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  • 标题:Le dreyfusisme proustien.
  • 作者:Hong, Teng-Yueh
  • 期刊名称:Fu Jen Studies: literature & linguistics
  • 印刷版ISSN:1015-0021
  • 出版年度:2004
  • 期号:January
  • 语种:English
  • 出版社:Fu Jen University, College of Foreign Languages & Literatures (Fu Jen Ta Hsueh)
  • 摘要:La Troisieme Republique proclamee par le gouvernement de la Defense nationale le 4 septembre 1870 fut definitivement instituee en 1875 et s'acheva le 10 juillet 1940, quand le marechal Petain crea l'Etat francais; elle eut 14 presidents. Les presidents arrives au pouvoir durant l'affaire Dreyfus furent: Jean Casimir-Perier, du 27 juin 1894 jusqu'en janvier 1895; Felix Faure, du 17 janvier 1895 au 16 fevrier 1899. La presidence de ce dernier fut vivement secouee par l'affaire Dreyfus. De 1896 a 1898, il eut comme premier ministre Jules Meline et comme ministre de la Guerre le general Jean-Baptiste Billot; puis un nouveau gouvernement fut forme par Henri Brisson (1) avec Godefroy Cavaignac comme ministre de la Guerre le 28 juin 1898. Suite a la mort subite de Felix Faure, Emile Loubet arriva au pouvoir le 18 fevrier 1899 et acheva sa presidence le 18 fevrier 1906. Dreyfusard, Loubet fut le premier president, depuis la proclamation de la Troisieme Republique, a terminer son mandat normalement. Peu apres l'accession au pouvoir de Loubet, le cabinet Dupuy, "gouvernement de defense republicaine" de tendance conservatrice, demissionna le 12 juin 1899. Dix jours apres, le 22 juin, un nouveau gouvernement fut forme par Rene Waldeck-Rousseau, celui-ci reunit des extremes: il eut le socialiste Millerand comme ministre du Commerce, et le general de Galliffet comme ministre de la Guerre, qui fut l'organisateur de la sanglante repression contre la Commune.
  • 关键词:French history, 1870-1940 (Third Republic)

Le dreyfusisme proustien.


Hong, Teng-Yueh


La Troisieme Republique

La Troisieme Republique proclamee par le gouvernement de la Defense nationale le 4 septembre 1870 fut definitivement instituee en 1875 et s'acheva le 10 juillet 1940, quand le marechal Petain crea l'Etat francais; elle eut 14 presidents. Les presidents arrives au pouvoir durant l'affaire Dreyfus furent: Jean Casimir-Perier, du 27 juin 1894 jusqu'en janvier 1895; Felix Faure, du 17 janvier 1895 au 16 fevrier 1899. La presidence de ce dernier fut vivement secouee par l'affaire Dreyfus. De 1896 a 1898, il eut comme premier ministre Jules Meline et comme ministre de la Guerre le general Jean-Baptiste Billot; puis un nouveau gouvernement fut forme par Henri Brisson (1) avec Godefroy Cavaignac comme ministre de la Guerre le 28 juin 1898. Suite a la mort subite de Felix Faure, Emile Loubet arriva au pouvoir le 18 fevrier 1899 et acheva sa presidence le 18 fevrier 1906. Dreyfusard, Loubet fut le premier president, depuis la proclamation de la Troisieme Republique, a terminer son mandat normalement. Peu apres l'accession au pouvoir de Loubet, le cabinet Dupuy, "gouvernement de defense republicaine" de tendance conservatrice, demissionna le 12 juin 1899. Dix jours apres, le 22 juin, un nouveau gouvernement fut forme par Rene Waldeck-Rousseau, celui-ci reunit des extremes: il eut le socialiste Millerand comme ministre du Commerce, et le general de Galliffet comme ministre de la Guerre, qui fut l'organisateur de la sanglante repression contre la Commune.

L'affaire Dreyfus eclata dans une periode republicaine ou en France une grande variete des partis politiques se representaient: republicains (moderes, opportunistes ou radicaux), royalistes (legitimistes ou orleanistes), bonapartistes, catholiques (hostiles a la Republique ou rallies), socialistes aux tendances multiples: gambistes, guesdistes, allemanistes, possibilistes, blanquistes, boulangistes et anarchistes (Canavagigia 7). C'etait aussi la periode ou planait chez les Francais un spectre illustrant la haine de l'Allemagne qui les avait amputes de deux provinces: Alsace et Lorraine. La germanophobie fut accompagnee de la crainte de l'armee prussienne. La Republique francaise avait fait alors du patriotisme une religion nouvelle, celle qui devait remplacer le catholicisme honni de l'ancien regime. L'armee, un grand corps independant, cette "Grande Muette" qui ne participa pas aux elections mais qui defendit la France en temps de guerre et a laquelle on faisait appel pour maintenir l'ordre en cas de greve et de conflits sociaux etait devenue l'idole a laquelle il etait interdit de toucher. Seuls, les socialistes et les anarchistes firent bande a part et rejeterent en bloc l'armee "jesuitiere" et le "capitalisme juif."

C'etait dans cette atmosphere de respect de l'armee et la haine des riches juifs que commenca a circuler l'horrible nouvelle: " il y a un traitre parmi les officiers," et pire encore "il y a un traitre parmi les officiers du Renseignement."

L'affaire Dreyfus

L'affaire Dreyfus--que pendant des annees on designerait simplement comme l' "Affaire"- fut la plus importante crise politique de la Troisieme Republique. Il s'agit d'un scandale judiciaire et politique qui divisa en deux l'opinion francaise de 1894 a 1906 et poussa au pouvoir le Bloc des gauches.

Alfred Dreyfus (Mulhouse 1859--Paris 1935), fut francais de confession israelite. Quand l'affaire eclata, il etait officier d'artillerie membre de l'Etat-Major. Comme il fut originaire d'Alsace, annexee a l'Empire allemand depuis la guerre de 1870-1871, et plusieurs membres de sa famille continuaient a y vivre. Ce qui expliquait , dans l'affaire, l'attitude de l'Allemagne desireuse de faire porter la suspicion sur les Alsaciens-Lorrains ayant choisi la France apres 1871. En tant qu'officier stagiaire, il avait effectue plusieurs sejours dans les differents bureaux du ministere de la Guerre. Mais le fait qu'il fut Juif fut particulierement remarque par le colonel Sandherr et son adjoint, le colonel Fabre, tous deux ardents antisemites. La figure du traitre et de l'espion se dessinait alors sur une culture du soupcon pour equilibrer celle de la germanophobie et de la revanche. L'incarnation d'un traitre, dans l'imaginaire debile du populisme xenophobe, se tournait alors tout naturellement vers le Juif (Mitterand 14-15). Sur la foi d'une analyse graphologique expeditive portee sur un "bordereau," Alfred Dreyfus fut arrete pour espionnage le 15 octobre 1894, traduit devant le conseil de guerre et declare coupable de haute trahison par un proces en cour martiale tenu a huis-clos, il fut condamne a tort pour espionnage au profit de l'Allemagne (19-22 decembre 1894). Apres sa degradation le 5 janvier 1895 au cours d'une parade a l'Ecole Militaire, il fut condamne a la deportation perpetuelle en Guyane, au fort de l'ile du Diable. Le Capitaine Dreyfus, originaire de la race "a la nuque raide" s'etait ecrie a son injuste verdict que le seul crime qu'il eut commis, c'etait en fait d'etre ne juif. (2)

Le general Raoul Francois Charles Le Mouton de Boisdeffre, chef d'Etat-Major general de l'Armee de 1893 a 1898, en qui Alfred Dreyfus lui-meme avait commis l'erreur de croire que le general de Boisdeffre lui accorderait la rehabilitation, aggrava le crime de la victime. La requete en appel de Dreyfus fut rejetee le 31 decembre 1894.

En mars 1896, le commandant Georges Picquart, (3) chef de la Section de statistique--le service de renseignement--depuis 1895, decouvrit que la trahison dont on accusait Dreyfus avait probablement ete le fait du commandant Marie Charles Ferdinand Walsin Esterhazy. (4) L'Etat-Major tenta en vain d'etouffer cette revelation. Ce fameux colonel Picquart n'aimait pas les Juifs et selon certains temoignages, s'etait exprime avec grossierete au moment de la degradation de l'officier. Pourtant, lorsqu'il decouvrit la conjuration dont celui-ci avait ete victime, sursauta d'indignation, entendant le sous-chef d'Etat-Major lui dire: "qu'est-ce que cela peut vous faire que ce Juif reste a l'ile du Diable?" Sa reponse: "Mais puisqu'il est innocent." A quoi le haut militaire repliqua: " Si vous ne dites rien, personne ne le saura." Ce fut l'instant ou Picquart se depouilla de son grade, de ses fonctions et meme de son devoir d'Etat, "Ce que vous dites est abominable. Je ne sais ce que je ferai; en tout cas je n'emporterai pas ce secret dans la tombe." Il s'agissait la de la position d'un intellectuel entete, dont l'obstination a etre juste pouvait conduire a la prison, ou meme, comme le cas de Socrate, a la mort (Blanchot 16).

Picquart, temoins genant pour l'armee, fut desavoue par ses chefs et eloigne de son poste a Paris le 27 octobre 1896 par le general Billot, ministre de la Guerre. Il fut d'abord envoye dans l'Est, puis definitivement "exile" pour une mission dangereuse en Tunisie ou des indigenes s'etaient rebelles contre l'imperialisme colonial francais. (5)

Arrive a ce stade, l'affaire resonnait dans la conscience publique comme une cause nationale: Jules Guerin organisa la Ligue antisemique francaise le 7 fevrier 1897. Bernard-Lazare rencontra Emile Zola le 6 novembre 1897. Le general Saussier (6) demanda l'ouverture d'une enquete le 17 novembre 1897 qui se transforma en instruction judiciaire le 4 decembre 1897. Le meme jour, le Premier Ministre, Jules Meline, (7) declara a l'Assemblee nationale: "Il n'y a pas d'affaire Dreyfus." Le Commandant Henry produisit une nouvelle preuve contre Dreyfus, Ce document, fabrique par le faussaire Lemercier-Picard a la demande du commandant Henry, fut connu plus tard sous le nom de "faux Henry."

Le proces Esterhazy, tres vite tenu a huis-clos devant le conseil de guerre, se termina par un acquittement a l'unanimite. Par contre, le colonel Picquart fut inculpe pour avoir revele des secrets militaires a des civils et mis aux arrets dans la prison militaire du Mont-Valerien (10-11 janviers 1898). Au premier contestataire--le colonel Picquart--, qui risqua sa vie pour tenter de sauver Dreyfus succeda le second, ce fut donc Emile Zola. Se declencha alors une campagne de revision (1897-1899) au cours de laquelle s'opposaient les dreyfusards, antimilitaristes, groupes autour de la Ligue des Droits de l'Homme, et les antidreyfusards, antisemites ou ultra-nationalistes, rassembles dans la Ligue de la Patrie francaise, puis du comite de l'Action francaise. Ce fut aussi le point de depart diegetique de l'affaire Dreyfus dans la Recherche.

Les dreyfusards prenaient la defense de Dreyfus et reclamaient la revision du proces : Bernard-Lazare, Joseph Reinach, Auguste Scheurer-Kestner, (8) Emile Zola, Anatole France, Georges Clemenceau (9) leverent leur voix. Marcel Proust etait avec eux: "Je crois bien avoir ete le premier dreyfusard, ecrira-t-il en 1919 a Paule Souday, puisque c'est moi qui suis alle demander sa signature a Anatole France." (10)

Dans le journal L'Aurore, (11) dont Georges Clemenceau etait le redacteur politique, Emile Zola publia le 13 janvier 1898 "J'accuse ...! Lettre au President de la Republique," c'etait le lendemain du jour ou Esterhazy fut acquitte. Ce pamphlet cherchait a forcer la revision du proces Dreyfus, si les accusations de Zola pouvaient se reveler comme etant non-diffamatoires.

De leur cote, les adversaires de la revision--les antidreyfusards--lancaient une campagne antisemite et xenophobe. Soutenus par l'Armee, par l'Eglise, par le gouvernement, leurs chefs se nommaient Edouard Drumont, Maurice Barres, (12) Leon Daudet, etc. (13)

Edouard Drumont prechait un "messianisme" sans message, un "evangile" de haine et de sang. Comme Paul Deroulede, il etait voue a l'invective, et formait avec Jules Guerin de dangereux allies antisemites.

La France ainsi divisee se retrouva face a quelques-uns des spectres les plus visqueux: xenophobie, antisemitisme, tentatives du coup d'Etat militaire, seduction des ligues, mais elle se constuisit aussi une nouvelle identite a travers ce combat pour la verite, la tolerance et la democratie (de Biasi 152-53). Proust fit dire ceci dans la Recherche par un des protagonistes nationalistes:
 Vous ne saviez peut-etre pas, monsieur le duc, qu'il y a un mot
 nouveau pour exprimer un tel genre d'esprit, dit l'archiviste qui
 etait secretaire des comites anti-revisionnistes. On dit
 'mentalite'. Cela signifie exactement la meme chose, mais au moins
 personne ne sait ce qu'on veut dire. C'est le fin du fin et, comme
 on dit, le 'dernier cri.' (II: 533-534)


Le proces Zola se deroulait devant la Cour d'Assise de la Seine au Palais de Justice a Paris. Du 7 au 23 fevrier 1898, Marcel Proust allait tous les jours assister au proces Zola. Intente au proces, en prenant le parti d'un Juif contre l'armee, Zola risquait tout: la prison et la haine des patriotes, il allait a la Cour au-devant des cris de: "A mort les Juifs! A mort Zola!" Pour Zola qui n'etait nullement un homme d'action, encore moins un homme de bagarre, lui qui etait excellent romancier, mais tres mauvais orateur, il lui fut donc difficile de tenir correctement son role a l'audience (Cavanaggia 42).

