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  • 标题:Les ravages de la jalousie dans La Cousine Bette.
  • 作者:Chen, Wei-ling
  • 期刊名称:Fu Jen Studies: literature & linguistics
  • 印刷版ISSN:1015-0021
  • 出版年度:2006
  • 期号:January
  • 语种:English
  • 出版社:Fu Jen University, College of Foreign Languages & Literatures (Fu Jen Ta Hsueh)
  • 摘要:Jealousy is the passion that drives the title character in Balzac's La Cousine Bette. Bette indulges this passion by trying to take revenge against the Hulot family. But this unmarried woman is hardly the only jealous character in a novel that offers a veritable panorama of the possible incarnations of jealousy. This essay will first examine the jealousy that eventually drives Bette to extremes. Next it will tackle four types of jealousy related to love, as well as the thirst for revenge born of such jealousy. In conclusion, it will discuss Bette's role in the novel beyond her personal frustrations, and the phenomenon of deviations of desire among Balzacian characters.
  • 关键词:Criticism;Jealousy;Literary criticism

Les ravages de la jalousie dans La Cousine Bette.


Chen, Wei-ling


ENGLISH ABSTRACT

Jealousy is the passion that drives the title character in Balzac's La Cousine Bette. Bette indulges this passion by trying to take revenge against the Hulot family. But this unmarried woman is hardly the only jealous character in a novel that offers a veritable panorama of the possible incarnations of jealousy. This essay will first examine the jealousy that eventually drives Bette to extremes. Next it will tackle four types of jealousy related to love, as well as the thirst for revenge born of such jealousy. In conclusion, it will discuss Bette's role in the novel beyond her personal frustrations, and the phenomenon of deviations of desire among Balzacian characters.

Introduction

La Cousine Bette connut un succes etourdissant, alors que Balzac, epuise, doutait de sa puissance creatrice. Difficilement commence, mais redige pour l'essentiel en quelques jours, le texte accumule tous les elements d'une vision sombre, fortement dramatisee. Malgre la complexite de ('intrigue, le roman met avant tout en scene une catastrophe: la destruction de l'univers familial. Car si les mechants meurent, les bons ou les victimes disparaissent egalement. A la fin de Bette, de Crevel et de Valerie, courtisane bourgeoise aux talents dignes de ceux d'Esther (voir Splendeurs et Miseres des courtisanes), repond celle du marechal Hulot et d'Adeline. Si Balzac utilise les soudains retournements de situation et les personnages mysterieux du roman feuilleton, l'univers qu'il decrit est tragique : les personnages sont impuissants a s'opposer a leur destin, a leurs passions, a l'ordre social, << malgre leurs desirs de revolte personnelle >> (Cezari 75). Une fois de plus, chez Balzac, l'argent, le commerce, l'industrie et la bourgeoisie triomphent. Bette incarne la volonte de puissance et tire sa force de la vengeance ; cependant, ce parasite social ne jouit de la vie que de maniere interposee et epuise vainement son energie.

Dominee par l'argent, la societe du roman traduit le pouvoir d'une nouvelle bourgeoisie negociante, typifiee terrifiante. Bette est aussi, selon l'expression de Pierre Roger, << une victime de cet univers froid >> (Roger 5). Parente pauvre, elle est marginalisee par une famille riche. La malediction moderne derase des etres incapables d'acceder au statut d'individu maitrisant son propre destin (meme l'artiste Steinbock ne peut creer). Fatalite a l'oeuvre dans un Paris une nouvelle fois explore par Balzac, en particulier grace aux peregrinations du baron Hulot, << l'exacerbation des passions et des interets aliene des personnages qui s'entre-egorgent >> (Gengembre 82). La Cousine Bette presente un univers desaccorde. Cette disharmonie peut etre rattachee a un desordre social : dans le monde decadent de la monarchie de Juillet qui a succede a l'ordre imperial (domine par un vrai << pere >>), les traditions familiales et sociales ont vole en eclats. Mais on peut aussi relier plus profondement ce roman a une sensibilite pessimiste.

Le roman ne s'acheve pas sur une rupture : la vie continue. Elle continue d'abord sordidement pour le vieux baron, passe progressivement au statut de centenaire : << il revenait presque centenaire, casse, voute, la physionomie degradee >> (457), partant exercer sous d'autres cieux un libertinage qui survit au naufrage de toutes ses facultes. Elle continue de facon plus rassurante pour la famille Hulot : l'achevement du roman sur une conversation entre Victorin Hulot, heritier de Crevel, l'ancien premier commis de Cesar Birotteau, et maitre Popinot, fils de l'ancien second commis du meme parfumeur, symbolise clairement, au-dela des desordres passionnels, la stabilisation d'un equilibre bourgeois (Kim 102).

L'effet destructeur de l'envie et l'horreur que cette destruction provoque sont un theme present chez les plus grands auteurs dans l'histoire humaine: d'Ovide dans les Metamorphoses a Dostoievski dans les Memoires ecrits dans un souterrain, en passant par Shakespeare--Rene Girard en a fait l'objet de son etude dans Shakespeare, les feux de l'envie--, sans parler de Balzac dans La cousine Bette, de Charles Dickens dans les Souvenirs intimes de David Copperfield et de Herman Melville dans Billy Budd. Rares sont les themes qui ont suscite un sentiment de desapprobation universelle aussi fort que l'envie qui detruit.

A. Betteou la personnification de la jalousie (1) Des jalousies variees

Le premier portrait de Bette dans le roman insiste sur sa passion viscerale : << aussi avant-elle ete prodigieusement jalouse d'Adeline. La jalousie formait la base de ce caractere plein d'excentricites (81). Bette est donc le type de la femme jalouse. Ce roman nous presente une celibataire frustree, acariatre et envieuse de tout ce qui s'apparente au bonheur. Sa jalousie prend differentes formes. On en trouve Pacte de naissance dans l'enfance, et elle s'est, avant tout, exercee contre Adeline. Bette est jalouse d'Adeline non seulement parce qu'elle-meme a le malheur d'etre un laideron face a une beaute, mais aussi parce qu'elle a ete frustre d'affection pendant son enfance au profit de sa rivale cherie et dorlotee, (2) et parce que sa vie d'ouvriere et de parasite lui parait derisoire face a la prestigieuse reussite de sa cousine. Tout cela est clairement fixe des les premieres pages du roman, et Bette reste jusqu'au bout << l'enfant qui voulait arracher le nez a sa cousine, et qui peut-etre, si elle n'etait devenue raisonnable, l'aurait tuee dans un paroxysme de jalousie >> (62). La rivalite avec Adeline, la volonte de l'abattre, de la dominer, font d'elle un <<lago femelle, >> selon le mot de Jean-Yves Hoisnard (Hoisnard 154).

