La responsabilisation du patient dans un contexte de telesoins a domicile.
Lemire, Marc ; Pare, Guy ; Sicotte, Claude 等
Au Quebec comme ailleurs au Canada, on assiste a la recherche et a
la promotion de modes de prise en charge des patients et des questions
de sante que l'on veut moins lourds, couteux et centralises que
ceux lies au modele hospitalier traditionnel. (1) La continuite des
soins vers le domicile represente l'une des avenues privilegiees.
(2)
Cette volonte de transformation du systeme de sante est egalement
propice a une recrudescence du discours public sur la responsabilisation
du patient. Pour des raisons variees, les decideurs politiques,
gestionnaires, cliniciens et specialistes en sante publique en viennent
a souhaiter une implication accrue des patients et des citoyens en
regard de leur propre sante et de leur bien-etre. (3) Cette idee
impregne egalement le discours de promoteurs et specialistes des
technologies d'information et de communication (TIC). On soutient
que l'utilisation de ces technologies aidera les individus ou leur
entourage a exercer un plus grand role dans la prise en charge des
questions de sante. (4) Au Canada, tant le Conseil consultatif sur
l'infostructure de la sante que la Conference nationale sur
l'infostructure de la sante ont abonde dans un sens similaire. (5)
De plus en plus de recherches, enfin, s'interessent au role des TIC
dans la prise en charge individuelle d'activites relatives a la
sante. Ceci en observant, par exemple, les strategies personnelles
developpees dans l'utilisation de technologies (6) ou les
strategies organisationnelles visant a depasser les obstacles lies aux
realites individuelles, en vue de l'adoption des technologies. (7)
Une analyse des orientations politiques et technologiques, adoptees
par le gouvernement quebecois de 1991 a 2002, a deja mis en lumiere le
caractere nevralgique de la responsabilisation dans les initiatives de
modernisation du systeme de sante au Quebec. (8) Partant de ce constat,
une recherche a ete entreprise afin d'identifier les enjeux
sociaux, politiques et ethiques de la responsabilisation du patient au
moyen des TIC. Les telesoins a domicile ont ete identifies parmi les
axes representatifs de la modernisation en cours et l'une des
avenues possibles de responsabilisation du patient. Aussi est-il paru
important de cerner le sens de la responsabilisation dans un contexte de
telesoins a domicile.
L'objectif de cet article est d'examiner, a partir
d'une etude de cas, les possibilites et limites des telesoins a
domicile en terme de responsabilisation du patient. La premiere partie
identifie quatre paradigmes interpretatifs du concept de
responsabilisation et precise l'interet du paradigme professionnel
pour cerner la contribution du cas etudie. La seconde partie presente le
cas--un projet de suivi a domicile developpe dans une region du
Quebec--ainsi que les principaux elements de methodologie. La troisieme
dresse les constats et identifie les principaux resultats de
l'etude. La discussion qui suit, en quatrieme partie, amene a
situer les benefices observes par rapport a l'ideal du <<
patient-expert >>, evoque dans certaines politiques
gouvernementales comme element pivot de la modernisation des services de
sante.
Le concept de responsabilisation (et d'autres ayant un sens
connexe, comme le concept anglo-saxon empowerment) est aborde dans de
nombreuses disciplines et fait l'objet d'interpretations
diverses. Il occupe une attention speciale non seulement en sciences de
la sante, (9) mais dans des domaines aussi varies que la gestion, (10)
l'economie, (11) les sciences de l'education, (12) la
sociologie (13) et la philosophie. (14) La diversite de cette
litterature revele une notion ambigue, qui ne designe pas forcement
l'emancipation ou l'habilitation du patient a laquelle se
referent generalement les interventions en sante publique. Elle devoile
un plus large eventail de definitions, dont l'amplitude et le
caractere contraste apparaissent dans l'enumeration des nombreuses
declinaisons qui lui sont associees: competence, confiance, conformite,
engagement, emancipation, controle, autonomie, obligation, partenariat,
delegation, sens de la communaute, comprehension critique, reddition de
compte, coercition, domination, etc. Aussi est-ce difficile d'en
proposer une definition simple et unique.
En regroupant les modeles et approches partageant une vision
semblable, il est cependant possible de faire ressortir quatre grands
paradigmes interpretatifs (professionnel, technocratique, consumeriste
et democratique), revelant autant de logiques de responsabilisation
personnelle. La responsabilisation apparait des lors comme un terme
generique pour designer, au sens large, les differentes formes possibles
d'implication personnelle. La logique professionnelle concoit la
responsabilisation comme l'habilitation de l'individu a
intervenir grace a l'acquisition de competences et d'un
sentiment de controle qui, en matiere de sante, sont generalement du
ressort des professionnels de la sante. La logique technocratique
envisage surtout la responsabilisation en termes de controle des actions
et des decisions en fonction des visees de l'organisation ou de
l'institution. La logique consumeriste voit dans la
responsabilisation la reconnaissance d'une liberte individuelle a
decider face a une offre de marche et incite a faire appel aux
ressources personnelles pour trouver les options, faire les choix et en
assumer les couts/ consequences. La logique democratique, enfin, associe
le concept de responsabilisation a l'inclusion du citoyen dans
Faction et le changement au sein de la societe et mise notamment a cette
fin sur la participation, la solidarite et l'affirmation
identitaire et culturelle.
La presente etude s'interesse au paradigme professionnel en
raison de la predominance accordee aux pratiques cliniques dans le
discours de promotion du systeme de telesoins ainsi qu'aux
objectifs enonces par ses responsables en termes de suivi clinique a
domicile, de stabilisation de l'etat de sante, d'adhesion au
traitement et d'habilitation du patient. La responsabilisation est
vue comme un processus a travers lequel le patient est amene a acquerir
des connaissances et a les mettre en pratique par ses actions et
decisions, de facon a agir efficacement en regard de sa sante. Jones et
Meleis, (15) en reference a Gibson, y voient un processus social de
reconnaissance, de promotion et d'amelioration des habiletes des
personnes a repondre a leurs besoins, a resoudre leurs problemes et a
mobiliser les ressources necessaires pour leur permettre d'avoir du
controle sur leur propre vie. Il s'agit, selon ces derniers,
d'aider les personnes a assurer un plus grand controle sur les
facteurs qui affectent leur sante. Cette conception nous permet de
cerner les contours de la responsabilisation vue selon le paradigme
professionnel. Elle laisse entrevoir, par le fait meme, le genre de
problematiques soulevees par une telle conception concernant, par
exemple, la portee du controle individuel sur les determinants de la
sante (16) ou encore le type de competences pouvant etre developpees par
le patient. (17)
Les exigences relatives a une telle conception sont d'autant
plus elevees si l'on concoit le patient sous l'angle du
<< patient-expert >>. C'est ainsi que le decrit la
politique gouvernementale de modernisation des services de sante au
Royaume-Uni, que Wilson presente comme l'approche etatique de la
troisieme voie en sante publique. (18) Suivant cette conception, le
patientexpert est cet individu apte a gerer sa maladie et sa condition
en developpant les connaissances necessaires pour rester en sante et,
mieux encore, prevenir la maladie. (19) Pareille transformation demeure
controversee ou peu credible a la lumiere de certaines analyses. Par
exemple, certains auteurs insistent sur la preexistence de pratiques et
relations de pouvoir solidement ancrees dans le systeme de soins, (20)
alors que d'autres y voient surtout l'extension de
l'emprise du modele medical jusque dans la sphere privee
individuelle. (21) Cette conception du patient-expert n'en demeure
pas moins representative d'un niveau tres exigeant de
responsabilisation personnelle en terme d'habilitation.
L'atteinte d'une telle expertise supposerait que le
patient accede a des connaissances diversifiees sur les differents
aspects relatifs a la sante (connaissance holistique), qu'il
developpe sur cette base une conscience de soi et de son environnement
(reflexivite) et qu'il puisse exercer une influence suffisante pour
ameliorer sa situation (role dynamique et proactif). Une conception
holistique des connaissances suppose des points de vue diversifies
provenant de differentes sources. Dans l'esprit de l'approche
canadienne en promotion de la sante, (22) cela peut vouloir dire
notamment considerer les determinants de la sante et les differentes
approches cliniques et therapeutiques disponibles. Une conception de la
reflexivite fondee sur un principe d'autonomie de pensee suppose la
presence d'une diversite de points de vue et de sources
d'information, de meme que la possibilite de confronter ces
diverses connaissances. (23) Dans l'esprit des tenants du modele de
responsabilisation psychologique, il s'agit d'encourager le
developpement d'une conscience critique de soi et de son
environnement. (24) Enfin, une conception du role dynamique et proactif
du patient (25) peut vouloir dire la possibilite d'influence a
l'ensemble des niveaux d'intervention en matiere de sante:
intrapersonnel, interpersonnnel, communautaire, organisationnel et
politique. (26) C'est la combinaison de ces trois exigences
(connaissance holistique, reflexivite, et role dynamique et proactif)
qui permet de definir l'ideal type du patient-expert en tant que
vision exigeante de la responsabilisation personnelle.