Zola fut condamne le 9 juillet 1898 a deux mois de prison plus une amande de 2000 francs pour diffamation vis-a-vis des trois experts en ecriture. Il fut aussi. astreint a verser 5000 francs pour dommages a chacun des experts. Le 13 juillet 1898, Picquart fut de nouveau emprisonne sur ordre de Cavaignac, pour avoir divulgue des documents militaires a un civil, Maitre Leblois.

Entre temps, toujours sous la presidence de Felix Faure, un nouveau gouvernement avait ete forme par Henri Brisson le 28 juin 1898, avec Godefroy Cavaignac comme ministre de la Guerre. Essayant une fois pour toutes de clore les debats a la Chambre des deputes, Cavaignac leur presenta comme preuve plusieurs documents, sans se douter que s'y trouve un faux, le "faux Henry." Le 7 juillet 1898, Picquart et le leader socialiste Jean Jaures metterent Cavaiganc au defi en denoncant publiquement l'imposture du document.

Le commandant Henry, qu'on devait appeler le faux Henry ou le "faux patriotique," parce qu'il lavait l'armee de l'accusation d'erreur judiciaire, presse de questions par le depute Cavaignac, lui confessa ses actions. Il fut emprisonne a la prison militaire du Mont-Valerien ou le soir meme, il se suicida le soir meme dans sa cellule dans la nuit du 30 au 31 aout 1898, en se tranchant la gorge avec un rasoir. Pour trafiquer son faux, un nomme Leeman lui aurait servi d'agent specialiste assurant une correspondance entre l'attache militaire allemand et l'attache militaire italien. Peu apres les aveux de son acolyte, Leeman fut decouvert pendu a l'espagnolette de la fenetre de sa chambre d'hotel. Les circonstances de ces deux morts ne furent jamais elucidees. "L'affaire" etait vraiment une " terrible affaire" (Cavanaggia 49-50).

De violentes manifestations avaient lieu a Paris le 25 octobre 1898. Le gouvernement Brisson demissionna le 26 octobre 1898. Le 31 decembre 1898 se crea la Fondation de la Ligue de la Patrie francaise, nationaliste et antidreyfusarde, laquelle pencha rapidement vers l'extremisme et l'antisemitisme. Une loi fut proposee le 28 janvier 1899 qui permettrait a une demande en revision du proces Dreyfus d'etre presentee devant une cour d'appel tout a fait exceptionnelle, dans laquelle les trois chambres seraient reunies simultanement (loi de dessaisissement). Survint la mort du President Felix Faure le 16 fevrier 1899. Deux jours apres, le dreyfusard Emile Loubet fut elu President de la Republique. Des manifestations nationalistes eclaterent a Paris. La Cour d'appel annula le verdict de 1894. Les circonstances de l'arrestation, le proces de 1894 et les faits nouveaux etablis depuis permettaient de douter de la culpabilite de Dreyfus.

Par decret, une nouvelle cour martiale jugea Dreyfus a Rennes. S'etant prononce pour la revision, le President Loubet fut victime de mouvements antidreyfusards a Auteuil peu apres son accession a la presidence. Aux courses d'Auteuil, le baron Christiani agressa le President Loubet avec une canne le 3 juin 1899. Zola rentra en France et denonca le verdict de Versailles qui l'avait condamne. Picquart fut libere, et Dreyfus fut informe que la demande de revision de son proces avait ete finalement approuvee le 5 juin 1899. Dreyfus quitta definitivement l'Ile du Diable le 9 juin 1899. Une grande manifestation assura Loubet du soutien des republicains le 11 juin 1899. Le cabinet Dupuy, de tendance conservatrice, demissionna le 12 juin 1899. Le 22 juin 1899, un nouveau gouvernement fut forme par Rene Waldeck-Rousseau. Ce "gouvernement de defense republicaine" reunit des extremes: ainsi le socialiste Millerand, comme ministre du Commerce, siegea-t-il aux cote du general de Galliffet, l'organisateur de la sanglante repression contre la Commune, nomme ministre de la Guerre. Dreyfus rentra en France et resta aux arrets a la prison militaire de Rennes le premier juillet 1899. Esterhazy revela dans Le Matin qu'il etait l'auteur du "bordereau" mais sur l'ordre de ses superieurs et sous leur dictee. Le second proces Dreyfus commenca le 7 aout 1899 a Rennes, de maniere a eviter les manifestations de la foule parisienne. Le general Mercier (14) fut appele comme temoin. A Paris, la police avait commence a arreter des manifestants nationalistes, y compris Paul Deroulede.

Malgre les preuves qui temoignaient de son innocence, Dreyfus fut une fois de plus declare coupable de trahison, cette fois-ci "avec des circonstances attenuantes." Il fut condamne a dix ans de reclusion. L'absurdite du verdict provoqua un scandale le 9 septembre 1899.

Avec l'accord absolu du cabinet Waldeck-Rousseau, Loubet octroya le 19 septembre 1899 sa grace presidentielle a Dreyfus. Le meme jour, Scheurer-Kestner mourut du cancer contre lequel il luttait depuis plusieurs annees.

Zola mourut "accidentellement" asphyxie par de l'oxyde de carbone dans son appartement le 29 septembre 1902. A ses obseques, le 5 octobre, Anatole France declara qu'il fut "un moment de la conscience humaine." Le 20 juillet 1906, Alfred Dreyfus fut fait Chevalier de la Legion d'honneur dans la meme cour de l'Ecole Militaire ou il avait ete degrade onze ans auparavant. Aux cris enthousiastes de "Vive Dreyfus!", il repondit fierement: "Non, Messieurs, je vous en prie. Vive la France!"

Les cendres de Zola furent transferees au Pantheon le 4 juin 1908. Pendant la ceremonie, le journaliste Louis Gregori tira deux coups de revolver sur Dreyfus, le blessant legerement au bras. Il fut acquitte le 11 septembre 1908. A l'Occupation allemande de la France, la police du regime de Vichy fit appliquer les nouvelles lois antisemites passees sous le gouvernement de Pierre Laval. Le fils de du Paty de Clam, (15) l'officier antisemite du Service du Renseignement charge de l'enquete sur Dreyfus en 1894, fut nomme commissaire general aux questions juives. Une ceremonie fut organisee a la memoire d'Edouard Drumont. Lucie Dreyfus, veuve d'Alfred Dreyfus et sa famille se refugierent a Montpellier. C'etait en 1941, ou le nazisme regnait sur l'Europe occidentale ...

Plus de trente ans apres, une loi interdisant toute manifestation d'antisemitisme fut votee a l'unanimite a l'Assemblee Nationale, en 1973. "En France, l'antisemitisme n'est pas une question d'opinion: c'est un crime," declara Michel Rocard (16) en 1990. Sous la Cinquieme Republique, l'Armee francaise admit publiquement que Dreyfus avait ete condamne par erreur. En, septemre 1995, le general Mourrut, en grand uniforme, declara devant le consistoire juif que: "l'affaire etait une conspiration militaire qui amena la deportation d'un innoncent et qui etait fondee en partie sur un faux document." Pour le centenaire de "J'accuse ...!", le Premier Ministre Lionel Jospin et le Parlement francais avaient honore Emile Zola, le defenseur de la Verite et de la Justice. Une gigantesque reproduction de "J'accuse ...!" etait drapee devant la facade de l'Assemblee nationale le 13 janvier 1998. Signe de cloture sur l'erreur politique et judiciaire commise sous la France republicaine.

Les Juifs et les intellectuels en France pendant et apres l'affaire Dreyfus

a) La presse philosemite francaise- le cas de La Revue blanche:

Tout au long de l'affaire Dreyfus, La presse (17) modelait une opinion tres antidreyfusarde, et faisait sans cesse pression sur le Gouvernement et a l'Armee (Naquet 66-67). Par contre, le camp dreyfusard beneficiait de rares soutiens, comme par exemple Le Sicele dirige par Yves Guyot, L'Aurore, journal jeune, republicain radical, libre penseur d'Ernest Vaughan, le premier Temps et La Fronde, fondee en fin d'annee 1897. Certes, il existait d'autres lieux d'engagement dreyfusard comme par exemple La Revue blanche des freres Natanson qui representait un "centre de ralliement de toutes les divergences," selon Andre Gide. Mais celle-ci limitait son influence a un cercle etroit.

Le role du journal La Revue blanche auquel faisait partie Marcel Proust merite une mention particuliere: en periode de crise pour la Troisieme Republique, de jeunes intellectuels juifs assimiles dont le representant etait Blum s'etaient manifestes dans le cercle litteraire La Revue blanche. Parmi eux se trouvaient Julien Benda, Gustave Kahn, Tristan Bernard, Roman Coolus (ne Rene- Max Weil) et Bernard-Lazare.

Quant a Proust, il entra en rhetorique en octobre 1887, et avait comme professeur, M. Gaucher, qui ecrivait dans La Revue blanche, un des principaux organes symbolistes. Le jeune Marcel lisait Barres, Renan, Leconte de Lisle, Loti et surtout Anatole France et recut le prix d'honneur de francais. En 1887, Proust avait au lycee Condorcet des camarades qui devenaient pepiniere de la Republique, c'etait une pleiade de jeunes bourgeois, futurs ecrivains, ambassadeurs ou hauts fonctionnaires, comme Robert Dreyfus, Robert de Billy, Daniel Halevy. Avec eux, Proust animait de petites revues litteraires comme La Revue verte, La Revue lilas.

Bientot Proust passa a la creation, il publiait dans Le Mensuel, Le Banquet, La Revue blanche. Cette derniere regroupait a l'epoque quelques celebrites qui se considerent d'abord comme "francais israliste." Les freres Natanson, proprietaires polonais de La Revue blanche, etaient des Juifs assimiles et non clericaux. Ils demontraient plutot leur judeite par la culture que par la foi. D'ou leur preoccupation de faire montre de leur dreyfusisme base moins sur la solidarite religieuse que sur la valeur republicaine. Neanmoins, pour defendre la cause de Dreyfus, ils s'etaient reellement identifies a leur judeite (Datta 113).

Les collaborateurs de La Revue blanche se consideraient d'abord comme francais, puis israelites. Ils venaient sans exception d'un monde confortable, de famille bourgeoise. Beaucoup d'entre eux avaient fait des etudes a la rive droite, au neuvieme arrondissement. Ce qui faisait que La Revue blanche etait reconnue comme une publication d'articles sophistiques, bien connectes entre les auteurs, spirituels sans doute, mais de l'esprit parisien avant tout (Datta 115). Leur prise de position identitaire traduisit bien leur esprit seculaire, republicain, en voulant dire que leur judeite etait d'abord une question de culture plutot qu'une question de religion (Datta 117).

La situation precaire des Juifs assimiles survenue en France avec l'affaire Dreyfus avait pourtant ete precedee de l'age d'or de la Belle Epoque ou les Juifs d'assimilation francaise ont ete mis au grand profit sous la Republique laique. Nombreux etaient des Juifs promus au haut cadre de l'armee, du gouvernement, et du service public. Excessive etait egalement la proportion des Juifs arrives au sommet de la societe francaise par rapport a leur chiffre minoritaire en France: Albert Thibaudet a fait remarquer que la generation de l'annee 1890, celle de Proust, etait particulierement avancee en domaine litteraire, qui leur permettait d'arriver au sommet de la hierarchie sociale, surtout accordee aux jeunes juifs sortis du Lycee Condorcet, de l'Ecole Normale et qui se rejoignaient a La Revue blanche. A la difference des generations juives precedemment puissantes en commerce et industrie, les collaborateurs de La Revue blanche etaient vite accredites dans les professions liberales, en litterature, en beaux-arts, au theatre et a la presse (Datta 118). Quand l'affaire Dreyfus eclata, c'etait comme un ouragan qui se produisit aupres des Juifs assimiles: apres le drame individuel du capitaine Dreyfus, c'etait peut-etre le drame collectif qui s'annoncait. Citoyens a part entiere, en possession de tous les droits civils et souvent de postes de premier plan, beaucoup ne demandaient qu'a jouer paisiblement la carte de "l'assimilation." Proust sensible a ce drame politico-social en defaveur des Juifs, ecrit ceci non sans amertume: "L'affaire Dreyfus devait precipiter les Juifs au dernier rang de l'echelle sociale."

La complainte de Proust disait vrai, mais en un sens seulement: allies des gauches et des antimilitaristes, exclus de la droite et des patriotes, les Juifs etaient en effet repousses par-dela les frontieres, vers l'Internationale socialiste; mais trente ans plus tard, avec Leon Blum, cette Internationale devait leur donner le pouvoir (Cavanaggia 62).

Lors de l'affaire Dreyfus, des Juifs assimiles et republicains pour la premiere fois s'etaient manifestes, leur acte de protestation regroupait des dreyfusards intellectuels, juifs ou non. A ce propos, la Revue blanche, qui etait plus d'un journal, servait de cercle associatif reliant un groupe d'amis mis en relation par leur ecole ainsi que par leur famille. En meme temps, les antisemites employaient systematiquement le mot discriminatoire "race" a l'intention des Juifs, assimiles ou non. Sur eux, le terme portait un signe de segregation reelle d'ordre physique, culturelle et historique (Datta 123).

Le discours antisemite pendant l'affaire Dreyfus obligeait les auteurs de la Revue blanche a faire face a la question d'identite juive. Ce discours antisemite accusait les Juifs de particularisme social comme de particularisme religieux (Hassine 83). Seculaires en apparence, ils se comportaient mal avec les Juifs religieux, sans toutefois assimiler les pratiques des catholiques. Ils ne ressentaient pourtant pas le besoin de se tenir aux cotes des anticlericaux non juifs qui consideraient toute forme de religion, y compris le judaisme, comme une cible a abattre. Ce qui fait que les Juifs assimiles etaient obliges d'occuper un territoire aux limbes des classements ethniques (Datta 127).

