Proust ethique.
Hong, Teng-yueh
ENGLISH ABSTRACT
Prior to considering Proust from an ethical perspective, this study
defines the meaning of the term "ethics" through descriptions
offered by the Encyclopedie d'Alembert, by exponents of rhetoric
and style, and by theorists of discourse. It then attempts a small
contrastive study of the author Proust and the Proustian narrator in A
la recherche du temps perdu. The objective is to see to what extent the
author and the intra-diegetic narrator refer to each other in their
ethical essence, and how they set out the various subjects that fall
under an ethical theme, thereby making readers sensitive to this most
particular aspect of Proustian writing: the virtuosity with which the
ethical meets the aesthetic.
La definition de l'ethique
Selon la pensee chinoise, la definition possible de l'ethique
est intimement liee a l'esthetique, car la qualite esthetique de
l'oeuvre d'art reflete la qualite ethique de son auteur. Cette
idee est essentielle dans la pensee chinoise. La peinture, comme
l'ecriture calligraphique, presente un miroir de coeur. La supreme
beaute d'une calligraphie ne releve pas de la beaute precisement,
elle resulte de son adequation naturelle a la "verite" que le
calligraphe nourrit en lui - authenticite, purete originale, naturel
absolu. La perfection de l'oeuvre d'art depend entierement de
la verite humaine de l'artiste. Cette notion morale qui fonde toute
l'esthetique chinoise se retrouve egalement en Occident, comme le
signale Leys, mais elle est plutot le fait de quelques esprits
d'exception, dont Stendhal fournit une parfaite illustration: toute
son esthetique est passionnement et furieusement morale (Leys 25-26).
Qu'en est-il de Proust a qui nous voudrions voir une attribution
ethique dans son oeuvre de la Recherche?
Ceci a ete dit par le narrateur de la Recherche: "Je ne sais
pas si ce serait une eglise ou des fideles sauraient peu a peu apprendre
des verites et decouvrir des harmonies.... Bientot je puis montrer
quelques esquisses" (IV: 617). L'intention de l'auteur
sur la mise en oeuvre de tout l'edifice scriptoral de la Recherche
a ete signalee dans le Temps retrouve, mais c'est la ou
l'ecrivain, au lieu de cloturer la Recherche, a laisse parler le
narrateur sur son projet initial. Avant d'engager Proust sur la
voie ethique, il nous convient de concevoir le sens du terme
"ethique" proprement dit.
Premierement, concernant la definition du mot, l'Encyclopedie
d'Alembert precise qu'il s'agit d'un terme de
philosophie, que l'ethique est une science des moeurs, qui nous
prescrit une sage conduite et les moyens d'y conformer nos actions.
L'ethique signifie aussi "la morale." Toujours selon
l'Encyclopedie d'Alembert, on appelle "vie morale,"
celle qui s'etend avec gloire au-dela du tombeau. La comparaison de
la brievete de cette vie mortelle avec l'eternite d'une vie
morale dans le souvenir des hommes etait familiere aux Romains, et a ete
chez eux la source des plus grandes actions. Un homme celebre soit a la
guerre, soit dans la magistrature, soit dans les sciences et les beaux arts, n'est point oublie. Hatons-nous de dire qu'en fait,
cette notion de "vie morale" n'est point etrangere a
l'esprit du narrateur proustien, quand il donne ses appreciations
sur les oeuvres d'art realisees par des artistes de tout premier
ordre, et leurs travaux, dit le narrateur proustien, a la maniere des
astres luisants, renvoient leurs lumieres d'etoile a etoile.
La meme encyclopedie expliquant le terme de "religion" le
developpe sous deux aspects: la religion naturelle et celle qui est
revelee. La religion naturelle est le culte de la raison, laissee a
elle-meme, et a ses propres lumieres, qui apprend qu'il faut rendre
hommage a l'Etre supreme, auteur et conservateur de tous les etres
qui composent le monde sensible, comme de l'aimer, de
l'adorer, de ne point abuser de ses creatures. On appelle cette
religion aussi morale ou ethique, parce qu'elle concerne
immediatement les moeurs et les devoirs des hommes les uns envers les
autres, et envers eux-memes consideres comme creatures de l'Etre
supreme. (1) Ainsi, selon l'Encyclopedie d'Alembert,
l'ethique recouvre un champ semantique tres large: les moeurs, les
conduites, la vie morale, la religion naturelle, etc. Ces notions
diversement developpees, forment par elles-memes une isotopie solide
relevant du terme "ethique."
Publie en 1984, Michel Foucault, dans son troisieme tome de
l'Histoire de la sexualite, intitule Le souci de soi, a presente
l'inflexion dans la morale des plaisirs que l'on constate
pendant la periode romaine: "Le souci de soi a ete, dans le monde
greco-romain, le mode dans lequel la liberte individuelle - ou la
liberte civique, jusqu'a un certain point -- s'est reflechie
comme ethique" (2). Mais apres avoir domine six siecles de
philosophie et de reflexion morale, le theme succombera sous la
prescription chretienne de la renonciation de soi: s'occuper de soi
a ete, a partir d'un certain moment, volontiers denonce comme une
forme d'amour de soi, une forme d'egoisme ou d'interet
individuel en contradiction avec l'interet qu'il faut porter
aux autres ou avec le sacrifice de soi qui est necessaire. Ce petit
souci pour autrui en tant qu'element meritoire de l'ethique se
revele aussi dans la rhetorique ancienne.
Dans la Rhetorique generale, le mot "ethique," provenant
du mot grec "ethos," se definit comme "un etat affectif
suscite chez le recepteur par un message particulier et dont la qualite
specifique varie en fonction d'un certain nombre de parametres.
Parmi ceux-ci, une grande place doit etre menagee au destinataire
lui-meme. La valeur attachee a un texte n'est pas une pure
entelechie, mais une reponse du lecteur ou de l'auditeur. En
d'autres termes, ce dernier ne se contente pas de recevoir un donne
esthetique intangible, mais reagit a certains stimuli. Et cette reponse
est une appreciation" (Hutcheon 145).
En plus de la chaine communicative etablie entre le destinateur et
le destinataire assurant le fonctionnement par l'ethos, Ducrot,
linguiste moderne, analyse plus avant ce concept d'ethique et
introduit le terme de "locuteur" en y distinguant deux
instances: le "locuteur en tant que tel" (note locuteur--L) et
le "locuteur en tant qu'etre du monde" (note
locuteur-[lambda]). Le premier designe le locuteur considere du seul
point de vue de son activite enonciative, en tant qu'etre de
discours. Le locuteur-[lambda], en revanche, designe le locuteur en tant
que ce dernier possede par ailleurs d'autres proprietes,
constituant un etre du monde.
Cette distinction peut sembler byzantine, signale Maingueneau, en
fait, elle permet de rendre compte de phenomenes aussi importants que
l'interjection ou l'ethos. Toujours selon lui, analysant la
theorie de Ducrot, le theoricien moderne affirme ceci: s'interroger
sur la specificite enonciative de l'interjection, c'est se
demander quelle difference on peut etablir entre "ouf!", par
exemple, et un enonce de contenu identique comme "Je suis
soulage." Pour Ducrot, en disant "Je suis soulage," on
implique le locuteur-[lambda], l'etre du monde designe par le
locuteur, on lui attribue une certaine propriete independante de
l'enonciation. En revanche, dire "ouf!", c'est
proferer une enonciation soulagee, presenter son enonciation comme un
effet immediat du sentiment de soulagement ; dans ce cas, c'est le
locuteur-L qui est concerne: en tant que tel le locuteur
d'"ouf!" ne peut qu'etre soulage (on peut dire
"Je suis soulage" sans avoir l'air soulage). On le voit,
l'interjection suppose une theatralisation de son propre corps
d'enonciateur. Suivant pas a pas cette lignee d'analyse
discursive, nous pouvons deja nous imaginer que dans le long recit de la
Recherche, le narrateur proustien tient la plupart du temps le role de
locuteur-[lambda], l'etre du monde represente par le narrateur
lui-meme, du fait qu'il se situe constamment au niveau
intradiegetique et assure longuement un recit homodiegetique entoure des
personnages les plus divers qui sont constitues de classes tres
differentes: l'aristocratie, la haute bourgeoisie, la famille, etc.
Le narrateur proustien est trop dependant du recit pour etre pris pour
un simple locuteur-L, enonciateur des interjections modales,
d'autant plus qu'il est tres rare de lire dans la Recherche
des passages purement et simplement monologiques, forme discursive
favorisant ce type de discours modal.
Ayant ainsi repris la theorie de Ducrot, la differenciation entre
les deux locuteurs nous amene a la logique du discours concernant
l'ethos lui-meme. La notion d'ethos provient, comme nous
venons de le voir, de la rhetorique antique. Pour Aristote "on
persuade par le caractere [??] en grec ethos [??], quand le discours est
de nature a rendre l'orateur digne de foi ; car les honnetes gens nous inspirent confiance plus grande et plus prompte sur toutes les
questions en general" (Rhetorique 1356 a). "Les orateurs
inspirent confiance pour trois raisons ; les seules en dehors des
demonstrations qui determinent notre croyance, la prudence, la vertu, la
bienveillance" (Ibid. 1378 a). Il s'agit donc pour
l'orateur de donner une certaine image de lui-meme, de jouer
l'homme prudent, vertueux, bienveillant, pour persuader son
auditoire. Cet ethos n'appartient pas a l'individu considere
independamment de son discours: ce n'est qu'un personnage
adapte a la cause que defend l'orateur. Ce dernier ne dit pas
explicitement "Je suis honnete, courageux, etc.," mais il
adopte en parlant le ton, les manieres que l'opinion attribue a un
homme honnete, courageux, etc. L'ethos est donc attache au
locuteur--L, a l'etre de discours, et non au locuteur-[lambda].
