Du Bresil au Quebec, quelques elements de reflexion: les agents communautaires de sante bresiliens font le pont entre les familles et les professionnels de la sante.
Renaud, Lise ; Zanchetta, Margareth ; Rheaume, Jacques 等
En 1988, le Bresil creait un Systeme unique de sante, qui a
l'epoque s'inspirait grandement du systeme de sante universel
canadien, a la difference majeure qu'il permet la participation du
prive, en complement. Aujourd'hui, le Bresil a un reseau de 27 000
equipes de sante familiale. Le medecin de famille est epaule par
d'autres professionnels : infirmiere, nutritionniste, travailleur
social, entre autres. L'accent est mis non pas sur le medecin de
famille mais sur des equipes qui integrent des agents communautaires de
sante (ACS) (n=300 000) dont le mandat est de faire le pont entre les
familles qu'ils visitent a chaque mois et les professionnels de
l'unite de sante familiale (1-9). Consequence de ce systeme, la
mortalite infantile a chute au point que l'Organisation mondiale de
la sante (10) a fait une declaration en 2008 pour inviter le monde a
s'inspirer du programme de sante de la famille bresilien
qu'elle a erige en modele.
Lors d'une mission financee par les instituts de recherche en
sante du Canada au sujet des determinants sociaux de la sante, quelques
elements de la fonction d'ACS bresilien sont venus nous interpeller
en regard de notre systeme de sante au Quebec. Au Quebec, notre derniere
reforme (11) dans le domaine de la sante et des services sociaux vise a
integrer les services (publics, associatifs et prives) et a les inscrire
dans des reseaux locaux dans une optique de responsabilite
populationnelle partagee entre les differents dispensateurs de services
dans le but d'en augmenter l'accessibilite et la qualite.
Cette reforme n'est pas sans offrir des points de similarite avec
le 'systeme unifie de sante' voulu au Bresil.
Plus specifiquement, il est interessant de rapprocher le programme
des 'unites de sante familiale' (USF) et celui des Cliniques
de reseau integre (CRI) ou des Groupes de medecine familiale (GMF)
appeles a travailler de concert avec des organismes communautaires et
dont l'objectif est d'etre plus proche de la population. Dans
les deux cas il y a ce souci de services de plus grande proximite de la
population d'un territoire donne, d'une plus grande
accessibilite et adequation des services (7,12,13.)
D'abord soulignons que l'ACS au Bresil etablit un niveau
de proximite avec les membres de la communaute qui est
presqu'inexistant au Quebec, sauf pour les familles vulnerables
d'enfants de 0 a 5 ans (programme de services integres en
perinatalite) et les personnes agees ou porteuses d'une deficience
d'une maladie qui beneficient d'un soutien a domicile a court
ou long terme14. Bien que ces derniers programmes quebecois permettent
un certain rapprochement avec le systeme bresilien, les ACS orientent
leur action vers la famille et non sur l'individu vulnerable. De
plus, chaque ACS est issu de la communaute pour laquelle il travaille et
il est responsable de visiter mensuellement chaque famille. Cela a pour
consequence que les populations les plus vulnerables sont bien encadrees
et sont accompagnees vers les services de sante au moment opportun. Il y
a donc ici un filet social tisse serre qui reflete une volonte de rendre
accessible a tous les services de sante et de s'assurer que toute
personne est susceptible d'etre depistee. Retenons deux choses : la
proximite culturelle puisqu'il est issu de cette meme communaute et
la proximite physique puisqu'il visite mensuellement la famille.
Au Quebec, meme dans les diverses experiences de GMF ou de CRI,
voire de certaines cliniques << communautaires >> de
quartier, il s'agit toujours de professionnels de la sante qui,
pour la plupart, ne vivent pas sur le territoire et n'ont pas
necessairement une appartenance a cette communaute locale pour laquelle
ils travaillent. Il y a certes un reseau informel de reference a ces
organismes qui permet une plus grande accessibilite aux services, mais
il repose surtout sur des institutions existantes, comme l'ecole et
plus rarement, sur les parents ou des voisins. Et surtout, il n'y a
pas de mandat specifique et les references demeurent aleatoires, suivant
les cas. Les organismes communautaires de quartier sont generalement
proches de la population, mais ils ciblent selon leur mandat differents
types de membres de la communaute. Ils ne sont generalement pas non plus
responsables de l'ensemble d'un territoire. Quelques
exceptions meritent une attention plus grande : soit le travail accompli
par les travailleurs de rue aupres des jeunes et des milieux
vulnerables, les organisateurs communautaires affectes a des habitations
a loyer modique, par exemple. Ainsi, il demeure qu'une zone grise
plus ou moins importante de la population est peu visitee et investie et
utilise tardivement ou peu les services de sante.
