The Labour Party and British Society, 1880-2005.
Capet, Antoine
The Labour Party and British Society, 1880-2005 par David
Rubinstein. Brighton, United Kingdom, Sussex Academic Press, 2006. x,
228 pp. 29,95 $ EU (poche).
Les etudes globales et monographies specialisees sur le Parti
travailliste britannique ne manquent pas, suite notamment aux nombreuses
parutions qui ont accompagne la celebration du centenaire du Labour
Representation Committee en l'an 2000. On peut d'ailleurs
s'etonner de la periodisation choisie par Rubinstein : choisir 1880
comme point de depart apparait comme un anachronisme puisque le Comite
ne vit le jour qu'en 1900, mais l'auteur le justifie
indirectement en intitulant son premier chapitre 'The Background,
1880-1900'. Le decoupage de l'ouvrage suit une progression
chronologique classique, avec les chapitres suivants consacres a
'Labour in Peace and War, 1900-1918', 'Labour between Two
Wars, 1918-1939', 'Labour in War and Peace, 1939-1951',
'Years of Strife, 1951-1964', 'Progress and Decline,
1964-1979', 'Strife and After, 1979-1994' et enfin
'New Labour, 1994-2005'. Rien la donc que de conventionnel :
l'interet a priori du livre reside dans le tour de force qui
consiste a faire tenir une histoire aussi riche et aussi complexe--et
egalement aussi sujette a controverse, chez les militants comme chez les
historiens--en 196 pages (hors notes, helas releguees a la fin au lieu
de figurer commodement en bas de page comme l'autorisent si
facilement les techniques modernes de traitement de texte).
Il serait naturellement injuste de mesurer la valeur du texte a
l'aune des grandes monographies consacrees a une periode precise,
comme le desormais classique Labour in Power, 1945-1951 de K.O. Morgan
(Oxford, 1985) ou le tout recent Britain's First Labour Government
de John Shepherd et Keith Layboum (Basingstoke, 2006), sur le
gouvernement de 1924 (et dont on trouvera ma recension en anglais sur
http://www.cercles.com/review/r32/shepherd.html), et l'on ne
saurait raisonnablement s'attendre a des eclairages sur les grandes
figures du parti--<< gradualistes >> ou de sa <<
gauche >>--aussi pousses que ceux de David Marquand sur MacDonald
ou Michael Foot sur Aneurin Bevan (pour ne prendre que ces deux celebres
biographies). Pourtant, chaque chapitre semble bien contenir
l'essentiel. L'enjeu des debats a venir--et qui subsistaient
encore lors des elections de 2005, sur lesquelles s'acheve
l'etude--est fort bien presente dans le premier chapitre, ou
l'auteur explique tres clairement l'affrontement
consubstantiel au debat d'alors sur la creation d'un parti
socialiste en Grande-Bretagne entre gradualistes realistes (qui
triompheront lors du congres fondateur de fevrier 1900 a Londres) et
maximalistes idealistes. Le deuxieme chapitre met en place l'autre
type d'affrontement qui traversera l'existence du parti, celui
entre travaillistes et << capitalistes >> (liberaux ou
conservateurs), et qui lui donnera sa raison d'etre, puis sa raison
officielle de perdurer. Des lors, le lecteur peut suivre
l'evolution posterieure du parti a la lumiere de ce double
affrontement, qui la rend intelligible. On << attend >>
evidemment l'auteur au tournant de 1931, auquel il consacre un peu
plus de cinq pages. Son verdict sur ce difficile episode
s'apparente davantage a celui de Marquand qu'a celui
d'Andrew Thorpe (The British General Election of 1931. Oxford,
1991), et--fait interessant--son jugement sur MacDonald pourrait tout
aussi bien s'appliquer a Tony Blair si l'on substitue <<
gauche >> a << ILP >> pour actualiser le vocabulaire :
'He was unsympathetic to trades unions, opposed to the ILP and
temperamentally inclined to economic orthodoxy including free trade and
balanced budgets' (p. 63). Cela ne veut pas dire que Rubinstein
approuve sans recul critique le camp des << gradualistes >>
: son chapitre sur l'entre-deux-guerres se termine au contraire sur
le constat de l'echec de leur politique.