Arrive a ce stade d'analyse, nous pouvons nous demander comment le
narrateur proustien, originairement attribuable au role du
locuteur-[lambda], pourrait toucher a l'aspect ethique a
l'interieur de la Recherche.
En effet, rien n'empeche que le locuteur-L se mette en valeur
en devalorisant le locuteur-[lambda], poursuit ainsi Maingueneau:
c'est ce qu'on appelle l'autocritique ; Rousseau, par
exemple, dans ses Confessions, evoque avec la plus grande sincerite ses
fautes, celles du locuteur-[lambda]. Ce faisant, il offre l'image
d'un locuteur-L sincere, veridique, qui tient la promesse
qu'il a faite de "montrer a ses semblables un homme dans toute
la verite de la nature." Le narrateur proustien en tant que
locuteur-[lambda], homme du monde, a-t-il ete pareillement critique par
un locuteur-L a l'interieur du recit proustien ? et par la,
s'est-il conforme a la promesse rousseauiste de "montrer a ses
semblables un homme dans toute la verite de la nature"?
Nous sommes d'avis avec Maingueneau que la prise en compte de
l'ethos est d'une grande consequence pour l'etude des
textes litteraires. Loin d'etre reservee aux orateurs, elle est
constamment impliquee dans l'ecrit meme: les textes sont
inseparables d'une "voix," d'un "ton"
particuliers. Genette a d'ailleurs consacre longuement ses travaux
menes a ce propos sur le recit de la Recherche dans les Figures III. Ce
sont, rappelons-le, autant de proprietes attribuables a la figure de
l'auteur, nullement a la personne de l'ecrivain ; sur ce
point, les travaux de Maingueneau, Genette et Lejeune sont en constante
harmonisation. Le meme ecrivain peut adopter d'un texte a
l'autre, ou a l'interieur du meme texte, des ethos tres
differents. L'ethos de l'homme du monde ironique qui est
associe a l'enonciation des premieres Lettres provinciales de
Pascal est ainsi vite remplace dans les lettres suivantes par un ethos
vehement et quasiment prophetique. Le narrateur proustien de la
Recherche, disposant de l'ethos ayant une "voix," un
"ton" particulier a reconnaitre, se manifeste dans un tres
large parametre ethique allant de la resignation couardiere jusqu'a
la critique acerbe mais conduite dans la plus grande sagesse
humanitaire. Cet aspect s'avere justement un des domaines
d'etude les plus interessants. Mieux nous saisirons la voix et le
ton du narrateur proustien, mieux nous saurons penetrer dans
l'enonce du recit proustien.
On aurait neanmoins tort, comme le fait la tradition,
d'affecter l'ethos au seul sujet enonciateur. En vertu du
caractere premier du couple interlocutif, il implique egalement le
coenonciateur, ici le lecteur. Ce point de vue presente par Maingueneau
rejoint celui de Hutcheon que nous venons de signaler. Ce point est
essentiel, notamment dans l'etude de l'ethos sous
l'aspect humoristique du recit proustien. Le texte construit un
certain ethos de ce lecteur et lui affecte divers traits, en fonction de
son enonciation. La place de lecteur n'est pas une case sans
specification aucune: le texte suppose telles ou telles caracteristiques
chez celui qui le lit. Cela dit, l'ethos du narrateur proustien
devrait repondre a l'ethos de son lecteur dans les cas meilleurs,
ou du moins, il devrait pouvoir lui apporter une affectation directe ou
indirecte. Sur ce chapitre, les travaux conduits par Brunel et de Botton
en ont fait une excellente demonstration. (3)
Aussi, cette distinction entre "locuteur-L" et
"locuteur-[lambda]" est-elle liee a la distinction entre la
dimension referentielle et la dimension modale de l'enonciation:
d'un cote l'enonce refere a certains objets, de l'autre
il indique quelle relation entretient avec lui son sujet
d'enonciation (modalisation). Maingueneau donne un exemple pour
illustrer ceci: dans Je suis triste l'embrayeur je refere a un
individu ("locuteur-[lambda]") qui se trouve coincider avec le
sujet d'enonciation ; mais du point de vue modal, il existe une
sorte de rupture entre le sujet d'enonciation comme tel
("locuteur-L") et son enonce puisqu'on refere a je comme
on le ferait a une non-personne. En revanche, dans Helas !, le sujet
d'enonciation, du point de vue modal, est implique dans son dire.
On peut traiter de maniere comparable le contraste entre (1) Je promets
de partir (acte illocutoir de promesse) et (2) Je promets tous les jours
de partir: en (1) c'est le "locuteur-L" qui est engage
dans l'enonciation, tandis qu'en (2) seul le
"locuteur-[lambda]" est concerne: dans ce dernier cas
l'enonciation implique je en tant qu'individu dont on parle et
non en tant que locuteur de l'enonce. (4)
Ce tres long expose tire de l'oeuvre theorique de Maingueneau
va nous servir de base pour nous conduire a la recherche d'un
Proust ethique, qui n'est autre qu'un narrateur referentiel --
etre du monde dans la realite et dans la fiction, joint a un narrateur
modal -- etre d'autocritique et d'auto-reflexion, qui ont
reussi a toucher merveilleusement a l'ethos d'un lecteur
charme par le magnifique recit de la Recherche.
La reconnaissance du narrateur proustien dans sa dimension
referentielle-Proust malade
Dominique Mabin, neurologue et psychiatre, ayant une vaste
connaissance de la correspondance du romancier, a publie Le Sommeil de
Proust dans lequel la vie de Proust malade a ete clairement decrite. Le
Pr. Adrien Proust, eminent hygieniste est alerte sur l'etat de son
fils Marcel, alors age de neuf ans, par la premiere crise
d'"asthme des foins" apres une promenade au bois de
Boulogne. Chez Proust, les crises d'"asthme et le rhume des
foins se repetent au cours de son adolescence. Durant pres de dix ans
elles s'espacent, mais une recrudescence survient a l'age de
24 ans, en 1895. C'est l'epoque d'une importante vie
mondaine, mais c'est aussi le debut de l'aggravation de son
asthme. Tres tot, Proust decide de ne plus dormir la nuit dans
l'espoir de prevenir ou d'attenuer ses crises d'asthme.
Sa Correspondance traduit le temperament anxieux, l'inquietude
permanente de ce grand malade a la recherche de la cause de son asthme.
L'evolution de la maladie jointe a un mode de vie anarchique, qui a
un grand retentissement sur son sommeil, ont entraine Proust a consulter
de nombreux medecins en fonction des hypotheses pathogeniques du moment.
Les reponses donnees sont assez souvent justes et temoignent d'une
bonne perspicacite de leurs auteurs, mais l'indiscipline de Proust
ne lui permet pas de tirer profit de ces conseils.
Selon les conceptions de l'epoque qui attribuent une origine
nerveuse a cette maladie, il est traite par des calmants, des
"nervins," terme designant a la fois des tranquillisants et
des toniques du systeme nerveux; il sejourne a la montagne en compagnie
de sa mere et au bord de la mer, a Cabourg, et non plus a Illiers ou il
souffre d'asthme et du rhume des foins. Il s'enferme dans une
automedication aux consequences progressivement irremediables, mais il
reste scrupuleux, d'ou ces appels aux medecins. L'asthme
s'aggrave au fil des ans. Ce qui frappe le lecteur de sa
Correspondance, c'est la longueur des crises, jusqu'a trente
heures, pendant lesquelles "tout mouvement (et aussi toute
immobilite) toute pensee m'ont ete refuses, crise d'asthme
tellement violente que rien n'y resistait". (5)
L'aggravation de son etat est ineluctable a partir de 1910,
quand Proust a 39 ans, et elle le rend de plus en plus prisonnier de son
lit. L'asthme n'est pas la seule maladie dont souffre Proust.
Il est sujet au coryza spasmodique, qu'il appelle "fievre des
foins," qui le frappe au printemps, et qui peut s'accompagner
de manifestations asthmatiques. Ce rhume des foins se traduit par des
eternuements par acces, un larmoiement, une certaine dyspnee, une toux
et un "coulage sans interruption;" il previent ce coryza en
restant dans sa chambre, et meme au lit, tard dans la journee (7 heures
du soir), evitant les promenades dans les bois, sortant dans une voiture
fermee, et fumant des cigarettes antiasthmatiques. Ce coryza est evoque
tres souvent dans sa correspondance, et progressivement il survient en
dehors de la saison habituelle, c'est-a-dire au printemps.
Le printemps 1917 aggrave son etat asthmatique. Il limite de plus
en plus ses sorties qui occasionnent des crises. Sur un tel terrain la
grippe pourrait avoir des consequences redoutables. Ses soucis
cardiaques deviennent frequents et l'inquietent, car il parle dans
les annees 1910 "d'accidents cardiaques dont j'avais deja
eu un commencement et qui semblent un peu d'angine de
poitrine". (6) D'autres soucis medicaux inquietent Proust. Ils
sont lies soit a sa personnalite, soit aux medicaments pris
inconsiderement pour dormir, puis se reveiller, ou pour lutter contre la
fatigue. Ainsi en est-il d'une enterite mucomembraneuse traitee,
entre autres, par des lavements, ou par une pilule laxative de cascarine
Leprince, avec les effets que l'on peut deviner ..., remarque ainsi
Mabin. Les maux d'estomac sont souvent contemporains des troubles
intestinaux. Mais les maux qui l'inquietent le plus sont ses
troubles cardiaques. Son etat asthmatique s'ameliore a Cabourg;
mais a Versailles ou a Paris sa vie est tres penible "malgre toutes
les cafeines du monde," au point de ne pouvoir monter deux marches.