Afin de lutter pour leur ideologie socialiste, les Juifs assimiles de la Revue blanche, les libres penseurs tels que Lazare, Blum et autres, formulaient des critiques contre la bourgeoisie juive. Gauchistes, Lazare and Blum se voyaient en droit d'attaquer les Juifs capitalistes. Pour eux, le judaisme vrai ne se trouvait ni chez les banquiers ni chez les financiers comme les Rothschilds, mais plutot chez les Juifs membres proletaires. Finalement, l'affaire Dreyfus guidait Blum vers une carriere politique socialiste. Lazare abandonna la position d'assimilation pour se donner du nationalisme juif. Benda, conscient des abus clericaux et des haines ethniques en France, prit gage a lutter en tant qu'intellectuel, s'etait prepare a travers l'affaire Dreyfus, aux luttes ulterieures contre le fascisme des annees 30. Pour beaucoup de gauchistes juifs assimiles en France, l'affaire Dreyfus les avait prepares non seulement a devenir "intellectuels," mais en "intellectuels juifs" (Datta 129).

L'antisemitisme en France pendant l'affaire Dreyfus

Maurice Blanchot dans son analyse retrospective portee sur l'affaire Dreyfus, a evoque sur le plan ethique les difficultes rencontrees par le dreyfusisme intellectuel a cette epoque, en lien direct avec differents types d'intellectuels antisemites:

Vint d'abord Maurice Barres antidreyfusard qui jugeait tres habilement les dreyfusards juifs dont il denoncait la contradiction qu'il y avait a se croire des "aristocrates de la pensee," le "bottin de l'elite" et a s'affirmer comme les representants d'une injustice pour tous, une justice democratique. C'etait de l'anti-elitisme juif.

Paul Valery, antidreyfusard lui aussi, avait prefere "'s'etablir" dans l'injustice," plutot que de prendre part a une comedie ou des hommes qui avaient des faiblesses et meme des faiblesses d'hommes de lettres pretendant representer l'Humanite et en faire, avec des passions mediocres, une cause sublime. Et il preferait ainsi rester au-dessus et en dehors de la melee. C'etait le soupcon malveillant porte sur la moralite juive.

Un troisieme exemple antidreyfusard: c'etait Jaures, (18) parce que pour lui l'essence du socialisme etait de defendre le proletariat ou l'injustice etait a son comble et de se desinteresser des querelles de riches qui ne mettaient pas en cause la societe capitaliste dans son ensemble. Comme Dreyfus etait riche, il appartenait donc a la classe dominante, qui ne faisait pas l'objet de lutte du socialisme ideologique. L'humanisme s'etait fait remplacer par une ideologie sectariste .

Quatrieme exemple d'antidreyfusard : Romain Rolland. Antisemite, il avait ecrit ceci a Lucien Herr sans chercher a menager son racisme contre les Juifs: "Vous le savez tres bien, je ne cache a personne mes sentiments antisemites. Je laisserais pourtant ces sentiments de cote pour ne songer qu'a la justice, si la justice ne tenait une place bien secondaire dans les preoccupations de ceux qui defendent Dreyfus."

C'etait dans l'environnement des opinions des intellectuels tant biaisees que partielles que l'ecrivain Zola entreprit son attaque frontale contre le gouvernement et l'Armee.

Emile Zola face au antisemitisme francais

L'article de Zola, "J'accuse ...!", publie le 13 janvier 1898 dans L'Aurore fut un pave dans la mare. Rapidement vise par une opinion antisemite, Zola recut une tres forte pression d'opinion publique antidreyfusarde, en dehors des vehemences qui faisaient trembler la cour de justice a chaque fois que Zola intente au proces de diffamation s'y rendait, une litterature excessivement degoutante pleuvait sur le romancier, un nombre sans precedent de dessins caricaturaux tournaient l'ecrivain en totale derision.

Des dessins faits par le caricaturiste H. Lebourgeois et publies fin juillet 1898 etaient structurees en deux fascicules de 32 aquarelles dans lesquelles le tout Zola etait presente dans une situation entierement moqueuse. L'Assommoir: un ouvrier vomit sur le coin d'un mur; Pot-bouille: Zola seduit une cuisiniere; L'Argent: Zola se courbe devant un financier ventru, certainement polytechnicien et Juif; La Debacle (19): Zola, en italien, quitte Paris en courant vers Bordeaux; La Curee: Zola mange l'assiette au beurre avec un porc et un chien; Germinal: Zola contemple une femme qui montre son posterieur a un soldat; Le Reve: Zola en academicien; Le Roman experimental: Zola jette sur une toile, avec son pinceau, des excrements, qu'il prend dans un bot de chambre; Une page d'amour: Zola embrasse une Verite sortant d'un puits qui a les traits d'une juive; Son excellence Eugene Rougon: Zola, aureole, est salue par des etrangers et des Juifs; La Confession de Claude: Zola en bateleur de foire devant un Allemand, un Italien et un Juif. En conclusion, Lebourgeois presenta le romancier comme un aliene: Rochefort et Drumont accompagnent Zola, qui porte une camisole, devant l'hopital psychiatrique Sainte-Anne (Perl 153).

Le nom de Zola etait associe sans faille soit a la souillure la plus repugnante, soit a la grossierete la plus inouie. La voix visqueuse d'extreme droite, celle d'antisemitisme n'etait qu'injurieuse envers l'auteur de "J'accuse ...!": Qu'il creve. Il a mange le pain des romanciers francais, raconte des horreurs sur notre beau pays, insulte la religion et humilie l'armee. Il n'y avait qu'a l'envoyer a Cayenne, avec ce traitre de Dreyfus. Ou plutot on aurait du les fusiller tous les deux tout de suite. D'ailleurs, Zola, c'est pas francais, ca. C'etait un immigre. (20) Paye par Rothschild, comme l'autre, c'est sur. Encore un Juif, quoi (De Biasi 24).

Aux yeux des droitistes dont la majorite faisait partie des milieux bien pensants, Zola restait le prototype du romancier immoral, ce "cochon de Zola" prenant gout a faire la peinture du sexe et de la debauche. Des gauchistes, qui se fiaient dans l'opinion de Victor Hugo: " Il y a des choses qu'il ne faut pas dire," jugeaient du Zola comme le traitre de la classe ouvriere, car il se complaisait dans les aspects les plus bas, les plus sordides de la representation du peuple.

Les images favorables a Zola prenaient souvent la forme d'allegories, comme par exemple Saint-Georges terrassant le dragon, ou alors blanchisseur executant une lessive patriotique. Dans l'imaginaire public, Zola etait passe pour l'archetype de l'intellectuel engage qui prit parti pour la defense de la Justice et de la Verite et au risque de perdre sa notoriete (Perl 153).

Le pamphlet de Zola, par son engagement sublime et par son merite du discours illocutoire construit sur une parfaite rhetorique, a atteint un effet tout a fait exceptionnel, il reussit a bousculer l'actualite politique nationale, voire a renverser le cours des choses. Il fut parti comme a la maniere d'une boule lancee a travers un jeu de quilles, dont le tir traduit la precision, la force de telle maniere qu'aucune des quilles alors abattues ne s'est jamais remise debout (Mitterand 22).

Selon le point de vue de Mitterand, pour tirer l'affaire Dreyfus de sa boue, "J'accuse ...!" a vise son but, le reste des travaux des ligueurs dreyfusards ne sont que peripeties. D'ailleurs, au temoin des critiques, les dreyfusards d'abord reunis sous l'impulsion d'un cas d'allienation judiciaire s'etaient transformes en association dreyfusiste, et l'affaire une fois close, l'utilite de la Ligue s'attenua.

b) Les deux ligues

b)-1: La ligue des Patriotes

Avant que le scandale de l'affaire Dreyfus n'eclatat, La France avait deja ete longuement travaillee par le discours antidreyfusard qui preparait l'imaginaire du peuple par l'irrationalite: celle melangee de peur des prussiens, metissee d'agressivite contre les Juifs, et de credulite en l'armee symbole unique du nationalisme republicain. Dans cet air du temps, l'esprit antisemite, genre de Drumont, de Barres, de Daudet, n'ensorcelaient que d'autant plus facilement l'opinion publique. Les stereotypes antisemites se dessinaient depuis de nombreuses annees, leurs discours contribuaient largement a renforcer l'image des Juifs apatrides, cupides, exploiteurs des pauvres, usuriers, prets a tout vendre, son honneur, son pays, pour l'argent. Les Juifs inspirent la mefiance, leur physique la repugance, bref, la race juive est maudite.

Au lendemain du jour ou, Zola, "un intellectuel pas comme des autres," selon le terme de Mitterand, publia le 13 janvier 1898 dans L'Aurore sa lettre ouverte au President Felix Faure, l'opinion francaise se scinda en deux: l'une revisionniste dont les ligueurs se reunissaient pour le Droit de l'Homme; l'autre antirevisionniste dont les ligueurs soutenaient la cause de l'armee et la nation, se regrouperent pour La Ligue de la Patrie francaise, celle des publicistes, des universitaires, aides par les anarchistes et les ouvriers.

Se trouvait en tete du fil antisemite Paul Deroulede,(21) fondateur et president de la Ligue des Patriotes. Il etait partisan de Boulanger. Elu depute en 1899, il avait tente en fevrier, au lendemain des obseques du President Felix Faure, de soulever l'armee contre la Republique parlementaire. Condamne a dix ans de bannissement, il s'installa en Espagne, mais fut amnistie des 1905. Ses oeuvres: Marche et sonnerie, Chants patriotiques, Livre de la ligue des Patriotes, etc. exprimaient un patriotisme a caractere nationaliste et revanchard.

Un autre antisemite fumeux, Jules Guerin, directeur du journal antisemite L'Antijuif, s'etait barricade avec des amis au siege de la Ligue des Patriotes, rue de Chabrol le 12 aout 1899. Le "Siege du Fort-Chabrol," comme l'avait appele la presse populaire, avait dure jusqu'au 20 septembre.

La Ligue de la Patrie francaise ne fut fondee qu'apres le proces Zola, en decembre 1898, par des hommes de lettres antidreyfusards, parmi lesquels Ferdinand Brunetiere, Francois Coppee, Jules Lemaitre et Maurice Barres, qui furent bientot rejoints par de nombreux universitaires, des membres de l'Institut, Jules Verne, Frederic Mistral, Pierre Louys, etc. La Ligue regroupa tres vite plus de quarante mille adherents, mais elle eut une existence ephemere et disparut en 1902. (22) A l'epoque de l'affaire Dreyfus, les antisemites francais imaginaient que le pays etait victime d'une conspiration menee par un puissant et occulte "Syndicat des Juifs." (23)

b)-2: La Ligue des Droits de l'Homme

Duclert signale que dans le camp des revisionnistes, la prise de conscience du monde scientifique revisionnistes se revela d'abord par la petition Gabriel Monod, premier interventionniste public d'un savant presente comme "membre de l'Institut, professeur de l'Ecole Normale et a l'Ecole des Hautes Etudes ;" puis, par la petition Duclaux, (24) dont la liste des signataires fut publiee par Le Siecle et L'Aurore le 14 janvier 1898. La predominance de normaliens et d'agreges, de licencies et d'anciens eleves, decrivait, quoique encore minoritaire en nombre, une identite intellectuelle et ambitieuse, ainsi qu'une volonte de peser desormais sur le cours de l'affaire Dreyfus. Au total, les deux petitions (25) portent 1482 noms (Duclert 31-32).

Pourtant, ces "intellectuels critiques," "savants de profession," consideraient Zola comme un "repoussoir" a un engagement qui devait rester methodique et rationnel, ceux-ci estimaient "J'accuse ... !" criticable parce que excessif. La dissension entre dreyfusards zoliens et savants methodiques fut scellee par le proces qui intenta Zola le 7 fevrier 1898 devant la Cour d'Assise de la Seine. Se reconcilierent alors les deux courants scientifique et litteraire, methodique et polemique. Une nouvelle dimension civique sur laquelle s'imposaient patriotisme, citoyennete et conscience de citoyennete rapprocha savants et dreyfusards. Elle se concretisa, pendant le proces Zola, par la creation de la Ligue Francaise pour la Defense des Droits de l'Homme et du Citoyen (Duclert 33-34).

L'election du president dreyfusard Emile Loubet poussa le president du Conseil, Charles Dupuy, a faire perquisitionner a la Ligue des Patriotes, puis a la Ligue de la Patrie francaise et a la Ligue des Droits de l'Homme (Naquet 79).

Suite a ces perquisitions, la Ligue des Droits de l'Homme inflechit sa mission: son combat n'etait plus uniquement dreyfusien--la recherche de la Verite-, mais il devint dreyfusiste: ce fut la quete du Droit et, des lors, de la Justice. En effet, les quelques ligueurs partisans du capitaine Dreyfus encore minoritaires a la Chambre ou au Senat faisaient montre d'une exigence de transparence et de democratisation judiciaire, par degre, leurs rangs s'elargissaient (Naquet 80). La ligue des Droits de l'Homme evoluant, deux buts s'inscrivaient dans leur lutte dont le second est complement ou prolongement du premier, l'obligation ethique de revision du proces de 1894 et la necessite civique de respect, par la Republique democratique et sociale, des droits individuels elementaires. Les intellectuels de la societe civile--universitaires, savants, hommes des lettres et des arts-, les ediles de la sphere publique--deputes et senateurs, maires et conseillers municipaux-, les juristes, les medecins, les enseignants, les petits fonctionnaires et professions liberales intermediaires peuplent les sections de la Ligue des Droits de l'Homme dans les villes et jusque dans les bourgs des campagnes. Tous ces notables de la Cite se cotoyaient en nombre dans les sections de la Ligue des Droits de l'Homme comme dans les comites radicaux ou dans les structures socialistes (Naquet 81).

Proust dreyfusard

La lettre d'indignation de l'ecrivain Proust adressee a Yves Guyot, directeur du quotidien Le Siecle, (26) a souvent ete citee pour prouver sa lutte dreyfusarde: la position de Proust etait claire, il etait dreyfusard, son nom devait donc paraitre dans les listes des signataires protestant contre la mise au secret du lieutenant-colonel Picquart le 27 septembre 1898.