Au plan empirique, dans la litterature, deux approches sont
courantes pour etudier la responsabilisation personnelle selon une
logique professionnelle, l'une proposant un regard d'ordre
psychologique, l'autre sociologique. Un courant d'analyse
s'affirme depuis plus de deux decennies autour de la notion de
responsabilisation psychologique. (27) I1 inspire, a des degres varies,
differentes etudes et reflexions recentes sur la responsabilisation.
(28) Il oriente d'abord le regard vers la perception de
l'individu engage dans le processus de responsabilisation. Il
reconnait neanmoins qu'un tel processus est indissociable des
interactions sociales et du contexte d'action. De fait, ce modele
propose de conceptualiser la responsabilisation non seulement selon une
dimension intrapersonnelle et comportementale mais aussi
interactionnelle. (29) La dimension intrapersonnelle concerne la facon
dont la personne pense a propos de sa capacite a exercer une influence.
Elle s'observe notamment a travers la perception du controle, la
perception de la competence et l'interiorisation des buts, selon le
modele d'analyse propose par Menon. (30) La dimension
comportementale a trait aux differentes actions posees par
l'individu en vue d'exercer l'influence qu'il
recherche. Enfin, la dimension interactionnelle refere aux dynamiques et
aux transactions entre les personnes et les differents environnements.
Elle fait notamment appel aux connaissances de l'individu quant aux
ressources necessaires pour exercer de l'influence et aux facteurs
qui agissent sur sa situation. Cette derniere dimension nous pousse a
concevoir la responsabilisation en fonction des contextes dans lesquels
la technologie est utilisee.
A la difference des travaux se concentrant uniquement sur les
dimensions contextuelles immediates, le modele de Menon (31)
conceptualise ces contextes comme l'interaction de trois elements
ou entites : l'individu dans son environnement immediat; le
fournisseur (individuel ou institutionnel) de soins et de services; et
les politiques regulatoires definissant le systeme de sante. Ce modele
est donc adapte a la realite d'un projet de telesoins qui peut
s'inserer non seulement dans le cadre organisationnel de la
prestation de soins mais, plus largement, dans l'organisation de la
prestation au niveau regional et national. C'est en fonction de ces
trois dimensions contextuelles que le modele prevoit l'examen des
caracteristiques de la responsabilisation personnelle (empowerment).
Comme pour la plupart des travaux associes au courant de la
responsabilisation psychologique, le modele considere la competence et
le controle comme deux caracteristiques cles. Au sens le plus fort, la
competence designe les habiletes ou les qualites qui permettent au
patient de gagner en autonomie et d'intervenir dans les decisions
sur la sante et les soins de sante. (32) Menon definit pour sa part la
<< competence >> comme un sentiment d'efficacite
personnelle par rapport aux exigences qui incombent dans l'exercice
d un certain role, ici le role de patient. (33) Le controle se rapporte
a l'autonomie et a la prise de decision personnelle. (34)
S'ajoute une troisieme caracteristique : l'interiorisation des
buts, servant a capter l'influence au plan psychique des objectifs
fixes dans les contextes de responsabilisation.
Ces caracteristiques relatives a l'etat psychique de
l'individu s'apprehendent par l'analyse des perceptions,
selon Menon, mais une telle approche nous semble incomplete pour bien
circonscrire l'utilisation des TIC et son influence sur la
responsabilisation. Autrement dit, elle parait insuffisante pour capter
les actions, les interactions et les environnements qu'offre
l'utilisation des TIC. La litterature qui se developpe autour du
theme << consumer health informatics >> peut offrir un
certain nombre de pistes supplementaires; en particulier
lorsqu'elle s'interesse aux strategies personnelles adoptees
par les utilisateurs des TIC pour l'accomplissement de taches
specifiques et que ces strategies sont apprehendees en fonction des
technologies a leur disposition et de l'environnement physique dans
lequel ces taches peuvent etre accomplies. (35) En raison des objectifs
de la presente etude, c'est la configuration sociotechnique dans sa
totalite--incluant le personnel affecte au suivi distant--qui
s'avere la plus utile a cerner si l'on souhaite evaluer la
capacite du systeme a favoriser, de par les ressources deployees et les
conditions d'utilisation, la responsabilisation personnelle. La
litterature definissant les concepts de patient informe, (36) de patient
competent (37) et de patient expert (38) nous incite plus
particulierement a observer les trois conditions suivantes comme autant
de vecteurs de responsabilisation du patient: la possibilite que lui
offre le systeme d'acceder aux connaissances requises; la
possibilite que lui offre le systeme de developper une reflexion
autonome; et la possibilite que lui offre le systeme d'exercer des
actions consequentes.
En somme, la combinaison des approches sociologique et
psychologique nous permet ici d'envisager l'analyse du
potentiel d'une technologie qui tienne compte a la fois de la
perception de l'acteur sujet a la responsabilisation, de la logique
de fonctionnement de cette technologie et du contexte social, technique
et organisationnel dans lequel l'acteur en question se situe.
L'etude de cas
Un service de telesoins a domicile
Un projet de telesoins base sur une technologie de suivi
electronique a distance a ete entrepris a partir de l'annee 2000
par le Centre hospitalier (CH) Anna-Laberge de Chateauguay, dans la
region de la Monteregie, au sud de Montreal. Il permet le suivi a
domicile distant de personnes souffrant de troubles chroniques, en
convalescence ou a risque. Dans les annees suivantes, le Centre local de
services communautaires (CLSC) de Chateauguay amorca a son tour
l'experimentation de la meme technologie. Les deux etablissements,
fusionnes depuis sous une meme entite administrative (le Centre de sante
et services sociaux Jardins-Roussillon), envisagent d'integrer
leurs services respectifs de telesoins.
Le projet initial est ne d'un partenariat avec une firme de
developpement technologique ayant considere le CH comme un milieu clinique et informatique propice a l'experimentation et a la
demonstration de sa technologie. Cette technologie fut envisagee comme
moyen de rendre accessibles des soins et services a des patients
vuinerables dans un contexte de penurie de ressources et de roulement accru des lits d'hospitalisation. L'intention fut
d'organiser l'approche des telesoins selon les principes de
gestion de cas (case management) et de gestion de soin (managed care),
de facon a substituer le suivi integre et continu au suivi classique par
<< episode de soin >>. Quant aux objectifs plus immediats,
ils ont surtout ete formules en termes cliniques : assurer un suivi
clinique a domicile, stabiliser l'etat de sante, susciter
l'adhesion au traitement et habiliter le patient.
Le CH a d'abord cherche a tester le fonctionnement,
l'acceptabilite et l'efficacite du systeme aupres de femmes
suivies pour grossesse a risque. Des protocoles electroniques de suivi
cliniques ont ete developpes en vue d'une seconde experimentation
lancee en 2002 aupres d'une autre clientele: les personnes agees
souffrant de maladies chroniques. Le projet du CLSC de Chateauguay a
pour sa part ete developpe sur la base de la meme technologie, mais
selon une configuration adaptee a sa mission et a sa clientele. La phase
d'experimentation du CLSC fut menee aupres de personnes
diabetiques, mais ce sont les problemes d'asthme et la maladie
pulmonaire obstructive chronique (MPOC) qui sont vises depuis 2004.
Quant au CH, il s'interesse surtout a l'insuffisance
cardiaque, au diabete et a la MPOC. De 2002 a juin 2006, pres de 800
patients ont ete suivis par les deux etablissements, essentiellement par
le CH, dont 78 % des patients dans le cadre de la clinique GARE
(grossesse a risque elevee).
Malgre les differences d'un etablissement a l'autre, le
fonctionnement de la technologie (ci-apres systeme ou systeme
sociotechnique) se structure autour des memes composantes : un
dispositif technique a la disposition du patient (webphone, cybook ou
ordinateur personnel); une interface visuelle sous forme d'un
questionnaire adapte au suivi et a la situation du patient; des
protocoles electroniques interactifs supportes par l'interface et
definis selon les pathologies pour lesquelles un suivi est requis--ce
qui permet une surveillance automatisee a distance des patients; et une
permanence clinique, a savoir un professionnel de la sante qui assume le
role de gestionnaire de suivi et que le patient peut contacter
directement par messages textes ou par telephone.
Le systeme se deploie donc sur deux poles sociotechniques :
d'une part, le patient et son dispositif utilise quotidiennement a
une ou quelques reprises depuis son environnement domestique;
d'autre part, le professionnel de la sante et son poste
informatique a partir duquel il assure periodiquement la surveillance
des donnees transmises par le patient.
Materiel et methodes
Pour realiser cette etude, une litterature diversifiee sur la
responsabilisation et divers documents sur le projet (rapport
d'evaluation, rapport sur l'etat d'avancement, etc.) ont
d'abord ete analyses. Treize entretiens semi-diriges (dont certains
entretiens de groupe) regroupant au total 18 acteurs cles ou
utilisateurs du systeme ont ensuite ete menes, entre les mois de mars et
mai 2005; soit 10 patients ou proches de patients souffrant de
pathologies differentes (diabete de grossesse, maladie pulmonaire
obstructive chronique, troubles cardiaques et asthme), deux
professionnels de sante attitres au suivi (gestionnaires de suivi
clinique) au sein de deux etablissements (CH et CLSC), deux responsables
du developpement des projets au sein des deux etablissements et quatre
responsables du dossier de la telesante au sein de l'agence
regionale de developpement des reseaux de sante et de services sociaux.