Peut-on envisager, dans ce contexte, et pour davantage rencontrer
l'exigence d'une responsabilite populationnelle des Centres
des services sociaux et de sante (CSSS), la mise sur pied d'un
reseau comparable aux 'agents communautaires de sante'?
N'est-ce pas dans l'esprit meme, par exemple, de l'action
communautaire dans un quartier que de pouvoir developper
l'information necessaire et l'acces aux services pour tous et
toutes? Quelques conditions specifiques seraient, dans un tel projet
social, a prendre en compte.
Il est sans doute possible de mobiliser des volontaires d'un
quartier et de zones specifiques a jouer un role comparable a celui des
ACS (15). Mais les specificites de notre systeme de sante et de services
sociaux rendent cette initiative delicate sous trois aspects (16) :
* Il est risque de vouloir faire ici un inventaire regulier et
systematique par de tels 'agents' des besoins et du suivi des
familles, sans se faire accuser d'intrusion ou d'invasion de
la vie privee; une collaboration volontaire et consentie est necessaire.
* La mise en place d'un tel reseau local d'ACS necessite
une formation adequate, un financement suffisant aussi qui
correspondrait aux normes du travail, et une gestion qui n'eloigne
pas ces ACS de leur milieu d'appartenance tout en assurant la
qualite d'une intervention 'professionnelle'. La
reference a des reseaux de pairs ou d'entraide est ici un bon point
de repere pour parvenir a un tel equilibre dans l'intervention.
Mais dans tous les cas, un budget important est a prevoir, et la
necessite sans doute de mobiliser d'autres acteurs, dont les
municipalites.
* L'adaptation quebecoise d'un mandat d'ACS serait
de relier etroitement des preoccupations sociales (conditions de vie,
logement, travail, isolement) a des services de sante ou d'hygiene.
Peut-etre est-ce davantage possible dans un contexte ou la position des
ACS est moins soumise, dans les quartiers, a des pressions sociales
venant limiter les interventions aux seules priorites d'hygiene ou
de services de base en sante. Mais cela n'est pas evident. Par
exemple, l'appartenance des ACS a un milieu specifique rend
difficile la distance et l'autonomie relative requises dans des cas
de 'denonciations' de situations inacceptables, sans
compromettre le lien de confiance et l'ouverture avec les gens du
milieu. Par ailleurs, un lien trop affirme avec des services publics
comme les GMF ou les CRI risqueraient d'eloigner ces ACS de leur
mode d'action plus ancre dans leur milieu d'appartenance. Le
developpement d'organismes communautaires autonomes du type
'reseaux de pairs', en relation avec des cliniques et
d'autres services sociaux pourrait etre une voie plus appropriee,
suivant les dynamiques des divers quartiers urbains. Il demeure que la
difference essentielle entre notre systeme de sante actuel et le
developpement de la sante communautaire a la bresilienne est
l'accent mis non pas sur le medecin de famille mais sur des equipes
qui integrent des agents communautaires de sante dans le but d'etre
le plus pres possible de la population et d'etre en contact avec
les personnes vulnerables. Comme le mentionne un article dans Le Devoir
(17): << Un audacieux changement de paradigme qui a permis de
reorienter la sante non plus autour du sacro-saint hopital, mais a sa
base, directement sur la ligne de front, soit autour de tout ce
qu'on appelle les soins primaires >>. Ainsi, cette difference
entre nos deux systemes bresilien et quebecois demeure l'approche
pro-active que le Bresil a adoptee afin de rejoindre sa population.
La-bas les services de sante ont decide d'aller chercher la
population chez elle pour lui parler de sante, de prevention, pour
l'amener vers les services de sante et si elle resiste a se
deplacer, les agents communautaires de sante tenteront du mieux de leur
connaissance de repondre aux besoins des familles. Il y a la une volonte
bien affirmee que l'on ne retrouve pas ici. Lorsque les CSSS auront
termine la mise en place de tous leurs projets cliniques tels que la
nouvelle reforme le demande, ce ne sera toujours qu'une marge de la
population d'un territoire qui sera rejointe par ces programmes et
toute l'energie du personnel y sera consacree.
Cette mission de dissemination des connaissances au Bresil nous le
fait voir davantage, la mise en oeuvre des services de sante et services
sociaux actuels ne vise pas a rejoindre efficacement l'ensemble de
la population et des solutions sont a inventer. Il faut plus peut-etre
que le developpement d'un nouveau programme, mais une approche
basee sur la collaboration avec les communautes, surtout celles de
milieux vulnerables et celles qui souffrent de problemes de sante
chroniques, pour les soutenir et favoriser la mise en place de
conditions favorables pour ameliorer leur sante, comme nous y invite le
cadre legislatif actuel.