Au paroxysme de la crise de l'affaire Dreyfus, quand l'opinion publique etait partagee par deux camps diametralement opposes--revisionnistes et non-revisionnistes--Proust ecrivait. Il avait commence en 1895 a ecrire son premier roman autobiographique, Jean Santeuil, qui avait atteint mille pages. L'affaire Dreyfus lui avait donne un interet historique: Proust s'etait engage avec passion en faveur du capitaine Dreyfus, assistait tous les jours au proces Zola, signait des petitions. Il etait dreyfusard, certes, mais, dans le recit du proces qui se deroule dans Jean Santeuil, le point central pour lui n'est, semble-t-il, ni la victime, ni le defenseur, le point central, l'objet de fascination, c'est l'armee, l'armee a l'attitude pourtant si deconcertante (Cavannagia 58). D'ou la caracteristique d'un ecrivain inclassable dans sa position politique.

Le narrateur de la Recherche

Comme dans Jean Santeuil, le narrateur de la Recherche s'interesse aussi a l'armee:"J'aurais voulu avoir des details sur le commandant qu'admirait tant Saint-Loup et sur le cours d'histoire militaire qui m'aurait ravi 'meme esthetiquement'" (II: 407). Quoique dreyfusard convaincu, le narrateur proustien n'est pas antimilitariste comme beaucoup de gauchistes. Quand il se rend a Doncieres pour y retrouver son ami sous-officier Robert de Saint-Loup, neveu de la duchesse de Guermantes, il y decouvre les joies de l'amitie et les lois de l'art militaire, de la strategie; on y parle aussi de l'affaire Dreyfus. Il va jusqu'a affirmer que l'art martial des Boers l'interesse vivement: il suit avec grand detail la guerre de Boers, il a ete conduit a relire d'anciens recits d'explorations, de voyages; ces recits, en les lisant, l'ont passionne, et il en a fait l'application dans la vie courante pour lui donner plus de courage (voir III: 10).

Dans la Recherche, des le deuxieme volume--A l'ombre des jeunes filles en fleurs, Proust evoquait l'affaire Dreyfus, devoilant a l'avance son impact social (voir II: 517). Sur le plan diegetique, l'affaire Dreyfus sert d'arriere-plan temporel du recit et d'analyseur social et psychologique des personnages. Presque tous les personnages seront situes par rapport a elle. Une nouvelle societe s'organise--celle des bourgeois a la maniere d'Odette pretentieuse et de Mme Verdurin ambitieuse; une ancienne se decrepite--celle des hauts aristocrates dont l'integration au temps modernise et democratique pose problemes, etant tous fatalement nationalistes, legitimistes et egocentriques. Ainsi le narrateur prophetise-t-il: "le cyclone dreyfusiste avait beau faire rage, ce n'est pas au debut d'une tempete que les vagues atteignent leur grand courroux" (II: 487).

Le narrateur tient curieusement un discours antisemite a la fin de l'Ouverture de Sodome et Gomorrhe. Pastiche ironique ou discours sincere venant de la pensee directe du narrateur proustien? Comme nous le savons, Proust est excellent pasticheur, il l'est de Balzac, des Goncourt, de Saint-Simon; son pastiche antisemite est fait a travers le calembour sodomisme-sionisme. On entendrait presque cette voix vehemente:
 Et les vieux Francais, qu'on a empoisonnes avec des gaz asphyxiants,
 a l'allemande durant un siecle sont assez idiots ou assez pleutres
 pour ne pas rendre a l'ennemi la monnaie de sa piece! pour ne pas
 traiter la Sodome judeo-maconnique et la Gomorrhe
 radicalo-socialiste, comme la puissance occulte a traite nos chefs
 nationaux. (27)


Ce discours ne s'inspire pas uniquement de la France juive de Drumont (28) mais aussi des ouvrages de Gohier et en particulier de la revue la Vieille France qui aimait a rallier les Juifs et les homosexuels sous le meme toit en les caracterisant de "Sodome judeo-maconnique" (Hassine 84).

Proust analysant le phenomene politique en general proclame ceci:
 Mais les passions politiques sont comme les autres, elles ne durent
 pas. De nouvelles generations meme qui les a eprouvees changent,
 eprouvent des passions politiques qui n'etant pas exactement
 calquees sur les precedentes, rehabilitent une partie des exclus, la
 cause d'exclusivisme ayant change. Les monarchistes ne se soucierent
 plus pendant l'affaire Dreyfus que quelqu'un eut ete republicain,
 voire radical, voire anticlerical, s'il etait antisemite et
 nationaliste. Si jamais il devait survenir une guerre, le
 patriotisme prendrait une autre forme, et d'un ecrivain chauvin, on
 ne s'occuperait meme pas s'il avait ete ou non dreyfusard. (III:
 740-741)


Sur l'exemple de M. Bontemps (29) tantot dreyfusard hai tantot patriote respecte selon le cas, le narrateur proustien juge ainsi: "Dans le monde ... les nouveautes, coupables ou non, n'excitent l'horreur que tant qu'elles ne sont pas assimilees et entourees d'elements rassurants" (IV: 305). "Le dreyfusisme etait integre dans une serie de choses respectables et habituelles. Quant a se demander ce qu'il valait en soi, personne n'y songeait, pas plus pour l'admettre maintenant qu'autrefois pour le condamner. Il n'etait plus shocking" (IV: 305). Proust prefere se tenir intellectuellement a distance de toute cause politique, de l'affaire Dreyfus egalement, si bouleversante soit-elle.

On pourrait considerer la vision proustienne fluctueuse au cours du Temps, lequel travaille sur l'affaire, son monde se construit selon le principe d'objectivisme "a mille facettes." Ainsi releverait-elle d'un certain "neo-modernisme" dans son relativisme. Mais tout est relatif signifie pour Proust que tout vaut, que chaque point de vue est fonde, d'ou l'existence d'une multiplication du reel, d'ou l'extension d'un domaine specifique des verites. Curtius signale que le relativisme proustien marque un tournant de la pensee humaine dont on n'a pas encore mesure l'importance, comme de la nouvelle figuration de l'espace ou s'est engage la peinture moderne. (30) Sans avoir a etre lui-meme implique dans le deroulement du jeu, le narrateur s'est revele comme le centre de la construction. L'auteur de la Recherche semble vouloir signifier que pour comprendre et analyser le monde, il faut se positionner a la bonne distance. Il faut savoir a la fois s'y laisser immerger, tout en demeurant en retrait, sans pour cela cesser de reflechir sur le lieu et le mode de son insertion (Bidou-Zachariasen 164). Poursuivons donc l'analyse des personnages centraux situes par rapport a l'affaire Dreyfus.

Charles Swann

Charles Swann represente dans une certaine mesure comme un "moi" passe du narrateur, une pre-figure du heros "Marcel." Son prototype, Charles Hass, d'origine juive, jouit de tres bonnes relations mondaines dans le faubourg Saint-Germain sous le second Empire et au debut de la Troisieme Republique. Quoique "mal ne," et encore plus mal marie a une ancienne cocotte, Odette de Crecy, Swann a pourtant toute une vie mondaine. Il frequente les Guermantes depuis plus de vingt ans, lesquels pour le legitimer, pretendent qu'il pourrait avoir du sang noble par sa grand-mere qui avait ete la maitresse du duc de Berry. Ce qui signifie que sa qualite de Juif ne lui fait pas moins de tort que son mariage. Et cela s'aggrave d'autant plus avec l'affaire Dreyfus, car age deja, desireux de s'identifier a son judaisme, Swann s'est manifeste comme un dreyfusard militant quand l'affaire eclate, tout en preservant la volonte de ne pas s'elever contre l'Armee. Le militarisme de Swann vient en fait de son patriotisme reel. Car Swann/Hass, a l'instar de la tres grande majorite de la bourgeoisie israelite de son temps, est reellement patriote. Seule une frange intellectuelle, a la fois socialisante et authentiquement juive, avec l'affaire Dreyfus, passera au sionisme naissant (Raczymow 213-214).

Proust evoquant Charles Swann, a adopte une strategie du discours antisemite. Suivant les exemples de Drumont et de Monniot qui interpretent tendancieusement les ecrits juifs, le discours antisemite dans la Recherche critique Swann le Juif ou quelquefois persecute Albertine l'homosexuelle, les deux conditions s'averent paralleles (Hassine 93).

Voici un discours de pensee du narrateur, curieusement antisemite, qui demontre comment Swann, proche de la mort, porte une mine pitoyable, tellement il a change:
 ... le nez de polichinelle de Swann, longtemps resorbe dans un
 visage agreable, semblait maintenant enorme, tumefie, cramoisi,
 plutot celui d'un vieil Hebreu que d'un curieux Valois. D'ailleurs
 peut-etre chez 'Swann' en ces derniers jours la race faisait-elle
 reparaitre plus accuse le type physique qui la caracterise, en temps
 que le sentiment d'une solidarite morale avec les autres Juifs,
 solidarite que Swann semblait avoir oubliee toute sa vie, et que
 greffees les unes sur les autres, la maladie mortelle, l'affaire
 Dreyfus, la propagande antisemite, avaient reveillee. Il y a
 certains Israelites, tres fins pourtant et mondains delicats, chez
 lesquels restent en reserve et dans la coulisse, afin de faire leur
 entree a une heure donnee de leur vie, comme dans une piece, un
 mufle et un prophete. Swann etait arrive a l'age du prophete.
 (III: 89)


Tout personnage de Proust doit etre apprehende en perspective, dans le temps. Dans la Recherche, a un moment donne, chaque personnage se revele aux yeux du lecteur dans son identite authentique qui se gardait comme secrete. Comme par exemple Swann se redecouvre juif au bout de son parcours de vie, il redevient le Juif qu'il n'a pourtant jamais ete. Parmi les protagonistes proustiens, Swann age compte pour les israelites les plus parvenus, il est deja monte au grade le plus haut des echelons de l'ascension sociale--intime ami des Guermantes, membre du Jockey, critique d'art dilettante. Mais chez lui, Proust reserve encore une part de judeite, qui existe a l'insu des autres et meme a l'insu du sujet lui-meme. Charles, c'est un "un mufle et un prophete" (Raczymow 213). L'aspect du prophete n'a rien de rejouissant a cote du Juif assimile et galant: "Swann etait arrive a l'age du prophete. Certes avec sa figure d'ou, sous l'action de la maladie, des segments entiers avaient disparu comme dans un bloc de glace qui fond et dont des pans entiers sont tombes, il avait bien change" (III: 89).

Aussi, quoique cultive et raffine a l'extreme, en tant que etre mondain, Charles Swann a un rien d'incongruite dans son humour parce que juif: la gaiete juive etait chez lui moins fine que les plaisanterie de l'homme du monde. "'Bonsoir, nous dit-il. Mon Dieu! tous trois ensemble, on va croire a une reunion du Syndicat. Pour un peu on va chercher ou est la caisse!' Il ne s'etait pas apercu que M. de Beaucerfeuil etait dans son dos et l'entendait. Le general fronca involontairement les sourcils" (III: 96).

Son dreyfusisme est tres mal vu par le monde, ainsi declare le duc de Guermantes:
 Ah! j'ai ete bien trompe.... il aurait du desavouer ouvertement les
 Juifs et les sectateurs du condamne ... et il pousse l'ingratitude
 jusqu'a etre dreyfusard! ... j'avais eu la faiblesse de croire qu'un
 Juif peut-etre francais, j'entends un Juif honorable, homme du
 monde.... j'aurais repondu de son patriotisme comme du mien. Ah! il
 nous recompense bien mal. (III: 77)


Swann a le pouvoir d'inverser les bienfaits d'une revelation et les vertus des mysteres vers des horizons negatifs. La revelation du judaisme et la conversion au dreyfusisme ont dechu en "aveuglement comique," car il a des yeux et il ne peut voir, le don de vision etant mal utilise ou ignore completement (Hassine 96). Comme son mariage avec Odette releve chez lui d'une impulsion, d'un deraillement, son dreyfusisme, au lieu de le remettre a la spiritualite de son ascendance, ni de lui permettre de voir une verite encore cachee aux gens du monde, lui fait voir tout, au contraire selon un critere dreyfusiste mais "comique": tout homme politique dreyfusard est homme de conscience, homme de fer; tout ecrivain antidryfusard produit des oeuvres illisibles; Saniette, l'archiviste catholique pratiquant, quant a lui, s'il redevient revisionniste, il aurait ete sans doute "chambre" par quelqu'un de radicaliste comme Mme Verdurin, laquelle l'aurait manipule parce qu'elle a une belle dent contre les catholiques surnommes "calotins," etc.

Charles Swann, quoique dreyfusard, desapprouve Bloch qui lui propose d'envoyer au prince de Guermantes la petition en faveur du colonel Picquart; il refuse aussi sa propre signature, "a cause de son nom qu'il trouvait trop hebraique pour ne pas faire mauvais effet. Et puis, s'il approuvait tout ce qui touchait a la revision, il ne voulait etre mele en rien a la campagne antimilitariste" (III: 111). Pretexte curieusement mal fonde ..., car au fond, le prince et la princesse de Guermantes, dreyfusistes dans le secret, croyaient a l'innocence de Dreyfus et faisaient dire a l'abbe Poire des messes en faveur du prisonnier (III: 109). (31) De telle attitude dreyfusiste Charles Swann est tres emu quand il l'a appris. Persuade que les Guermantes sont sans exception antisemites, il trouve alors indistinctement intelligents ceux des Guermantes qui etaient de son opinion, sans etre conduits par l'atavisme.

Pourtant Swann refuse-t-il de signer lui-meme et de faire signer au prince la circulaire de Bloch de sorte que, dreyfusard enrage aux yeux de beaucoup, Bloch le trouve tiede, infecte de nationalisme, et cocardier. Dieu sait pourtant combien Swann dans son moi-profond est dreyfusard : "Je voudrais vivre assez pour voir Dreyfus rehabilite et Picquart colonel!" dit-il au narrateur qui s'informe de sa sante ... (III: 112).

