vertu. Loin
d'etre emu par le devouement de son epouse, Hulot s'empresse
effectivement de <<faire une baronne Hulot >> trois jours
plus tard. Dans le monde sans pitie de Balzac la haine n'a que des
reussites precaires, et la vertu n'a aucune chance de succes
(Michel 265).
La chute du roman est atroce a cause de sa rapidite : les derniers
mots d'Adeline et le remariage de Hulot sont racontes sur la meme
page. Cette fin acceleree, apres une ellipse de onze mois, montre a quel
point le desir de vengeance est omnipresent, puisqu'il touche meme
le personnage le plus devoue du roman. Mais le denouement souligne aussi
l'impuissance de la vengeance quand elle cherche a atteindre des
etres passionnes. Dans La Cousine Bette, la vengeance n'atteint que
des etres deja fragilises, mais ne reussit pas a toucher une autre
monomania, comme celle de Hulot.
Conclusion
L'humiliation initiale fait de Bette un etre inadapte.
Enfermee dans ce que nous appellerions maintenant un complexe
d'inferiorite, elle n'a pas su saisir ses chances reelles :
elle s'est brouillee avec le patron auquel elle aurait pu
s'associer quand elle avait fait la preuve de ses talents de
<< premiere ouvriere >> (58), et a refuse tous les
partis--il est vrai mediocres--qui lui etaient proposes (61); surtout,
Balzac suggere qu'en realite son physique << apre >>
offrait des possibilites de grice etrange : << la chevelure noire,
les beaux yeux durs, la secheresse calabraise du teint faisaient de la
cousine Bette une figure de Giotto >> (62), mais elle etaitt
incapable d'en tirer parti, et ses tenues bizarres la rendaient
simplement ridicule. (24) Issue d'une famille paysanne, longtemps
illettree, devenue ouvriere, acharnee au travail, Bette represente,
au-dela de ses frustrations personnelles, les forces sauvages d'un
peuple humilie ; elle appartient << a cette cat6gorie de
caracteres plus communs chez le peuple qu'on ne le pense et qui
peut en expliquer la conduite pendant les revolutions >> (243). A
travers le personnage de Bette, Balzac etablit une confrontation entre
les forces sociales en place et un univers populaire menacant (Marceau
32).
La violence de la jalousie amoureuse West pas le seul point de
rencontre entre Bette et les autres personnages. Le poison de
l'envie West pas l'apanage de la protagoniste : Bette,
incapable d'arriver a une affectivite autonome, ne parvient a
desirer que ce qui fait le bonheur d'Adeline ; elle desire le
cachemire jaune qui a embelli pendant vingt ans la beaute triomphante
d'Adeline, elle veut epouser le marechal parce qu'il est le
frere aine du baron, ce <<prince charmant >> qui a tire la
bergere Adeline de sa campagne, et aussi parce qu'il est
l'admirateur eperdu des vertus de sa belle-soeur. Or bien
d'autres personnages montrent << la meme absence
d'authenticite, copiant inconsciemment les desirs des autres
(Ahardane 154). Il en est ainsi d'Hortense fascinee par Wenceslas,
precisement parce qu'il semble appartenir a Bette ; de Crevel qui
veut seduire la femme ou la maitresse de Hulot, uniquement pour faire
piece a son rival ; de Wenceslas mysterieusement attire par la maitresse
de son beau-pere, par une femme qu'il voit, lors de sa visite,
entouree d'un cercle d'admirateurs eperdus : << Le desir
fut si vivement irrite chez Wenceslas qu'il redoubla
d'attentions pour Valerie. Femme en vue, femme souhaitee ! >>
(249). Valerie elle-meme s'attache a la conquete de Wenceslas parce
qu'il appartient a Hortense et parce qu'Hortense pretend le
lui disputer Les femmes tiennent autant aux amants qu'on leur
dispute que les hommes tiennent aux femmes qui sont desirees par
plusieurs fats (267). << On ne desire que ce qui est desire par
autrui, et les etres desires deviennent des objets, monnaie
d'echange, instrument de vengeance ou de domination >>
(Ahardane 106).
Bref, le roman illustre de facon magistrale la perversion des
desirs deformes par une societe de rivalite et d'alienation. Dans
un univers ou regnent la division et la rupture, ou l'on vit sons
le regard et le controle d'autrui, le desir devient imitation du
desir de l'autre, entrainant une spirale ininterrompue de
situations conflictuelles. Le monde de La Cousine Bette illustre
parfaitement les celebres analyses de Rene Girard sur les ravages du
desir mimetique Balzac affirme, lui aussi, que la foule moderne, dont
l'avidite West plus endiguee ni retenue par la monarchie dans les
limites acceptables, n'a d'autres dieux que l'envie
>> (Girard, Rompre 78).