(7) Alors qu'il ecrit A la recherche du temps perdu, les crises
incessantes font qu'il "n'a meme plus de cerveau".
(8)
Il ressent frequemment une grande asthenie qui est souvent en
rapport avec son asthme et qui reduit ses capacites de travail. Sa
grande inquietude, qui devient veritablement angoissante, est de ne
pouvoir finir son oeuvre, comme il l'ecrit a plusieurs reprises a
quelques confidents, dont Gaston Gallimard et Emile Straus. Il est
oblige de dicter son courrier a Celeste, et de prendre de plus en plus
de medicaments pour sortir de "ses heures de vrai coma, de
martyr" ou il "passe quarante-huit heures haletant comme un
demi-noye qu'on sort de l'eau, sans pouvoir dire une parole ni
faire un mouvement."
Dans la Correspondance, il fait part objectivement de ses
insomnies, de leur traitement, et des effets facheux des hypnotiques,
tout en admettant, et meme en justifiant, qu'il ne peut s'en
passer. Dans ce contexte d'insomnie, Proust presente donc tous les
signes de l'asthme a dyspnee continuelle. Dans les dernieres
semaines les quintes qui durent tant de jours le laissent dans un etat
lamentable; "... Jacques [Riviere], laissez un malheureux qui
n'en peut plus" ...; dit Proust a un de ses meilleurs amis;
"Nous reparlerons de tout cela, mais je n'en peux plus,"
ecrivait-il trois semaines avant sa mort. Une telle expression, souvent
pathetique, ne traduit certainement pas une derobade, mais elle est
celle d'un grand insuffisant respiratoire, et sans doute cardiaque,
a bout de souffle, qui vit artificiellement d'excitants puis de
somniferes car il ne dort plus.
Les sorties sont aussi l'occasion d'un refroidissement
qui peut s'accompagner de fievre. Les allusions sont frequentes
dans la Correspondance et, plus particulierement en octobre 1920, ou
elles deviennent un refrain: "40 de fievre (pas contagieux) ne
rendent pas tres facile d'ecrire ... Si vous voyez Montesquiou a
qui j'enverrai aussi mon livre voulez-vous lui dire que j'ai
40 degres de fievre depuis dix jours...), ecrit-il a Mme Straus. (9)
"Je sens tout le ridicule de "dicter" une lettre pour
vous, mais j'ai 41[grados] de fievre depuis dix jours". (10)
Les lettres suivantes ecrites a la meme periode font etat de cette
hyperthermie. Le 31 octobre la fievre et la toux ont enfin disparu.
Proust avait raison de craindre une surinfection bronchique. C'est
a la suite d'un refroidissement suivi d'une pneumonie non
traitee qu'il decede.
L'ethique et le choix d'un caractere - etre reel ou etre
de fiction
Kristeva en rendant compte que les Grecs ne connaissaient pas le
terme de personnage affirme ceci: ce sont des "agissants"
(prattontes) qui font le recit, selon la Poetique d'Aristote.
Qu'ils soient des "modeles"ou des "copies,"
etres reels ou etres de fiction, ces "actants" sont toutefois
pourvus de caracteres ethiques ("bassesse" ou
"noblesse"). Qu'est-ce qu'un "caractere"
(ethos)? (11) -- "C'est ce qui est de nature a manifester un
choix (l'ethos est proairetique) qualifie ; aussi n'y a-t-il
pas de caractere dans les paroles qui ne mentionnent absolument pas ce
que choisit ou evite celui qui parle" (Kristeva 2). A partir de cet
argument, il nous semble pertinent de mener une petite etude contrastive
entre l'ecrivain Proust et le narrateur proustien de la Recherche
pour en faire decouler une ethique proprement proustienne.
Proust malade et son narrateur qui s'endort sous l'effet
des narcotiques, ses reves
Pour resumer la vie de Proust malade, nous pouvons etablir
facilement une liste de ses afflictions physiques declenchees
d'abord par un asthme chronique. La riche pathologie rencontree
chez lui explique la consultation de specialistes divers car, autour de
ses problemes de sommeil et d'asthme qui etaient lies, sont apparu
successivement des difficultes cardio-vasculaires, gastro-intestinales,
rhumatologiques, psychologiques, etc. Sa vie au lit et ses reveils
tardifs se poursuivent: "Je me leverai peut'etre une heure
demain. Et puis ce sera de nouveau quinze jours de lit ...," dit-il
a un de ses multiples correspondants. Marcel Proust sait bien que les
raisons de ses troubles sont dus a un abus de medicaments. Ses appetits
sont miserables, genes par de constantes crises d'asthme et ses
maux d'insomnie. Cette anorexie est majoree par l'abus de
somniferes, d'ou viennent certains troubles psychiques.
L'inquietude de Marcel Proust devait etre grande quand il consulte
Babinski, neurologue eminent qui lui dit que ces troubles psychiques
sont dus a une intoxication medicamenteuse, "explication un peu
enfantine pour moi" (12). Pourtant, il les evoque a plusieurs
reprises a la meme epoque. L'analyse clinique developpee dans ses
lettres au sujet des troubles neurologiques dus aux abus de somniferes
est tout a fait fondee selon Mabin. Et en effet, a l'epoque de
Proust, les signes qu'il presentait pouvaient orienter vers une
complication neurologique tardive de la syphilis appelee paralysie
generale et tabes. Pour les somniferes, il prenait deja du Trional quand
il n'avait pas encore 18 ans. Des l'age de vingt-cinq ans, il
s'etait habitue aux somniferes pour s'endormir, soit a cause
de l'asthme, soit tout simplement du bruit.
La toxicomanie est bien reelle avec l'augmentation des doses,
voire les exces, qui ont des repercussions sur le psychisme. Mais le
somnifere n'est pas sans inconvenient chez un asthmatique,
puisqu'il accroit ses crises. En plus du Trional, Proust absorbe
d'autres somniferes qui sont a deconseiller chez l'asthmatique
parce qu'ils depriment les centres respiratoires: "Ces coups
de marteau representent la necessite quotidienne de veronal,
d'opium, etc ..." (13)
Les somniferes ne sont pas les seuls medicaments utilises par
Proust. Son asthme le contraint a se soigner. Il le fait avec maladresse
et exces, parce qu'il est a la fois mal conseille et incredule
quant a l'efficacite des traitements. Les effets secondaires
nefastes apparaissent et aggravent le mal. Tres tot, il utilise des
cigarettes ou des poudres antiasthmatiques qu'il brule dans sa
chambre (Escouflaire, Espi, Legras), d'ou les tres nombreuses
references aux "fumages," seuls ou associes a la prise
d'autres medicaments eupneisants. (14)
Malgre ses denegations, Proust a du consommer de l'opium, de
la morphine et de l'heroine, ce derive de la morphine. Au fil des
annees, la consommation de poudres deviendra tres importante. A la fin
de sa vie, l'obsession de ne pouvoir respirer ou le besoin de
calmer les crises entraine "la necessite de faire des fumigations
plusieurs heures plusieurs fois par jour ...". (15) Dans ces
conditions, il lui est bien difficile de recevoir dans sa chambre, seule
piece ou il accueille, puisqu'il vit continuellement au lit.
C'est dans cette dimension referentielle relevant de
l'ecrivain malade de longue date que Proust a cree a
l'interieur de la Recherche un narrateur qui grandit au fur et a
mesure que le recit avance. Quand l'enfant est devenu grand, il
s'est deja deplace dans de nombreuses chambres pour passer ses
nuits, ou il a experimente plusieurs types de sommeil et
d'insomnie, et ou il a fait sa propre decouverte dans le pays du
subconscient, tantot visite par des reves delicieux, tantot par des
cauchemars. Mais le narrateur adulte trouve le courage de dire que pour
un homme habitue a ne dormir qu'avec des drogues comme lui,
...une heure inattendue de sommeil naturel decouvrira l'immensite
matinale d'un paysage aussi mysterieux et plus frais. En faisant
varier l'heure, l'endroit ou on s'endort, en provoquant le sommeil
d'une maniere artificielle, ou au contraire en revenant pour un
jour au sommeil naturel -- le plus etrange de tous pour quiconque a
l'habitude de dormir avec des soporifiques -- on arrive a obtenir
des varietes de sommeil mille fois plus nombreuses que, jardiner,
on n'obtiendrait de variete d'oeillets ou de roses. (16)
Les dormeurs qui ne peuvent entrer en sommeil que sous l'effet
des narcotiques sont compares par le narrateur tres courageux a des
"jardiniers" qui obtiennent "des fleurs qui sont des
reves delicieux, d'autres qui ressemblent a des cauchemars".
(17) Le courage d'un insomniaque comme notre auteur est sans rival,
d'une part, parce qu'il en parle avec enthousiasme,
d'autre part, parce qu'il tire profit meme des maux qui le
font souffrir tout au long de sa vie, quand l'insomnie est devenue
un compagnon pour le malade souvent alite, et c'est l'insomnie
qui l'aide a explorer longuement la richesse du subconscient.