Swann a caractere flottant ne tient pas stablement a un camp d'opinion. Proust le sait, et lui donne ainsi son excuse pour l'acquitter:
 En realite, nous decouvrons toujours apres coup que nos adversaires
 avaient une raison d'etre du parti ou ils sont et qui ne tient pas a
 ce qu'il peut y avoir de juste dans ce parti, et que ceux qui
 pensent comme nous, c'est que l'intelligence, si leur nature morale
 est trop basse pour etre invoquee, ou leur droiture, si leur
 penetration est faible, les y a contraints. (III: 110)


Bloch face au Marquis de Norpois

Dans la Recherche, Albert Bloch, c'est le camarade plus age du narrateur. Jeune auteur dramatique d'origine bourgeoise, Bloch appartient a une famille juive. Malgre un sentiment familial tres fort--tres proche de son pere, de son oncle, M. Nissim Bernard, tres admire de ses soeurs, etc.,--il fait montre cependant d'antisemitisme. Plus tard, il milite en faveur de Dreyfus. Mal eleve, medisant, d'un snobisme ostentatoire, chauvin pendant la guerre tant qu'il est reforme, antimilitariste quand il ne l'est plus, il frequente le grand monde et plagie dans ses articles ceux du narrateur (Tadie). En un mot, il est le plus mauvais type de modele pour representer son judaisme.

Bloch, entoure des gens antidreyfusards au salon de la Marquise de Villeparisis, harcelle l'ancien ambassadeur de Norpois des questions sur l'affaire, tandis que le vieux renard ne fait que lui flatter la vanite d'investigateur. En effet, "... la verite politique, quand on se rapproche des hommes renseignes et qu'on croit l'atteindre, se derobe" (II: 538), commente ainsi le narrateur perspicace en matiere de la diplomatie.

Il entendra aussi lui dire ceci le jeune duc Chatellerault, affichant de l'esprit antisemite: "Excusez-moi, monsieur, de ne pas discuter de Dreyfus avec vous, mais c'est une affaire dont j'ai pour principe de ne parler qu'entre Japhetiques." (32) D'ou le sentiment de sequestration d'un blanc race porte sur un Juif non race.

Bloch a la presence conjuratoire, risible, c'est le gaffeur inintegrable au monde. Avec ce desagreable meneur de multiples debats autour de l'affaire, auxquels repondent les propos antisemites de Charlus ou de Norpois et les violences expiatoires du narrateur lui-meme qui s'acharne sur ses doubles--Swann ou Bloch--comme pour se vider de ses propres "puanteurs," il est clair que le probleme juif est le secret de polichinelle de A la recherche, tel le "nez de polichinelle de Swann" (Kristeva 22).

Bloch est le juif qui fait le parcours entierement oppose a celui de Charles Swann. Plus il vieillit, mieux il s'assimile au monde: francise a l'extreme, apres la guerre, il est devenu un grand homme et a pris le nom de Jacques du Rozier. Au Temps retrouve, outre celles de son nom, c'est presque toutes les caracteristiques semites de son physique que Bloch a reussi a gommer (Bidou-Zachariasen 133).

L'affaire Dreyfus au faubourg Saint-Germain

Au faubourg Saint-Germain, fief de la noblesse legitimiste, a l'epoque ou l'aristocratie est encore coherente et "naturellement" dominatrice, le theme de l'affaire Dreyfus y emerge de facon recurrente. Legitimistes, nationalistes et antisemites, les aristocrates, pendant qu'ils sont encore dominateurs, ne peuvent etre qu'antidreyfusards. Le baron de Charlus, beau-frere de la duchesse de Guermantes, a pour mere une duchesse de Baviere. Dans la Recherche, il affiche presque partout un discours de la rhetorique furibonde, faisant montre de son antisemitisme pendant l'affaire et de sa germanophilie au cours de la guerre de 1914-18. La lecon de mentor que le baron de Charlus propose au narrateur, a la sortie de chez la Marquise de Villeparisis, instaure Charlus dans son role d'ultime figure de proue de l'aristocratie. Il en est l'incarnation physique et mentale. C'est le plus antisemite et le plus antidreyfusard de tous les aristocrates. Il est aussi le plus fin connaisseur du code social. Il en a a la fois le savoir et le sens (Bidou-Zachariasen 47).

Le baron de Charlus, qui s'offre a diriger la vie du narrateur, tient des propos affreux et presque fous sur la famille de Bloch et sur les Juifs. Par son abominable discours particulierement cruel, il indigne le jeune narrateur. Celui-ci a d'abord ete etonne que le baron de Charlus ne soit pas antidreyfusard. Mais il a compris ensuite que pour l'arrogant baron, Dreyfus, n'etant pas francais puisque juif, ne pouvait avoir trahi un pays qui n'etait pas le sien. "Il aurait commis un crime contre sa patrie s'il avait trahi la Judee, mais qu'est-ce qu'il a a voir avec la France?" precise le baron (II: 584).

Au faubourg Saint-Germain, la plus fine fleur de l'aristocratie, c'est Oriane de Guermantes. Elle appartient corps et ame a un milieu guinde, tres renferme en soi, ou l'on n'aime pas melanger les genres. Le duc et la duchesse de Guermantes pratiquent un petit esprit d'ouverture: au moment du mariage de Swann avec Odette, elle a choisi de demeurer l'amie de Swann tout en refusant de voir sa femme, afin de ne pas enfreindre a son code social. Chez sa tante Mme de Villeparisis, un jour ou elle est venue pour "raisons familiales," se trouve soudain "raidie," prend hativement conge quand Mme Swann est annoncee. La duchesse s'est enfuie presque en courant: il n'est pas question qu'elle ait a saluer cette femme de si petite extraction sociale, meme si l'un de ses amis les plus chers a eu la faiblesse de l'epouser.

Aussi, si leurs amities de longue date envers Charles Swann etaient sinceres, il n'en resterait pas moins vrai que le duc et la duchesse soient antidreyfusards, comme leur classe l'exige. A la grande soiree offerte par la princesse de Guermante, reception a laquelle s'est rendu le narrateur, le duc lui a exprime toute la deception qu'il ressent devant l'attitude dreyfusarde de Swann. Il le trouve ingrat envers le "monde." "Ah, il nous recompense bien mal," lui dit le duc: "il aurait du se desolidariser" (III: 77). Alors que la duchesse par conviction personnelle penchait plutot pour la revision du proces, elle avait affiche en public et depuis le debut un antidreyfusisme ferme. Seul parmi les siens et par intelligence personnelle, Robert de Saint-Loup avait depuis le debut soutenu Dreyfus (Bidou-Zachariasen 74-75).

En effet, la duchesse de Guermantes recoit beaucoup de personnes que la princesse de Guermantes n'aurait jamais pense a inviter. Le prince et la princesse sont "trop royalistes et antisemites pour avoir de telles relations." Le royalisme de ces derniers comme leur antisemitisme sont de principe. Ils croient au respect strict des regles de fonctionnement telles que l'on les pratique afin d'assurer a un groupe aristocratique et social de se perpetuer. Par rapport au meme objectif, Oriane, au contraire, pressent qu'un assouplissement deviendrait necessaire. Elle s'engage, de facon individuelle, dans une strategie de revision et de modernisation des normes jusqu'alors immuables de sa caste; mais elle a manoeuvre, en periode de l'affaire Dreyfus, avec precaution, c'est-a-dire en evitant les risques de bouleversements. Ainsi se sachant etiquetee mal pensante, "elle fait de larges concessions allant jusqu'a redouter d'avoir a tendre la main a Swann dans ce milieu antisemite." Ses invitations jugees "subersives" exigent en contrepartie une grande selectivite (Bidou-Zachariasen 80). Pour sa part, elle s'est mise a recevoir des juifs comme Mme Alphonse de Rothschild ou le baron Hirsch; elle recoit egalement "quelques grandes notorietes bonapartistes" ou meme "republicaines" qu'elle trouvait "interessantes" (Bidou-Zachariasen 80-81).

A la soiree chez la princesse de Guermantes, Swann, se sentant tres affaibli par la maladie, vient exprimer a Oriane son desir de pouvoir lui presenter enfin sa femme et sa fille. Un certain rigorisme l'a retenue a ce propos: au lieu de ceder a la requete d'un vieil ami juif pour lequel Oriane ressent de veritable affection, la conduite rigoureuse de sa strategie sociale l'a pourtant poussee a se montrer dure. "Il n'y aurait plus de salons si on etait oblige de faire la connaissance de tous les mourants. Mon cocher pourrait me faire valoir: 'Ma fille est tres mal, faites-moi recevoir chez la princesse de Parme'," s'explique la duchesse au narrateur qui s'informe sur Swann (III: 80).

Sur d'autres aristocrates d'autant plus guindes parce qu'ils sont nationalistes et legitimistes, comme par exemple M. de Cambremer, on entendra cette remarque du narrateur: "M. de Cambremer considerait l'affaire Dreyfus comme une machine etrangere destinee a detruire le Service des renseignements, a briser la discipline, a affaiblir l'armee, a diviser les Francais, a preparer l'invasion" (III: 740). Puis selon le duc de Guermantes, le "Jupiter tonnant," son opinion sur l'affaire, apres son echec a la presidence du Jockey, est sans conteste celle d'un catholique antisemite et un nationaliste xenophobe: "les Juifs n'admettront jamais qu'un de leurs concitoyens soit traitre, bien qu'ils le sachent parfaitement." Aussi dit-il ceci a sa femme: "ce crime affreux n'est pas simplement une cause juive, mais ... une immense affaire nationale qui peut amener les plus effroyables consequences pour la France d'ou on devrait expulser tous les Juifs" (III: 551). Si l'on prend l'affaire Dreyfus comme l'element d'analyse sociale, on constatera comme le narrateur que l'affaire a commence a s'introduire dans le monde comme un vecteur de transformation ulterieure. Elle est susceptible d'ebranler de l'interieur le systeme rigide de ce monde; l'affaire Dreyfus a egalement porte atteinte a la confortable situation du duc de Guermantes.

Tout cela commence par la medisance: "On fit valoir que la duchesse etait dreyfusarde ..., recevait les Rothschild, qu'on favorisait trop depuis quelque temps de grands potentats internationaux comme etait le duc de Guermantes, a moitie Allemand. La campagne trouva un terrain tres favorable, les clubs jalousent toujours beaucoup les gens tres en vue et detestent les grandes fortunes" (III: 548-549).

M. de Chaussepierre a ete elu president a la place du duc de Guermantes, bien que celui-ci pretende entierement digne du titre depuis longtemps. A propos de la medisance des gens a leur egard, fait conduisant a l'echec du duc de Guermantes a la presidence du Jockey, Mme de Guermantes a soutenu ulterieurement au narrateur qu'a la soiree ou elle etait en robe rouge, elle ne se rappelait pas qu'il y eut Mme de Chaussepierre, affirmant que le narrateur s'etait trompe certainement.

La reprobation d'Oriane est doubelement etonnante: le soir ou elle a du changer ses chaussures noires en rouges, afin de se donner du chic avec sa robe rouge, etait celle ou Oriane a quitte son vieil ami Swann, qui allait mourir tantot. C'etait egalement le soir ou elle a humilie publiquement Mme de Chaussepierre, avant que celle-ci ne l'humilie a son tour par la victoire de son mari elu president du Club de Jockey. "L'etre sentimental" de la duchesse de Guermantes, selon l'analyse de Benjamin, aurait fondu sous la pression sociale, a la suite de l'evenement catastrophique, elle aurait prefere l'oubli pour fuir inconsciemment l'affront. Les chaussures rouges, a travers l'interpretation de Walter Benjamin, signifient metonymiquement sa cruaute envers Swann dreyfusard qui se meurt, pour se reclasser a son code social antisemite (Jansen 34). Comme Oriane de Guermantes s'est comportee avant tout comme un etre social marque par l'antidryfusisme, fait auquel elle devrait sentir de la honte dans son moi-profond, elle prefere plus tard, quand le narrateur lui mentionne le port de ses chaussures rouges, affirmer que le narrateur s'est trompe, qu'elle ne se souvient pas qu'elle avait porte ses souliers rouges pour aller a la soiree de la Princesse de Guermantes, d'ou Swann etait exclu.

L'affaire Dreyfus n'aurait pas par elle seule contribue a bouleverser le monde. Mais il est vrai qu'elle a commence a brouiller les cartes: "On n'accusera pas l'affaire Dreyfus d'avoir premedite d'aussi noirs desseins a l'encontre du monde. Mais la certainement elle a brise les cadres" (III: 740). Par leur rigidite, leur esprit legitimiste, et par leur genie de famille:
 Les mondains qui ne veulent pas laisser la politique s'introduire
 dans le monde sont aussi prevoyants que les militaires qui ne
 veulent pas laisser la politique penetrer dans l'armee. Il en est du
 monde comme du gout sexuel, ou l'on ne sait pas jusqu'a quelles
 perversions il peut arriver quand une fois on a laisse des raisons
 esthetiques dicter son choix. (III: 740)


Ces propos tres comprehensifs sont tenus par le narrateur qui adule a l'extreme la classe aristocratique. Cependant, le conservatisme n'ira pas sauvegarder la classe qui derive malgre elle vers le declin: "La raison qu'elles etaient nationalistes donna au faubourg Saint-Germain l'habitude de recevoir des dames d'une autre societe, la raison disparut avec le nationalisme, l'habitude subsista" (III: 740).

Petit a petit, apres l'affaire Dreyfus, le monde se met a changer. Le faubourg a connu des mutations par des mesalliances. Premiere mesalliance: Gilberte, fille d'Odette, est devenue d'abord riche heritiere de 80 millions, puis mariee a Robert de Saint-Loup, par consequent, Gilberte, autrefois refusee par le salon d'Oriane, est devenue une des Guermantes. Deuxieme mesalliance encore plus choquante aux yeux des legitimistes: le neveu de Legrandin, le petit Cambremer se marie avec Mlle d'Oloron--un titre qui etait dans la famille des Guermantes et que Charlus avait donne a la niece de Jupien, ce giltier qui tenait sa boutique dans la cour de l'hotel de Mme de Villeparisis, apres que Charlus a d'abord adopte sa niece, et puis l'a richement dotee.