Chaque entretien fut transcrit sur support informatique afin
d'en faciliter l'analyse pour un total de 210 pages. Une
analyse qualitative de contenu a ete menee au moyen d'une grille de
reference refletant les differentes dimensions du modele de la
responsabilisation personnelle. L'application de cette grille au
contenu manifeste des entretiens a permis d'identifier
l'occurrence des arguments, leur frequence d'apparition,
l'interdependance de certains arguments et la variation selon les
repondants et les contextes. De cette facon ont pu etre confrontes les
discours des professionnels impliques dans les telesoins et ceux des
utilisateurs du systeme concernant surtout la perception du
developpement des competences et du controle.
Trois premieres dimensions du modele d'analyse visent a cerner
les ressources et conditions d'utilisation du systeme et concernent
plus specifiquement les acteurs cles, en particulier les responsables du
systeme. Elles relevent d'une approche sociologique et
s'appuient notamment sur les reflexions de Henwood et al. sur le
patient informe, (39) de Welie et Welie sur le patient competent (40) et
de Fox, Ward et O'Rourke sur le patient expert (41) : possibilite
d'acces aux connaissances, possibilite de developpement d'une
reflexion argumentee, et possibilite d'influence sur l'action
ou la decision. Trois autres dimensions cernent la perception des
patients et sont empruntees aux travaux de Menon (42): competences
percues, controle percu et interiorisation des buts. Le regard jete sur
le patient est continuellement elargi pour considerer
l'organisation et le contexte d'action dans lequel il se
trouve.
Resultats
L'examen de la configuration sociotechnique
Les trois premieres variables permettent de cerner les assises sur
lesquelles peut se fonder la responsabilisation du patient par un examen des ressources deployees et des conditions d'utilisation du
systeme.
La possibilite d'acces aux connaissances
Favoriser l'acces aux connaissances constitue l'une des
premieres etapes en vue d'aider le patient a accroitre ses
capacites de reflexion et d'action en matiere de sante. Le systeme
etudie contribue en partie a cet objectif en diffusant une connaissance
clinique, susceptible d'accroitre l'habilitation a certaines
actions pertinentes relatives au probleme de sante.
Le patient retrouve quotidiennement sur l'ecran du dispositif
un certain nombre d'informations adaptees a sa pathologie et
portant sur la detection des symptomes et des signes de deterioration de
son etat de sante (essoufflement, gain de poids, fatigue, etc.); sur les
comportements a adopter pour reduire les risques de deterioration
(marcher, se coucher, eviter certains aliments, etc.); et sur les
actions a poser en cas de deterioration (contacter le gestionnaire de
suivi clinique, etc.).
Bien que son importance varie selon l'etablissement,
l'education du patient au moyen du systeme constitue un objectif
partage tant par le CH que par le CLSC. Ce dernier, conformement a sa
mission et a sa culture de promotion-prevention, fait de
l'enseignement ou du renforcement de l'enseignement
(l'information diffusee a repetition) son principal objectif tandis
que le CH, conformement lui aussi a sa mission et a sa culture curative,
vise en priorite la surveillance des signes et symptomes et
l'incitation a l'observance de la medication.
La possibilite de developpement d'une reflexion argumentee
La diffusion de connaissances ne contribue vraiment a la
responsabilisation personnelle que si ces connaissances sont integrees
et mises a contribution dans une demarche active et consciente de
l'individu. La reflexion et la discussion critique sur soi et son
environnement apparaissent parmi les competences centrales auxquelles on
associe la responsabilisation personnelle.
Le systeme contribue a cet objectif en incitant le patient a
prendre conscience de l'incidence de ses actions sur sa maladie et
en lui permettant d'etablir au besoin une forme de dialogue avec le
professionnel de sante. Par la repetition des questions posees
quotidiennement sur les signes et symptomes de deterioration de sante,
et par les conseils repetes qu'il recoit suivant ses reponses, le
patient est encourage a developper une connaissance des facteurs
immediats de deterioration de sante et des comportements prescrits, afin
d'eviter ou de corriger pareille deterioration. Par ce fait meme,
il est incite a acquerir des habiletes et une assiduite pour la
detection des signes et symptomes.
Par ailleurs, la configuration du systeme accroit la possibilite
d'une communication directe entre le patient et le professionnel de
sante. Accessible par telephone ou par courriel, le gestionnaire de
suivi clinique peut repondre aux questions du patient touchant le
dispositif du systeme, les signes et symptomes et les actions a prendre.
En l'absence du gestionnaire de suivi clinique, la nuit et les fins
de semaine, le patient peut toujours obtenir l'aide d'un
professionnel affecte a un service telephonique regional (Info-sante
CLSC). (43) Ce dernier rendra compte de cet appel au gestionnaire de
suivi clinique attitre.
La possibilite d'influence sur l'action ou la decision
Le concept de responsabilisation peut difficilement etre dissocie
de. la notion de controle, de maitrise ou a tout le moins
d'influence. Le terme anglo-saxon << empowerment >>
refere directement a la notion de pouvoir. A travers ces differentes
notions ressort l'idee d'une participation, d'une
implication ou d'une presence active du patient dans l'action
ou la decision.
Dans le cas present, le systeme est configure de telle sorte
qu'il offre au patient la possibilite d'exercer deux types
d'influence sur l'action ou la decision. D'une part, il
lui permet d'etre plus actif dans la surveillance de son etat de
sante et, d'autre part, dans la surveillance de l'influence de
ses actions sur sa sante. En fait, le patient se trouve quotidiennement
a l'etape initiale d'un suivi pouvant conduire jusqu'a la
production d'un diagnostic ou d'une prescription medicale de
par l'information qu'il transmet sur les signes et symptomes
de sa maladie, et compte tenu de sa possibilite de fournir des
renseignements additionnels qu'il juge opportuns sur son etat. En
inculquant dans son esprit la vision infirmiere et medicale de la
normalite et de la pathologie, le systeme l'encourage par ailleurs
a prendre des actions personnelles susceptibles d'eviter ou
d'interrompre la deterioration de son etat.
En somme, a ce premier niveau d'analyse, il est possible de
constater que le systeme, par son fonctionnement et les ressources
mobilisees, offre des conditions pouvant encourager un type de
responsabilisation. Mais pour evaluer sa contribution effective, deux
autres niveaux d'analyse sont requis. Le premier permettra de voir
dans quelle mesure le patient se sent responsabilise. Le second, aborde
dans la partie suivante de l'article, amenera a discuter des
resultats, en fonction d'une vision plus exigeante et donc
d'une lecture plus complexe du phenomene de responsabilisation.
La perception du patient responsabilise
Les trois variables suivantes aident a cerner la perception du
patient quant aux retombees du systeme en ce qui le concerne. Elles
s'interessent au sentiment de competence, au sentiment de controle
et a l'interiorisation des buts de l'organisation chez le
patient.
Competence percue
Dans les telesoins, deux types de competences peuvent etre
particulierement utiles en raison de la nature du suivi et de letat de
sante des patients : eviter la deterioration de l'etat par
l'adoption de comportements prescrits et savoir recourir en temps
opportun a l'assistance des professionnels. Le modele de Menon
incite neanmoins a elargir l'analyse des competences aux trois
dimensions contextuelles que sont l'individu dans son
environnement, le fournisseur de soins et de services, et les politiques
du systeme de sante. Dans ce qui suit, les competences sont examinees en
fonction de cinq situations en lien a ces contextes de reference.
Premierement, le patient peut se sentir competent s'il
developpe la capacite et la connaissance lui permettant de maintenir un
mode de vie conforme aux comportements prescrits. Differents discours
tendent a montrer que les patients se trouvent adequatement outilles en
ce sens, meme s'ils font rarement cas d'avoir modifie leurs
comportements. Les patients semblent davantage interesses a voir comment
le systeme peut les aider a suivre leur etat de sante qu'a voir
comment il leur permet de modifier des comportements. Cela dit, les
responsables de soins observent des progres interessants chez les
patients quant a la conscientisation et a l'apprentissage.
Deuxiemement, le patient peut se sentir competent s'il pense
avoir les habiletes pour gerer les ennuis mineurs ne necessitant pas
d'assistance medicalisee. Le discours de certains patients tout
comme celui du personnel tend a confirmer que le suivi permet deviter
des consultations et des hospitalisations; mais il semble que les
patients sont moins portes a s'en attribuer personnellement le
merite qu'a reconnaitre l'efficacite du systeme. Les propos de
l'une des patientes sont revelateurs a cet egard : <<
C'est un controle (...), C'est comme une maman qui dit : fais
ci, fais pas ca. >>
A un niveau plus technique, troisiemement, le patient peut se
trouver competent en sachant utiliser de facon adequate le dispositif
technique. Aucun patient n'a expressement dit etre competent en ce
sens, mais tous font etat de la simplicite et de la convivialite
d'utilisation, ce qui peut etre attribue a la qualite de la
conception du dispositif. Le gestionnaire de suivi clinique au CLSC
explique : << Le protocole a ete etabli de facon a ce qu'un
enfant de [6.sup.e] annee, et meme moins, puisse s'en servir. Il y
a donc des questions simples et l'on repond par oui ou non.