Au debut du roman, cette jalousie enfantine est un peu apaisee, mais le feu couve sous la cendre, comme l'indique cette reflexion du narrateur : << L'envie restait cachee dans le fond du coeur >> (83). Le debut du roman fait resurgir cette jalousie qui est le declencheur de l'intrigue romanesque : la jalousie envers Adeline est en fait ranimee par une autre jalousie, celle qu'eprouve Bette envers Wenceslas, qui apparait quand Bette est depossedee de son < amoureux, >> par celle qui est en fait un double de sa rivale Adeline: sa fille Hortense. La Lorraine passe alors de l'envie venimeuse face aux bonheurs infiniment desirables echus a autrui, aux tortures inavouees d'une passion insatisfaite. (3)

Balzac donne a son heroine un conditionnement rigoureux. Le point de depart du destin de Bette, c'est sa laideur: (4) laideur d'une nature sombre et sauvage, d'une paysanne maigre et brune, constamment rattachee a l'animalite par des metaphores multiples qui prolongent l'etrangete de ce surnom si etrangement symbolique, souligne par la formule extraordinaire : << les malheurs de sa famille ... dompterent la Bette (Bote) >> (45) (5) elle est << simiesque (51), refuse tout << joug >> (64) et tout << licou >> (64), elle est << d'un entetement de mule >> (39); le baron la surnomme << la chevre >> (89), et elle est finalement comparee <<aux singes habilles en femme (23). Bette est avant tout une nature humiliee, humiliee par cette laideur qui lui a etrangement valu le mepris de sa famille d'origine Lisbeth travaillait la terre quand sa cousine etait dorlotee >> (21); humiliee apres son arrivee a Paris par son inferiorite sociale de paysanne illettree, puis de simple ouvriere, et enfin de parente pauvre traitee avec une bonte condescendante. Cette humiliation est le principe de cette jalousie devorante a l'encontre d'Adeline, qui prend rapidement une force pathologique : << La jalousie formait la base de ce caractere >> (81). Comme l'a remarque Lorant Andre, la terrible jalousie de Bette n'a pu etre diminuee ni par les bontes d'Adeline vecues comme autant d'avanies, ni par la decadence de la famille Hulot, que son envie meme l'empeche de percevoir : << la maison de la baronne conservait toute sa splendeur aux yeux de la cousine Bette >> (61; Lorant 31).

Fantasme de possession

En effet, les emotions que Bette ressent pour son jeune amoureux sont tres ambigues et contradictoires, comme ne cesse de le souligner le narrateur : << elle surveillait cet enfant du Nord avec la tendresse d'une mere, avec la jalousie dune femme et ('esprit d'un dragon. Elle l'aimait trop pour le ceder a une autre femme > (123). D'une part, elle eprouve une affection maternelle a son egard, et c'est sur cette affection que se fonde sa relation avec Wenceslas au depart. Quand il lui demande d'etre son amie, elle lui repond d'abord : << Oh non, je suis trop jalouse, je vous rendrais malheureux ; mais je serais volontiers quelque chose comme votre camarade >> (117), puis conclut : << Eh bien, je vous prends pour mon enfant >> (117). D'ailleurs, Wenceslas la voit comme une mere, du fait de leur difference d'age et des exigences terribles de Bette : << la vieille fille deployait la tendresse d'une brutale, mais reelle maternite >>. Le jeune homme subissait comme un fils respectueux la tyrannie d'une mere (112).

Mais d'autre part, (instinct maternel laisse souvent place a des sentiments amoureux. Hortense soupconne ainsi l'ambiguite des sentiments de Bette ; elle dit a son pere : << ses regards ne sont pas bons, quand je vais trop loin, fut-ce en riant, a propos de son amoureux >> (140). De plus, Bette demande a Wenceslas de l'epouser au moment ou elle sent qu'il va lui echapper definitivement en se mariant avec Hortense, et ce sont les larmes d'une maitresse delaissee qui lui echappent quand il lui rappelle leur difference d'age.

Il n'y a cependant pas d'amour veritable dans l'attitude de Bette. En fait, la seule passion qu'elle eprouve incontestablement a l'egard de Wenceslas, c'est un fantasme de possession absolument incontrolable. Voici comment le narrateur explique le bonheur qu'elle ressent : v ces contradictions, cette feroce jalousie, ce bonheur de posseder un homme a elle. Elle se vengerait sur ce jeune homme de ce qu'elle n'etait ni jeune, ni riche, ni belle << (123). Enfin, o elle crut avoir a elle son Livonien en se flattant de couper toutes les communications entre le monde et lui >> (165).

Comme l'a remarque Marceau Felicien, le theme de la puissance deleguee, un des grands themes du monde balzacien domine les relations entre Bette et Wenceslas. Comme Vautrin sauvant Rubempre du suicide, Bette arrache Wenceslas a la mort : << Me voila avec un garcon qui releve du cercueil >> (92). Or, Balzac avait deja annonce mysterieusement que << cette fille, travaillee inutilement par les instincts des natures fortes, eut aime a proteger un homme faible >> (59). La resurrection de Wenceslas lui donne la possibilite de l'aider, de le proteger, mais aussi de le dominer. Il devient sa creation, son enfant. Elle fait tout pour l'aider a devenir un artiste, mais elle tient a avoir barre sur lui et garde precieusement la lettre de change qui pourra lui permettre a l'occasion de l'envoyer en prison. Sans rien comprendre a son genie artistique, elle le pousse au travail avec un melange de tendresse maternelle, d'interet financier (seul le travail de Steinbock pourra lui permettre de recuperer l'argent avance), et de plaisir despotique : << L'amour de domination reste dans ce coeur de vieille Pille a l'etat de germe se developpe rapidement : n'avait-elle pas une creature a elle, a gronder, a diriger, a flatter, a rendre heureuse sans avoir a craindre aucune rivalite ? >> (96; Marceau 38).

Bette ne supporte pas d'echouer a posseder Wenceslas, et c'est par le biais de sa jalousie envers Wenceslas qu'est relancee definitivement sa jalousie envers sa cousine d'abord, puis contre toute la famille Hulot ensuite. Son desir de vengeance devient le moteur de l'intrigue romanesque. Balzac fait de Bette le type de la vieille fille. L'importance de ce type chez Balzac permet de comprendre sa conception de la femme dans la societe. << La vieille fille n'accomplit pas la mission assignee a la feminite. De la un transfert de cette activite biologico-sociale sur les intrigues mesquines, qui rendent ce genre de personnage particulierement redoutable >> (Gengembre 182).