Bibliographie
Ahardane, Meryem. << Desir et << perversion >>
dans quelques romans de la Comedie humaine: formes et significations.
>> these de doctorat. Paris 3, 1993.
Balzac, Honore de. La Cousine Bette. Preface et notes de Pierre
Barberis. Paris: Gallimard, Folio., 1972.
--. Lettres a Madame Hanska. Paris: Robert Laffont, 1990. Barres,
Jean. << Hugo jauge par Balzac. >> Mercure de France janvier
1980: 21-37.
Cavalcante, Antonio Mourao. L'homme jaloux : essai sur la
jalousie pathologique, Paris: Araknoweb Editions, 2000.
Cezari, Paul. Etude critique des passions dans l'oeuvre de
Balzac. Paris: Les presses modernes, 1977.
Clark, Jeanne. << Balzac, Clairville et Mme Marneffe.
>> R.H.L.F (septembre-octobre 1978): 13-23.
Danger, Pierre. L'eros balzacien : Structures du desir dans La
Comedie humaine. Paris: J. Corti, 1989.
Forsyth, Elliott, La tragedie francaise de Jodelle a Corneille:
1553-1640: le Wine de la vengeance. Paris: H. Champion, 1994.
Gassmann, Fanny. Le personnage de la courtisane a travers Manon
Lescaut de l 'abbe Prevost, La Cousine Bette d 'Honore de
Balzac, La Dame aux camelias d Alexandre Dumas fils, Nana d'Emile
Zola. Bordeaux, 1997.
Gengembre,Gerard. La Comedie humaine de Balzac, Analyse de
l'oeuvre. Paris: Le Livre de Poche, 2004.
Girard, Rene. Rompre avec la vengeance. Quebec: Presses de
l'Universite Laval, 2001.
--. Shakespeare, les feux de l'envie. Paris: Grasset, 2000.
Hoisnard, Jean-Yves. << Les processus de l'agression dans les
derniers romans de Balzac: Les Paysans, Le Cousin Pons, La Cousine
Bette. >> These de doctorat. S.I.n.d., Nantes, 1972.
Kallemeyn, Harolk. << L'envie, moteur de la violence.
>> 26 mars 2005 <http://www.unpoissondansle.net/rr/0311
/index>.
Kim, In-kyoung. << La sociocritique et le sociogramme du
bourgeois balzacien. >> These de doctorat. Paris 8, 2001.
Lagache, Daniel. La jalousie amoureuse, psychologie descriptive et
psychanalyse. Paris: PUF, 1997.
Lavoie, Amelie. << La Cousine Bette.>> 31 mars
2005 <http://www.hist.umontreal.ca/u/le_sablier/pages/septembre_
2000/cult honore balzac.htm>.
Lorant, Andre. Les parents pauvres d'Honore de Balzac, etude
historique et critique, Geneve: Droz, 1967.
--. <<La creation d'un personnage balzacien : Wenceslas
Steinbock.>> Les etudes balzaciennes 10 (mars 1970): 7-19.
Marceau, Felicien. Balzac et son monde. 1970. Paris: Gallimard, coll.
<< Tel, >> 1986.
Martin, Paul. << La Cousine Bette. >> 6 avril 2005
<http://perso.wanadoo.fr/paul/martin/la_cousine_bette.htm>.
Michel, Arlette, Le mariage et l'amour dans l'oeuvre
d'Honore de Balzac. Paris: Champion, 1976.
Monneyron, Frederic. L 'ecriture de la jalousie. Grenoble:
Ellug, 1997.
Mozet, Nicole, La Cousine Bette. Paris: Editions de pedagogie
moderne, << Lectoguide, >> 1980.
Oraison, Marc. Le celibat, aspect negatif, realites positives.
Paris: Le Centurion, 1976.
Pauline, Georges. L'envie : une histoire du mal. trad. de
l'allemand. Paris: Les Belles Lettres, 1995.
Philippe, Chardin. L'amour dans la haine ou la jalousie dans
la litterature moderne. Paris: Droz, 1990.
Picon, Gaetan. Balzac par lui-meme. Paris: Le Seuil, coll. <<
ecrivains de toujours,>> 1976.
Pitt-Rivers, Francoise. Balzac et fart. Paris: Editions du Chene,
1993.
Rastier, Frangois. << La Bette et la Bete--une aporie du
realisme.>> Texto ! decembre 2001
<http://www.revue-texto.net/Inedits/Rastier/Rastier Bette.html>.
