Des communautes plus ou moins civiques : le capital social et la gouvernance metropolitaine au Canada et aux Etats-Unis.
Divay, Gerard
Des communautes plus ou moins civiques : le capital social et la
gouvernance metropolitaine au Canada et aux Etats-Unis
De MARIE-FRANCE LE BLANC. Saint-Foy : Les Presses de
l'Universite Laval. 2006. Pp. 340. ISBN 978-2-7637-8439-7. 35,00 $
Le titre << Des communautes plus ou moins civiques >>
et le sous-titre << Le capital social et la gouvernance
metropolitaine au Canada et aux Etats-Unis >> sont
particulierement allechants; ils s'inscrivent dans
d'importants courants actuels sur la reflexion urbaine, academique
et professionnelle. Mais ce titre et ce sous-titre campent d'emblee
autant l'ambition intellectuelle que l'ambivalence de cet
ouvrage. Ils font reference a quatre notions fort debattues :
communaute, civisme, capital social, gouvernance metropolitaine. Ces
notions sont ambigues, meme si elles evoquent d'emblee des <<
realites >> un peu mysterieuses dont on pressent l'importance
pour les metropoles. Les quelque 300 pages suivantes ne les eclairent
que partiellement, mais juxtaposent divers constats et des apercus
perspicaces sur des questions periphefiques qui peuvent donner envie de
faire un examen plus systematique des relations entre les quatre notions
liminaires. La fresque historique a grands traits que cet ouvrage
dessine sur les agglomerations de Toronto et Montreal au Canada et de
Milwaukee et de Minneapolis-St. Paul aux Etats-Unis temoigne certes
d'une grande erudition metropolitaine, mais peine a soutenir son
intuition centrale quant a l'effet des differences en dotation de
capital social sur les traits distinctifs des quatre agglomerations.
L'introduction et le premier chapitre essaient de circonscrire
l'ambition de cet essai, la relation entre la gouvernance
metropolitaine et le capital social. La premiere est la variable
dependante, la deuxieme le facteur explicatif. La premiere est definie
de maniere large : il ne s'agit pas seulement des differences dans
les institutions metropolitaines, mais des differences dans les
experiences de gestion metropolitaine qui << se demarquent par
leur stabilite, leur capacite d'innovation, l'ampleur de leurs
responsabilites ou leur envergure territoriale >>; bref, il
s'agit d'expliquer << les differences significatives
dans l'evolution de ces villes >>.
Le capital social comme <<conducteur de performance
institutionnelle et gouvernementale >> et dont l'auteur
decele la presence dans les principaux courants d'economie
politique urbaine est repere par des indicateurs disparates : les
associations, la generosite publique (surtout les programmes sociaux) et
privee (philanthropie), le respect de l'autorite (importance et
approche de la police) et enfin les traditions civiques (variable la
moins precisee qui, a la lumiere de son utilisation dans les differents
chapitres, exprime le degre, la forme et l'orientation de
l'engagement des elites dans la vie politique et sociale
locale/metropolitaine). La notion de communaute ou de communautes
civiques (dont on ne sait pas pourquoi elle a ete preferee par exemple a
celle de societe locale ou de collectivite) est elastique et
s'applique a differentes echelles spatiales.
Pour etayer son intuition centrale, l'auteure propose un
<< cheminement analogue a celui de Putman dans son etude des
gouvernements regionaux italiens >>. Elle opte pour une analyse
historique des quatre agglomerations sur plusieurs plans et tente de
reperer les tendances communes et les differences d'evolution en
regard de son interrogation centrale sur la relation entre capital
social et performance metropolitaine. L'auteure privilegie deux
periodes : fin XIXeme/debut XXeme siecle et depuis les annees cinquante.
Les quatre chapitres suivants presentent chacun une courte
monographie sur l'evolution generale de chacune des agglomerations,
notamment aux plans institutionnel, economique et social. Ils ne
contribuent pas directement a l'illustration du propos central,
mais sont sans doute necessaires pour les lecteurs moins familiers avec
les metropoles nord-americaines. Le chapitre 6 commence en presentant de
maniere discursive les points communs et les differences, sans
qu'un tableau synthese ne vienne souligner la demarcation entre les
experiences de gestion metropolitaine sur les principaux plans annonces
initialement. La deuxieme partie de ce chapitre demontre que les
differences d'orientation (progressiste ou conservatrice) des
gouvernements de tutelle ne peuvent expliquer les differences
institutionnelles entre les metropoles.