Les manifestations de la jalousie

Bette vaut d'abord comme etre investi d'une energie et d'une volonte extraordinaires. Bette est une sauvage Lorraine, en proie a un seul sentiment qui, une fois cristallise, envahit tout son etre. La jalousie de Bette se caracterise par des manifestations physiques exterieures qui temoignent de la violence de son ressentiment L'envie resta cachee au fond de son coeur comme un germe de peste qui peut eclore et ravager une ville, si l'on ouvre le fatal ballot de laine ou il est comprima >> (58). Ces manifestations sont d'autant plus frappantes que Bette tache toujours de se maitriser car elle agit en cachette. Le narrateur nous livre un spectacle sublime de la colere de Bette : << la physionomie de la Lorraine etait devenue terrible. Sa figure ressemblait a celles que nous supposons aux pythonisses, elle serrait ses dents pour les empecher de claquer ; et une affreuse convulsion faisait trembler ses membres (...) elle brulait ! La fumee de l'incendie qui la ravageait semblait passer par ses rides comme par autant de crevasses labourees par une eruption volcanique (154). La comparaison avec un incendie est materialisde un peu plus loin, lorsque Bette s'exclame << ma tete brule, je deviens folle !>> (155), et elle ne se calme qu'en se trempant le front dans l'eau, arretant ainsi << l'inflammation commencee >> (156).

La jalousie est une passion totalitaire qui pourrait facilement la conduire a des extremites, comme le dit explicitement le texte : Bette est prete a tuer pour l'assouvir, << dans cet etat d'irritation mentale qui fait commettre les meurtres >> (165), elle << aurait tue Adeline en un paroxysme de jalousie >> (86), et le monstre devient litteralement sadique : << Elle voulait jouir des tortures auxquelles sa petite cousine allait etre en proie >> (181).

C'est grace a ces manifestations physiques que Balzac peut reprdsenter de facon frappante la << jalousie de tigre >> de Bette (113). << Qui vous a dit qu'elle [Hortense] etait jolie ? demanda vivement Lisbeth [a Steinbock] avec un accent ou rugissait une jalousie de tigre >> (60); << ses yeux noirs et penetrants avaient la fixite de ceux des tigres >> (61). La metaphore du tigre est specifiquement revelatrice de la jalousie ; on la retrouve pour Crevel depossddd de Josepha : << j'etais comme une tigresse a laquelle on a enleve ses petits >> (167), et pour Montes decouvrant les trahisons de Valerie. En effet, Bette se transforme peu a peu en une allegorie symbolique de la jalousie. << Elle fut la Haine et la Vengeance sans transaction >), et elle devient << a la fois un lago et un Richard III >> (161), qui sont deux personnages de Shakespeare caracterises par leur ressentiment (Rastier 3). Sa violence precipite la decheance de la famille Hulot, comme l'indique le narrateur dans cette phrase terrifiante : << la main (de Bette) demolissait a coups presses cette famille qui de jour en jour lui devenait de plus en plus odieuse >> (216).

Dans la lignee des vieilles filles frustrees, sadiques et perverses, qui obsedent ('imagination de Balzac depuis le debut de sa carriere, la cousine Bette est ('une des plus redoutables de La Comedie humaine. Au fil de divers evenements, nous decouvrons en la cousine Bette une manipulatrice et une grande calculatrice. Pour arriver a ses fins, elle n'a pas de scrupule. Attirant les confidences des gens qui l'entourent, elle arrive a leur faire dire ce qu'elle veut qu'ils disent et elle parvient egalement a les faire agir de la facon dont elle veut qu'ils agissent. Mais peut-on manipuler les gens, les faire se dechirer entre eux, les blesser profondement sans que tout va nous revienne, sans que nous en subissions les consequences (Lavoie 1)? (6)

B. La jalousie amoureuse La jalousie virulente

Bette incarne un destin impitoyable a l'egard de ses futures victimes : << C'etait du granit, du basalte, du porphyre qui marchait >> (254). Les deux aspects de la jalousie de Bette donnent a l'oeuvre une unite psychologique fondamentale : ses fureurs et ses tortures trouvent des reflets multiples dans le kaleidoscope des personnages qui l'entourent. Deux personnages expriment leur jalousie avec beaucoup de virulence. Comme pour Bette, ce sont leurs corps qui manifestent physiquement leur jalousie. Il y a d'ailleurs une symetrie entre ces deux personnages, un homme et une femme, qui souffrent (a des moments differents du roman) de la liaison entre Valerie et Wenceslas.

Hortense est le portrait de sa mere; (7) mais sa chevelure doree, plus fauve et abondante que celle d'Adeline, d'un blond ardent, la singularise. Cette chevelure ardente annonce deja que la jeune fille allie a la douceur maternelle un caractere plus passsionne et volontaire. Ainsi Hortense a une nature originale : partagee entre la vertu aimable d'Adeline et les passions vehementes de Hulot. Sa decision de quitter Wenceslas met en Evidence ce caractere volontaire, conforme a cette ardeur passionnelle qu'elle a conscience de devoir a l'heritage paternel : ((Je suis malheureusement pour moi une Hulot et non pas une Fischer >> (271). Elle influence d'ailleurs un peu la pitoyable Adeline dont le perpetuel devouement vire peu a peu a l'absurde.

Le baron Montes de Montejanos, le fauve inquietant et sauvage, n'apparait dans le roman que pour introduire la menace tragique d'une jalousie meurtriere qui conduit effectivement a la mort de celle qui s'est imprudemment jouee de lui. Le trait de caractere fondamental et presque unique de cet Othello, c'est la jalousie: ce qui le rattache a l'univers passionnel de l'oeuvre et plus profondement encore au personnage-titre. Ainsi, le narrateur precise que Valerie, decidee a epouser Crevel, s'inquiete des reactions de son beau Bresilien a qui elle a su cacher toutes ses liaisons : << Elle connaissait trop bien le caractere quasi sauvage du baron, qui se rapprochait beaucoup de celui de Lisbeth, pour ne pas trembler en pensant a ce More de Rio de Janeiro >> (402).