Proust asthmatique et son narrateur fin admirateur de parfums
La phobie des parfums est bien connue chez Proust asthmatique. Il
craint aussi la fumee: la fumee du chemin de fer, celle du tabac, de la
cheminee, "... au moment ou l'allumage du calorifere (1er
novembre) dont la cheminee est adossee a mon lit me donne de terribles
crises d'orthopnee que l'accoutumance finit par attenuer mais
en ce moment sont a en crever". (18) Il craint aussi une chambre
trop chaude, mais paradoxalement il fait du feu en plein mois
d'aout. Ses visiteurs du soir sont incommodes par ce chauffage, il
doit donc se faire excuser, comme dans cette lettre adressee a la
princesse Soutzo en juin 1920: "Vous m'avez garde rancune du
feu (il n'y avait pas eu une demi-buche de consumee) mais vous
n'avez pas fait attention qu'a cause de vous j'ai garde
tout le temps la fenetre ouverte". (19)
A partir du theme du parfum, de Botton en a etabli une comparaison
du narrateur proustien avec les malheureux snobs: en face de ceux dont
l'ame a ete atteinte d'une "maladie grave" parce
qu'ils souffrent du snobisme, le narrateur proustien semble plutot
admirable face a ses maux physiques. Bien qu'en raison de son
asthme il coure un grand danger en se rendant a la campagne, bien
qu'il devienne pourpre a la seule vue d'un lilas en fleur, il
ne s'est pas laisse aller a suivre l'exemple de Mme de
Verdurin, il n'a pas pretendu puerilement que les fleurs sont
ennuyeuses et n'a pas vante les delices de passer toute
l'annee dans une piece calfeutree. Bien au contraire, le narrateur
proustien est alle droit a l'ombre des (...) fleurs pour y humer
les parfums les plus subtiles, metaphoriquement aupres des jeunes
filles, et imaginairement dans les jardins epanouis: les roses, les
aubepines, les lilas, les violettes, les glycines, les pommiers, les
poiriers en fleurs, dont les pollens derangeraient sa voie respiratoire
..., toutes ces fleurs disposent pourtant d'un langage poetique
pour lui. Les jardins combraysiens sont couverts de mille fleurs
embaumantes. Ses villes de reve -- Venise et Florence - sont des villes
fleuries.
Proust alite et le soleil
La longue relation de Proust avec les therapeutiques
pharmacologiques est detaillee dans le courrier qu'il adresse a
certains confidents. Les effets cliniques de ces substances ont ete
rappeles. Ils peuvent eclairer certains troubles neurologiques et
comportementaux et expliquer des evenements insolites de la vie de
Proust. En 1906, a l'age de 35 ans, Proust est arrive a un tel
degre de fatigue, de deterioration de sa fonction cardio-respiratoire et
d'abus de somniferes que "pour ecrire ce simple mot il
m'a fallu une pharmacie ..." (20) ecrit-il a Jacques Riviere
en octobre 1919, trois ans avant sa mort.
Quand il est alite et enferme longuement dans sa chambre, tandis
que la chambre "protegeait en tremblant sa fraicheur transparente
et fragile contre le soleil de l'apres-midi derriere ses volets
presque clos," quelque chose d'extraordinaire pourrait se
produire pour egayer le malade deja du temps de son sejour a Combray:
"un reflet de jour avait pourtant trouve moyen de faire passer ses
ailes jaunes, et restait immobile entre le bois et le vitrage, dans un
coin, comme un papillon pose". (21) Le narrateur malade voit que
"[??]l'[??] obscure fraicheur de ma chambre etait au plein
soleil de la rue, ce que l'ombre est au rayon, c'est-a-dire
aussi lumineuse que lui, et offrait a mon imagination le spectacle total
de l'ete dont mes sens si j'avais ete en promenade,
n'auraient pu jouir que par morceaux ; et ainsi elle
s'accordait bien a mon repos qui (grace aux aventures racontees par
mes livres et qui venaient l'emouvoir), supportait pareil au repos
d'une main immobile au milieu d'une eau courante, le choc et
l'animation d'un torrent d'activite". (22) Cette
voix, si limpide parce qu'elle evoque la beaute estivale composee
de lumiere du soleil brillant, d'eaux courantes d'un torrent
est celle provenant d'un narrateur-enfant qui se sait prisonnier de
ses crises d'asthme chroniques et qui s'amuse a passer du bon
temps en lisant de romans. Plus tard, cet enfant ecrira lui-meme, nourri
des textes lus et des experiences d'un solitaire mais consolable
deja par les rayons de soleil qui arrivent a penetrer par les fenetres
sans doute fermees ...
Proust toxicomane et la medecine
L'etat maladif permanent de Proust l'a evidemment conduit
a consulter de nombreux medecins dont il parle dans sa correspondance.
La "voix" et le "ton" du discours fait par le malade
auraient-ils ete marques d'ironie ou de satire ? Le theme de la
medecine releverait-il chez le narrateur toxicomane d'un sujet
d'amertume ? Il semble que non seulement le narrateur proustien
n'en parle jamais sur un ton satirique, mais aussi il s'en
sert pour discourir gaiement, sur un ton souvent ludique.
L'aspect ludique se differencie de l'ironique ou du
satirique. Tous sont des signes marqueurs de l'ethos: "Comme
l'ironie, la satire possede un ethos marque, mais qui est code
encore plus negativement. C'est un ethos plutot meprisant,
dedaigneux qui se manifeste dans la colere presumee de l'auteur,
communique au lecteur a force d'invectives. Cependant la satire se
distingue de l'invective pure par le fait de son intention de
corriger les vices qui sont presumes avoir suscite cet emportement.
Cette notion de derision ridiculisante a des fins reformatrices est
indispensable a la definition du genre satirique" (Hutcheon 146).
Pour revenir a notre auteur, le mepris, le dedain, la colere sont
simplement absents de son discours, quoique Proust lui-meme, sans etre
un malade docile, ne respecte pas toutes les prescriptions medicales
proposees. Quant a la satire, la critique acerbe, elles n'ont
pratiquement pas fait leur entree dans la Recherche, notamment a propos
du sujet portant sur les medecins ou la medecine. Les prescriptions du
Professeur Cottard destinees a l'asthme du narrateur de la
Recherche, par exemple, ont ete notees textuellement mais c'est
pour amuser la famille de la malade:
Purgatifs violents et drastiques, lait pendant plusieurs jours,
rien que du lait. Pas de viande, pas d'alcool ... Je n'ai pas
l'habitude de repeter deux fois mes ordonnances. Donnez-moi une
plume. Et surtout au lait. Plus tard, quand nous aurons jugule
les crises et l'agrypnie, je veux bien que vous preniez quelques
potages, puis des purees, mais toujours au lait, au lait. Cela
vous plaira, puisque l'Espagne est a la mode, olle, olle! ...
Ensuite vous reviendrez progressivement a la vie commune. Mais
chaque fois que la toux et les etouffements recommenceront,
purgatifs, lavages intestinaux, lit, lait ... (23)
Une autre anecdote vecue par l'ecrivain a son enfance nous
amene a lire un passage de la Recherche sous un eclairage nouveau. Il
est certain que Proust garde a l'egard des medecins des soupcons.
De Botton signale que selon la theorie proustienne du savoir, les
medecins sont dans une position delicate, car ils pretendent comprendre
le fonctionnement du corps, bien que ce savoir ne leur soit pas venu en
premier lieu d'une souffrance dans leur propre chair. Ils ont tout
simplement suivi pendant des annees les cours d'une faculte de
medecine. C'est l'arrogance de cette position qui irrite
Proust l'eternel malade, arrogance d'autant moins fondee que
les bases de la science medicale de son temps etaient bien chancelantes.
Enfant, on l'avait envoye consulter un certain Dr. Martin, qui
pretendait avoir decouvert un remede permanent contre l'asthme. Il
fallait pour cela oter par cauterisation les tissus erectiles du nez, en
une seance de deux heures. Apres lui avoir inflige cette douloureuse
operation, le Dr. Martin, sur de lui, affirma au petit Proust qu'il
pouvait desormais aller a la campagne sans risquer le rhume des foins.
Mais bien sur, a la seule vue d'un lilas en fleur, Proust fut pris
d'une crise si violente et si longue que ses mains et ses pieds en
devinrent pourpres et qu'on craignit pour sa vie (de Botton 92).
Dans la Recherche, la presence d'un specialiste X a ete sans
doute creee dans l'ombre du docteur Martin. La narration a
d'abord ete menee au point ou la grand-mere entre dans la periode
de crise d'uremie la plus aigue. Alors apparait comme un saint ce
specialiste X qui se disait capable de guerir la grand-mere et de la
mettre "hors d'affaire en trois jours". (24) La
grand-mere, personnage tres representatif du recit qui illustre
intimement et affectueusement toute la personalite et la pensee
implicites du narrateur, reagit comme le narrateur l'aurait entendu
faire: elle refuse net de se laisser examiner. Ce soi-disant specialiste
s'est presente chez la grand-mere gravement malade, sur le conseil
des gens du monde, que le pere de Marcel, lui-meme medecin celebre,
avait suivi. Les moutons aveugles etaient ces gens du monde qui
"disent cela de leur medecin, et on les croit comme Francoise
croyait les reclames des journaux." Des qu'il apparait avec
son equipement de specialiste, l'aspect ludique mene sur le comique
de la situation est aussitot declenche. Sans la moindre ambiguite, le
narrateur sait que celui-ci, qui pretend guerir quelqu'un de tres
malade, ne va guerir personne:
Le specialiste vint avec sa trousse chargee de tous les rhumes de
ses clients, comme l'outre d'Eole (25). Ma grand-mere refusa net de
se laisser examiner. Et nous, genes pour le praticien qui s'etait
derange inutilement, nous deferames au desir qu'il exprima de
visiter nos nez respectifs, lesquels pourtant n'avaient rien. Il
pretendait que si, et que migraine ou colique, maladie de coeur ou
diabete, c'est une maladie du nez mal comprise. (26)
L'effet comique le plus drole produit dans une situation
hilarante se poursuit dans le recit quand le lendemain le specialiste X
a la chance de rencontrer le pere du narrateur dans la rue. Et en voyant
qu'il est litteralement secoue par des quintes, le specialiste X
"sourit a l'idee qu'un ignorant put croire le mal du a
son intervention," sur un ton toujours ludique, le narrateur
devient le porte-parole du specialiste X, ignorant et arrogant a
l'extreme: "(...) Bref, tous nos nez etaient malades ; il ne
se trompa qu'en mettant la chose au present. Car des le lendemain
son examen et son pansement provisoire avaient accompli leur effet.