Le jeune Mme de Saint-Loup, ne Gilberte Swann, se fatiguera vite d'exercer sa vigilance pour que telle duchesse ne rencontre pas chez elle sa mere Odette ou les amies de celle-ci. Le narrateur, quoique dreyfusard convaincu comme son auteur, reste infiniment attriste par les deux mariages incongrus qui cassent toute distinction des classes socialement impermeables a l'origine, et devenues transmutables a la suite de l'affaire Dreyfus:
 De ces deux mariages je ne pensais rien, mais j'eprouvais une
 immense tristesse, comme quand deux parties de votre existence
 passee, amarrees aupres de vous, et sur lesquelles on fonde
 peut-etre paresseusement au jour le jour, quelque espoir inavoue,
 s'eloignent definitivement, avec un claquement joyeux de flammes,
 pour des destinations etrangeres, comme deux vaisseaux (IV: 241).


C'est sur cet etat des choses, une Oriane destablilisee par l'alliance des classes, que va s'ouvrir le dernier volume du roman Le Temps retrouve.

L'affaire Dreyfus et le salon des Verdurin

Par argent et grace a la reputation sociale de Swann, Odette a pu se faire oublier de son ancienne "carriere" de demi-mondaine et de constituer un salon de bonne qualite. Comme elle s'est montre antidreyfusarde, en suivant la lignee des aristocrates, malgre la protestation de son mari, elle recevait la bonne societe consacree par la Republique,--Bergotte ecrivain celebre, Cottard professeur, Mme Bontemps femme de ministre, etc. Swann, de son vivant, amenait parfois chez sa femme quelques aristocrates avec lesquelles il etait reste ami. Progressivement certaines portes du faubourg Saint-Germain s'est ouverte devant Odette. Et meme a cause du dreyfusisme de son mari, le monde finit par la considerer comme intelligente et cultivee, et surtout "les antidreyfusards lui savaient gre d'etre ' bien-pensante', ce a quoi, mariee a un juif, elle avait double merite." De plus, depuis que sa fille Gilberte a herite d'un riche oncle de son pere, elle devient un parti interessant. Apres un quart de siecle, celle que la Patronne appelait autrefois la "petite ouvriere" est parvenue du temps de l'affaire Dreyfus, a une situation mondaine bien superieure a sa vieille amie Verdurin et affichait meme a l'egard de celle-ci un certain mepris. Mais on ne retrouvera la scene reelle du salon Verdurin qu'apres l'affaire Dreyfus, a Rapsliere, soit vingt-cinq ans apres les premiers diners de "fideles."

Contrairement au projet d'Odette, des le debut de l'affaire, Mme Verdurin se positionne fermement dans le dreyfusisme, faisant ainsi contrepied de l'aristocratie. M.et Mme Verdurin sont, jusqu'a la mort du mari, inseparables. De moyenne bourgeoisie, mais riches, ils tiennent un salon a pretentions litteraires et artistiques, un "petit clan," un "petit noyau," aux idees "avancees," ou l'on n'aime pas les "ennuyeux," c'est-a-dire les personnes plus haut placees socialement. Ce salon a pu etre inspire par celui du peintre Madeleine Lemaire (qui le represente dans ses illustrations des Plaisirs et les Jours, de Mme Aubernon ou de Mme de Caillavet, maitresse d'Anatole France (Tadie).

Le recit proustien projette sur le salon des Verdurin un eclairage chatoyant, affirmant que Mme Verdurin, a la faveur du dreyfusisme, a attire chez elle des ecrivains de valeur qui momentanement ne lui sont d'aucun usage mondain parce qu'ils son dreyfusards. A ce propos, le narrateur exprime sa sagesse perspicace sur le monde politiquement changeant, sachant par avance toute chose, comme s'il etait dote d'un don prophetique:
 Mais les passions politiques sont comme les autres, elles ne durent
 pas. De nouvelles generations viennent qui ne les comprennent
 plus.... C'est ainsi qu'a chaque crise politique, a chaque
 renovation artistique, Mme Verdurin avait arrache petit a petit,
 comme l'oiseau fait son nid, les bribes successives, provisoirement
 inutilisables, de ce qui serait un jour son salon. L'affaire Dreyfus
 avait passe, Anatole France lui restait. La force de Mme Verdurin,
 c'etait l'amour sincere qu'elle avait de l'art, la peine qu'elle se
 donnait pour les fideles, les merveilleux diners qu'elle donnait
 pour eux seuls, sans qu'il y eut de gens du monde convies.... Chez
 Mme Verdurin la troupe etait parfaite, entrainee, le repertoire de
 premier ordre, il ne manquait que le public (III: 740-741).


Mais celui-ci ne va pas tarder a arriver.

L'habilite de Mme Verdurin consisterait egalement a attirer sur elle un regard admirateur politiquement marque par le dreyfusisme: "Comme on l'avait vue a cote de Mme Zola, tout aux pieds du tribunal, aux seances de la Cour d'assises, quand l'humanite nouvelle, acclamatrice des ballets russes, se pressa a l'Opera, ornee d'aigrettes inconnues, toujours on voyait dans une premiere loge Mme Verdurin a cote de la princesse Yourbeletieff" (III: 741).

Mme Verdurin, sincerement dreyfusarde, aimerait trouver dans son salon dreyfusiste une recompense mondaine. De facon tres consciente, elle ne s'est jamais fiee aux valeurs legitimistes. La methode d'ascension empruntee par Mme Verdurin a ete ce que le narrateur appelle par le terme d'"incubation." Elle va a contre-courant, tout en sachant que le dreyfusisme ne lui permettrait pas de triompher mondainement dans l'immediat. Car Labori, Reinach, Picquart, Zola, restaient pour les gens du monde des especes de traitres a fuir. Le salon des Verdurin a l'epoque de l'affaire, abritait de veritables "seances de Salut public ou ... se reunissaient Picquart, Clemenceau, (33) Zola, Reinach et Labori" (III: 144). Sidonie Verdurin, par son travail de salon et a travers son investissement dans l'affaire Dreyfus, participerait en quelque sorte au mouvement social d'invention des intellectuels. Le narrateur analysant l'affaire Dreyfus comme facteur social, ne peut que louer son grand sens d'anticipation et sa sagesse strategique.

La Patronne a soigneusement construit son salon avec des valeurs nouvelles comme l'importance accordee a l'art, la culture, la politique, vis-a-vis desquelles elle affiche des positions avant-gardistes. Un siecle apres la Revolution, la Republique a enfin gagne. La bourgeoisie occupe desormais le devant de la scene politique et economique. La noblesse a encore pour elle le prestige social. Rares parmi elle sont ceux qui ont compris que cela ne suffirait plus. Le fait qu'un salon ait pu acquerir un debut de reputation sur ses seules qualites intellectuelles et artistiques et non pas sociales, annone deja les transformations qui iront secouer toute la societe. Oriane continue a etre persuadee qu'elle pourrait par sa seule position decreter la valeur sociale de telle maison ou elle se rendrait (Bidou-Zachariasen 107-108).

Finalement, a la suite de la fameuse reception ou s'est rendu l'arrogant baron de Charlus et ses insenses cohortes aristocratiques, s'est produit un veritable duel des deux classes--l'aristocratie et la bourgeoisie. On peut estimer que cette soiree ou s'est joue le septuor de Vinteuil aura represente un point d'inflexion fondamental dans les rapports entre les deux classes. Ce soir-la le "monde" a vacille; il ne tardera pas a basculer, comme l'analyse Bidou-Zachariasen. Mme Verdurin, traumatisee prealablement par le baron de Charlus a Rapsliere, insultee de nouveau par le baron qui a pris la liberte de composer la liste des invites, en la rendant furieuse, saura trouver sur-le-champ le meilleur terrain de duel d'ou elle sortira vengee et finalement triomphante. Elle qui ne peut voir son role de Patronne menace, s'affronte glorieusement au baron de Chralus, d'abord dominateur puis bouleverse, malade et fragilise a jamais. Ils sont chacun a l'image de l'etat de leur classe. Le faubourg Saint-Germain par sa seule presence a cautionne le salon Verdurin. En reagissant de facon grossiere a la musique moderne, ou bete en riant des peintures d'Elstir, les aristocrates ont demontre qu'ils sont incultes. Mme Verdurin en revanche sait deja se comporter avec plus de "classe," car elle s'est raffinee au cours des vingt dernieres annees. Ainsi par sa faiblesse, individuelle mais non sociale, Charlus a permis que se rompe la derniere digue qui protegerait encore sa caste. La conduite de Charlus ce soir-la par le seul fait de faire penetrer le faubourg Saint-Germain chez Mme Verdurin, a aide au contraire a effectuer une "transformation." Seule Oriane n'est pas venue, prouvant bien par la que c'est chez elle que le sens social des Guermantes demeure le plus aiguise. Mais la resistance heroique n'ira pas tenir longtemps (Bidou-Zachariasen 118-119).

Quand Mme Verdurin a quitte la rue de Montalivet et le quartier des Champs-Elysees pour s'installer rive gauche, au quai Conti, dans le "magnifique hotel des Ambassadeurs de Venise," se rapprochant ainsi du faubourg Saint-Germain, le monde est deja tout pret a vaciller. La bourgeoisie montante remplacera l'aristocratie en declin. Le parcours s'avere irreversible, et tout cela, majoritairement grace a l'affaire Dreyfus.

Le narrateur face a l'antisemitisme francais

Le narrateur qui n'est pas juif, et qui s'est exprime a propos de l'affaire Dreyfus, joue en effet un un role extremement important dans le recit. A un moment donne, sensible, aimable et doux comme lui, il s'est meme exprime dans la colere: "... moi qui viens d'avoir plusieurs duels sans aucune crainte, a cause de l'affaire Dreyfus ..." (III: 10). Mais il s'est donne la liberte de comparer la race juive a celle des homosexuels: "Race sur lui pese une malediction ... qui doit renier son Dieu, puisque, meme chretiens, quand a la barre du tribunal ils comparaissent comme accuses, il leur faut, devant le Christ et en son nom, se defendre comme d'une calomnie de ce qui est leur vie meme" (III: 17). Le droit de l'homme chez les juifs se sent diminue parce qu'ils sont maudits.

Le narrateur dreyfusard ne croit pas a l'amitie, tant les gens sont facilement conduits par les sentiments malveillants:
 ... peut-on appeler amities ces relations qui ne vegetent qu'a la
 faveur d'un mensonge et d'ou le premier elan de confiance et de
 sincerite qu'ils seraient tentes d'avoir les ferait rejeter avec
 degout, a moins qu'ils n'aient a faire a un esprit impartial, voire
 sympathique, mais qui alors, egare a leur endroit par une
 psychologie de convention, fera decouler du vice confesse
 l'affection meme qui lui est la plus etrangere, de meme que
 certains juges supposent et excusent plus facilement l'assassinat
 chez les invertis et la trahison chez les Juifs pour des raisons
 tirees du peche originel et de la fatalite de la race? (III: 17)


Vivre sous la pression des prejuges, le complexe du judaisme est tres difficile a guerir. Les Juifs sont mal traites, mal acceptes, mal defendus, les amities des soi-disant dreyfusards risquent de ne pas etre vraiment sinceres ni consistantes.

Le narrateur deplore aussi le mauvais sort des Juifs, comparable a celui des invertis:
 Sans honneur que precaire, sans liberte que provisoire jusqu'a la
 decouverte du crime ; sans situation qu'instable, ... exclus meme,
 hors les jours de grande infortune ou le plus grand nombre se
 rallie autour de la victime, comme les Juifs autour de Dreyfus, de
 la sympathie--parfois de la societe--de leur semblables, auxquels
 ils donnent le degout de voir ce qu'ils sont, depeint dans un miroir
 qui ... accuse toutes les tares qu'ils n'avaient pas voulu remarquer
 chez eux-memes ... les caracteres physiques et moraux d'une race,
 parfois beaux, souvent affreux (III:18).


Comme il est dit de facon categorique, tous les Guermantes, qu'ils soient d'esprit nationaliste, legitimiste ou republicain, sont antidreyfusards, parce qu'au fond, ils sont tous antisemites.

Pour le duc de Guermantes, il n'y a qu'une idee qui vaut concernant Charles Swann, c'est qu' "il aurait du comprendre qu'il devait, plus que tout autre, couper tout cable avec ces gens-la," pendant que l'affaire Dreyfus s'aggrave. Mais c'est le contraire que Swann fait: Plus la societe francaise est travaillee par l'antisemitisme, plus Swann ressent son besoin ardent de rentrer a sa judeite authentique. Le narrateur n'a que sympathie vis-a-vis de son ame sincerement juive: "arrive au terme premature de sa vie, comme une bete fatiguee qu'on harcele, il execrait ces persecutions et rentrait au bercail religieux de ses peres" (II: 868).

Emu par le visage d'Odette qui lui rappelait celui de la fille de Jethro, beau-pere de Moise, Charles Swann a pris Odette pour femme alors qu'il ne l'aimait plus. Arrive au stade de la crise de l'affaire Dreyfus, Swann est de nouveau emu par le judaisme qui signifierait pour l'aristocratie le declassement, tandis que pour lui-meme et pour le narrateur, cela signifie plutot le reclassement, acte honorable en soi. Un Juifs seculaire, assimile s'est reconverti; chose dont le narrateur se rejouit. Quoique comique, le narrateur ne le blamerait tout de meme pas d'avoir trouve un criterium nouveau, c'est-a-dire, le dreyfusisme, pour distinguer tout ce qui est admirable de ce qui est degoutant: sont admirable et respectable tout homme politique dreyfusiste, tout ecrivain dreyfusiste.

A cote de Swann, se trouvent des gens moins bien reconvertis. M. Nissim Bernard, l'oncle de Bloch, d'une famille bourgeoise juive, devenant maniere et precieux au fils des ans, quand il entend se prononcer devant lui des propos antisemites tels que ceci, "M. Drumont a la pretention de mettre les revisionnistes dans le meme sac que les protestants et les Juifs. C'est charmant cette promiscuite!" (II: 586), il n'a pas repondu et a leve au ciel un regard d'ange. Le narrateur, penetrant dans les douleurs de son coeur, a precise ceci: "... il avait ... l'air d'une larve preraphaelite ou des poils se seraient malproprement implantes, comme des cheveux noyes dans une opale" (II: 586). Le destin d'un Juif assimile serait clairement previsible. Quoi qu'il fasse pour se raffiner, il y aurait toujours quelque felure, quelque craquelure regrettable dans sa vie.