>> Certains patients disent avoir ete reticents ou inquiets
lorsqu'on leur a presente le projet, mais ce sentiment se serait
attenue apres avoir assiste a une demonstration, ou apres avoir utilise
eux-memes le dispositif. << L'ordinateur, il me l'a
montre avant de partir de l'hopital. C'est tellement simple
la! J'ai eu peur pour rien. Tu peses sur le bouton et tout se fait.
>> A noter que les patients peuvent confier la tache a un aide
s'ils ne peuvent utiliser eux-memes le dispositif.
Quatriemement, le patient peut se dire competent s'il sait
quand, oU et comment aller chercher l'assistance medicale. Dans le
cas present, les utilisateurs temoignent d'une grande satisfaction
a l'idee de pouvoir acceder si facilement a une assistance dediee.
Selon la responsable du projet au CH, la possibilite d'etre assiste
par un professionnel joue fortement dans la satisfaction : << Ce
que les patients ont par dessus tout besoin, selon moi, c'est
d'avoir acces a un professionnel qui connait leur dossier et qui
est capable de les diriger. Et c'est ce qui arrive presentement. Et
je pense que c'est ca qui joue. >> Le patient est donc moins
porte ici a s'attribuer un quelconque merite qu'a se
considerer chanceux de beneficier d'un tel service.
Le gestionnaire de suivi clinique repond non seulement a ses
questions mais il l'accompagne dans les rouages administratifs du
reseau, pour l'acces aux services et aux professionnels. <<
Dans le dedale des soins medicaux, on les conduisait par la main
>>, indique le gestionnaire de suivi au CH en citant
l'exemple d'une femme gravement malade, accompagnee par son
mari. De meme, s'il pressent la necessite de modifier la medication
du patient, c'est lui qui communique avec le medecin et qui
s'assure que les ajustements seront bien faits par le pharmacien.
Si un examen est requis, il prendra rendez-vous au nom du patient et
tentera meme d'obtenir une place a breve echeance malgre les listes
d'attente. Ainsi, meme s'il affirme qu'il privilegierait
l'hopital dans les situations urgentes, le patient en vient a
considerer ce systeme comme sa principale porte d'entree au reseau
de soins et de services. En ciblant cette entree privilegiee, il risque
toutefois de perdre contact avec son medecin de famille si ce dernier
n'est d'aucune facon implique. Au fait du probleme, les
responsables mettent desormais en garde les nouvelles personnes pour
eviter qu'une telle situation ne se reproduise.
Cinquiemement, le patient peut avoir un sentiment de competence
s'il croit pouvoir gerer avec succes les differents aspects de son
interaction avec les professionnels de la sante--comme le fait de
pouvoir bien communiquer ses besoins, de savoir quelle question poser,
de bien comprendre l'information fournie, de suivre les directives
ou conseils et de faire part des progres realises. Dans le cas present,
plusieurs patients temoignent de leur satisfaction apres avoir
communique avec le gestionnaire de suivi clinique du fait qu'il les
ecoute et reponde a leurs questions en termes comprehensibles. Sans
avoir l'impression d'avoir modifie leurs comportements,
certains font comprendre qu'ils connaissent mieux la maladie, ses
symptomes et les signes de deterioration. Plusieurs mentionnent bien
suivre la majorite des directives ou conseils. On peut donc supposer
qu'un sentiment de competence puisse etre parfois ressenti mais,
dans certains cas, l'on semble plutot attribuer cette competence au
fait d'avoir obtenu l'information en lisant un depliant ou en
assistant a une formation: << C'est souvent des choses que je
savais deja >>, dit l'une des femmes suivies pour diabete de
grossesse. << Tu rencontres une dietetiste qui t'explique
pendant une heure et demie ce qui peut arriver si tu manges telle ou
telle chose. >>
Il est interessant de souligner que plusieurs patients semblent
tirer une satisfaction de leur participation du fait qu'ils ont le
sentiment de pouvoir etre au service d'autrui. Certains ont
l'impression d'aider le professionnel de la sante qu'ils
savent aux prises avec une lourde charge de travail. D'autres ont
l'impression d'aider le promoteur du projet ou la science en
se portant volontaire pour une experimentation. Une patiente raconte :
Il y a des gens qui me demandent si je suis fatiguee d'avoir
ca? Non! Ca me fait rien moi. C'est pour le progres. Et c'est
pour moi aussi (...) Ca n'a pas brime ma vie du tout. Non, je suis
contente de le faire. Comme mon garcon me disait : << vous etes
comme moi, vous aimez ca rendre service. >> C'est vrai.
C'est comme si certains patients s'etaient appropries
l'un des arguments employes initialement par les responsables afin
de trouver des personnes volontaires pour l'experimentation. Le
gestionnaire de suivi au cH explique ainsi son approche : << Moi
je leur dis que ca va etre la medecine du futur (...) Pour eux,
c'est un progres. Ils se sentent importants parce qu'ils font
partie d'un projet qui n'existe pas ailleurs. >>
L'argument fonde sur la participation a l'avancement de la
medecine parait trouver un echo particulierement favorable chez les
patients dont le niveau d'occupation est limite, par exemple les
personnes agees vivant seules.
Controle percu
Comme dans la plupart des modes traditionnels de suivi, le patient
ne peut exercer ici de controle sur les aspects techniques touchant les
decisions medicales et les procedures a suivre. La plupart des patients
suivis ont une sante fragile et recherchent avant tout une plus grande
securite. Le modele de Menon nous permet cependant d'identifier
quatre types de situations dans lesquelles un patient peut avoir le
sentiment d'etre plus en controle.
En premier lieu, le patient peut ressentir ce sentiment
lorsqu'il croit mieux controler sa maladie. Cela peut etre le cas
s'il a l'impression de mieux detecter les signes et symptomes
de deterioration, par exemple, ou s'il adopte les comportements
prescrits. Bien qu'une majorite des patients ou proches de patients
rencontres reconriaissent une amelioration de la qualite du suivi, il
est plus rare de les entendre dire qu'ils ont modifie leurs modes
de vie en utilisant le dispositif. Les changements de comportements
qu'ils evoquent concernent surtout le fait de pouvoir decider plus
facilement de se rendre ou non a l'urgence ou en consultation. La
mere d'un enfant asthmatique affirme : << J'ai bien aime
ca. Au moins, on ne se cassait pas la tete : mon Dieu, est-ce qu'on
doit aller a l'hopital ? Combien de fois je me suis pose la
question! Qu'est-ce qu'on fait? On voulait jamais y aller pour
rien, mais d'un autre cote ... >> Ceci rejoint une autre
observation : le patient semble voir plus facilement les benefices quant
a l'efficacite du systeme que de voir son efficacite ou son
habilete personnelle.
En second lieu, le patient peut eprouver un sentiment de controle
lorsqu'il juge que les professionnels qui l'entourent agissent
dans son interet. A cet effet, le discours de plusieurs patients laisse
croire qu'ils se sentent bien appuyes, ecoutes et securises par le
gestionnaire de suivi clinique. Ce dernier aurait reussi a etablir un
contact et un suivi personnalises avec eux. Sa disponibilite serait
grande, et son approche humaine et securisante. << La
communication ne se fait pas seulement par ordinateur >>, explique
un patient gravement malade, << elle se fait avec un intermediaire
qui est un infirmier, Monsieur X. C'est un gars merveilleux. Je
n'ai que des compliments a lui faire. >> Dans le meme sens,
une autre patiente precise : << Il est fin avec tout le monde. Je
me suis attachee a lui. J'ai confiance en lui. >> La qualite
de presence est comparee avantageusement au suivi normalement offert
dans les etablissements, lequel a fait l'objet de critiques
repetees dans les medias ces dernieres annees.
A ce titre, le systeme constitue pour certains un moyen de
securisation tres important. Quelques patients peu nombreux, disent
toutefois les responsables, en viennent meme a developper une certaine
dependance au systeme. Leur insecurite, conjuguee a la satisfaction des
services recus, les conduit a refuser la fin du suivi, ce a quoi les
responsables ont choisi de repondre en proposant de maintenir la
possibilite de contact telephonique malgre le retrait du dispositif. La
responsable du projet au ch explique :
Quand ils ont vu comment on intervenait, qu'ils ont vu
qu'on etait la, ris ne veulent plus perdre l'appareil. Parce
qu'ils doivent se securiser. On a meme des patients qu'on a
cesse de suivre parce que leur condition etait stable mais qui nous
rappellent et disent : bon ca va plus bien, te souviens-tu de moi, tu me
suivais? Est-ce que tu peux faire quelque chose pour moi?
Dans ce cas, semble tout particulierement intervenir
l'appreciation de la qualite du suivi exerce par le professionnel
de sante. La fille d'une utilisatrice explique: << Tu te sens
en securite, tu sais que le monde est la, qu'il t'ecoute. Ils
savent que c'est grave. Ils vont venin Ils vont re-telephoner tout
de suite. >> C'est d'ailleurs en touchant a cette corde
sensible que s'articule une partie du discours de promotion du
systeme aupres de la population : r On leur presente le systeme un peu
comme ca : avec lui, on va pouvoir vous surveiller plus etroitement, on
va pouvoir repondre plus rapidement a des signes de decompensation, on
va pouvoir initier les traitements a la maison plus facilement >>,
indique la gestionnaire de suivi au CLSC.