Chacun de nous eut son catarrhe."
Proust devenu litteralement toxicomane au fil des annees a pourtant
laisse dire des choses tres sages au narrateur de la Recherche. Sans
garder rancune aux effets premiers ou secondaires des medicaments
auxquels il se voit oblige de s'accomoder, car il garde sans doute
l'espoir de se soulager, sinon de se guerir, la medecine reste
malgre tout une science: Proust aime a reveler de temps a autres que les
medecins sont ignorants, mais cela est dit avec un esprit de generosite,
ainsi le narrateur a tendance a excuser la betise des praticiens meme si
ceux-ci aggravent la situation des malades. L'excuse la plus
genereuse que le narrateur avance en faveur des praticiens maladroits,
c'est l'evolution des sciences: quand une decouverte
n'aura pas encore ete faite, un docteur, aussi repute soit-il,
n'aura point de recours. Dans le cas du docteur Cottard, sa
science, meme si elle est teintee d'un sens de l'humour assez
fin, n'aurait pas su rassurer l'entourage de la personne
malade. Celui qu'on avait appele aupres de la grand-mere du
narrateur les avait agaces en les interrogeant avec un sourire fin:
"Malade? Ce n'est pas au moins une maladie diplomatique
?" Cottard essaya, pour calmer l'agitation de la malade, le
regime lacte. Mais les perpetuelles soupes au lait ne firent pas
d'effet parce que la grand-mere y mettait beaucoup de sel, dont on
ignorait l'inconvenient en ce temps-la. "Widal n'ayant
pas encore fait ses decouvertes", (27) a pris soin de noter entre
parentheses le narrateur qui, vis-a-vis de la prescription du docteur
Cottard, a opte pour la comprehension.
Proust et son respect de l'alterite et de l'alternance
Proust est un tendre qui s'attendrit sur la veritable amitie
ressentie. Mais, par les rapports qu'il etablit dans son monde, il
est triste de constater bien souvent le contraire: "Je suis
d'une tristesse infinie de voir combien peu de gens sont gentils au
fond," dit-il un jour. Chez la plupart des gens, il y a quelque
felure dans leur maniere d'entretenir leurs amities. Lucien Daudet,
un de ses amis intimes avait remarque que chez Proust, une extreme
delicatesse dirigeait ses conduites envers les amis car il etait doue
"[??]d'[??] une divination peu enviable, il decouvrait toutes
les petitesses, souvent bien cachees, d'un coeur humain, et il en
avait horreur, les mensonges meme insignifiants, les restrictions
mentales, les cachotteries, les faux desinteressements, la parole
aimable qui a un but utile, la verite un peu deformee par commodite,
enfin tout ce qui inquiete l'amour, attriste l'amitie et rend
banales les relations etait pour Proust un sujet constant
d'etonnement, de tristesse ou d'ironie" (de Botton 151).
Proust etait a la fois extraordinairement franc et
extraordinairement affectueux, au point qu'il menat cette double
attente jusqu'a son point de rupture et concoctat cette approche
originale de l'amitie, qui consistait a juger que
l'incompatibilite entre quete d'affection et quete de verite
n'etait pas accidentelle mais fondamentale. On peut s'imaginer
que cela faisait de Proust un ami bien mediocre, mais paradoxalement
cette separation radicale avait en fait le pouvoir d'en faire un
meilleur ami, plus loyal et plus agreable, ainsi qu'un penseur plus
sincere, plus profond et moins sentimental (de Botton 162). Comme le
propose d'ailleurs Zima dans son analyse sur l'enjeu ethique,
le fait de maintenir "le respect continu de l'alterite: la
reconnaissance de ma propre contingence culturelle, ideologique et
theorique rend possible mon respect de l'alterite et de
l'alternative" (Zima 20). Appliquee au sujet de l'amitie,
l'ethique theorique des sentiments veridiques et sinceres est donc
le resultat d'un equilibre toujours precaire et toujours menace
entre l'engagement idealiste et la reflexion autocritique de la
personne concernee. La personne neglige son devoir ethique
lorsqu'elle supprime la reflexion et cede a la tentation
monologique d'identifier son discours au reel. Car les mecanismes
d'identification tendent a bloquer le dialogue et a supprimer des
constructions alternatives en matiere d'echange d'amities. Le
respect de l'alterite et de l'alternative existe justement
chez Proust alors qu'il s'agit la d'une des tres rares
qualites humaines. Sur ce point precis, il a confie au narrateur de la
Recherche une qualite d'ame tout a fait semblable a la sienne. Nous
pouvons le concevoir par l'evenement diegetique qui suit.
Dans la Recherche, les promenades en caleche a Balbec que Mme de
Villeparisis avait proposees au narrateur et a sa grand-mere
s'etaient deroulees dans le plus grand bonheur. Leur amitie etait
veridique, et ils s'en rejouirent pleinement, jusqu'au dernier
jour des adieux: le narrateur, ainsi que sa grand-mere, etaient deux
etres profondement attaches a cette sympathie qui se manifestait dans la
plus grande simplicite. Lors de leur premier sejour a Balbec, Mme de
Villeparisis avait octroye des promenades en voiture, et a la fin de ces
journees de delices, celle-ci accepta leurs remerciements avec "un
sourire calin, en filant les sons, sur un ton melodieux qui contrastait
avec sa simplicite coutumiere." Ainsi, "dans ces moments-la,
Mme de Villeparisis n'etait plus naturelle," remarqua aussitot
le narrateur: "elle se souvenait de son education, des facons
aristocratiques avec lesquelles une grande dame doit montrer a des
bourgeois qu'elle est heureuse de se trouver avec eux, qu'elle
est sans morgue" (28). Tout ce discours du style descriptif
illustrant la pensee interieure de la "trop gentille" marquise
fut suivi par l'interpretation du narrateur qui ranima son point de
vue moraliste sur la prevenance de l'aristocrate jusqu'ici si
bien recue par la grand-mere et lui-meme. En effet, au moment de la
separation, puisque la marquise etait dans l'exces de ses
politesses, "on y reconnaissait ce pli professionnel d'une
dame du faubourg Saint-Germain, laquelle, voyant toujours dans certains
bourgeois les mecontents qu'elle est destinee a faire certains
jours, profite avidement de toutes les occasions ou il lui est possible,
dans le livre de comptes de son amabilite avec eux, de prendre
l'avance d'un solde crediteur, qui lui permettra prochainement
d'inscrire a son debit le diner ou le raout ou elle ne les invitera
pas" (29).
Au retour des promenades en voiture offertes par Mme de
Villeparisis, le calcul des aristocrates, et en occurrence, la mise a
distance eventuelle des bourgeois par la dame de la noblesse etait
signalee vers la fin d'une des plus belles experiences de sa vie:
l'amitie liee spontanement entre eux en Normandie se vit sonner le
glas comme une note nostalgique au beau sejour de Balbec ! Mais ces
promenades en caleche avaient bien laisse leur trace dans le recit
redige dans la meilleure esthetique du paysage et de l'ame
creatrice du narrateur. Tout le recit du sejour a Balbec aurait semble
vain si seulement Mme de Villeparisis n'avait pas offert ses
aimables services pour amener le narrateur au lieu ou il avait apercu trois arbres signifiant miraculeusement le lieu d'entree d'un
monde romanesque extasiastique.
Proust et ses souffrances
De Botton signale que pour Proust, l'activite mentale semble
partagee en deux categories: il y a ce qu'on pourrait appeler les
pensees indolores, qui ne viennent pas d'un malaise particulier, ne
sont inspirees par rien de plus qu'une envie desinteressee de
decouvrir comment fonctionnent le sommeil et l'insomnie, ou
pourquoi les etres humains oublient, et puis les pensees douloureuses,
qui naissent de ne pouvoir dormir ou se rappeler un nom. Et ce
n'est pas un hasard si Proust privilegie cette derniere categorie
et en a fait une exploration litteraire et quasi theorique sur la
memoire involontaire batie sur les intermittences du coeur. Les pensees
douloureuses que les gens evitent tout naturellement et qu'ils se
precipitent a classer dans la region de l'oubli sont justement le
domaine ou le narrateur proustien aimerait se promener souvent. Proust
dit ces propos qui ont ete precieusement recueillis par de Botton:
"Si nous lisons le chef-d'oeuvre nouveau d'un homme de
genie, nous y retrouvons avec plaisir toutes celles de nos reflexions
que nous avions meprisees, des gaietes, des tristesses que nous avions
contenues, tout un monde de sentiments dedaignes par nous et dont le
livre ou nous les rencontrons nous apprend subitement la valeur"
(de Botton 39). De la meme maniere, la decouverte que le narrateur
proustien fait dans le domaine des choses meprisees, dedaignees ou
oubliees semble etrangement nourrissante.