Conflit d'interets : Aucun a declarer.
Recu : 24 fevrier 2010
Accepte : 20 aout 2010
REFERENCES
(1.) Aquino R, Medina MG, Villasboas AL, Baqueiro CCD, Nunes CA,
Caputo MC, et al. Treinamento introdutorio das equipes de saude da
familia (Manual Tecnico). 2001.
(2.) Ministerio da Saude, Secretaria de Assistencia a Saude,
Coordenacao de Saude da Comunidade. Saude da Familia: uma estrategia
para a reorganizacao do modelo assistencial (2' ed.). Brasilia,
Ministerio da Saude, 1998.
(3.) Ministerio da Saude. Manual para Organizacao da Atencao
Basica. Brasilia, Ministerio da Saude, 1999.
(4.) Ministerio da Saude. Saude da Familia no Brasil: linhas
estrategicas para o quadrienio 1999/2002 (resumo executivo). Brasilia,
Ministerio da Saude, 1999.
(5.) Ministerio da Saude, Secretaria de Assistencia a Saude,
Coordenacao de Saude da Comunidade. Avaliacao da implantacao e
funcionamento do Programa de Saude da Familia. Brasilia, Ministerio da
Saude, 2000.
(6.) Conselho Nacional de Secretarios de Saude (CONASS). Legislacao
do SUS. Brasilia, 2003.
(7.) Hartz ZMA, Contandriopoulos AP. Integralidade da atencao e
integracao de servicos de saude; desafios para avaliar a implantacao de
um << sistema sem muros >> (mimeo). 2004.
(8.) Medina MG, Nascimento EL, Lima MS, Impallari C, Rodrigues RM,
Aquino R. Sistema de Informacao da Atencao Basica: Indicadores 1999
(Caderno Tecnico). Brasilia, Ministerio da Saude, 2000.
(9.) Medina MG, Pereira RAG, Hartz ZMA, Silva LMZ. O Programa de
Saude da Familia: evolucao de sua implantacao no Brasil. A producao
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Brasileiro de Saude Cole tiva (ABRASCO), Ministerio da Saude, 2003.
(10.) Organisation mondiale de la sante (OMS). Les soins de sante
primaires--maintenant plus que jamais. Organisation mondiale de la
sante, hors serie, 2008. Sur Internet :
http://www.who.int/whr/2008/summary/fr/index.html (consulte le 24
fevrier 2010).
(11.) Ministere de la Sante et des Services sociaux (MSSS). Projet
clinique : Cadre de reference pour les reseaux locaux de services de
sante et de services sociaux : Document principal. Quebec, Ministere de
la Sante et des Services sociaux, 2004.
(12.) Contandriopoulos AP. Les enjeux ethiques associes a la
transformation des systemes de soins. Ethique publique 2003;5(1):42-57.
(13.) Paim JS. Saude da familia: espaco de reflexao e de praticas
contra-hegemonicas?, dans : Paim JS (ed.), Saude: Politica e reforma
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(14.) Ministere de la Sante et des Services sociaux. Les services
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des familles vivant en contexte de vulnerabilite : Cadre de reference.
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(15.) Lancman S, Uchida S, Sznelwar LI, Jardim TA. Agente
comunitario de saude : um trabalhadoro na berlinda. Estudo em
psicodinamica do trabalho. Travailler : revue internationale de
psychopathologie et psychodynamique du travail 2007;17:71-124.
(16.) Cote R, Renaud L, Rheaume J, Zanchetta M. Retour de mission :
visite au Bresil pour disseminer de l'information sur les
determinants sociaux de la sante et les vulnerabilites sociales. Cahiers
METISS 2010;5(1):47-60.
(17.) Rioux Soucy LM. Quand << la sante pour tous >>
devient realite. Le Devoir 6 fevrier 2010;Sect. Sante.
Lise Renaud, Ph.D. [1,2], Margareth Zanchetta, Ph.D. [2,3], Jacques
Rheaume, Ph.D. [1,2], Roger Cote, B.Sc. [2,4]
Affiliations des auteurs
[1.] Professeure, departement de communication sociale et publique,
faculte de communication, UQAM, Montreal, QC
[2.] Chercheur, centre affilie universitaire du CSSS de la
Montagne, Montreal, QC
[3.] Professeure, Ecole des sciences infirmieres Daphne Cockwell,
Universite Ryerson, Toronto, ON
[4.] Agent de planification du centre de recherche et de formation
du CSSS de la Montagne, Montreal, QC
Correspondance : Lise Renaud, UQAM, Case Postale 8888, Centre
Ville, Montreal (Quebec) H3C 3P8, Courriel : renaud.lise@uqam.ca