Bailly, Jean-Paul et Edith Heurgon. Nouveaux rythmes urbains : quels transports?
Lewis, Paul
Paris : Editions de l'Aube, 2001 ISBN 2876786516 221 p. $15.10
EUR (pbk)
La mobilite est d'abord un rapport au territoire, a
l'espace ; mais elle s'inscrit egalement dans le temps.
C'est la le point de depart du livre prepare pour le Conseil
national des transports, par un groupe de travail reunissant une
quarantaine de chercheurs et d'experts, d'affiliations
diverses, tant en recherche que du cote associatif. L'ouvrage a ete
ecrit par Jean-Paul Bailly (president du groupe de travail) et edith
Heurgon (rapporteure), a partir des contributions des membres du groupe
de travail, ce qui assure a l'ouvrage une tres grande unite dans le
style et le ton, sans pour autant que la richesse des contributions ne
soit compromise.
Le rapport a la mobilite se transforme. Les evolutions sont
d'abord le fait des transformations qui s'operent dans la
societe : transformations demographiques, transformations des rapports
sociaux. L'enjeu c'est en quelque sorte celui de la conception
de la qualite de vie, qui s'est modifiee, enrichie en quelque sorte
; la mobilite participe a cette redefinition. Autre facteur
d'evolution : le desserrement de la trame urbaine, qui force les
individus a repenser autrement leurs deplacements, pour profiter
pleinement de la ville. Les evolutions s'expliquent egalement par
la transformation du rapport au travail, qui est de moins en moins au
centre de la vie. Autrefois, le travail determinait l'essentiel de
la mobilite. Les deplacements travail sont reguliers, previsibles ; les
reseaux de transport, de meme que les modeles de planification, sont
pour l'essentiel concus sur ces regularites. Mais les deplacements
travail ne comptent plus que pour le quart, tout au plus le tiers de
tous les deplacements d'un individu. Ainsi, les rythmes de la vie
quotidienne se fragmentent et transforment la mobilite.
La ville fonctionne de plus en plus sur un horaire allonge, la
journee de 24 heures n'est plus une figure de style, le travail
a-typique n'a de cesse de croitre. Ce qui n'est pas sans
consequence sur les structures familiales, soumises a une tension
nouvelle. Cette fragmentation n'est pas non plus sans consequence
sur les reseaux, et leurs operateurs : les heures de pointe
s'allongent, l'offre de services doit etre adaptee, non sans
difficultes.
L'ouvrage comporte cinq chapitres. Dans un premier temps, les
auteurs analysent l'evolution des rythmes de la vie quotidienne, en
adoptant le point de vue des usagers (la question par exemple des ages
de la vie), mais egalement la perspective des territoires
(l'extension dans le temps et dans l'espace, par exemple), qui
suppose de nouvelles modalites, notamment de gouvernance urbaine. Le
chapitre 2 aborde les politiques temporelles qui commencent a faire leur
apparition en europe (en France notamment) ; elles sont, en Amerique,
encore exceptionnelles, pour des raisons qui meriteraient d'etre
examinees. Le chapitre 3 traite de l'impact des nouveaux rythmes
urbains--la journee de 24 h --sur la mobilite et sur l'organisation
des transports. Au chapitre 4, les auteurs s'interessent a la prise
de conscience des collectivites et des transporteurs a l'egard des
nouveaux rythmes temporels. C'est surtout la transformation du role
des transporteurs qui apparait significative. Ces derniers
s'imposent de plus en plus comme prestataires de services, un
changement de perspective qui n'est pas sans consequence sur la
facon d'entrevoir les liens avec les usagers, encore que les
attentes des usagers ne soient pas pour autant toujours prises en
compte. Le dernier chapitre fait une incursion du cote des pistes a
explorer, tant au plan des recherches a poursuivre que du developpement
des services et la regulation de la mobilite.
Longtemps, la mobilite a ete essentiellement pensee en termes de
rapport a l'espace, aux territoires. Si cette question demeure
fondamentale, il apparait essentiel egalement d'inscrire la
mobilite dans les cadres temporels, qui se sont considerablement
transformes au cours des dernieres annees. Il s'agit en quelque
sorte d'explorer la mobilite en comprenant mieux les rythmes de la
vie quotidienne, qui, en se transformant, autorisent de nouveaux patrons
de mobilite. L'ouvrage qui nous est propose ici par Jean-Paul
Bailly et edith Heurgon constitue une contribution significative a cette
reflexion qui ne fait que commencer. Elle est d'autant plus
essentielle qu'elle impose, aux operateurs, de revoir les services
qu'ils offrent, non seulement au plan des frequences et des
horaires, mais egalement dans les choix de destinations et, plus
fondamentalement, la qualite des services ; et, surtout, elle impose un
nouveau rapport a l'espace, qui interpelle les collectivites. La
mise en place de veritables politiques temporelles est dorenavant a
l'ordre du jour.
Paul Lewis
Universite de Montreal