Le baron Montes, eperdument amoureux de Valerie, ignore sa vie de courtisane et lui est strictement fidele, au point d'etre un objet de plaisanterie pour toutes les lorettes et les viveurs parisiens. Il tue vraiment Valerie lorsqu'il apprend sa trahison : il est ainsi le seul personnage a aller vraiment au bout de sa colere, de facon concrete. La jalousie l'affecte, lui aussi, physiquement : << ces trois phrases furent trois coups de pistolets que Montes recut en pleine poitrine. Il devint bleme et souffrit tant qu'il se leva peniblement > (446). o Montes etait effrayant a voir, et plus effrayant a entendre : Il rugissait, il se tordait, tout ce qu'il touchait etait brise >> (454). Il est metamorphose en tigre >> (455). Montes, appele tres souvent le Bresilien, >> represente dans le roman le type de l'etranger aux passions violentes.

La jalousie contenue

A l'oppose de ces reactions virulentes, on trouve l'etonnante forme de jalousie d'Adeline Hulot, explicitement designee par le nom de sainte femme. (8) Sa jalousie est faite de souffrances entierement rentrees et cachees : <<elle souffrait comme femme, comme mere et comme epouse >> (86), <<elle souffrait neanmoins, elle s'abandonnait secretement a des rages affreuses >> (75). A la difference de sa fille, Adeline << s'etait mis sur les yeux un voile de plomb, elle avait pleure silencieusement, et jamais une parole de reproche ne lui etait echappee >> (72). Lorsqu'elle decide de quitter rapidement Wenceslas, Hortense refuse le modele de soumission absolue que lui offre sa mere.

La difference radicale entre Adeline et tous les autres personnages, c'est qu'elle est absolument incapable de vengeance, puisqu'elle va jusqu'a << empecher Hulot de dire du mal de lui-meme >> (98). Jamais elle ne cesse d'aimer son mari. En realite, comme la plupart des personnages du roman, le desir de vengeance touche la sainte Adeline, mais juste a la fin de sa vie, sur son lit de mort : elle meurt un a mot de reproche >> (469) a la bouche : << tu pourrais faire une baronne Hulot >> (469). Hulot, de nouveau saisi par le vice, promet a une fille de cuisine de l'epouser sitot son veuvage. Ce dernier coup acheve Adeline qui disparan en 1846. Hulot epouse sa souillon et fait d'Agathe Piquetard une baronne. Cette vision catastrophique de l'adultere et de la dependance du beau sexe donne a ce roman l'aspect d'une vraie descente aux enfers. Le pere Hulot, un accro de tout ce qui est du sexe feminin passe ainsi par toutes les conditions sociales pour assouvir sa passion, entrainant sa famille dans sa chute. Hulot trouve a appliquer son energie, et sa quete frendtique des femmes emporte tout. Plus encore que celle de la passion haineuse, la force du desir motive des actions aux consequences mortelles pour l'ordre social, remettant en cause le mariage. << J'ai eu raison de rester fille ! >>, s'exclame Bette (235); << pourquoi ne suis je pas entree dans un couvent au lieu de me marier ! >> (312), se lamente Hortense. En effet, l'image du mariage que donne La Cousine Bette West guere rejouissante. Ce West pas un hasard, car Balzac avait une tres mauvaise opinion du mariage tel qu'il existait au XIXe siecle. Cette preoccupation parcourt toute La Comedie humaine, et en particulier La Femme de frente ans, la Physionomie du mariage, ou les Petites Miseres de la vie conjugale. On trouve dans La Cousine Bette de nombreuses maximes sur le role des femmes au sein du couple. (9)

La jalousie des debauches

On trouve enfin une forme devoyee de la jalousie dans les personnages des deux vieux debauches, Crevel (10) et Hulot. (11) Ils se remettent en effet tres rapidement des trahisons des femmes qu'ils entretiennent. Par exemple, quand Josepha renvoie brutalement Hulot, il rentre chez lui << marchant en furieux >> (130), mais decide de seduire des le lendemain Mme Marneffe! (12) Lors de l'apparition du beau Montes chez sa jeune maitresse Valerie, Hulot, longtemps epargne par la jalousie, decouvre ce sentiment : << en sa qualite de bel homme, le Conseiller d'Etat n'avait jamais connu la jalousie >> (232), et en subit lui aussi les manifestations physiques : << Les philtres et les vertiges que verse a torrents ce sentiment fou venaient de couler dans son coeur en un instant)) (231). Pourtant, quand il apprend la derniere trahison de Valerie, il se fait vite une raison, au point d'etre seduit par la premiere jeune fille que lui presente Josepha. Hulot est donc inconstant, meme en jalousie.

De plus, la jalousie des deux vieillards est decredibilisee car les femmes sont un enjeu dans leur rivalite masculine. Comme le dit Crevel, << nous sommes manche a manche, baron, nous jouerons la belle quand vous voudrez >> (249). Le titre du chapitre 20 (<< Deux confreres dans la confrerie des confreres >>) souligne le ridicule de leur etonnante association. Crevel, qui incarne tous les travers de la bourgeoisie de Juillet, West pas seulement mesquin, vulgaire, fat: il est reellement bas, inaccessible aux plus nobles sentiments. Debauche libidineux, en s'imaginant jouer les libertins raffines de la Regence, il semble par instant se rapprocher du lamentable baron Hulot, mais en plus vil: il n'a pas ces sursauts meme momentanes qui, chez Hulot, nous rappellent l'etre humain, il lui manque aussi le demon de l'absolu qui conduira infailliblement Hulot a la ruine mais en lui donnant, dans son ignominie, une sorte de grandeur tragique. Dans sa luxure, ce marchand enrichi conserve sagement ses principes d'economie bourgeoise, sa respectabilite, et c'est sans doute cela qui fait de lui un des personnages les plus repoussants du monde balzacien, bien digne de devenir l'epoux de la Marneffe. Le lecteur est invita a avoir une mauvaise opinion des deux debauches et a ne pas prendre leurs sentiments au serieux, comme le montre la phrase suivante : << Ainsi la manoeuvre inspiroe a ces deux passions roelles, devint-elle si comique par la simultaneite de cette gymnastique, qu'elle fit sourire les gens d'assez d'esprit pour y voir une revelation >> (230). Le narrateur invite le lecteur a se mettre du cote des gens d'esprit et donc a sentir le ridicule de l'attitude de Hulot et de Crevel. Le couple des rivaux resume le degout qu'inspire une classe qui est grotesque quand elle West pas sordide. Au-dela, se profile une societe ou fait naufrage la creation (Steinbock), ou grouille l'immonde (Marneffe), ou s'abolit la loi (a preuve cette sombre figure interlope a laquelle l'heritier Hulot est force de deleguer le chatiment des monstres).