Oriane de Guermantes, tout en croyant a l'innocence de Dreyfus, se montre antidreyfusarde. De la meme maniere, elle a passe toute sa vie dans le monde tout en ne croyant qu'aux idees. Aux yeux du narrateur, elle n'est pas une femme de Verite, mais une femme a Sensation. Comme toujours, elle cherche volontiers a provoquer l'etonnement en public, comme par exemple,
 elle avait produit une enorme sensation a une soiree chez la
 princesse de la Ligne, d'abord en restant assise quand toutes les
 dames s'etaient levees a l'entree du general Mercier, (34) et
 ensuite se levant et en demandant ostensiblement ses gens quand un
 orateur nationaliste avait commence une conference, montrant par-la
 qu'elle ne trouvait pas que le monde fut fait pour parler
 politique. (II: 767)


Lorsqu'elle prend la parole, ce qu'elle dit est a ignorer, car tous ceux qui l'entourent la supporteraient a peine: "Mme de Guermantes lancait parfois sur l'affaire Dreyfus, sur la Republique, sur les lois anti-religieuses, ou meme, a mi-voix, sur eux-memes, sur leur infirmites, sur le caractere ennuyeux de leur conversation, des reflexions qu'ils devaient faire semblant de ne pas remarquer" (II: 803).

Le narrateur face a la xenophobie des aristocrates francais

La richesse des Israelites, meme si elle est enorme, n'aide pas a leur integration veritable dans la haute societe francaise. Mme de Marsantes, mere de Robert de Saint-Loup, dit ceci a propos de Lady Israels: "Je ne frequenterai plus personne de cette nation. Pendant qu'on avait de vieux cousins de province du meme sang, a qui on fermait sa porte, on l'ouvrait aux Juifs. Nous voyons maintenant leur remerciement" (II: 550). Il y a une segregation evidente entre deux peuples, deux nations, deux races, deux classes.

De meme, le charmant regard que Mme Guermantes fait envers des gens bien nes change nettement quand celui-ci est dirige vers un Juif: "ce regard destine a un etre d'une autre race que Mme de Guermantes avait eu pour Bloch" (II: 588). Perce par le narrateur dreyfusard, il decrit sans doute ceci avec un rien d'amertume dans sa pensee.

Le baron de Charlus, l'etre le plus phenomenal du faubourg Saint-Germain, tout en protestant contre l'accusation de trahison portee contre Dreyfus, juge que Bloch, le camarade juif du narrateur Marcel, ainsi que Dreyfus ne sont point francais: "le compatriote de votre ami aurait commis un crime contre sa patrie s'il avait trahi la Judee, mais qu'est-ce qu'il a a voir avec la France?" Le narrateur proteste sur-le-champ. A l'objection du narrateur Marcel sur l'identification des devoirs civiques concernant les Juifs et les non Juifs, Charlus creuse la difference entre les potentiels militaires francais et juifs par une eventuelle condamnation des soldats juifs accusables a cause de "l'infraction aux regles de l'hospitalite." Bref, en aucun cas, aux yeux du baron de Charlus, les Juifs, s'il sont en France, et s'il sont consideres comme tout le reste des francais, c'est uniquement par principe d'hospitalite que la France daigne leur accorder. Il n'y a rien a changer la-dessus.

Le baron de Charlus continue a deverser des propos tres desobligeants concernant leur culte au Temple, leur pratique de la circoncision, leurs chants, leur litterature biblique, et meme leur race--cette creature extra-europeenne--, en pensant qu'il est juste de leur administrer une correction, comme celle a reserver a un vieux chameau, espece d'animal mechant et acariatre. Il met egalement en cible des messieurs et des dames accourus a l'afflux dans la maison aristocratique sous l'etendard de la ligue de la Patrie francaise, l'epithete "de la chamellerie, de la chamelliere" leur conviendrait a ces gens antijuifs. Le baron de Charlus est particulierement mecontent de voir que l'opinion politique donne gratuitement droit a une qualification sociale, meme dans le cas de ce scandale qui a bouleverse le pays tout entier.

Sidere par "ces mots affreux et presque fou," le narrateur se dit quant a lui, qu'il serait interessant d'etablir les rapports entre la bonte et la mechancete dans un meme coeur, pour divers qu'ils puissent etre" (II: 585). Quelle attitude compromettante a propos d'un sujet susceptible et agacant!

La fortune dont dispose un Juif ne le rend prestigieux qu'aux yeux des seuls autres Juifs. A l'encontre des nobles legitimistes, les nobles d'Empire a largement ouvert leurs postes aux Israelites. Malgre ce fait du modernisme politiquement favorable au peuple elu, au faubourg Saint-Germain, pour un seigneur legitimiste, le mot "assimilation " ne pouvait pas avoir de sens. Que ce soit avant ou apres la Revolution et l'Empire, un Juif restait un Juif.

Un equivalent romanesque des Rothschild dans la Recherche, qui s'appelle Sir Rufus Israel, d'ailleurs apparente a Swann, est tenu pour les Bloch, pere et fils, pour un personnage presque royal, alors que pour les Guermantes, c'est "un etranger parvenu, tolere par le monde, et de l'amitie de qui on n'eut pas l'idee de s'enorgueiller." Un Juif fortune et anobli est un parvenu par definition aux yeux des Guermantes (Raczymow 211).

Dans la Recherche, Albert Bloch represente l'etre le mieux efface de son judaisme, sa tendance a la dejudaisme s'intensifie au cours du recit romanesque. Pourtant il a ete le plus souvent victime des sentiments xenophobes du faubourg Saint-Germain, intentionnellement formules a son adresse. Il n'a pas eu la chance d'etre accueilli par les Guermantes, a peine est-il recu par un salon beaucoup plus terni que celui d'Oriane--celui de la marquise de Villeparisis. Comme il s'y est montre maladroit a l'extreme dans sa facon de parler ainsi que dans son comportement, il a ete econduit discretement par son hotesse: Mme de Villeparisis a feint de dormir pour ne pas lui rendre son salut quand celui-ci la quittait. Mais la xenophobie est la bete noire d'Albert Bloch. Il ne peut nullement supporter l'idee que l'on le chasse du cercle des aristocrates. Tant il s'assimile, s'y attache, s'y transforme, afin d'etre reconnu comme sien par ce milieu. Il change d'apparence, dans le seul but de s'y identifier. Mais les remarques que le narrateur fait a son adresse ne sont point laudatives:
 Bloch ... avait maintenant le menton ponctue d'un 'bouc', il portait
 un binocle, une longue redingote, un gant, comme un rouleau de
 papyrus a la main. Les Roumains, les Egyptiens et les Turcs peuvent
 detester les Juifs. Mais dans un salon francais les differences
 entre ces peuples ne sont pas si perceptibles et un Israelite
 faisait son entree comme s'il sortait du fond du desert, le corps
 penche comme une hyene, la nuque obliquement inclinee et se
 repandant en grands 'slams', contente parfaitement un gout
 d'orientalisme. Seulement il faut pour cela que le Juif
 n'appartienne pas au 'monde', sans quoi il prend facilement l'aspect
 d'un lord, et ses facons sont tellement francisees que chez lui un
 nez rebelle, poussant, comme les capucines, dans des directions
 imprevues, fait penser au nez de Mascarille plutot qu'a celui de
 Salomon. (II: 487-488)


En realite, par sa personalite de gaffeur incorrigible, "Bloch n'ayant pas ete assoupli par la gymnastique du 'faubourg,' ni ennobli par un croisement avec l'Angleterre ou l'Espagne, restait, pour un amateur d'exotisme, aussi etrange et savoureux a regarder, malgre son costume europeen, qu'un Juif de Decamps" (II: 488).

Le narrateur qui se rend au salon de Mme de Villeparisis, ou l'on ne ressent pas la moindre passion politique a cause de l'hotesse qui restait volontairement en dehors de la melee de l'affaire Dreyfus, a eu tout le loisir de constater sur la question des juifs seculaires. Et il constate qu'en effet, la race juive est celle qui demontre une tres forte vitalite dans la societe ou elle s'integre. Elle y repousse comme une plante vivace mais tout en preservant malgre elle ses traits exotiques:
 Admirable puissance de la race qui du fond des siecles pousse en
 avant jusque dans le Paris moderne, dans les couloirs de nos
 theatres, derriere les guichets de nos bureaux, a un enterrement,
 dans la rue, une phalange intacte, stylisant la coiffure moderne,
 absorbant, faisant oublier, disciplinant la redingote, demeuree en
 somme toute pareille a celle des scribes assyriens peints en costume
 de ceremonie qui a la frise d'un monument de Suse defend les portes
 du palais de Barius. (II: 488)


Si la xenophobie se tournait en exotisme esthetique, la race juive meriterait un chapitre d'etude interessante pour l'esthete aussi bien pour le narrateur lui-meme que pour le baron de Charlus quand celui-ci ne se montre pas particulierement odieux a l'egard du peuple elu, justement a cause de la curiosite esthetique et de l'amour de la couleur locale qui les animent, de la meme maniere que les idealistes de la beaute transcendentale pourraient s'interesser aux peuples grec ou persan anciens.
 Il me semblait que si j'avais dans la lumiere du salon de Mme de
 Villeparisis pris des cliches d'apres Bloch, ils eussent donne
 d'Israel cette meme image, si troublante parce qu'elle ne parait pas
 emaner de l'humanite, si decevante parce que tout de meme elle
 ressemble trop a l'humanite, que nous montrent les photographies
 spirites. (II: 489)


Quoique par l'attitude seculaire et integriste de Bloch, il finit par se donner l'image esthetiquement valable, mais sur le plan spirituel, sa conduite s'avere disqualifiee aux yeux du narrateur--l'ame du peuple elu, digne de celle du prophete est dechue au grade des spirites, homme-prophete devenu homme-devin. En plus, cet homme-devin est coiffe ostensiblement d'un style le plus francise de tous:
 Il n'est pas d'une facon plus generale, jusqu'a la nullite des
 propos tenus par les personnes au milieu desquelles nous vivons qui
 ne nous donne l'impression du surnaturel, dans notre pauvre monde de
 tous les jours ou meme un homme de genie de qui nous attendons,
 rassembles comme autour d'une table tournante, le secret de
 l'infini, prononce seulement ces paroles--les memes qui venaient de
 sortir des levres de Bloch: 'Qu'on fasse attention a mon chapeau
 haute forme.' (II:489)


La bizarrerie d'un Juif assimile en est complete.

La question d'identite

Admirateur immodere de la caste militaire, mais defenseur convaincu de Dreyfus, Juif par sa mere, et catholique par son pere, dote par surcroit d'une sensibilite excessive, Proust etait plus mal place que quiconque pour affronter les remous souleves en France par l'affaire Dreyfus. Que le choc ait ete, pour lui, dramatique, nul ne peut en douter, mais il prend soin de ne pas nous le laisser voir. Quand il parle de l'"affaire," c'est une facon objective, avec une froideur apparente, seulement il en parle toujours. Elle colle a lui comme une echarde dans sa chair (Cavanaggia 61).

Politiquement et sociologiquement, la question d'identite pourrait se poser ainsi: comment etre juif et francais en France pendant et apres l'affaire Dreyfus? Si l'affaire a permis au bloc de gauche d'acceder au pouvoir trente ans apres, et a favorise a la naissance des juifs intellectuels de gauche, sur le plan fictif de la Recherche, elle a reussi a rendre caduque la loi de caste aristocratique en soulignant la distance qu'il y avait chez ces Guermantes entre leur personnage social et leur sensibilite personnelle.

La modernite proustienne emerge, avec la tombee de l'ancienne maison de noblesse, d'un nouvel elan des visions qui deviennent aussi vraies que les precedentes. Cela impliquerait que le charme aristocratique soit d'abord rompu, apres tant d'adulation que l'ecrivain y a apportee, pour que ne fonctionne plus la croyance dans le caractere "essentiel" de la superiorite aristocratique. C'est cette modernite-la que Proust a peinte et analysee. Il a bien montre comment, avec ses nouveaux gouts artistiques, ses nouvelles prises de position politiques, la bourgeoisie de salon a revolutionne l'ordre ancien en autorisant l'eclatement des verites (Bidou-Zachariasen 156).

La facon dont Proust a traite l'affaire Dreyfus, volontairement dictee par les conversations de salon, amene l'affaire merveilleusement a son statut historique. Parti de l'antisemitisme violent, Proust s'acharne a decrire l'envers de la beaute semite. Proust, adepte fidele a la vision de Saint-Simon, l'a pourtant depassee: car l'individualisme de la representation saint-simonienne s'est limite a la peinture des caracteres particuliers dans la cour royale de Versailles. Ce qu'il appelle l'histoire vivante s'est reduite a la psychologie des personnages qu'il met en scene, ainsi qu'aux oppositions qui en resultent. Le but avoue de sa conception de l'histoire est exclusivement moral et didactique, en un sens qui n'a rien de moderne. Mais la diversite du reel dans lequel il vecut, et dont se nourrit son genie, l'entraine bien au-dela de son propos (Auerbach 428). Mais il n'en pas pas de meme chez Proust, pour qui, la diversite de la realite n'est pas un hasard, mais une intention romanesque qui aboutira a une conception a la fois d'authenticite historique et surtout de vision d'arstiste. Le but de la reconstruction d'un fait d'histoire telle que l'affaire Dreyfus le demontre, est doublement artistique.