Survient la guerre, puis la periode de gloire de
l'apres-guerre, que l'auteur a choisi de regrouper dans un
meme chapitre, ce qui sejustifie bien stir pleinement. Plus discutable,
la periode de guerre est << expediee >> en deux ou trois
pages, l'essentiel du chapitre allant a ce que Hugh Dalton a appele
les 'Five Shining Years' du gouvernement d'apres-guerre,
concluant a la suite de 'England arise!': The Labour Party and
popular Politics in 1940s Britain (Manchester University Press, 1995),
le livre de Fielding, Thompson et Tiratsoo, sur l'echec du <<
socialisme ethique >> (sans utiliser lui-meme l'expression)
face au retour des egoismes une fois le peril eloigne. La remarque centrale du chapitre, 'The Labour Party had from the start of the
1945 government been divided about the speed at which it should proceed
towards socialist ends' (p. 93) resume a elle seule toute
l'histoire couverte par l'ouvrage, de 1880 a 2005, et reflete
parfaitement l'argument--fort classique au demeurant--soutenu par
son auteur, a savoir que le parti a toujours oscille entre ses deux
poles, meme quand (comme ce fut le cas pratiquement dans toute sa
relativement longue existence) les << gradualistes >>
tenaient le haut du pave, et ce tout en ayant a tenir compte des severes
contraintes economiques pesant sur un pays voulant rester ouvert au
marche mondial.
Les annees conservatrices (1951-1964), avec les delices
irresistibles de la << societe d'abondance >> decrite
par l'Americain Galbraith, mais surtout le retour au pouvoir en
1964, alors que la tension entre << droite >> et <<
gauche >> du parti n'etait resolue qu'en apparence par
l'election d'Harold Wilson, ne firent que rehausser les
contradictions d'un parti toujours tiraille entre le <<
socialisme ethique >> lie a la << lutte des classes >>
et la necessite d'attirer un e1ectorat d'ouvriers aises dont
les pensees allaient plutot, comme le dira Neil Kinnock en son temps,
vers leur << petit coin a Marbella >> [en Espagne] (p. 159).
Tout semble des lors joue, alors que les derniers soubresauts d'un
syndicalisme crispe sur ses avantages acquis, avecla suicidaire greve
des employes municipaux de 1979, precipitent la descente aux enfers.
Rubinstein ecrit a juste titre que << les annees 1979-94 furent
une periode sombre pour les travaillistes >> (p. 148). Le jeu
n'est pas egal entre une Margaret Thatcher marquee a droite dans
son parti et un Michael Foot marque a gauche dans le sien, car la derive
<< droitiere >> de l'electorat --pour des raisons que
Rubinstein resume fort bien, notamment a la suite de Bedarida (La
societe anglaise, 1851-1975. Paris, 1976), cite dans l'edition
anglaise--condamne ce que Tony Blair baptisera << le vieux
travaillisme >>. Kinnock, le leader suivant, en sera lui aussi la
victime, penalise a la fois par la greve des mineurs et les attaques
incessantes du mouvement Militant sur sa gauche. Personne ne saura
jamais si sous John Smith les travaillistes auraient redore leur
blason--mais la these du livre de Rubinstein est que Tony Blair le
<< modernisateur >> (p. 175) a sauve le parti en remplacant
la vieille aspiration marxiste de 1918 sur la propriete collective des
moyens de production par un << individualisme collectif >>
(p. 176) : these il faut le dire fort seduisante, et qui explique en
grande pattie Faction--et il faut bien le dire, le succes e1ectoral--du
<< neo-travaillisme >>. Il semble egalement bien difficile
de trouver des elements pour contredire l'auteur lorsqu'il
ecrit dans ses paragraphes de conclusion generale : 'A return to
the Labour Party of the past seems unthinkable in a society so different
from that which prevailed until the 1960s' (p. 195).
Il est donc clair que nous avons la une excellente synthese de tout
ce que l'on peut dire en l'etat actuel de nos connaissances
sur le Parti travailliste britannique. Le livre se doit de figurer dans
toutes les bibliotheques universitaires, d'autant que la copieuse
bibliographie foumira une liste de lecture extremement utile aux
etudiants. Une seule reserve : la relecture des epreuves a ete negligee
et il subsiste de graves fautes d'anglais ('hundreds of
*thousand of pounds', p. 1) que les etudiants francophones devront
bien se garder d'imiter.
Antoine Capet
Universite de Rouen (France)