Troisiemement, le patient peut sentir qu'il controle mieux sa
situation s'il estime que l'on respecte ses souhaits et sa
dignite. Bien que les discours ne fassent pas directement etat de cet
aspect, certains propos s'y rapprochent un peu lorsqu'ils
evoquent la satisfaction d'etre suivi a domicile plutot qu'a
l'hopital. Le respect des souhaits et de la dignite est susceptible
d'etre ressenti de facon particuliere dans le cas d'un suivi
en fin de vie. Une personne agee gravement malade evoque l'effet
positif que genere le suivi a domicile sur le moral, alors que son etat
lui inspirait le decouragement et le refus de traitement :
Il vient un temps ou on ne veut pas continuer d'avoir une vie
comme ca. A ce moment-la, on refuse tout traitement, on refuse
d'aller a l'hopital. On refuse tout, tout, tout. on n'a
plus le gout de vivre de facon anormale (...). Mais (le systeme) a aide.
Ca m'a aide beaucoup, ah oui!
Enfin, le patient peut sentir qu'il controle davantage
d'elements s'il estime qu'il beneficie de toute
l'information pertinente et que cette information lui presente, en
termes comprehensibles, les diverses options menant a des choix
eclaires. Or, le systeme n'a pas ete configure pour offrir toute
cette information, compte tenu des objectifs qu'il supporte. Quant
au discours des patients, il n'indique pas un besoin de plus
d'information. Conscients, peutetre, des objectifs de suivi, les
patients manifestent plutot une satisfaction quant a la clarte et a la
simplicite du contenu informationnel.
Interiorisation des buts
Les comportements attendus d'un patient ont generalement pour
but de maintenir une bonne sante, d'eviter une deterioration de la
maladie ou de requerir l'assistance medicalisee pertinente au
moment opportun. Dans le cas present, oU l'intention de suivi est
moins d'ameliorer la sante que d'eviter la deterioration
d'une maladie diagnostiquee, c'est l'interiorisation des
deux derniers buts qu'il est important d'observer.
La plupart des patients paraissent avoir une idee plutot claire des
objectifs d'utilisation du systeme en ce qui concerne la detection
des signes et symptomes de deterioration de la maladie, le respect de la
medication et la decision de recourir en temps opportun a
l'assistance medicalisee. Par contre, l'objectif de formation
ne semble pas aussi present dans leurs esprits. Les patients voient
moins le systeme comme un outil pedagogique, c'est-a-dire un outil
leur permettant de developper des habiletes nouvelles, qu'un outil
de detection. Cela rejoint un constat note precedemment a l'effet
que plusieurs paraissent ne pas percevoir les changements de
comportements qu'ils ont adoptes grace aux conseils fournis sur le
systeme. En fait, le regard des patients porte davantage sur
l'efficacite de la detection operee par le systeme que sur
l'efficacite du systeme a leur inculquer de nouveaux comportements.
Enfin, malgre les commentaires majoritairement positifs a
l'egard du systeme, quelques-uns se questionnent sur sa pertinence
reelle en ce qui les concerne, renvoyant plutot a une pertinence pour
l'organisation ou pour la recherche. Leur interet de poursuivre
malgre tout le suivi est explique par le sentiment de pouvoir etre au
service d'autrui, un phenomene souligne plus tot. D'ailleurs,
comme en temoignent les propos de l'un des patients interviewes, un
facteur humain entre parfois en ligne de compte dans ce genre de
decision : la relation etablie entre cet individu et la gestionnaire de
suivi clinique est a ce point personnalisee qu'il n'ose lui
exprimer son appreciation mitigee de la pertinence du systeme. <<
Moi j'ai perdu l'interet. Je lui reponds pareil parce
qu'elle m'a bien aide au commencement (...) Mais je vois pas
comment ca peut m'aider. >> La crainte de decevoir ou de
nuire a l'experimentation expliquerait cette retenue.
Discussion
L'analyse des ressources deployees et des conditions
d'utilisation du systeme a permis de constater qu'un service
de telesoins a domicile ainsi configure offrait des conditions pouvant
encourager une certaine responsabilisation du patient. Les derniers
constats laissent cependant voir la difficulte que represente toute
ambition de qualifier de facon univoque la contribution d'un tel
systeme quant a la responsabilisation du patient.
Quelques remarques s'imposent pour saisir cette complexite. Le
systeme de telesoins a domicile conjugue differents types de suivi par
differents types d'etablissements pour differents types de
clienteles. Notre analyse revele que cette diversite peut faire varier
le sens, la forme ou la portee de la responsabilisation du patient. On
observe en particulier que la situation varie selon le contexte de suivi
(ex. seul ou assiste par un aidant naturel), la pathologie (ex.
insuffisance cardiaque ou diabete de grossesse), l'intention du
suivi (ex. preventif ou palliatif), la duree du suivi (ex. chronique ou
temporaire), la qualite percue de l'interface (ex. formulaire
personnalise ou non) et la qualite percue du suivi (ex. presence humaine
ou non).
Sans pouvoir qualifier la contribution du systeme en termes
absolus, on peut souligner les caracteristiques favorables a la
responsabilisation, selon une logique professionnelle : le systeme
contribue a la diffusion aupres du patient d'une connaissance
clinique sur des aspects specifiques relatifs au suivi de sa maladie; il
l'incite a une prise de conscience de l'incidence de certaines
actions sur le traitement de sa maladie; il lui permet d'etablir a
ce sujet une forme de dialogue avec le professionnel de sante; il le
rend plus actif en le faisant participer a la detection
des signes et symptomes et en lui faisant adopter des comportements
conformes a la normalite. Autrement dit, le systeme releve directement
de cette tendance a la normalisation qu'encouragent les ideologies
professionnelles. (44)
On peut egalement relever des incidences favorables fondees sur la
perception des patients : les patients sentent habituellement
qu'ils controlent mieux la detection des signes et symptomes grace
au dispositif--en particulier ceux dont le probleme entraine une
instabilite de l'etat de sante--; ils ont generalement
l'impression que le professionnel responsable de leur dossier agit
dans leur interet; ils savent plus clairement quand, oU et comment aller
chercher l'assistance medicale; ils paraissent satisfaits de
pouvoir mieux communiquer avec le professionnel, de pouvoir bien
comprendre l'information qu'on leur fournit et de sentir que
les renseignements livres par l'intermediaire du dispositif ou par
telephone produisent des resultats.
Le Tableau 1 fait la synthese des possibilites et benefices percus,
en terme de responsabilisation personnelle du systeme de telesoins a
domicile etudie.
Est-ce suffisant pour dire que le systeme conduit a
l'habilitation du patient dans le sens du developpement d'une
vaste expertise? Un developpement d'une telle portee supposerait
une demarche par laquelle l'acteur apprendrait et mettrait en
pratique le savoir devant lui permettre d'agir par lui-meme et
efficacement en matiere de sante. Au sens fort, nous l'avons vu
plus tot, le patient << expert >> designe cet individu qui
devient habile dans la << gestion >> de sa maladie et de sa
condition en developpant l'ensemble des connaissances appropriees.
La technologie qui supporterait une telle demarche devrait donc
contribuer a la valorisation du caractere holistique des connaissances,
du principe d'autonomie de pensee et du potentiel d'influence
sur une variete de decisions, tel que nous l'avons precise dans la
premiere partie du texte.
Une vision holistique des connaissances suppose des points de vue
diversifies provenant de differentes sources. Dans le cas present, le
souci de convivialite, d'intelligibilite, d'efficacite et de
conformite aux objectifs du programme et de l'institution oriente
plutot le contenu du systeme vers la simplicite, la selectivite et la
validite consensuelle de l'information, selon une vision infirmiere
et medicale de la normalite et de la pathologie.
Une conception de la reflexivite fondee sur un principe
d'autonomie de pensee suppose la presence d'une diversite de
points de vue et de sources d'information, de meme que la
possibilite de confronter ces diverses connaissances. Ici, le patient
fait face a une logique de fonctionnement prescriptive plutot que
dialogique. Par souci d'efficacite et de conformite aux objectifs
du programme et de l'institution, on vise moins a developper
l'autonomie de pensee qu'a renforcer, dans la conscience du
patient, la vision infirmiere et medicale de la normalite et de la
pathologie.
Une conception du patient dans un role dynamique et proactif peut
conduire a envisager sa participation jusqu'a l'ensemble des
niveaux d'intervention et d'influence en matiere de sante. Or,
si l'on peut dire que le systeme de telesoins contribue a
l'emergence d'une certaine expertise chez le patient et
d'une certaine influence sur la decision ou l'action,
c'est en fonction d'une vision circonscrite de sa place dans
le processus de suivi. Le patient exerce une influence lorsqu'il
alimente le systeme en information et lorsqu'il adopte ou non les
comportements conformes a la normalite prescrite par le systeme. Le
systeme favorise donc l'habilitation du patient a prendre la mesure
de certains signes lies a sa pathologie (tension, taux de glycemie,
etc.) et certains symptomes significatifs (essouffiement, toux, etc.), a
communiquer l'information au moyen d'un dispositif concu pour
etre convivial, et a suivre les conseils qui en decoulent et qui sont
affiches a l'ecran du dispositif. Le Tableau 2 fait la synthese de
ces dernieres observations.