La jalousie pervertie

La forme la plus perverse de la jalousie qu'on trouve dans le roman est tout de meme celle de Marneffe. Celui-ci connait les activites de sa femme, et les encourage : << Il se faisait le valet de son auguste chef >> (151), quand Valerie devient la maitresse de Hulot. Elle a son omari pour embaucheur et pour complice >> (202). Marneffe est caracterise par son absence totale de jalousie, sauf a l'ogard de Crevel qui lui deplait. Marneffe est en fait un pion dans la terrible partie que jouent Bette et Valerie pour detruire la famille Hulot : elles ont << invento a elles deux une prodigieuse machine (...) Marneffe, en voyant sa femme embellie par le milieu dans lequel elle tronait, comme le soleil d'un systeme sideral, paraissait, aux yeux du monde, avoir senti ses feux se ranimer pour elle, il en etait devenu fou. Si cette jalousie faisait du sieur Marneffe un trouble-fete, elle donnait un prix extraordinaire aux faveurs de Valerie >> (208). Quand Valerie evoque son mari, c'est seulement pour faire pression sur ses amants, auxquels elle fait croire que Marneffe ignore ses liaisons. Le couple infernal compose une fausse scene de jalousie qui est une sorte de parodie des crises de jalousie reelles du roman. Voici la description de Valerie : << je l'ai vu monstrueux. Ses quatre veritables dents tremblaient >> (320).

Marneffe, dans sa mesquine turpitude d'employe minable, West defini que par sa corruption : c'est << un employe qui resiste a l'abrutissement par l'espece de puissance que donne la depravation >>.. (91). Il est l'image mome de la luxure la plus basse, puisque, d'apres l'avertissement sans nuance du narrateur, il incarne le type << que chacun se dessine d'un homme traduit aux assises pour attentat aux moeurs >> (114). Le fait que Marneffe soit un des seuls personnages en Age d'aimer a ne pas eprouver de jalousie prouve que le roman ne condamne pas totalement cette passion, puisque Marneffe est le seul personnage entierement sombre et detestable. De plus Bette et Valerie jouent avec ce sentiment qui est passionnel chez la plupart des autres personnages, ce qui montre bien leur cynisme et leur cruaute. << Le trio infernal Marneffe-Valerie-Bette parait ainsi attele a detruire toute la sincerite des sentiments >> (Clark 20). Ces differentes figures de la jalousie amoureuse, tres souvent reliee a la metaphore inquietante du tigre, ont sans doute des amplitudes inegales --- la jalousie de Hulot est passagere, celle de Crevel trouve une revanche rapide, seules celles de Bette et de Montes sont inexpiables ---, mais toutes jouent un role dans le deroulement dramatique et << inscrivent faction romanesque dans une extreme violence passionnelle (Lorant 57). La conclusion pessimiste du roman est donc qu'il n'y a aucun vrai gagnant dans le jeu cruel qui oppose les deux femmes Hulot a Bette et Valerie. Au contraire, tous les personnages sont malgre eux peu a peu vicies par la jalousie mortelle qui emane de la cousine Bette.

C. De la jalousie a la vengeance La fletrissure de la jalousie

Comme Cain, (13) Bette n'a pas su dompter la bete sauvage de la jalousie qui faisait rage en elle. << Mille soupeons pousserent dans son Ame, comme poussent, dans les Indes, ces vegetations, grandes et touffues, du jour au lendemain >> (296). Cette phrase est symptomatique de la place que prend la jalousie dans le roman. Elle croit peu a peu, comme le mal qui touche Valerie, et devore presque tous les personnages, comme nous l'avons vu. Ainsi, quand ils ne la ressentent pas eux-memes, ils l'attribuent aux autres. Par exemple, quand la statue de Wenceslas est ereintee par la presse, << les articles de journaux furent pour Hortense les cris de l'Envie >> (266).

Or cette jalousie ne s'arrete pas a un simple sentiment. Elle est le moteur de l'intrigue de La Cousine Bette parce qu'elle entraine un desir de vengeance qui motive les actions de la plupart des personnages ; ainsi Crevel s'exclame, quand Hulot lui vole Josepha (alors qu'il n'eprouve plus de chagrin): << Croyez-vous que je pardonnerai jamais a monsieur Hulot le crime de m'avoir enleve Josepha ? Je desire prendre ma revanche >> (170). De plus la vengeance ne s'assouvit jamais vraiment : au contraire, une revanche prise donne envie d'en prendre une autre encore. Quand Adeline tente de seduire Crevel, (14) elle comprend <<que le parfumeur se vengeait d'elle ignoblement, comme il s'etait venge de Hulot >> (356). Autrement dit, une seule vengeance ne suffit pas, et quand on entre dans ce cercle vicieux, il est impossible d'en sortir. C'est d'ailleurs ce qui arrive a tous les personnages du roman qui s'enlisent dans la vengeance et en subissent les consequences.

La vengeance omnipresente

Si l'on recense les volontes de vengeance qui parcourent La Cousine Bette, on se rend compte que c'est le sentiment le plus repandu dans le roman. On a d'abord celui de Crevel (que l'on vient de mentionner), un peu ridicule, qui revendique << la vieille loi du talion >> (70). Crevel rejoint le desir de Bette : << Si vous vouliez m'aider a me venger, je veux faire rougir votre famille >> (172). La Cousine Bette se montre capable de vengeance, et de la plus terrible. Elle se venge en repandant le malheur et la honte sur son entourage. Bette est une vieille fille ; << elle a toute la hargne d'une Gamard du Cure de Tours, elle a aussi toute la fausse mansuetude d'une autre vieille fille balzacienne, Mlle Cormon >> (Barrere 29). Bette nourrit une aspiration de revanche qui restera longtemps indecise, confuse. Il y a en elle une puissante energie refoulee, une passion dominatrice restee sans emploi. C'est son amour pour Steinbock, qui va dechainer toutes ces puissances contenues et aigries. Lorsque Hortense, la fille de ces Hulot dont Bette a toujours ete jalouse, lui prend Steinbock et l'epouse, la vieille fille West plus qu'une sauvagesse enragee par une We fixe de vengeance. L'hypocrite phrase qu'elle lance a Wenceslas quand elle fait semblant d'apprendre son mariage signale le debut de sa vengeance: << desormais vous m'appartiendrez par des liens, faibles il est vrai, mais qui suffisent aux sentiments que je vous al voues ! >> (183). En effet, le lecteur est bien place pour savoir que Bette ne peut, au contraire, pas du tout se satisfaire de liens faibles, >> puisqu'elle est devoree par un desir de possession absolue.

