Military Identities: The Regimental System, the British Army, and the British People, c. 1870-2000.
Capet, Antoine
Military Identities: The Regimental System, the British Army, and
the British People, c. 1870-2000, par David French. Oxford, Oxford
University Press, 2005. X, 404 pp. 74.005 EU (couverture rigide).
Ce nouveau livre de David French, qui vient apres le remarque Raising Churchill's Army: the British Army and the War against
Germany, 1939-1945 (Oxford University Press, 2000), s'attaque cette
fois a la vaste notion de << systeme regimentaire >>, que
peu de Britanniques comprennent vraiment s'ils ne sont pas issus de
milieux militaires--et que comprennent encore moins les etrangers.
French fait ici oeuvre d'historien, mais aussi de sociologue : son
ouvrage est au croisement de l'histoire militaire et de
l'histoire sociale, ce qui etend naturellement considerablement son
lectorat potentiel par rapport aux travaux classiques d'histoire
militaire << pure >>.
Fort curieusement pour le lecteur francophone, l'introduction
s'ouvre sur une discussion de l'expression francaise reprise
par les anglophones : << esprit de corps >>, et
l'auteur passe d'emblee a une generalisation courante :
'In the eyes of generations of senior soldiers, esprit de corps was
a product of the regimental system' (p. 1), generalisation
qu'il ne reprend pas a son compte--du moins tant qu'il
n'en a pas etudie toutes les ramifications, ce qui est au fond le
fil conducteur de son tres beau livre.
Dans un premier chapitre consaere aux celebres reformes de Cardwell
et Childers du dernier tiers du XIXe siecle, qui sont habituellement
presentees comme ayant formalise le << systeme regimentaire
>>, French montre bien comment c'est la creation et
l'entretien de cet << esprit de corps >> qui guide
l'action des reformateurs, qui voient dans l'armee constituee
par Bismarck un modele pour l'armee britannique a cause meme de cet
esprit fonde en grande partie sur l'identification du soldat, tant
l'engage que le reserviste, avec un territoire. French montre bien
egalement que ce << systeme regimentaire >> est loin de
couvrir l'integralite de l'armde britannique a la fin du
siecle : par exemple les fameux regiments irlandais ne comprennent pas
de bataillons d'engages volontaires. En gros, explique-t-il de
facon tres convaincante, quatre << systemes >> coexistaient
dans l'armee britannique a la suite de ces reformes, au debut des
annees 1880 : les regiments d'infanterie de ligne ; les armes a
part comme la Royal Artillery et les Royal Engineers ; la cavalerie,
notamment les Horse Guards ; enfin, les fusiliers comme la Rifle
Brigade, et deux questions majeures se posaient sur la generalisation du
<< systeme regimentaire >> : la possibilite ou non de tout
faire reposer sur le recrutement local, et la valeur pour
l'efficacite militaire des recentes reformes << rationnelles
>> par rapport a la precedente h6terog6neit6 heritee du passe, qui
avait encore ses avantages aux yeux de ses nombreux partisans.
C'est en examinant les questions de recrutement que French se
fait sociologue (sur le profil social des grades et des troupes), voire
economiste (sur le lien entre chomage et engagement), et meme geographe
(sur les differences et ressemblances entre les comtes, avec un tres bel
appendice qui les resume sous forme de tableau). L'etude se
poursuit en examinant la vie militaire, et la l'auteur se fait
volontiers psychologue, etudiant ce qui fait l'art de manier les
hommes, le celebre leadership que les Public Schools etaient censees
inculquer a leurs eleves, et les deviances par rapport a la norme
disciplinaire. On ne sera pas surpris de life que les officiers
s'adaptent tres bien a la vie regimentaire, ayant goute a la vie en
communaute des leur tendre enfance dans ces pensionnats prives ou
etaient eleves les enfants de leur rang social--de meme que
l'entree au regiment constitue souvent un choc pour les soldats,
issus du peuple, mal nourris dans leur jeunesse alors qu'on leur
demande de gros efforts physiques, notamment de longues marches :
d'ou les desertions frequentes, meme en temps de paix. On retrouve
dans cette etude de l'armee britannique un figure centrale de la
vie regimentaire caricaturee dans toutes les armees du monde--ici le
sous-officier 'bully', mot intraduisible qui designe a la fois
la brute sadique et celui qui abuse de sa position de force. French
indique que cette pratique du 'bullying' est defendue--ou a
tout le moins toleree--par les autorites superieures traditionalistes au
motif qu'elle rappelle au soldat qu'il doit en permanence
soumettre sa volonte a celle de ses superieurs, mais qu'elle est
aussi decriee par des modernistes qui soulignent que l'initiative
individuelle est appelee a jouer un grand role dans les batailles
dispersees de l'avenir. Leur point de vue semble l'emporter
avec le manuel d'infanterie que publie l'etat-major en 1937,
mais encore en 1966 on deplore que l'exercice physique prime
toujours sur l'enseignement intellectuel. C'est la
d'ailleurs un des grands apports du livre : que ce soit en ce
domaine ou dans d'autres, French montre bien que le commandement de
l'armee britannique n'est pas monolithique, contrairement a
l'apparence d'unite que le monde militaire veut naturellement
projeter a l'exterieur. Des les reformes de Cardwell et de
Childers, les << anciens >> et les << modernes
>> s'affrontent, avec plus ou moins de virulence (pas
toujours discrete) selon les sujets, et l'on voit d'autres
debats naitre avec le << systeme regimentaire post-moderne
>>--c'est le titre du dernier chapitre, qui couvre
l'apres-guerre jusqu'en 1970, avant que French ne se fasse en
conclusion anthropologue en soumettant ses institutions regimentaires
aux six criteres de survie qu'ont definis ces specialistes. Le
livre se termine par une mise en garde : reduire comme l'ont fait
d'aucuns tousles succes comme tous les echecs de l'armee
britannique a ce seul facteur du << systeme regimentaire >>
defie la logique et trahit la realite.
Ce compte-rendu d'ampleur tres limitee ne peut faire justice
au tres beau travail d'historien que nous propose ici David French,
avec un depouillement considerable d'archives (notamment bien stir
du War Office, mais aussi de regiments qui ont aujourd'hui leurs
musees, qui s'ajoutent naturellement aux deux institutions que sont
le Imperial War Museum et le National Army Museum) et de revues
regimentaires d'unites prestigieuses ou moins prestigieuses, sans
compter les sources secondaires. La copieuse bibliographic et
l'index tres detaille fournissent d'autre part deux
instruments de travail d'un interet considerable--bien au-dela de
l'histoire militaire au sens strict. On aura compris que toute
bibliotheque universitaire se doit de posseder ce remarquable ouvrage,
qui fera date n'en point douter.
Antoine Capet
universite de Rouen (France)