En somme, on peut dire que le systeme de telesoins a le potentiel
de << produire >> un patient mieux informe, plus obeissant
et en partie plus competent sur certains aspects relatifs au suivi de sa
maladie. Toutefois, la configuration sociotechnique du systeme etudie ne
permet pas le developpement d'un patient influent et encore moins
d'un patient expert tel que nous l'avons defini. Du coup,
notre recherche confirme ce que certains ont deja observe relativement a
la valorisation de l'expertise du patient dans le discours
politique et les politiques de modernisation du systeme de sante (45) :
la dynamique de responsabilisation dans ce type de service favorise le
renforcement des messages normatifs du modele medical et donc
l'extension du modele medical jusque dans la sphere privee
individuelle, le domicile. Voila d'ailleurs, paradoxalement,
l'un des atouts majeurs d'un tel systeme, strictement du point
de vue de l'autorite medicale.
Ceci nous renvoie a la problematique evoquee dans la premiere
partie du texte concernant la faisabilite et la desirabilite de cet
ideal du patient-expert. Comme certains l'observent, il existe peu
de consensus dans la litterature scientifique et encore moins parmi les
cliniciens pour savoir ce que signifie la competence du patient dans les
decisions a prendre. (46) On fait parfois valoir que la notion de
patient-expert suggere une transformation problematique de la relation
medecin-patient en ce qu'elle se traduirait par un nouveau rapport
fonde sur la negociation; une telle notion ignore les pouvoirs
professionnels et les contraintes structurelles en presence; elle
combine de facon simplificatrice experience et education; et elle
presuppose a tort que tous les patients veulent prendre la
responsabilite de leur sante ou posse: dent la competence technique pour
devenir expert. (47)
Notre etude ne peut pas totalement clarifier l'enjeu, mais
elle offre l'occasion d'apporter un eclairage pertinent sur
quelques aspects de la problematique. Elle permet d'abord
d'insister sur le poids des pouvoirs professionnels et des
contraintes structurelles dans la conception et la mise en oeuvre
d'un projet susceptible d'aider au developpement des
competences du patient. Elle permet ensuite d'illustrer
l'influence des realites objectives et subjectives des patients sur
leur volonte et leurs possibilites d'acquerir une expertise en
matiere de sante.
Premierement, le poids des pouvoirs professionnels est
particulierement visible dans la relation du medecin avec
l'infirmiere et avec le patient. Pour certains types de suivis
offerts dans le cadre du systeme, le medecin est invite a valider des
protocoles de suivi ou des plans d'action therapeutiques qui
impliqueraient--pour un fonctionnement optimal du systeme--la delegation
a l'infirmiere de certaines responsabilites assumees
traditionnellement par le medecin, en particulier l'ajustement de
medication. Pour d'autres types de suivis, c'est une
modulation de la relation entre le patient et le medecin qui est
souhaitee dans la mesure oU l'on invite le medecin a confier au
patient une prescription de medicaments << ouverte >>,
c'est-a-dire remplie par anticipation et a utiliser au besoin sous
supervision du gestionnaire de suivi clinique. Dans les deux cas, la
reaction des medecins est souvent defavorable, ce qui constitue selon
les responsables un frein majeur dans le developpement de protocoles de
suivi a distance. La responsabilite professionnelle constitue le
principal argument invoque par les medecins, mais d'autres aspects
sont identifies par les responsables rencontres--comme le degre de
confiance que le medecin a developpe envers le patient, la faible
volonte de s'engager dans une relation de collaboration mutuelle
dite << alliance therapeutique >>, et la remuneration qui
serait un autre enjeu important.
Deuxiemement, les contraintes structurelles exercent a leur tour un
poids non negligeable. Les objectifs specifiques pour le suivi des
patients varient selon les etablissements impliques et cette difference
tient en grande partie a la mission, au champ d'action et aux
ressources professionnelles dont chaque etablissement dispose.
L'absence de medecin et d'acces a un plateau medical, de meme
que l'importance de la prevention-promotion dans sa mission ont
conduit le CLSC a accentuer le volet formation et a reduire
l'importance du suivi clinique. A l'inverse, la pensee
medicale et hospitaliere et l'accessibilite aux ressources
techniques et professionnelles ont oriente le developpement du systeme
du CH vers un suivi plus intensif ainsi que la valorisation chez le
patient de competences plus specifiques en matiere de mesures techniques
et de communication des signes et symptomes.
Enfin, troisiemement, les realites objectives et subjectives des
patients exercent une influence sur leur volonte et leur possibilite
d'acquerir une competence en matiere de sante. Au moins quatre
facteurs peuvent etre releves, dont certains ont deja ete discutes plus
tot : l'age, la situation sociale, la pathologie et l'etat
psychologique. D'une part, il semble plus difficile de provoquer
une prise en charge chez les personnes agees du fait justement de leur
age. Une majorite des personnes interrogees se dit incapable
d'utiliser le clavier du dispositif pour formuler une demande ou
une question; le telephone constitue pour elles le meilleur moyen a leur
portee. Cette situation contraste avec les utilisateurs plus
jeunes--comme les femmes enceintes pour qui l'utilisation du
dispositif semble etre d'une grande simplicite. Nonobstant le
Clavier, les personnes agees n'ont generalement pas de difficulte a
utiliser le dispositif pour repondre quotidiennement aux questions de
base, en cliquant sur << oui >> ou << non >>.
La situation sociale du patient peut aussi intervenir. Le cas
d'une patiente soumise a des pressions psychologiques de la part
d'un aidant naturel est a cet egard revelateur: son conjoint ayant
signifie son agacement devant la charge supplementaire que lui
occasionnait les directives de suivi, la personne a cesse de suivre les
consignes prescrites par le systeme, tout en feignant de s'y
conformer au regard du gestionnaire de suivi, par crainte de la reaction
du conjoint. Dans ce cas, ce ne sont pas les capacites de developper des
competences mais celles de les mettre en pratique qui sont en cause.
Dans d'autres cas, c'est la fiabilite des aidants naturels et
leur niveau de conscientisation a l'egard, par exemple, de la
gestion des medicaments qui joue un role determinant dans le suivi du
patient. Ces cas de figures illustrent bien le fait que la
responsabilisation peut etre limitee par des facteurs qui depassent la
simple volonte du patient.
La nature de la pathologie represente un autre facteur important.
Dans le cas du systeme, certains problemes permettent plus facilement la
prise de mesures objectives de signes de deterioration
(l'insuffisance cardiaque et le diabete), d'autres necessitent
un suivi sur une periode relativement courte et surtout pour une duree
maximale connue (la grossesse a risque), certains requierent un suivi
dit de confort plutot que d'habilitation (la fin de vie) et
d'autres generent un niveau d'anxiete particulierement eleve
(la maladie pulmonaire obstructive chronique).
Le quatrieme facteur, deja evoque dans ce qui precede, a trait a
l'etat psychologique du patient. Le sentiment de detresse ou
d'inquietude decoulant de l'historique de la maladie peut
directement intervenir dans le developpement de competence ou, au
contraire, de dependance. Si pour certains, le systeme permet de contrer
le decouragement et le desir d'abandon, il constitue pour
d'autres un moyen de securisation tres important. Conjuguee a la
satisfaction des services recus, l'insecurite conduit quelques
individus a refuser la fin du suivi. Tout indique que la presence
humaine du personnel, au-dela du dispositif, constitue la dimension la
plus securisante pour le patient.
Ce dernier point permet de conclure la discussion en soulignant
l'importance centrale que revet, aux yeux des patients, la presence
du gestionnaire de suivi clinique. Invites a enoncer les principaux
avantages qu'ils attribuent au systeme, les patients sont davantage
portes a evoquer la qualite de la relation qu'ils etablissent avec
le gestionnaire (infirmier) que la qualite du dispositif technique en
lui-meme. Le principal benefice quenoncent une majorite de patients
concerne surtout le sentiment de securite que leur procure le suivi en
continu par un professionnel de sante. C'est probablement pourquoi
le sentiment de securite ressenti par certains patients semble moins
venir du fait qu'ils croient avoir developpe de nouvelles habiletes
que de l'appreciation du type de suivi auquel ils ont droit. Une
patiente raconte : << Il me met tellement en securite cet
homme-la! Ce n'est pas explicable. J'ai confiance en lui. Puis
quand ca n'allait pas et qu'il m'appelait sur mon
ordinateur, j'etais bien. C'etait comme une securite. >>
Ainsi, sans aller jusqu'a sous-estimer l'importance du
dispositif et de l'interface, qui sont deux composantes
essentielles du systeme deploye, il nous faut donc considerer
l'environnement social comme faisant partie des facteurs les plus
favorables a la responsabilisation du patient. La notion de systeme
sociotechnique exprime justement l'idee d'un systeme organise
oU s'articulent des techniques et des logiques ou pratiques
sociales.