Frustree de sa proie, elle va se servir de Mme Marneffe pour detruire le bonheur du jeune menage Steinbock, ruiner et deshonorer la famille Hulot, sans jamais cesser de manoeuvrer avec l'habilete raffinee d'un vrai Tartuffe en jupons, restant dans l'intimite des Hulot et y savourant secretement son triomphe -- mais pour finir victime de sa propre fureur, puisqu'elle fait mourir de desespoir le vieux marechal Hulot qu'elle esperait epouser: is << elle allait atteindre au but de son ambition, elle allait voir son plan accompli, sa haine satisfaite. Elle jouissait par avance du bonheur de regner sur la famille qui l'avait si longtemps meprisee. Elle se promettait d'etre la protectrice de ses protecteurs, l'ange sauveur qui ferait vivre la famille ruinee, elle s'appelait elle-meme madame la comtesse ou madame la mardchale! en se saluant dans la glace. Adeline et Hortense acheveraient leurs jours dans la detresse, en combattant la misere, tandis que la cousine Bette, admise aux Tuileries, tronerait dans le monde >> (Martin 9). (16)

Aux frustrations de l'enfance s'ajoute une nouvelle frustration, d'autant plus terrible que Bette n'ose pas regarder en face ses propres desirs. C'est sur cette base empoisonnee que se construit tout le systeme de la vengeance, qui constitue l'armature dramatique du roman. Bette meurt a son tour, (17) mais en emportant le secret de sa haine. C'est la certainement << un des monstres les plus parfaits qui soit sorti de l'imagination balzacienne, >> selon l'expression d'Ahardane (Ahardane 98). Avec sa volonte perseverante et le naturel de son hypocrisie, elle porte dans le mal une implacable, hallucinante rigueur qui confine a la grandeur. Bette meurt en croyant avoir rata sa vengeance : Adeline parait heureuse. (18) Non seulement la Lorraine n'a pas pu obtenir le resultat souhaite, mettre sa rivale << dans la boue >>, (19) mais elle reste jusqu'au bout dans une situation d'hypocrisie : personne ne sait le role qu'elle a joue dans les desastres qui se sont produits, et tous la regrettent << comme l'ange de la famille. >> Sans doute l'aveugle reconnaissance familiale est-elle presentee comme une source de satisfaction pour Bette, mais elle est frustree de la reconnaissance de son role par les autres, et de la raalisation complete de ses esperances. Or, bien que Bette meurt avant d'avoir pu le savoir, son action destructrice parvient bien a pervertir totalement Hulot et a achever Adeline. Le retour du vieux pere a ses ddmons confirme l'efficacitd, meme apres sa mort, de l'action corruptrice de Bette. Adeline meurt definitivement bristle par l'infamie de son epoux, et << le seul veritable echec de Bette est de ne pas avoir vecu assez longtemps pour le savoir >> (Hoisnard 116). Balzac est cruel avec son personnage, mais l'echec de Bette etait inscrit dans les exces de sa nature a la fois assez passionnee pour agir et trop repliee sur elle-meme pour profiter pleinement de ses victoires.

Bette jure la perte de sa cousine, et sa haine (qui est la plus extreme, la plus devastatrice du roman), contamine ensuite Valerie Valerie epousa donc pour son compte la haine de Lisbeth envers Hortense)) (296). Elle se rejouit de voir << Lisbeth outrevengee ! ... >> (365). Enfin, le Bresilien, presente comme le bras de Dieu sur Terre, cherche (et parvient) a se venger. It se voit comme << l'instrument de la colere divine >> (459). Le Bresilien transmet a Valerie Marneff une mysterieuse maladie venerienne dont elle meurt peu apres. En effet, le Dieu des jaloux est un Dieu vengeur, comme le dit Bette: << ces messieurs (les pretres) ne nous disent-ils pas que Dieu se venge, et que sa vengeance dure l'eternite ! >> (471). Le personnage de Montes, meme s'il est infiniment moins complexe, presente quelques similitudes avec celui de Bette : << le caractere quasi sauvage du baron se rapprochait beaucoup de celui de Lisbeth >> (402). En fait ces ressemblances tiennent toutes a la violence et a la puissance de la jalousie. Mais contrairement a Bette qui meurt en gardant le secret de sa haine, il revele a Valerie la realite de sa vengeance (441).

Dans la bouche de Bette, la vengeance est un mal qui envahit et salit tout: <<j'ai vu la vengeance partout dans la nature, les insectes perissent pour satisfaire le besoin de se venger quand on les attaque ! >> (470). (20) Cette vision animale de l'homme, soumis a ses instincts de cruaute, envahit le roman. En effet, le denouement donne peut-etre raison a Bette, puisque tous les personnages, meme les plus irreprochables, parlent de vengeance. Ainsi, en apprenant la maladie de Valerie,21 Hortense se rejouit en ces termes : << Cousine ! Ma mere et moi nous sommes vengees ! >> (468). De plus, en parlant de la vengeance a venir de Montes, Carabine, la courtisane, dit : << Le pistolet est si bien charge que j'ai peur qu'il n'eclate >> (447). Or cette phrase reprend mot pour mot celle de Rivet au debut du roman vous aurez toujours un pistolet charge contre votre Polonais ! (118). Cette recurrence donne au lecteur l' impression que le desir de vengeance de Bette a gagne tous les personnages sans exception. Adeline elle-meme, qui n'avait jamais laisse echapper la moindre recrimination contre son mari, meurt un << mot de reproche)) a la bouche ; << Et l'on vit, ce qui doit etre rare, des larme s sortir des yeux d' une morte >> (490). La mort d'Adeline est terrible, car << la ferocite du Vice a vaincu la patience de l'Ange, >> (22) precisement sur son lit de mort. La mort de Bette est la seule dans tout le roman qui ne soit pas accompagnee de dernieres paroles. Bette meurt en silence, et la verite de Bette est precisement de ne pas se livrer. Son dernier mot est un mot de rancoeur, qu'elle se dit seulement a elle-meme : << Elle finira par etre heureuse >> (478). En revanche, Adeline, fidele a son personnage sublime, a un mot pour son epoux, ou le devouement se mele au reproche : << Je n'avais plus que ma vie a te donner : dans un moment tu seras libre et tu pourras faire une baronne Hulot (469). L'eloge du narrateur, qui exalte la patience de l'ange pronongant sur son lit de mort << le seul mot de reproche qu'elle eut fait entendre de toute sa vie >> (468), garde l'ambiguite de tous les commentaires moralisateurs sur les vertus de la malheureuse Adeline. Apres l'eloge, en effet, l'epreuve des faits, qui suit immediatement, denonce l'inefficacite totale de cette vertu. Loin d'etre emu par le devouement de son epouse, Hulot s'empresse effectivement de <<faire une baronne Hulot >> trois jours plus tard. Dans le monde sans pitie de Balzac la haine n'a que des reussites precaires, et la vertu n'a aucune chance de succes (Michel 265).