Roger, Pierre. Introduction. La Cousine Bette. Par Honore de
Balzac. Paris: Le Livre de Poche, 1972. 5-13.
Note
(1) En ce qui concerne la cousine Bette, Balzac affirme dans une
lettre : << Le caractere principal sera un compose de ma mere, de
Mme Valmore et de ta tante Rosalie >> (Lettres a Madame Handka
267). Comme l'a fait remarquer M.P.-G. Castex, il est rare
d'avoir sous la plume de Balzac des << clefs >> donnees
de facon aussi nette. Il faut noter toutefois que Balzac ecrit ces
lignes avant d'avoir commence vraiment la redaction et qu'il
s'adresse a Mme Hanska. Au fil de la plume, Lisbeth Fischer (la
cousine Bette) a pu prendre des traits d'autres modeles. En graves
difficultes avec une mere autoritaire, nerveuse, creanciere pauvre,
ayant le sens du drame, Balzac a pu ecrire a son sujet a son homme
d'affaires Fessard qu'elle etait mauvaise comme une gale et a
Mme Hanska << c'est a la fois un monstre et une monstruosite
>> (Lettres a Madame Hanska 279). Nous Wavons pas ici la place
pour nuancer un jugement sans doute injuste, mais il est certain
qu'en imaginant Lisbeth, Balzac a assouvi des griefs reels ou
imaginaires a l'egard de sa mere.
(2) Les schemas empruntes aux contes de fees, mais inverses, sont
nombreux dans le roman. Ainsi, au debut, la rivalite entre les deux
cousines, la laide mechante et la douce vertueuse, rappelle toutes
sortes de contes merveilleux, de Cendrillon aux Fees. Mais c'est la
laide mechante qui a ete, pendant son enfance, delaissee et contrainte a
travailler, ce qui inverse le schema de Perrault.
(3) Les definitions anciennes et recentes de l'envie font etat
de deux traits caracteristiques de la personne envieuse. Elle eprouve
une douleur que suscite la comparaison avec autrui et elle ressent de
l'animosite a son egard (l'envie) (Kallemeyn 2).
(4) La laideur de Bette est augmentee par les maladresses qui
viennent de ses frustrations affectives.
(5) Bette est un diminutif On remarquera evidemment qu'il
permet un jeu sur le mot : Bette/bete et tire le personnage du cote de
l'animalite.
(6) Vous trouverez la reponse dans le premier paragraphe de la
partie << La vengeance omnipresente. >>
(7) Adeline et Hortense se ressemblent par une blondeur lumineuse
et une taille majestucuse ; elles sont clairement reliees a la
perfection feminine : Eve, Venus ou divers modeles valorisants. Ces deux
heroines sublimes unissent la respectabilite bourgeoise et le charme
d'une beaute ideale.
(8) On peut faire l'hypothese qu'Adeline, avant de
symboliser la vertu, est le type de la femme amoureuse : elle ne peut se
resoudre a perdre Phomme qu'elle aime. Elle a vecu une longue lune
de miel qu'elle regrette toujours. Sa recherche ininterrompue de
Hulot, trois ans apres sa disparition, ou la grande scene avec Crevel en
sont la preuve. En effet, Adeline se rapproche alors de la prostitution
(puisqu'elle s'offre a Crevel ou rend visite a une courtisane,
qui de plus est une ancienne maitresse de son mari), ce qui est honteux
voire immoral - pour une femme de son statut. C'est l'amour,
plutot que la vertu, qui dirige les actions d'Adeline.
(9) Par exemple, le narrateur definit l'influence que doit
avoir une femme sur un artiste : << une femme doit titre a la fois
ce qu'avait ete Lisbeth pendant 5 ans, et offrir de plus
l'amour, l'amour humble et discret, toujours pret, toujours
souriant >> (269). Cependant (et c'est la que Balzac est
original par rapport a son siecle), la femme West pas la seule du couple
a avoir des devoirs. Le romancier condamne l'adultere en ces termes
: <<Hortense fut la femme et Valerie la maitresse. Beaucoup
d'hommes veulent avoir ces deux editions du meme ouvrage, quoique
ce soit une immense preuve d'inferiorite que de ne pas savoir faire
de sa femme sa maitresse >> (280).
(10) Crevel, en rivalite acharnee avec Hulot depuis que ce dernier
lui a souffle Josepha, dit : << Le jour ou Josepha m'a ete
prise, j'etais comme une tigresse a qui l'on a enleve ses
petitso>> (42).