Conclusion
La presente etude met en lumiere l'un des quatre paradigmes
d'interpretation de la responsabilisation du patient : le paradigme
professionnel, qui est oriente vers l'habilitation en matiere de
sante. Elle montre certaines possibilites et limites d'une
technologie de telesoins a domicile par rapport a six variables
principales : d'une part, possibilite d'acces aux
connaissances, possibilite de developpement d'une reflexion
argumentee et possibilite d'influence sur l'action ou la
decision; d'autre part, controle percu, competence percue et
interiorisation des buts.
Les resultats indiquent que la responsabilisation varie notamment
en fonction du contexte d'utilisation, de la pathologie, de
l'intention du suivi, de la duree du suivi, de la qualite percue de
l'interface et de la qualite percue du suivi. Ils permettent
egalement d'observer le haut niveau d'exigence que
representerait une initiative technologique visant a encourager
l'emergence de patients informes, competents et surtout experts,
selon une vision de la responsabilisation fondee sur la reconnaissance
du caractere holistique des connaissances en matiere de sante, du
principe d'autonomie de pensee et du potentiel d'influence du
patient sur une variete de decisions le concernant.
Les implications de ces resultats au plan de la gestion du systeme
public de sante sont d'au moins trois ordres differents.
D'abord, ils montrent le piege dans lequel la fascination
technologique peut conduire si elle vient a occulter l'importance
de la relation clinique et therapeutique dans les projets de
modernisation du systeme de sante. L'etude du service de telesoins
a domicile indique de facon tres nette que la presence humaine constitue
la dimension du systeme sociotechnique la plus securisante pour le
patient et l'un des principaux avantages percus a l'adoption
de ce type de technologie.
Les resultats revelent a quel point il est risque de considerer la
responsabilisation du patient comme une simple << mecanique
>> d'habilitation. L'initiative etudiee rend compte de
la complexite psychique, sociale, materielle et organisationnelle
d'un tel processus. En outre, on peut rappeler que l'acces a
l'information n'est pas une condition suffisante, bien
qu'essentielle, et que toutes les informations ne sont pas
d'egales valeurs dans l'atteinte d'un tel objectif. De
meme, la competence en tant que sentiment d'efficacite personnelle
n'est significative qu'en fonction des diverses exigences qui
incombent dans l'exercice du role de patient. De ce point de vue,
le sentiment d'efficacite peut difficilement n'etre envisage
que dans une perspective d'autodiscipline et de normalisation des
comportements, a moins de faire de la responsabilisation un mecanisme de
controle sur le patient.
Enfin, dans le meme esprit que ce qui precede, les resultats
laissent entrevoir le piege que peut representer le fait de confondre
visees manageriales et visees cliniques dans un processus de
responsabilisation du patient. Au-dela des objectifs cliniques se
dressent, dans le developpement des TIC, des objectifs
d'organisation et de gestion, dont la recherche de solutions a la
penurie de ressources et la volonte d'accroitre la performance et
l'efficience des pratiques et des services. Comme ces differents
objectifs influent dans la definition de projets et dans la facon de
configurer et d'operer le systeme sociotechnique, il y a lieu de
croire qu'ils modelent par ce fait meme la facon de soutenir et
d'orienter la responsabilisation du patient.
Nous percevons donc la necessite de mener des recherches
approfondies sur des periodes d'utilisation relativement prolongees
pour pouvoir produire des resultats probants, notamment pour mieux
encore cerner la responsabilisation du point de vue du patient lui-meme.
Une autre avenue interessante consiste a recourir a une grille
d'analyse couvrant differents paradigmes interpretatifs de la
responsabilisation; en particulier le paradigme technocratique en ce qui
concerne un projet de telesoins a domicile comme ce dernier. Ainsi
pourraient etre etudiees les formes plurielles de responsabilisation
auxquelles peut conduire de facon concomitante un meme systeme
sociotechnique et les contradictions que cette coexistence de logiques
pourrait generer.
Notes
(1) Quebec, Comite de travail sur la perennite du systeme de sante
et de services sociaux du Quebec, Pour sortir de l'impasse : la
solidarite entre nos generations (Quebec : Gouvernement du Quebec,
2005); Canada, Commission sur l'avenir des soins de sante au
Canada, Guide par nos valeurs : l'avenir des soins de sante au
Canada--Rapport final (Ottawa : Gouvernement du Canada, 2002) ; Quebec,
Commission detudes sur les services de sante et les services sociaux,
Les solutions emergentes. Rapport et recommandations (Quebec:
Gouvernement du Quebec, 2000).
(2) Christel A. Woodward, Julia Abelson et Bilan Hutchison,
"My home is not my home anymore": Improving continuity of care
in homecare (Ottawa: Canadian health services research foundation,
2001); Joan M. Anderson, << Home care management in chronic
illness and the self-care movement : An analysis of ideologies and
economic processes influencing policy decisions >>, Advanced
nursing science--12, no 2 (2001), pp. 71-83.
(3) Meredith Minkler, << Personal responsibility for health?
A review of the arguments and the evidence at century's end
>>, Health Education & Behavior--26, no 1 (1999), pp. 121-40;
Jacques Beauchemin, << La regression du public >>, Ethique
publique--1, no 1 (1999), pp. 91-101; Leonie Segal, << The
importance of patient empowerment in health system reform >>,
Health Policy--44 (1998), pp. 31-44.
(4) Wanda Pratt, Kenton Unrush et al., << Personal Health
Information Management >>, Communications of the ACM-49, no 1
(2006), pp. 51-5; Johan G. Beun, << Electronic healthcare record;
a way to empower the patient >>, International journal of medical
informatics--69 (2003), pp. 191-6; Frank Ueckert, Michael Goerz,
Maximilian Ataian et al., << Empowerment of patients and
communication with health care professionals through an electronic
health record >>, International journal of medical informatics--70
(2003), pp. 99-108; Christopher M. Masi, Yolanda Suarez-Balcazar,
Margaret Z. Cassey et al., << Internet access and empowerment. A
community-based health initiatives >>, Journal of General Internal
Medicine--18, no 7 (2003), pp. 525-30; June Forkner-Dunn, <<
Internet-based patient self-care: the next generation of health care
delivery >>, Journal of Medical Internet Research--5, no 2 (2003),
p. e8; Charles Roussel et Paul F. Nunes, Home healthcare electronics:
Consumers are ready, willing and able (Cambridge: Accenture Institute
for Strategic Change, 2002); Sheila Neysmith, << Would a National
Information System promote the development of Canadian home and
community care policy? An examination of the Australian experience
>>, Canadian Public Policy-Analyse de politiques--21, no 2 (1995),
pp. 159-73.
(5) Canada, Conference nationale sur l'infostructure de la
sante, Rapport final de la Conference nationale sur l'infostructure
de la sante (Ottawa : Sante Canada, 1998); Canada, Conseil consultatif
sur l'Infostructure de la sante, Inforoute Sante du Canada; Voies
vers une meilleure sante. Rapport final (Ottawa: Sante Canada, 1999).
(6) A. Moen et P. Flatley Brennan, << Health@Home: The work
of Health Information Management In the Household: Implications for
Consumer Health Informatics Innovations >>, JAMIA-12, no 6 (2005),
pp. 648-56.
(7) Paul C. Tang, Joan S. Ash, David W. Bates et al., <<
Personal health records: definitions, benefits, and strategies for
overcoming barriers to adoption >>, JAMIA--13, no 2 (2006), pp.
121-26.
(8) Marc Lemire, << Le politique dans le projet de
modernisation technologique du service public de sante. Le paradigme des
autoroutes de l'information face a la democratie >>, These de
doctorat, science politique (Montreal: Universite du Quebec a Montreal,
2003).
(9) Voir par exemple Fenella Starkey, << The
'empowerment debate': consumerist, professional and
liberational perspectives in health and social care >>, Social
Policy & Society--2, no 4 (2003), pp. 273-84; Nina Wallerstein,
<< Empowerment to reduce health disparities >>, Scandinavian
Journal of Public Health--30, Suppl. 59 (2002), pp. 72-7; Joan M.
Anderson, << Empowering patients : issues and stategies >>,
Social Science and Medicine-43, no 5 (1996), pp. 697-705.
(10) Voir par exemple Luc Wathieu, Lyle Brenner, Ziv Carmon et al.,
<< Consumer control and empowerment: A primer >>, Marketing
Letters--13, no 3 (2002), pp. 297-305; Fiona O'May et James Buchan,
<< Shared governance: A literature review >>, International
Journal of Nursing Studies--36, no 4 (1999), pp. 281-300; Ian Chaston,
<< Assessing strategic behaviour within the acute sector of the
National Health Service >>, Journal of Management in Medicine--8,
no 5 (1994), pp. 58-67.
(11) Voir par exemple Wilfried Prewo, << Consumer Empowerment
as a Solution to Health System Financing >>,
Pharmacoeconomics--18, Suppl. 1 (2000), pp. 77-83; Leonie Segal,
<< The importance of patient empowerment in health system reform
>>, Health Policy--44 (1998), pp. 31-44.