Premiere dimension de l'art: par le fait que Proust a exclu le baron de Charlus de toute audience, non a cause de ses moeurs, mais parce que certains nouveaux et nouvelles venues dans le grand monde avaient sur le sujet de l'affaire Dreyfus une optique diversifiante: tandis que les uns s'efforcaient de batir une republique unie et belliqueuse, les autres s'employaient a neutraliser les partisans d'une monarchie deja frappee a mort. Le declin et la remontee des classes sont decrits a travers une succession d'images tant realiste qu'esthetique. Realiste, parce que les ancecdotes conduites par Proust correspondent merveilleusement a la circonstance politique telle que nous l'avons expliquee. Esthetique parce que le faubourg Saint-Germain, comme le dit Kristeva, etant devenu leur champ d'action, en quelque sorte, a ete pris d'assaut par des bataillons de brillantes amazones. Tradition, rang, hierarchie, rien ne leur resistait. Proust qui decrit les salons du faubourg a du mettre en scene les plus belles "croqueuses de diamants" plus tard remplacables par de plus intelligentes "croqueuses de blasons." Car les blasons etaient a vendre si l'on y mettait le prix, et les amazones mettent le prix. Les mesalliances ne se comptaient plus. Les plus spectaculaires avaient ete celle du Prince de Guermantes devenu veuf, epousant Mme Verdurin devenue veuve, et celle de Saint-Loup epousant la fille d'Odette la demi-mondaine. Proust ne cesse de deranger tous ceux qui veulent "en etre" (Kristeva 26). Tous les personnages proustiens sont a voir sous mille facettes, avec la diversification des caracteres qui relevent de leur decomposition prismatique.

Ainsi s'enlise dans le lucre et la vase le merveilleux chateau de cartes dont Proust, autrefois, s'est enchante. Rois, reines, barons et douairieres, tout est abattu pele-mele, sans un soupir, sans un mot de regret (Canavaggia 97). Les scenes de golo vues dans la chambre de son enfance deviennent spectacles plus que realistes d'ou l'eclat d'une esthetique sans cesse derangeante commencant par la gloire d'une caste, finit pas son ternissement fatal. L'antisemitisme proustien a la lettre tourne magiquement en philosemitisme fictionnel.

Puis, il vient une deuxieme dimension de l'art, qui devrait s'expliciter par les travaux d'ecrivain-artiste: quoi qu'il advienne, il faudrait que l'ecrivain-artiste sache ramener tous les elements d'exterieur pour les mettre en correlation avec son instinct. Le seul but de ces efforts, c'est d'"ecrire son livre interieur," sans se laisser deporter par les passions politiques quelles qu'elles soient: dreyfusisme ou antidreyfusisme.

En guise de conclusion

L'affaire Proust, c'est de se faire une position dans le pantheon saint-simonien des lettres: des surimpressions de memoire a faire palir les cathedrales (Kristeva 17). Elle nous affirme que lorsque l'Histoire revele la verite intrinseque des ensembles homogenes, la judeite temoigne a l'infini de la reversibilite des passions--amour, jalousie, mort, rien qu'une beaute et pas de solution historique. Si le judaisme a pour Proust l'Histoire, la judeite lui inspire l'art. Proust, avec son gout des contrastes a presente l'affaire Dreyfus dans le Temps: l'envers et l'endroit de l'aristocratie, ceux de la bourgeoisie. Le chasse-croise des controverses se tissait a l'infini le developpement de l'antidreyfusisme, finalement supplante par le nouveau developpement dreyfusiste.

Le jeune Proust est parmi les premiers militants dreyfusards. Engage a fond dans l'affaire, il passera cependant a la peripherie, s'eloignera de la politique et, sans jamais approuver aucune solution collective a aucun probleme (Kristeva 14). En matiere de grandes options, politiques ou religieuses, Proust a une attitude qui ne ressemble a aucun autre: il trouve moyen d'en faire le tour en restant dans l'antichambre (Cavanaggia 70). Ainsi, pour ceux qui n'ont pas la naivete de renouer avec le statuaire aristocratique ou hautement bourgeois, l'experience de Proust demeure aussi excitante qu'enigmatique. Car Proust a concilie la fixite des milieux et nos aspirations narcissiques d'en etre, avec la mise en lumiere du ridicule d'un vice (Kristeva 12). La vie la plus laborieuse qui soit pour tout ecrivain-artiste digne de ce nom ne devrait pas resider dans aucune prise de position politique, mais consisterait plutot dans la creation de l'oeuvre en soi:
 Chaque evenement, que ce fut l'affaire Dreyfus, que ce fut la
 guerre, avait fourni d'autres excuses aux ecrivains pour ne pas
 dechiffrer ce livre-la, ils voulaient assurer le triomphe du droit,
 refaire l'unite morale de la nation, n'avaient pas le temps de
 penser a la litterature. Mais ce n'etait que des excuses, parce
 qu'ils n'avaient pas, ou plus, de genie, c'est-a-dire
 d'instinct. (35)


Fuyons donc vers le "livre interieur" afin qu'il ne soit trop tard, car tout homme est presse par le Temps!

Bibliographie

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Notes

(1) Apres les elections legislatives des 8 et 22 mai 1898, Brisson forma un cabinet modere qui beneficiait des voix des nationalistes (lesquels approuverent surtout le choix de Godefroy Cavaignac au ministere de la Guerre) et parut se donner pour mission d'empecher la revision du proces, voir J.F., II: Notes et variantes, 1424.

(2) Comme le dit Maurice Blanchot dans son article analysant l'affaire:
 Dreyfus semble avoir toutes les qualites qui, en d'autres temps,
 auraient pu le conduire au sacrifice supreme, celui de se
 reconnaitre coupable d'un crime qu'il n'avait pas commis, dans la
 mesure ou cette reconnaissance aurait pu servir l'armee, la Patrie
 et le Bien public. Mais il y avait en cet homme que tant de ceux
 qui l'ont defendu ont meconnu, une impuissance superieure a faire
 defaut a ce qu'il appelle l'Honneur, c'est-a-dire son humanite
 meme--ce qu'il a exprime par cette phrase: 'Ma vie appartient a mon
 pays, mon honneur ne lui appartient pas.' Autrement dit, peut-etre
 lui a-t-il 'manque' le sens de la dialectique pour laquelle la
 falsification est necessaire a la verite, l'erreur, un moment proper
 a son avenir d'absolu. Et lui qui n'a jamais dit qu'il etait
 persecute en tant que juif, fut sauve parce qu'il avait recu, d'un
 judaisme qu'il ignorait, le pouvoir d'etre un homme 'a la nuque
 raide', incapable de rompre, voire de plier., voir Blanchot 10.


(3) Georges Picquart (1854-1914) fut lieutenant-colonel pendant l'affaire Dreyfus.

(4) Marie Charles Ferdinand Walsin Esterhazy (1847-1923) fut commandant pendant l'affaire Dreyfus.

(5) C.G., II: Notes et variantes, 1572.

(6) Le general Felix Gustave Saussier (1828-1905), gouverneur militaire de Paris de 1884 a janvier 1898, avait deconseille le general Jean-Baptiste Billot, ministre de la Guerre de poursuivre Dreyfus. Il fut cependant contraint, le 3 decembre 1894, de donner l'ordre d'ouvrir une information. Voir Jean-Denis Bredin, L'Affaire, Julliard, 1983, p. 71 et 88.

(7) Jules Meline (Remiremont, 1838--Paris , 1925) conservateur, perdit la majorite a la Chambre des deputes.

(8) Auguste Scheurer-Kestner (Mulhouse, 1833--Bagneres-de-Luchon, 1899), vice-president du Senat, convaincu depuis juillet 1897 de l'innocence d'Alfred Dreyfus, avait decide le 29 octobre 1897 de tout mettre en oeuvre pour obtenir la revision du proces; Scheurer-Kestner, sur lui la presse anti-dreyfusarde deversait les injures les plus grossieres, souhaitait s'en tenir a des demarches juridiquement indiscutables en tentant d'obtenir de ses amis du gouvernement une revision negociee du proces Dreyfus. Mais il fut violemment critique par le journal nationaliste L'Eclair le 1er novembre 1987 (Duclert 28).

(9) Georges Clemenceau (Mouilleron-en-Pareds, Vendee, 1841--Paris, 1929) defenseur de Zola lors de son proces, est d'extreme gauche.

(10) Correspondance, t. XVIII, p. 535-36.

(11) Ce quotidien dreyfusard fut fonde en 1897. Menant la campagne anticlericale et antimilitariste, il avait comme principal collaborateur Clemenceau.

(12) Maurice Barres (Vosges, 1862--Paris, 1923), fait de l'anti-revisionnisme une doctrine, en l'etayant de son nationalisme lorrain.

(13) C.G., II: Notes et variantes, 1571.

(14) Auguste Mercier (1833-1921) fut general pendant l'affaire Dreyfus.

(15) Armand Augustge Charles Ferdinand-Marie Mercier, marquis du Paty de Clam (1853?-1916) etait commandant du troisieme Bureau de l'Etat-Major en 1894 quand lui fut confiee la premiere enquete sur Dreyfus. Il temoigna ensuite au proces Zola. Voir C.G, III, Notes et variantes, 1641.

(16) Michel Rocard (Courbevoie, 1930), a ete premier ministre.

(17) La presse antidreyfusarde comprend notamment La Depeche de Toulouse, L'Autorite, La Lanterne, L'Echo de Paris, Le Gaulois, Le Figaro, La Libre parole, Le Petit Journal, L'Eclair, etc. Le Petit Journal, quotidien fonde en 1863, avait un tirage d' un million d'exemplaires a l'epoque de l'affaire Dreyfus. Ernest Judet (1851-1943) lui avait donne une ligne nationaliste avant de devenir redacteur en chef de L'Eclair.

(18) Jean Jaures (Castres, Tarn, 1859--Paris, 1914) un des plus importants dreyfusards, a d'abord ete membre de la Chambre des deputes en tant que leader socialiste, avant qu'il ne soit converti au revisionniste.

(19) Apres des comptes rendus favorables de plusieurs grands critiques litteraires, un proces s'instruisit peu a peu contre La Debacle, dans les milieux de tradition militariste et nationaliste. Plusieurs generaux en particulier reprouverent les jugements de Zola sur la politique imperiale et les capacites des chefs militaires de 1870. Aux yeux de la critique catholique, La Debacle etait "un ouvrage aussi malsain qu'anti-patriotique." Ainsi se constituait contre Zola une sorte de premiere "Ligue des Patriotes" (Mitterand 14).

(20) Zola est ne de pere italien, il s'est fait naturaliser francais a l'age de 24 ans.

(21) Paul Deroulede (Paris 1846--pres de Nice, 1914).

(22) Jean-Denis Bredin, L'Affaire, ed. Citee, p. 322-23, in C.G., II: Notes et variantes, 1639.

(23) C.G., II: Notes et variantes, 1639.

(24) Le 10 janvier 1898, le journal dreyfusard Le Siecle publia une lettre du directeur de l'Institut Pasteur, Emile Duclaux, microbiologiste, a qui Auguste Scheurer-Kestner demanda d'intervenir en faveur de Dreyfus. L'intervention d'Emile Duclaux arracha brutalement l'affaire Dreyfus au cadre etroit du "respect de la chose jugee" dans lequel voulait la maintenir le gouvernement (Duclert 30).

(25) Le Dictionnaire des intellectuel francais, (Jacques Julliard et Michel Winock dir., Paris, 1996), considere l'affaire Dreyfus comme le point de depart de l'histoire des intellectuels (Duclert note 8, 32). Pour les savants dreyfusards, leur tache principale consiste a demontrer l'innocence de Dreyfus, l'aveuglement des theses antidreyfusardes et la capacite de la science a eclairer la cite. Par contre, les savants qui s'engagent dans la Ligue de la Patrie Francaise sont incapables d'exister comme savant, dans une organisation nationaliste qui, de surcroit, derive rapidement vers l'extremisme et l'antisemitisme (Duclert 37).

(26) Ce quotidien publie de 1836 a 1927, sous la direction d'Yves Guyot en 1892, soutient la revision du proces de Dreyfus (S et G., III: Notes et variantes, 1382).

(27) La Revue la Vieille France, n[degrees]85, juillet 1918, p. 2. Cette source a ete indiquee par Bernard Brun, note de J. Hassine.

(28) Antisemitiste farouche recherchant l'eviction totale des Juifs a la maniere de la Sainte Barthelemy.

(29) Proust fait allusion probablement a Joseph Reinach qui au temps de l'affaire Dreyfus, est vilipende par L'Echo de Paris, puis favorable, contre beaucoup de ses anciens amis, a une politique de vigilance a l'egard de l'Allemagne, devient promoteur de la Loi de trois ans (laquelle aidant le ministere Barthou a adopter, en 1913, malgre la violente opposition des socialistes et des radicaux-socialistes, le service militaire de trois ans au lieu de deux, en raison des mesures renforcant en Allemagne les effectifs de l'armee active), et enfin, pendant la guerre, il est redacteur au Figaro des chroniques militaires reunies sous le titre Commentaires de Polybe. Proust juge de facon tres desobligeante les chroniques de Reinach (voir la Correspondance, t.XV, p. 65). T.R., IV: Notes et variantes, 1201.

(30) E. Curtius, "Du relativisme proustien" in Marcel Proust, Ed. La Nouvelle revue, 1928, texte publie a nouveau dans Proust, Garnier, collection "Les critiques de notre temps," Paris, 1974, p. 37. Note de Bidou-Zachariasen, p. 161.

(31) Le modele des prince et princesse de Guermantes seraient ici M. et Mme Greffulhe, celui de l'abbe Poire etant alors l'abbe Mugnier (1853-1944), qui connut Proust a la fin de sa vie. (S et G., III: Notes et variantes, 1384).

(32) Les Japhetiques sont les descendants de Japhet, troisieme fils de Noe et pere de la race blanche. Voir C.G., II : Notes et variantes, 1647.

(33) Georges Clemenceau fut ministre de l'Interieur dans le gouvernement Sarrien, du 14 mars au 25 octobre 1906, puis president du Conseil jusqu'en 1909. L'affaire Dreyfus lui avait permis de revenir sur le devant de la scene politique (C.G., II: Notes et variantes, 1666).

(34) Ministre de la Guerre.
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