Pour illustrer comment l'intelligence du createur consisterait
a decouvrir dans les choses banales un ton narratif susceptible de faire
apparaitre l'unique individualite mise en narration sous
l'eclairage d'un monde nouveau, c'est-a-dire, de faire
paraitre pleinement l'ethique du narrateur, Proust a donne
l'exemple suivant par le biais du narrateur de la Recherche. Cette
decouverte a ete revelee au narrateur ambitieux de realiser de grandes
oeuvres cependant qu'il a ete longuement torture par l'idee
qu'il n'etait qu'un rate. Heureusement, Bergotte,
prototype d'Anatole France, lui a apporte la revelation a travers
un petit incident:
Un jour, ayant rencontre dans un livre de Bergotte, a propos d'une
vieille servante, une plaisanterie que le magnifique et solennel
langage de l'ecrivain rendait encore plus ironique mais qui etait
la meme que j'avais souvent faite a ma grand-mere en parlant de
Francoise, une autre fois ou je vis qu'il ne jugeait pas indigne de
figurer dans un de ces miroirs de la verite qu'etaient ses ouvrages
une remarque analogue a celle que j'avais eu l'occasion de faire
sur notre ami M. Legrandin (remarques sur Francoise et M.
Legrandin qui etaient certes de celles que j'eusse le plus
deliberement sacrifiees a Bergotte, persuade qu'il les trouverait
sans interet), il me sembla soudain que mon humble vie et les
royaumes du vrai n'etaient pas aussi separes que j'avais crus,
qu'ils coincidaient meme sur certains points, et de confiance et
de joie je pleurai sur les pages de l'ecrivain comme dans les bras
d'un pere retrouve (30).
Nous pensons avoir trouve la un des meilleurs exemples pour
expliquer pourquoi le contenu de la Recherche prete assez facilement a
l'interpretation ethique, car tous les personnages ont ete choisis
deliberement a partir d'un aspect social ayant lien avec les moeurs
et la moralite des gens, quelle que soit la categorie socio-culturelle
impliquee.
Mabin, par une etude des lettres echangees entre Marcel Proust et
ses confidents, a obtenu l'image de la vie quotidienne de Marcel
Proust, image qui se presente sous un aspect tres assombri. Ainsi,
Marcel Proust est un grand consommateur de cafe. Il prend aussi
inconsiderement du cafe que des somniferes. L'association insomnie,
somniferes et cafeine est nefaste. Il prend de la cafeine sous forme de
cafe, mais aussi sous forme de cachet renfermant 10 cg de cafeine,
precise Mabin neurologue et psychiatre. Le cafe lui sert de
cardiotonique et est son stimulant nerveux principal. Le cafe est devenu
au fil des annees, surtout dans les dernieres, son principal et parfois
unique aliment. Il peut en prendre jusqu'a 6 tasses en 1 heure,
vers neuf heures ou dix heures du soir, souvent sans avoir mange. Ces
exces creent un "ahurissement." Les allusions a ses abus sont
de plus en plus frequentes dans les dernieres annees de sa vie, car ils
sont la cause des troubles graves qui l'inquietent, alors
qu'il consacre cette periode de temps quasiment a la seule activite
d'ecriture de la Recherche, quand il dit a ses correspondants:
"... je suis, je le crois, tres malade (d'une facon autre que
ma maladie habituelle), je dois du reste me tromper sur mon mal, car
j'ai voulu me faire trepaner, croyant que la cause de certains
phenomenes nouveaux chez moi etait dans le cerveau, et le docteur que
j'ai consulte s'y est absolument refuse disant que je me
trompais entierement". (31)
Ses malaises physiques etant tres reels, Proust n'a pourtant
pas rendu la vie profonde de son narrateur ombrageuse. Bien au
contraire, le temps de l'orage, meilleure metaphore a illustrer les
souffrances physiques ou psychiques, comme d'autres ecrivains
l'auraient fait, a ete transforme en temps de liesse.
Que penser du mauvais temps, au moment de l'orage ? Rien
d'autre que le passage furtif d'un petite inconvenance
desagreable qui ne durerait pas: "Quelquefois le temps etait tout a
fait gate, il fallait rentrer et rester enferme dans la maison ... Mais
qu'importait la pluie, qu'importait l'orage ! L'ete,
le mauvais temps n'est qu'une humeur passagere, superficielle,
du beau temps sous-jacent et fixe, bien different du beau temps instable
et fluide de l'hiver et qui, au contraire installe sur la terre ou
il s'est solidifie en denses feuillages sur lesquels la pluie peut
s'egoutter sans compromettre la resistance de leur permanente joie,
a hisse pour toute la saison, jusque dans les rues du village, aux murs
des maisons et des jardins, ses pavillons de soie violette ou
blanche" (32). Les pluies, les orages, les peripeties de la vie aux
yeux du narrateur sont des moments passagers, remplis paradoxalement
d'esperance prompte a venir, a l'instar des feuillages du
marronnier, quoique ayant l'air abattu a cause de l'orage
menacant, restent en pleine poussee de verdure, sachant d'ailleurs
par leur allure de "gentlemen" se tenir debout dans les
jardins prives ou public et dans les rues du village, voire sur les
bords des grands boulevards, transformant entierement le petit village
ou la grande ville en etat de fete florissante.
Si nous savions dans quelles conditions physiques et dans quel etat
psychique Proust a laisse ces mots equivalents a un morceau de bravoure
execute par un virtuose, nous serions tres emus par le contenu du
message transmis a travers l'image des marronniers frappes par
l'averse !
Proust et son humour
L'humour est une attitude de la conscience en face du monde.
Il est une maniere d'apprehender les situations qui a pour effet
immediat un accroissement de sens par negation de certains sens.
L'humour suppose d'abord une visee ambigue de la situation ou
la conscience est engagee. Dans l'humour, il y a a la fois
participation et rupture. Il n'y a pas d'humour s'il
manque un engagement precritique a la situation, car le propre de
l'humour est precisement une sorte d'emergence de la
conscience critique a partir d'une participation innocente ou
prereflexive (About 351-352). L'attitude consciemment c et
inconsciemment critique donne place a la naissance de l'humour,
souvent recu comme une surprise agreablement inattendue.
Si l'essence de l'humour est d'etre la contestation
d'une essence convenue, cette contestation est serieuse.
L'humour s'acheve toujours dans le serieux. L'operation
humour faite, tout le monde redevient grave. Le serieux retrouve est le
moment de la pensee, l'acces a un nouvel horizon de pensee (About
354). Ainsi l'humour est-il un acte social qui implique
l'ethique en tant qu'individu pour celui qui plaisante, en
tant qu'entite sociale pour celui ou ceux qui se trouvent amuses ou
rendus reflexifs.
Ainsi, l'humour n'interesse pas la conscience solitaire,
mais la conscience solidaire. Le concept d'une solitude absolue
annule la possibilite meme de l'humour et l'humour est un
"s'adresser a" qui implique au moins un temoin possible.
Il n'est pas au niveau du sens pur mais au niveau de
l'indication, qui vehicule le sens au moyen de signes. De toute
facon, l'humour est un type de relation a autrui, qui l'invite
a la reconnaissance de sens nouveaux. Lorsqu'il prend l'alter
ego pour fin, il l'invite a prendre conscience de sa subjectivite a
des niveaux neufs et lorsqu'il s'adresse a des regions
mondaines, il invite autrui a une revelation nouvelle de l'etre du
monde social ou du monde culturel (About 355). Nous pensons que
l'explication d'About donnee ici fait exactement echo aux
parametres ethiques tels qu'ils ont ete explicites par les
precedents rhetoriciens et linguistes.
L'humour quoique entrepris en principe par quelque acte
langagier, se trouve egalement moral. Max Jacob precise en disant ceci
sur l'ironie, ou la satire: "Elle vous desseche et desseche la
victime; l'humour est bien different; c'est une etincelle qui
voile les emotions, repond sans repondre, ne blesse pas et amuse"
(Pradier 63). Pour atteindre cet effet de communication basee sur un
fondement ethique et avant tout spirituellement ludique, le praticien de
l'humour doit se doter necessairement d'une moralite de toute
premiere qualite afin de ne pas froisser la conscience individuelle ou
sociale. Proust est humoristique, dans ce sens qu'il aime prendre
la societe qui l'entoure comme l'objet vise, mais il s'en
sert avec gentillesse, il taquine sur des points qu'il sait
insensibles a l'amour propre individuel ou collectif. Dans le long
recit parseme d'humour, c'est-a-dire, les parties precedant
l'episode tragique d'Albertine disparue, le sadisme, la
satire, la critique vehemente n'ont jamais paru rationnels aux yeux
du narrateur proustien. Bien au contraire, quand il se retrouve devant
des gens qui se plaisent a formuler d'acerbes critiques ou
s'amusent a provoquer des scenes cruellement humiliantes pour des
victimes visees, ce qu'il ressent, ce n'est que la honte
envers les affligeants, la compassion envers les affliges, et la colere
envers lui-meme, comme il se sent souvent trop lache pour oser
s'elever contre ce genre de maux ignominieux.
L'humour de Proust est pleinement revele par son narrateur
ludique de la Recherche. A la lecture des passages ou le narrateur
ludique excelle, ce sont des moments des plus bienfaisants pour le
lecteur, car celui-ci se trouve amuse et renseigne sur certaines lois
recurrentes, appelees par Proust des "lois de generalites,"
donc liees a l'ethique sociale. Ce genre de lecture est
encourageante a faire, car Proust lui-meme avoue que son roman, quoique
visant l'aristocratie et la haute bourgeoisie du debut du siecle,
n'est pourtant pas une oeuvre a classer dans la categorie du roman
social et satirique, mais il a permis a son narrateur de degager
l'essence des phenomenes sociaux sous l'aspect
particulierement ludique.