La chute du roman est atroce a cause de sa rapidite : les derniers mots d'Adeline et le remariage de Hulot sont racontes sur la meme page. Cette fin acceleree, apres une ellipse de onze mois, montre a quel point le desir de vengeance est omnipresent, puisqu'il touche meme le personnage le plus devoue du roman. Mais le denouement souligne aussi l'impuissance de la vengeance quand elle cherche a atteindre des etres passionnes. Dans La Cousine Bette, la vengeance n'atteint que des etres deja fragilises, mais ne reussit pas a toucher une autre monomania, comme celle de Hulot.

Conclusion

L'humiliation initiale fait de Bette un etre inadapte. Enfermee dans ce que nous appellerions maintenant un complexe d'inferiorite, elle n'a pas su saisir ses chances reelles : elle s'est brouillee avec le patron auquel elle aurait pu s'associer quand elle avait fait la preuve de ses talents de << premiere ouvriere >> (58), et a refuse tous les partis--il est vrai mediocres--qui lui etaient proposes (61); surtout, Balzac suggere qu'en realite son physique << apre >> offrait des possibilites de grice etrange : << la chevelure noire, les beaux yeux durs, la secheresse calabraise du teint faisaient de la cousine Bette une figure de Giotto >> (62), mais elle etaitt incapable d'en tirer parti, et ses tenues bizarres la rendaient simplement ridicule. (24) Issue d'une famille paysanne, longtemps illettree, devenue ouvriere, acharnee au travail, Bette represente, au-dela de ses frustrations personnelles, les forces sauvages d'un peuple humilie ; elle appartient << a cette cat6gorie de caracteres plus communs chez le peuple qu'on ne le pense et qui peut en expliquer la conduite pendant les revolutions >> (243). A travers le personnage de Bette, Balzac etablit une confrontation entre les forces sociales en place et un univers populaire menacant (Marceau 32).

La violence de la jalousie amoureuse West pas le seul point de rencontre entre Bette et les autres personnages. Le poison de l'envie West pas l'apanage de la protagoniste : Bette, incapable d'arriver a une affectivite autonome, ne parvient a desirer que ce qui fait le bonheur d'Adeline ; elle desire le cachemire jaune qui a embelli pendant vingt ans la beaute triomphante d'Adeline, elle veut epouser le marechal parce qu'il est le frere aine du baron, ce <<prince charmant >> qui a tire la bergere Adeline de sa campagne, et aussi parce qu'il est l'admirateur eperdu des vertus de sa belle-soeur. Or bien d'autres personnages montrent << la meme absence d'authenticite, copiant inconsciemment les desirs des autres (Ahardane 154). Il en est ainsi d'Hortense fascinee par Wenceslas, precisement parce qu'il semble appartenir a Bette ; de Crevel qui veut seduire la femme ou la maitresse de Hulot, uniquement pour faire piece a son rival ; de Wenceslas mysterieusement attire par la maitresse de son beau-pere, par une femme qu'il voit, lors de sa visite, entouree d'un cercle d'admirateurs eperdus : << Le desir fut si vivement irrite chez Wenceslas qu'il redoubla d'attentions pour Valerie. Femme en vue, femme souhaitee ! >> (249). Valerie elle-meme s'attache a la conquete de Wenceslas parce qu'il appartient a Hortense et parce qu'Hortense pretend le lui disputer Les femmes tiennent autant aux amants qu'on leur dispute que les hommes tiennent aux femmes qui sont desirees par plusieurs fats (267). << On ne desire que ce qui est desire par autrui, et les etres desires deviennent des objets, monnaie d'echange, instrument de vengeance ou de domination >> (Ahardane 106).

Bref, le roman illustre de facon magistrale la perversion des desirs deformes par une societe de rivalite et d'alienation. Dans un univers ou regnent la division et la rupture, ou l'on vit sons le regard et le controle d'autrui, le desir devient imitation du desir de l'autre, entrainant une spirale ininterrompue de situations conflictuelles. Le monde de La Cousine Bette illustre parfaitement les celebres analyses de Rene Girard sur les ravages du desir mimetique Balzac affirme, lui aussi, que la foule moderne, dont l'avidite West plus endiguee ni retenue par la monarchie dans les limites acceptables, n'a d'autres dieux que l'envie >> (Girard, Rompre 78).

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Note

(1) En ce qui concerne la cousine Bette, Balzac affirme dans une lettre : << Le caractere principal sera un compose de ma mere, de Mme Valmore et de ta tante Rosalie >> (Lettres a Madame Handka 267). Comme l'a fait remarquer M.P.-G. Castex, il est rare d'avoir sous la plume de Balzac des << clefs >> donnees de facon aussi nette. Il faut noter toutefois que Balzac ecrit ces lignes avant d'avoir commence vraiment la redaction et qu'il s'adresse a Mme Hanska. Au fil de la plume, Lisbeth Fischer (la cousine Bette) a pu prendre des traits d'autres modeles. En graves difficultes avec une mere autoritaire, nerveuse, creanciere pauvre, ayant le sens du drame, Balzac a pu ecrire a son sujet a son homme d'affaires Fessard qu'elle etait mauvaise comme une gale et a Mme Hanska << c'est a la fois un monstre et une monstruosite >> (Lettres a Madame Hanska 279). Nous Wavons pas ici la place pour nuancer un jugement sans doute injuste, mais il est certain qu'en imaginant Lisbeth, Balzac a assouvi des griefs reels ou imaginaires a l'egard de sa mere.

(2) Les schemas empruntes aux contes de fees, mais inverses, sont nombreux dans le roman. Ainsi, au debut, la rivalite entre les deux cousines, la laide mechante et la douce vertueuse, rappelle toutes sortes de contes merveilleux, de Cendrillon aux Fees. Mais c'est la laide mechante qui a ete, pendant son enfance, delaissee et contrainte a travailler, ce qui inverse le schema de Perrault.

(3) Les definitions anciennes et recentes de l'envie font etat de deux traits caracteristiques de la personne envieuse. Elle eprouve une douleur que suscite la comparaison avec autrui et elle ressent de l'animosite a son egard (l'envie) (Kallemeyn 2).

(4) La laideur de Bette est augmentee par les maladresses qui viennent de ses frustrations affectives.

(5) Bette est un diminutif On remarquera evidemment qu'il permet un jeu sur le mot : Bette/bete et tire le personnage du cote de l'animalite.