(12) Yann Le Bosse, << De l"habilitation' au
'pouvoir d'agir' : vers une apprehension plus
circonscrite de la notion d'empowerment >>, nouvelles
pratiques sociales--16, no 2 (2004), pp. 30-51; Bernard Roudet, <<
Entre responsabilisation et individualisation : les evolutions de
l'engagement associatif >>, Lien social et Politiques--51
(2004), pp. 17-27; Joan Wharf Higgins, Citizenship and empowerment: a
remedy for citizen participation in health reform >>, Community
Development Journal--34, no 4 (1999), pp. 287-307.
(13) Voir par exemple Eric Gagnon et Francine Saillant, <<
Sources et figures de la responsabilite aujourd'hui >>,
Ethique publique--6, no 1 (2004), pp. 41-55; Danito Martuccelli,
<< Figures de la domination >>, Revue francaise de
sociologie--45, no 3 (2004), pp. 469-97 ; Ian
Shaw et Alan Aldridge, Consumerism, health and social order >>,
Social Policy & Society--2, no 1 (2003), pp. 35-43; Frederic Lenoir,
Le temps de la responsabilite (Paris: Librairie Artheme Fayard, 1991);
Kathleen Johnston Roberts, << Patient empowerment in the United
States: A critical commentary >>, Health Expectations--2 (1999),
pp. 82-92.
(14) Voir par exemple Michel Metayer, << Vers une pragmatique
de la responsabilite morale >>, Lien social et Politiques--46
(2001), pp. 19-30; Jennifer A. Parks, << A contextualized approach
to patient autonomy within the therapeutic relationship >>,
Journal of Medical Humanities--19, no 4 (1998), pp. 299-311.
(15) Patricia S. Jones et Afaf I. Meleis, << Health is
empowerment >>, Advanced nursing science--5, no 3 (1993), pp.
1-14.
(16) Meredith Minkler, << Personal responsibility for ...
>>, op. cit.
(17) Jos V.M. Welie et Sander P.K. Welie, << Patient decision
making competence: Outlines of a conceptual analysis >>, Medicine,
Health Care and Philosophy--4 (2001), pp. 127-38.
(18) P.M. Wilson, << A policy analysis of the Expert Patient
in the United Kingdom: self-are as an expression of pastoral power?
>>, Health and Social Care in the Community--9, no 3 (2001), pp.
134-42.
(19) J. Shaw et M. Baker, << Expert patient: dream or
nightmare ? >>, British Medical Journal--328 (2004), pp. 723-4.
(20) S.Y.S Tang et J.M. Anderson, << Human agency and the
process of healing : Lessons learned from women living with chronic
illness--re-writing the expert >>, Nursing Inquiry--6 (1999), pp.
83-93.
(21) N.J. Fox, K.J. Ward et A.J. O'Rourke, << The
'expert patient': empowerment or medical dominance? The case
of weight loss, pharmaceutical drugs and the Internet >>, Social
Science & Medicine--60, no 6 (2005), pp. 1299-1309; P.M. Wilson,
<< A policy analysis ... >>, op. cit.
(22) Meredith Minkler, << Personal responsibility for ...
>>, op. cit.
(23) Flis Henwood, Sally Wyatt et al., << 'Ignorance is
bliss sometimes': Constraints on the emergence of the
'informed patient' in the changing landscapes of health
information >>, Sociology of Health and Illness--25, no 6 (2003),
pp. 589-607; Charles H. Kieffer, << Citizen empowerment: A
developmental perspective >>, Prevention in Human Services--3
(1984), pp. 9-36.
(24) Marc A. Zimmerman, Barbara A. Israel et al., << Further
explorations in empowerment theory: An empirical analysis of
psychological empowerment >>, American journal of community
psychology--20, no 6 (1992), pp. 169-77.
(25) Peter Salmon et George M. Hall, << Patient empowerment
and control: A psychological discourse in the service of medicine
>>, Social Science & Medicine--57 (2003), no 10, pp. 1969-80.
(26) K.R. McLeroy, D. Bibeau et al., << An ecological
perspective on health promotion programs >>, Health Education
Quarterly--15 (1988), pp. 351-78.
(27) Julian Rappaport, In praise of paradox: A social policy of
empowerment over prevention >>, American journal of community
psychology--9, no 1 (1981), pp. 1-25; Marc A. Zimmerman, Psychological
empowerment: Issues and illustrations >>, American journal of
community psychology--23, no 5 (1995), pp. 581-99; Marc A. Zimmerman,
<< Taking aire on empowerment research: On the distinction between
individual and psychological conceptions >>, American journal of
community psychology--18, no 1 (1990), pp. 169-77; Nina Wallerstein,
<< Powerlessness, empowerment, and health: Implications for health
promotion programs >>, American Journal of Health Promotion--6, no
3 (1992), pp. 197-205.
(28) Kathleen Johnston Roberts, << Patient empowerment in ...
>>, op. cit., Paul W. Speer, Intrapersonal and interactional
empowerment: Implications for theory >>, Journal of community
psychology--28, no 1 (2000), pp. 51-61; E. Summerson Carr, <<
Rethinking empowerment theory using a feminist lens: The importance of
process >>, AFFILIA--18, no 1 (2003), pp. 8-20.
(29) Marc A. Zimmerman, Barbara A. Israel et al., << Further
explorations in ... >>, op. cit.
(30) Sanjay T. Menon, << Toward a model of psychological
health empowerment : Implications for health care in multicultural
communities >>, Nurse Education Today--22 (2002), pp. 28-39.
(31) Ibid.
(32) Jos V.M. Welie et Sander P.K. Welie, << Patient decision
making ... >>, op.cit.
(33) Sanjay T. Menon, << Toward a model ... >>, op.
cit., p. 30.
(34) Ibid.
(35) A. Moen et P. Flatley Brennan, << Health@Home ...
>>, op. cit.
(36) Flis Henwood, Sally Wyatt et al., << Ignorance is bliss
... >>, op. cit.
(37) Jos V.M. Welie et Sander P.K. Welie, << Patient decision
making ... >>, op.cit.
(38) N.J. Fox, K.J. Ward et A.J. O'Rourke, << The
'expert patient'.. >>, op. cit.
(39) Flis Henwood, Sally Wyatt et al., << Ignorance is bliss
... >>, op. cit.
(40) Jos V.M. Welie et Sander P.K. Welie, << Patient decision
making ... >>, op.cit
(41) N.J. Fox, K.J. Ward et A.J. O'Rourke, << The
'expert patient'.. >>, op. cit.
(42) Sanjay T. Menon, << Toward a model ... >>, op.
cit.
(43) Service regional infirmier d'intervention telephonique
accessible a toute heure et tout jour, et en operation dans toutes les
regions du Quebec. Selon la nature des appels, il permet d'offrir
des conseils, des evaluations sommaires et des renseignements sur les
ressources appropriees.
(44) Joan M. Anderson, Helen Elfert et Magdalene Lai, <<
Ideology in the clinical context: Chronic illness, ethnicity and the
discourse on normalisation >>, Sociology of Health &
Illness--11, no 3 (1989), pp. 253-78.
(45) N.J. Fox, K.J. Ward et A.J. O'Rourke, << The
'expert patient'.. >>, op. cit.; Jos V.M. Welie et
Sander P.K. Welie, << Patient decision making ... >>,
op.cit.
(46) Jos V.M. Welie et Sander P.K. Welie, << Patient decision
making ... >>, op.cit.
(47) Pour une presentation de ces differents arguments, voir N.J.
Fox, K.J. Ward et A.J. O'Rourke, The 'expert patient' ...
>>, op. cit.
Marc Lemire et Claude Sicotte font partie du Groupe de recherche
interdisciplinaire en sante (GRIS), Universite de Montreal. Guy Pare
oeuvre a la Chaire de recherche du Canada en technologie de
l'information dans le secteur de la sante, HEC Montreal.
Tableau 1. Possibilites du systeme et benefices percus par les patients
Possibilites du systeme Benefices percus
socio-technique
Implication du patient dans Meilleure detection de
l'identification des certains, signes et
signes et symptomes symptomes grace au
dispositif
Inculcation d'une Sentiment de securite accru
connaissance sur les grace a la presence du
facteurs a risque dispositif et surtout du
professionnel
Incitation a l'adoption Meilleure connaissance des
des comportements actions a poser grace au
prescrits dispositif et au profes-
sionnel
Etablissement d'une Meilleure communication
communication rapide et avec le professionnel
directe entre le patient charge du suivi.
et le professionnel.
Tableau 2. Limites du systeme de telesoins par rapport a l'ideal type
du patient-expert
Dimensions Constats
Diffusion d'une pluralite Connaissance ciblee et
de connaissances simplifiee representant
la vision infirmiere et
medicale de la normalite
et de la pathologie
Valorisation des Fonctionnement selon une
capacites reflexive et logique prescriptive
discursive enjoignant a des actions
et comportements normes
Valorisation de la Participation circonscrite
participation active a la production
aux differents niveaux quotidienne d'information
d'intervention sur l'etat de sante
sur la sante. personnelle et au suivi
des consignes.