Ainsi une echelle de valeur ethique pourrait tres bien se faire en
regroupant des exemples significatifs pour l'illustration. Et il en
resulte que tout en haut de l'echelle, a l'endroit justement
le plus inadmissible pour le narrateur a l'esprit chaudement
genereux, se trouvent des cas de cruaute, de grotesque, de vulgarite qui
choquent le bon sens. Tandis qu'en descendant vers le bas de
l'echelle, nous pouvons nous trouver graduellement dans le domaine
finement amusant. C'est la ou le mimetisme et la jovialite
interviennent pour reveler les traits d'esprit du narrateur, comme
les aurait entendus l'ecrivain qui excelle en plaisanteries sur des
sujets aussi bien droles que graves, - ceux qui touchent a la vanite, la
pretention, la maladie, l'agonie ou meme la mort.
La noblesse relevee chez les residents notables et snobs du
Faubourg Saint-Germain a prete au narrateur un milieu d'etude
exceptionnel. Ce groupe social particulier, dont le mobile a ete
finement analyse et hierarchise, a fait de l'oeuvre proustienne une
brillante etude sociale parsemee d'humour. L'aristocratie
parisienne allant de la fin du XIXeme siecle a la Belle Epoque a ete
observee et repertoriee selon deux axes-pivots: celui recouvrant les
categories du comique essentiellement mimetique, et puis celui
recouvrant les categories qui rompant avec le pacte de la vraisemblance
et negligeant l'effort du reel, fait ressortir d'autres
personnes a denigrer a cause de leur vulgarite et de leur ridicule.
Parmi les cas les plus representatifs de l'aristocratie, le
duc de Guermantes a demontre par sa gestuelle aristocratique un exemple
ludique qui a atteint, a notre sens, un paroxysme du genre. Selon la
pensee de l'auteur, les personnages, comme les gens en societe sans
doute, sont susceptibles d'etre classes en deux categories:
d'un cote, ceux qui sont porteurs des signes au sens plein,
d'autres au sens vide. En principe, les signes au sens plein
servent a valoriser, tandis que ceux au sens vide a prohiber. Il se
trouve que chez les aristocrates, les signes d'accueil,
d'adieux ou de salutations dans les occasions diverses sont
richement elabores, a tel point que chaque famille dispose d'un
registre tres interessant a remarquer, comme des danseurs sur des scenes
de ballet russe, ainsi nous decrit le narrateur teinte d'humour.
Or, il s'est passe que pour denigrer ce cote vain des signes
de salutations culturellement sophistiquees chez les aristocrates, le
narrateur proustien a eu l'honneur dans la diegese de tomber nez a
nez avec le duc de Guermantes venu presenter a l'avance ses voeux
de condoleances quand celui-ci apprend que la grand-mere du narrateur se
trouve en phase d'agonie. Alors commence une serie de gestuelles
comiquement incongrues par lesquelles le duc essaie de forcer la porte
pour se faire presenter, comme un visiteur notable pourrait s'y
attendre, a la malheureuse mere en larmes, toute occupee a sauver
l'agonisante. Mais le narrateur joue de son cote son jeu
d'interdiction a l'eventuelle presentation et salutation du
duc, afin de bien preserver sa mere des signes sociaux vides de sens, il
se passe alors une scene de "duel," voire de
"violence" entre un homme fort qui desire et une soi-disant
"jeune fille" qui refuse ardemment ce desir irrationnel. Quand
le plus fort a reussi, le narrateur tout embarasse dit pour sa mere:
"Je ne pus faire autrement que de le nommer, ce qui declencha
aussitot de sa part des courbettes, des entrechats, et il allait
commencer toute la ceremonie complete du salut. Il pensait meme entrer
en conversation, [...] ". (33)
En guise de conclusion
En 1901, a l'age de trente ans, le jugement que Proust fait de
lui-meme, c'est "... sans plaisirs, sans but, sans activite,
sans ambition, avec ma vie finie devant moi, et le sentiment de la peine
que je cause a mes parents, j'ai tres peu de joie."
Lorsqu'il donne des nouvelles de sa sante, Proust s'empresse
de declarer qu'il est au bord de la tombe, il repete cette
information avec une conviction inebranlable pendant les seize derniere
annees de sa vie (de Botton 83). Douze ans apres, en 1913, le premier
volume de la Recherche -- Du cote de chez Swann -- est publie . En 1918,
le deuxieme volume -- A l'ombre des jeunes filles en fleurs parait.
Et a partir de 1920 jusqu'a l'annee de sa mort en 1922, le
travail laborieux de l'ecrivain se poursuit, jusqu'a la
publication de son dernier volume -- Le Temps retrouve -- en 1922.
Pendant environ neuf ans, depuis l'age de 42 ans, l'ecrivain
travaille pour ainsi dire sans arret. (34)
Comme Kristeva le precise, il faudra sans doute la puissance individualiste du christianisme, sa plastique passionnelle au croisement
du subjectif et de l'universel, telle que la manifeste le
"sujet absolu" qu'est le Christ -- pour que le
"caractere" (prenant la releve de l'ethos) perde la
valeur d'une option morale et qu'il s'incarne dans un
corps greffe par l'ame. Marque, empreinte, signe ou monnaie, le
terme "caractere," en grec, suggere l'incision qui
tranche et forme. Il passera par le latin et les recits bibliques,
evangeliques, puis medievaux, avant de se confondre avec la
"figure": avant que la morale ne se module en representation
(Kristeva 3).
Qu'en est-il alors de Proust au sujet de l'ethos - le
caractere - incisant, tranchant et formant sa vie a la maniere
d'une piece d'argent sur laquelle est marquee un signe, un
symbole de valeur ? Lui, dont la vie a d'abord ete tant marquee par
des souffrances a tel point qu'il se considere encore comme un rate
a l'age de 38 ans ?
Un episode vecu dans la vie reelle de l'ecrivain et transforme
en recit descriptif par l'auteur de la Recherche va nous donner une
des meilleure reponse a la question. Cette experience a eu lieu en
1913, l'annee ou Proust a 42 ans, lorqu'il traverse le Bois
pour aller a Trianon, pendant un "des premiers matins de ce mois de
novembre ou, a Paris, dans les maisons, la proximite et la privation du
spectacle de l'automne qui s'acheve si vite sans qu'on y
assiste, donne une nostalgie, une veritable fievre des feuilles mortes
qui peut aller jusqu'a empecher de dormir". (35)
La fin de l'ete et le debut de l'automne est une periode
pleine de charme pour un ecrivain-paysagiste, parce que pour celui qui
possede un regard d'artiste, c'est l'heure et la saison
ou la multiplicite des scenes de la grande nature donne lieu a de riches
interpretations.
En automne, c'est la grande saison des feuilles mortes. Mais
sans lui inspirer la tristesse, le bois lui propose avec les feuilles
jaunies une perspective: il porte son regard a des endroits toujours
plus loin que lui offre sa vue. Il contemple le grand jardin public a la
maniere d'un architecte sachant rendre compte des zones
constituantes de l'espace et a la maniere d'un artiste qui
apprecie une grande variete des couleurs: de tres riches jeux de lumiere
s'etendent devant lui, presque a perte de vue - une variete de
couleurs composees de jaune, rouge et vert, en meme temps qu'il
voit le soleil jouant avec l'ombre dans le Bois:
Plus loin, la ou toutes leurs feuilles vertes couvraient les
arbres, un seul, petit, trapu, etete et tetu, secouait au vent une
vilaine chevelure rouge. Ailleurs encore c'etait le premier eveil
de ce mois de mai des feuilles, et celles d'un ampelopsis
merveilleux et souriant comme l'epine rose de l'hiver, depuis le
matin meme etaient tout en fleur (36).
Tout a coup, la grande nature semble s'offrir a la benediction du soleil qui lui donne du feu passionnel, a la maniere d'une vie a
ressusciter de ses ombres de la nuit, et cela en un seul instant du
matin. Le reveil est benefique, voire glorieux pour toutes les plantes,
et toutes ont l'air de s'appreter a un hymne de gloire
qu'on entendrait a l'occasion d'une grande fete. Puisque
l'heure des splendeurs de la vie est presente, tout s'y
prepare a coeur joie: formes, couleurs, ame du narrateur artiste sont en
parfaite liesse. A ce propos, une epaisseur esthetique s'est
materialisee a la maniere d'une brique, consistante et pesante a la
fois, pour souligner la splendeur du Bois visite par le soleil du matin:
Ici, elle epaississait comme des briques, et, comme une jaune
maconnerie persane a dessins bleus, cimentait grossierement contre
le ciel les feuilles des marronniers, la au contraire les detachait
de lui vers qui elles crispaient leurs doigts d'or (37).
Une telle description est eblouissante, parce qu'elle se
presente au regard du narrateur comme un tableau dont le contenu
consiste a celebrer la vitalite naturelle du monde cree par un doigt
celeste qui d'une simple touche, a mis le Bois entier en
disposition pour une fete somptueuse. Le Bois magnifiquement peint par
le narrateur demanderait que quelques beautes s'y promenent.