(6) Vous trouverez la reponse dans le premier paragraphe de la partie << La vengeance omnipresente. >>

(7) Adeline et Hortense se ressemblent par une blondeur lumineuse et une taille majestucuse ; elles sont clairement reliees a la perfection feminine : Eve, Venus ou divers modeles valorisants. Ces deux heroines sublimes unissent la respectabilite bourgeoise et le charme d'une beaute ideale.

(8) On peut faire l'hypothese qu'Adeline, avant de symboliser la vertu, est le type de la femme amoureuse : elle ne peut se resoudre a perdre Phomme qu'elle aime. Elle a vecu une longue lune de miel qu'elle regrette toujours. Sa recherche ininterrompue de Hulot, trois ans apres sa disparition, ou la grande scene avec Crevel en sont la preuve. En effet, Adeline se rapproche alors de la prostitution (puisqu'elle s'offre a Crevel ou rend visite a une courtisane, qui de plus est une ancienne maitresse de son mari), ce qui est honteux voire immoral - pour une femme de son statut. C'est l'amour, plutot que la vertu, qui dirige les actions d'Adeline.

(9) Par exemple, le narrateur definit l'influence que doit avoir une femme sur un artiste : << une femme doit titre a la fois ce qu'avait ete Lisbeth pendant 5 ans, et offrir de plus l'amour, l'amour humble et discret, toujours pret, toujours souriant >> (269). Cependant (et c'est la que Balzac est original par rapport a son siecle), la femme West pas la seule du couple a avoir des devoirs. Le romancier condamne l'adultere en ces termes : <<Hortense fut la femme et Valerie la maitresse. Beaucoup d'hommes veulent avoir ces deux editions du meme ouvrage, quoique ce soit une immense preuve d'inferiorite que de ne pas savoir faire de sa femme sa maitresse >> (280).

(10) Crevel, en rivalite acharnee avec Hulot depuis que ce dernier lui a souffle Josepha, dit : << Le jour ou Josepha m'a ete prise, j'etais comme une tigresse a qui l'on a enleve ses petitso>> (42).

(11) Ancien collaborateur de Napoleon, Hulot reve de retrouver, dans des aventures amoureuses de plus en plus degradees, la splendeur de ('epoque imperiale. Cet homme debauche vole l'Etat pour entretenir ses mattresses.

(12) C'est une prostituee de la societe des bourgeois conquerants, d'ou le baron Hulot sera definitivement exclu. Pratiquant le << nouvel art d'aimer >> en vogue depuis 1830 (121), et decidee a faire fortune par tous les moyens, avec la complicite de son mari, elle a l'habilete de jouer les bourgeoises vertueuses et apparait comme un de ces anges au doux sourire, a fair reveur, a figures candides, dont le coeur est un coffre-fort >> (Clark 17; 173).

(13) Le premier acte de grande violence, decrit dans l'Ecriture, est celui de la concretisation de l'envie eprouve par Cain a l'encontre de son frere Abel. La jalousie de Cain commence quand il compare son offrande a celle de son frere. L'offrande d'Abel a ete jugee meilleure que la sienne. Cain n'a pas voulu dompter la bete sauvage de la jalouise en lui. Il n'a pas suivi le conseil de Dieu de bien agir. Au contraire, la jalousie de Cain a eu l'effet de tirer son frere vers le bas, de l'ecraser, de l'aneantir (Kallemeyn 2).

(14) Crevel repousse dune maniere offensante Adeline, venue s'offrir pour sauver son mari du deshonneur.

(15) C'est un personnage exemplaire dont la rigueur morale s'oppose aux bassesses de son frere. L'idealisation d'un etre de perfection, qui s'oppose en tous points aux basses turpitudes du baron, releve evidemment de l'esthetique du melodrame. Cette tonalite est particulierement sensible quand le marechal maudit son frere : << Un homme qui a meconnu une Adeline, et qui a eteint en lui les sentiments du vrai republicain, cet amour du Pays, de la Famille et du Pauvre que je m'efforgais de lui inculquer, cet homme est un monstre, un pourceau >> (351).

(16) L'histoire de ('epoque situe l'evenement dans la soif de reussite sociale que le regime de Louis-Philippe avait contribue a susciter dans certaines couches de la Societe.

(17) Adeline ramene triomphante son epoux, ce vieillard libidineux, au sein de la famille apaisee, prospere, enfin totalement reunie. Devant le bonheur apparemment reconquis d'Adeline, Bette croit avoir echoue et meurt sans avoir pu assouvir ni meme reveler sa haine.

(18) Adeline est malheureuse de la premiere a la derniere page du roman. Les quelques moments de repit qu'elle connait ne sont que des accalmies qui rendent par la suite sa souffrance plus insupportable encore. En effet, elle accueille Hulot des qu'il le veut, avec une patience absolue, en croyant a chaque fois qu'elle va pouvoir le reconquerir.

(19) L'image de la boue reparait quand Bette triomphante savoure les malheurs d'Adeline : << Elle sera dans la boue et moi, je serai comtesse de Forzheim >> (188), mais finalement, c'est Valerie elle-meme qui va subir ce sort ignominieux a la fin du roman : << je n'ai plus de corps, je suis un tas de boue >> (440).

(20) Cette phrase est dite par Bette au moment ou Valerie mourante ('exhorte a oublier ses projets de vengeance pour se tourner vers Dieu.

(21) Crevel a epouse Valerie et desherite sa fille Celestine. Victorien Hulot, le mari de Celestine, fait appel a Mme de Saint-Esteve, une parente de Vautrin. Valerie et Crevel meurent dans d'abominables souffrances, dune lepre mysterieuse.

(22) Dans le denouement, Balzac donne une conclusion melancolique sur les vertus d'Adeline : v La ferocite du Vice avait vaincu la patience de l'ange, a qui sur le bord de l'Eternite, il echappa le seul mot de reproche qu'elle eut fait entendre de toute sa vie >> (468).

(23) Adeline est le type de la femme vertueuse et pleine de bonte, de charite chretienne ; elle se sacrifie avec une constance sans failles pour ses enfants ou son mari. Elle a une foi intense, et se refugie dans la priere a chacun de ses malheurs. Elle est l'allegorie de la vertu, et le narrateur la designe souvent par ces mots.

(24) Au terme du portrait psychologique de Bette dans le chapitre 9, l'analyse du conditionnement de Bette prend quelque ambiguite : elle est moins reellement laide, qu'enfermee dans la laideur et l'inferiorite par les humiliations que lui a values sa situation d'enfant mal aimee.
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