(11) Ancien collaborateur de Napoleon, Hulot reve de retrouver,
dans des aventures amoureuses de plus en plus degradees, la splendeur de
('epoque imperiale. Cet homme debauche vole l'Etat pour
entretenir ses mattresses.
(12) C'est une prostituee de la societe des bourgeois
conquerants, d'ou le baron Hulot sera definitivement exclu.
Pratiquant le << nouvel art d'aimer >> en vogue depuis
1830 (121), et decidee a faire fortune par tous les moyens, avec la
complicite de son mari, elle a l'habilete de jouer les bourgeoises
vertueuses et apparait comme un de ces anges au doux sourire, a fair
reveur, a figures candides, dont le coeur est un coffre-fort >>
(Clark 17; 173).
(13) Le premier acte de grande violence, decrit dans
l'Ecriture, est celui de la concretisation de l'envie eprouve
par Cain a l'encontre de son frere Abel. La jalousie de Cain
commence quand il compare son offrande a celle de son frere.
L'offrande d'Abel a ete jugee meilleure que la sienne. Cain
n'a pas voulu dompter la bete sauvage de la jalouise en lui. Il
n'a pas suivi le conseil de Dieu de bien agir. Au contraire, la
jalousie de Cain a eu l'effet de tirer son frere vers le bas, de
l'ecraser, de l'aneantir (Kallemeyn 2).
(14) Crevel repousse dune maniere offensante Adeline, venue
s'offrir pour sauver son mari du deshonneur.
(15) C'est un personnage exemplaire dont la rigueur morale
s'oppose aux bassesses de son frere. L'idealisation d'un
etre de perfection, qui s'oppose en tous points aux basses
turpitudes du baron, releve evidemment de l'esthetique du
melodrame. Cette tonalite est particulierement sensible quand le
marechal maudit son frere : << Un homme qui a meconnu une Adeline,
et qui a eteint en lui les sentiments du vrai republicain, cet amour du
Pays, de la Famille et du Pauvre que je m'efforgais de lui
inculquer, cet homme est un monstre, un pourceau >> (351).
(16) L'histoire de ('epoque situe l'evenement dans
la soif de reussite sociale que le regime de Louis-Philippe avait
contribue a susciter dans certaines couches de la Societe.
(17) Adeline ramene triomphante son epoux, ce vieillard libidineux,
au sein de la famille apaisee, prospere, enfin totalement reunie. Devant
le bonheur apparemment reconquis d'Adeline, Bette croit avoir
echoue et meurt sans avoir pu assouvir ni meme reveler sa haine.
(18) Adeline est malheureuse de la premiere a la derniere page du
roman. Les quelques moments de repit qu'elle connait ne sont que
des accalmies qui rendent par la suite sa souffrance plus insupportable
encore. En effet, elle accueille Hulot des qu'il le veut, avec une
patience absolue, en croyant a chaque fois qu'elle va pouvoir le
reconquerir.
(19) L'image de la boue reparait quand Bette triomphante
savoure les malheurs d'Adeline : << Elle sera dans la boue et
moi, je serai comtesse de Forzheim >> (188), mais finalement,
c'est Valerie elle-meme qui va subir ce sort ignominieux a la fin
du roman : << je n'ai plus de corps, je suis un tas de boue
>> (440).
(20) Cette phrase est dite par Bette au moment ou Valerie mourante
('exhorte a oublier ses projets de vengeance pour se tourner vers
Dieu.
(21) Crevel a epouse Valerie et desherite sa fille Celestine.
Victorien Hulot, le mari de Celestine, fait appel a Mme de Saint-Esteve,
une parente de Vautrin. Valerie et Crevel meurent dans
d'abominables souffrances, dune lepre mysterieuse.
(22) Dans le denouement, Balzac donne une conclusion melancolique
sur les vertus d'Adeline : v La ferocite du Vice avait vaincu la
patience de l'ange, a qui sur le bord de l'Eternite, il
echappa le seul mot de reproche qu'elle eut fait entendre de toute
sa vie >> (468).
(23) Adeline est le type de la femme vertueuse et pleine de bonte,
de charite chretienne ; elle se sacrifie avec une constance sans failles
pour ses enfants ou son mari. Elle a une foi intense, et se refugie dans
la priere a chacun de ses malheurs. Elle est l'allegorie de la
vertu, et le narrateur la designe souvent par ces mots.
(24) Au terme du portrait psychologique de Bette dans le chapitre
9, l'analyse du conditionnement de Bette prend quelque ambiguite :
elle est moins reellement laide, qu'enfermee dans la laideur et
l'inferiorite par les humiliations que lui a values sa situation
d'enfant mal aimee.