Se dirigeant vers l'allee des Acacias, le narrateur
s'apercoit que ce jour-la, ce n'est ni l'heure ni le
moment de voir reparaitre de belles femmes. Pourtant, il trouve de quoi
egayer ses yeux de fin esthete, les rayons de soleil du matin continuent
a lui faire decouvrir d'autres aspects divertissants sur des
futaies.
Je traversais des futaies ou la lumiere du matin qui leur imposait
des divisions nouvelles, emondait les arbres, mariait ensemble les
tiges diverses et composait des bouquets. Elle attirait adroitement
a elle deux arbres ; s'aidant du ciseau puissant du rayon et de
l'ombre, elle retranchait a chacun une moitie de son tronc et de
ses branches, et, tressant ensemble les deux moities qui restaient,
en faisait soit un seul pilier d'ombre, que delimitait
l'ensoleillement d'alentour, soit un seul fantome de clarte dont un
reseau d'ombre noire cernait le factice et tremblant contour (38).
Vie en constante ranimation, representee par la presence et
l'absence du rayon de soleil ; en contrepartie, vie en declin,
voire en disparition des beautes feminines, contraste soigneusement mis
en relief a ce propos pour faire venir, a notre avis, le grand theme de
l'Eternite et de l'Ephemere.
En fait, il nous semble que ce grand passage consacre a la
description automnale du Bois de Boulogne equivaudrait au passage
d'exaltation eprouvee par Bergotte devant "le petit pan de mur
jaune" de La Vue de Delft de Vermeer. Les deux experiences, celles
de Bergotte et du narrateur Marcel, ont permis aux deux percepteurs des
paysages matinaux de se referer a la vie eternelle, imperissable, et
pourtant saisissable par des peintres, tels que Vermeer et Michel-Ange
l'ont tres bien demontre. Elle est reproduisible egalement par les
ecrivains, tels que Bergotte, prototype d'Anatole France, et le
narrateur Marcel, qui n'est que Proust lui-meme. Toutefois, selon
la diegese de la Recherche, l'experience de Bergotte est suivie par
la Mort. Tandis que celle de Marcel predit la Vie, car le narrateur
proustien, sans tomber mort devant l'oeuvre du grand maitre --
Michel-Ange -, a peint lui aussi par des mots extremement poetiques, le
magnifique tableau de sa Creation, presque a la maniere d'un
esthete qui fixe ses yeux sur la peinture faite au plafond de la
chapelle Sixtine au Vatican:
Quand un rayon de soleil dorait les plus hautes branches, elles
semblaient, trempees d'une humidite etincelante, emerger seules de
l'atmosphere liquide et couleur d'emeraude ou la futaie tout
entiere etait plongee comme sous la mer. Car les arbres
continuaient a vivre de leur vie propre et quand ils n'avaient
plus de feuilles, elle brillait mieux sur le fourreau de velours
vert qui enveloppait leurs troncs ou dans l'email blanc des spheres
de gui qui etaient semees au faite des peupliers, rondes comme le
soleil et la lune dans la Creation (39) de Michel-Ange (40).
Proust a touche a la dimension d'ethique concevable dans la
religion naturelle ou la creature entend rendre hommage a l'Etre
Supreme, sa vision de la Vie eternelle et ephemere est si clairement
concue dans son ame qu'il se dit un jour que "La vraie vie, la
vie enfin decouverte et eclaircie, la seule vie par consequent
pleinement vecue, c'est la litterature. Cette vie qui, en un sens,
habite a chaque instant chez tous les hommes aussi bien que chez
l'artiste. Mais ils ne la voient pas, parce qu'ils ne
cherchent pas a l'eclaircir" (41). Au retour de la promenade
au Bois de Boulogne, en novembre 1913, et jusqu'au 18 novembre
1922, Proust sera litteralement plonge dans l'ecriture fievreuse de
la Recherche. Il n'aura jamais arrete de perfectionner son oeuvre
de telle sorte que sa Recherche est un glorieux temoignage de sa passion
-- dans le sens de l'amour et de la souffrance vecus -- pour la
realisation d'une vie d'ecrivain-artiste finalement bien
remplie !
Note
(1) Voir l'article "religion" in Encyclopedie
d'Alembert : Si l'ethique est la religion naturelle, la
religion revelee est celle qui nous instruit de nos devoirs envers Dieu,
envers les autres hommes, et envers nous-memes, par quelques moyens
surnaturels, comme par une declaration expresse de Dieu meme, qui
s'explique par la bouche de ses envoyes et de ses prophetes, pour
decouvrir aux hommes des choses qu'ils n'auraient jamais
connues, ni pu connaitre par les lumieres naturelles. C'est cette
derniere qu'on nomme par distinction religion. La religion
naturelle et la religion revelee supposent un Dieu, une providence, une
vie future, des recompenses et des punitions ; mais la derniere suppose
de plus une mission immediate de Dieu lui-meme, attestee par des
miracles ou des propheties. Proust, ne d'une mere juive et
d'un pere catholique, ne penche cependant pas beaucoup vers la
religion revelee, son ecriture du sacre opte principalement pour la
religion naturelle. Notre remarque.
(2) Voir p. 712, Foucault, Michel. Le Souci de soi, Paris :
Gallimard, 1984.
(3) A ce propos, nous renvoyons a deux publications de valeur : -
Botton, Alain de. Comment Proust peut changer votre vie. Paris: Denoel.
Traduit de l'anglais par Maryse Leynaude; titre original: How
Proust can change your life. Picador: London, GB. 1997. - Brunel,
Patrick. Le Rire de Proust. Paris : Honore Champion/Litterature de notre
siecle, 1997.
(4) D. Maingueneau, Elements de linguistique pour le texte
litteraire, Paris : Dunod, 1993, 3eme edition, pp. 80-83.
(5) Cor., V, 200-201, no 101, a Robert de Montesquiou., cite par
Mabin, in Le Sommeil de Proust, Pairs : puf/ecrivains, 1992. Toute les
notes sur la Correspondance de Proust avec ses proches se referent a
celles utilisees dans l'ouvrage de Mabin. Notre remarque.
(6) Cor., X, 71-72, no 30, a Robert de Montesquiou; Cor., X, 72-75,
no 31, a Georges de Lauris.
(7) Cor., VIII, 236-240, no 128, a Georges de Lauris. Ibid.
(8) Cor., VIII, 240-242, no 129, a Robert de Flers. Cor., VIII,
325-27, no174, a Georges de Lauris.
(9) Cor., XIX, 530-532, no 280, a Mme Straus.
(10) Cor., XIX, 534-536, no 284, a Mme de Maugny.
(11) Ethos : sejour habituel, gite des animaux (Homere) ; depuis
Hesiode, signifie maniere d'etre habituelle, coutume, caractere.
Note de Kristeva.
(12) Cor., XVII, 148-150, no 58, a la princesse Soutzo.
(13) Cor., X, 51-52, no 19, a Robert de Montesquiou.
(14) Cor. II, 129-131, no 69, a sa mere; Cor., II, 137-140, no 74,
a sa mere.
(15) Cor., XVIII, 544-549, no 319, a Rosny aine.
(16) M. Proust, A la recherche du temps perdu, tome III : La
Prisonniere, Pairs : Gallimard/Pleiade, p. 631. Les oeuvres de M. Proust
sont transcrites avec l'abreviation suivante : Sw : Du cote de chez
Swann, J.F. : A l'ombre des jeunes filles en fleurs, C.G. : Le Cote
de Guermantes ; Pr. : La Prisonniere, T.R. : Le Temps retrouve.
(17) Pr., p. 631.
(18) Cor., IX, 203-204, no 106, a Antoine Bibesco.
(19) Cor., XIX, 300-301, no 141, a la princesse Soutzo.
(20) Cor., XVIII, 442-444, no 255, a Jacques Riviere.
(20) Cor., XVII, 282-284, no 114, a Clement de Maugny.
(21) Sw., I, II, I, p. 82.
(22) Ibid.
(23) J.F., I, p. 489.
(24) C.G. II, I, II, p. 620.
(25) Eole (en gr. Aiolos), Fils d'Hellen, ancetre eponyme des
Eoliens. Sisyphe etait l'un de ses fils. -- Fils de Poseidon,
maitre des Vents, pere d'Alcyone. Il remet a Ulysse une outre renfermant tous les vents sauf un qui devait pousser son bateau a
Ithaque. Mais les compagnons d'Ulysse, pendant son sommeil, ouvrent
l'outre et les vents s'en echappent. Voir Petit Robert 2.
(26) C.G., II, I, II, p. 620.
(27) C.G., I, II, p. 594.
(28) J.F., II, II, pp. 83-84.
(29) Ibid.
(30) Sw., I, II, I, p. 95.
(31) Cor., XVII, 282-284, no 114, a Clement de Maugny.
(32) Sw., I, II, I, pp. 150-151.
(33) C.G., II, I, II, pp. 633-635.
(34) Les annees de publication pour la suite des volumes de la
Recherche sont les suivantes : Le Cote de Guermantes I en 1920, Le Cote
de Guermantes II en 1921, Sodome et Gomorrhe en 1922, La Prisonniere en
1922, La Fugitive en 1922, et Le Temps retrouve en 1922.
(35) Sw., III, I, p. 414.
(36) Ibid, pp. 414-415.
(37) Ibid .
(38) Ibid ., p. 416.
(39) Allusion a La Creation des astres, deuxieme des fresques
representant des scenes bibliques, que Michel-Ange a peintes au plafond
de la chapelle Sixtine au Vatican. Voir << Notes et variantes
>>, in Sw. , III, I, 1987, p. 1280.
(40) Ibid., p.416.
(41) T.R., IV, p. 474.
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