Les analyses du chapitre 7, sur la generosite publique et le
liberalisme vis-a-vis de la criminalite dans les Etats et les provinces,
tendent a soutenir le propos central, puisque Milwaukee n'a pas de
gestion metropolitaine et que le Wisconsin apparait << moins
genereux dans ses politiques publiques, moins liberal dans son approche
de la criminalite et, plus generalement, moins bien dote en capital
social >> (selon les indicateurs utilises). Mais la faiblesse des
differences entre le Wisconsin et le Minnesota laisse penser qu'il
faut aussi tenir compte des caracteristiques specifiques a chaque
agglomeration ou ville centrale, a chaque communaute civique, pour
rendre compte des differences d'evolution metropolitaine.
Les chapitres 8 et 9 traitent de l'engagement civique des
elites, au temps du mouvement reformiste et dans la deuxieme moitie du
XXcru<< siecle. Le chapitre 8 conclut que l'examen de cet
engagement << ne revele pas beaucoup sur les traditions civiques,
si ce n'est que le capital social a cette epoque n'etait pas
forcement developpe >>; l'inference de la deuxieme
proposition a partir de la premiere semble etre un glissement un peu
rapide dans le raisonnement, ce qui est d'ailleurs latent dans
l'ensemble de l'ouvrage. Uanalyse de la periode plus recente
relativise l'importance des elites economiques par rapport a
d'autres groupes de la societe civile, ce qui amene a
s'interroger sur les valeurs de l'ensemble des acteurs.
Le dernier chapitre s'emploie a analyser la generosite du
prive par une comparaisondes profils philanthropiques et le respect des
reglements dans les communautes bien ordonnees, tel qu'il peut etre
interprete a partir des depenses pour le service de police et des
discours officiels de ce service. Ce deuxieme indicateur est un peu
troublant : on peut se demander, a partir des exemples du texte, si ces
discours ne sont pas davantage revelateurs du style de gestion du chef
de police que d'une attitude profonde dans la communaute.
La conclusion enchaine dans le meme paragraphe, avec le meme degre
de certitude, deux series d'affirmations (p. 284) qui, aux yeux du
lecteur, n'apparaissent pas aussi fermement etayees par
l'ouvrage. La premiere serie ressort effectivement clairement de
plusieurs analyses et enumere << divers constats inattendus,
notamment des reformistes peu enclins aux reformes sociales, des groupes
economiques moins influents que ce que l'on croit generalement, et
d'importantes variations dans le capital social pouvant survenir
assez rapidement >>. Le dernier constat est crucial : si le
capital social ne ressemble en rien au capital physique d'une
agglomeration, mais presente une volatilite qui l'apparenterait
plutot au capital financier, est-il si heuristique dans
l'explication des changements institutionnels et des performances a
long terme d'une agglomeration?
Le degre de certitude manifeste dans la deuxieme serie
d'affirmations laisse perplexe, apres les nombreux passages
exposant le caractere tres conjoncturel des combinaisons de force qui
favorisent certains ckiangements : << Mais, sans contredit, la
principale contribution de cette comparaison est de confirmer non
seulement l'incidence du capital social sur la performance des
institutions de gestion metropolitaine, mais egalement de demontrer
comment les communautes civiques, c'est-a-dire celles qui sont bien
dotees en capital social, peuvent influencer les decisions et les
actions des gouvemements de tutelle a l'egard des metropoles
>>.
Plus modestement, cette fresque historique impressionniste ale
merite de montrer que la relation entre capital social et performance
metropolitaine est peut-etre un filon interessant. Neanmoins, son
exploration est delicate autant par la necessite de comparer plusieurs
agglomerations a long terme que par les difficultes de mise au point
d'indicateurs plus raffines. Eventuellement, il y aura un
eclatement de cette notion de capital social en plusieurs concepts plus
adequats pour l'analyse des dynamiques metropolitaines.
Gerard Divay, Professeur, ENAP a Montreal.