Alexandra Petrescu, Journal feministe. Paris 1920-1933.
Duta, Alina Paula
Alexandra Petrescu, Journal feministe. Paris 1920-1933,
Cluj-Napoca, Editions Eikon, 2011, 149 p.
Alexandra Petrescu est docteur en Sciences Politiques a
l'Universite de Bucarest et ses publications comprennent des
nombreux articles traitant le feminisme, ainsi que des volumes comme
Femeia in imaginarul politic (La femme dans l'imaginaire
politique), en 2008, Tentatia fascismului in Romania interbelica (La
tentation du fascisme dans la Roumanie entre les deux guerres)en 2010,
Women and Fascism in Romania, paru dans le livre collectif Deschideri
postmoderne in stiintele politice, en 2009. Elle a aussi publie des
poemes sous le titre Palpitations rhetoriques en 2009, des articles dans
les journaux scientifiques et dans les revues culturelles ayant toujours
comme sujet le feminisme et les mouvements politiques de l'entre
deux guerres en Europe mais surtout en Roumanie. (1)
L'ouvrage d'Alexandra Petrescu, Journal feministe,
exploite par la methode d'un ainsi dire << journal intime
>> les mouvements feministes de la periode 1920-1933. Meme si au
niveau fictionnel l'action a lieu a Paris, l'auteur utilise la
comparaison comme moyen d'etude de la situation des groupes
feministes presque partout en Europe et aux Etats-Unis.
Nous pouvons ainsi decouvrir que derriere la denomination de
<< journal >> se cache seulement un pretexte pour etudier
des articles de presse, des discours et d'autres documents sur
l'activite des feministes du monde entier et presenter au lecteur
leur situation sur la scene politique de l'epoque. Le but
scientifique, informatif de l'ouvrage etouffe presque completement
l'intention litteraire, la mise en garde du lecteur en ce qui
concerne des details comme le lieu de l'action, les personnages
fictifs ainsi que le caractere d'un journal fictif etant en quelque
sorte futile.
Autrement, le contenu du journal s'appuie essentiellement sur
l'analyse des articles parus dans la periode deja mentionnee, dans
la revue La Francaise. L'auteur des articles est Cecile
Brunschvicg, une figure importante du mouvement feministe francais du
debut du XXe siecle. (2)
Au-dela de cette analyse l'auteur etend les explications sur
d'autres evenements importants aussi, comme les politiques de
desarmement, le probleme du nazisme, le mouvement fasciste ou les
conflits entre les feministes francaises et celles allemandes sur le
probleme des deportations pendant la Premiere Guerre Mondiale.
Elle souligne l'importance du dialogue, de la solidarite et de
l'entente entre les feministes au niveau international, (3)
puisqu'elles ont a lutter contre des obstacles semblables, le
succes des unes devant etre considere comme une evolution historique
pour l'ensemble du mouvement. Elle demontre cela en decrivant la
participation active des feministes aux Congres (Berlin, Geneve, Paris,
Marseille, E.U. etc.), aux Assemblees de la S.D.N, et aussi par les
visites qu'elle rend aux feministes de l'Europe de l'Est
en 1933.
L'ouvrage dans sa structure s'appuie exactement sur la
creation d'une image complexe des demarches nationales et
internationales des feministes, demarches qui sont en etroite liaison
avec les realites politiques et sociales des pays respectifs.
En ce qui concerne les realites politiques, elles varient bien sur
d'un pays a l'autre : alors que les Roumaines par exemple ont
des droits politiques importantes, et a partir de 1929 elles ont le
droit de vote pour la commune avec certaines conditions, en France,
Suisse, Yougoslavie et Bulgarie par contre, les femmes n'ont pas
encore le droit de vote. (4) Le climat politique des differents pays
sert aussi comme argument aux << ennemis >> du droit de vote
pour les femmes, comme pour le delegue-adjoint de la Societe des
Nations, M. Labrousse, qui affirme que << les pays qui ont deja
accorde des droits politiques aux femmes le regrettent maintenant
>>. (5)
Deuxiemement, il s'agit des aspects sociaux tres importants de
cette periode de l'entre-deux-guerres qui sont inscrits sur
l'agenda des feministes, et ce sont surtout ces aspects-la, a mon
avis, qui font des mouvements feministes un acteur important de la scene
politique. Cecile Brunschvicg expose dans ses articles des demandes de
protection sociale et d'egalite en ce qui concerne les conditions
de travail, la maternite, le divorce, ainsi que les problemes du
chomage, la privation d'education, la prostitution, problemes qui
ne pourraient pas etre resolus tant que les femmes n'ont pas acces
aux processus de decision dans leurs pays respectifs et sont depourvues
de droits juridiques justes. Elle souligne aussi le << double role
de la femme actuelle >>, celui du travail et de la maternite. (6)
Au-dela des paralleles faites entre differents pays, Petrescu saisit le
permanent conflit entre les deux camps : ceux qui sont en faveur des
feministes, et ceux qui sont contre. D'apres ce qu'on peut
constater a partir des articles de Brunschvicg, en France les partis ont
tendance a promettre plus de droits aux femmes, pour qu'a la fin
ils abandonnent ou suspendent ces projets (voir le Parti Radical)- les
deceptions sont donc nombreuses pour les feministes.
Meme si l'auteur des articles n'insiste pas toujours sur
la frustration des feministes, sur les obstacles croissantes auxquels
elles doivent se confronter, le lecteur peut parfois distinguer une
certaine note de victimisation (par ailleurs legitime), notamment
lorsque l'on souligne le fait que l'injustice faite aux
feministes par les hommes politiques est une injustice directe faite aux
femmes, soeurs et meres de ces hommes. Il y a aussi dans les
comparaisons entre pays, du debut a la fin, une tendance a mettre en
evidence les succes plus importants et une meilleure situation des
feministes dans d'autres pays que la France, par exemple lors de la
visite de Brunschvicg en Roumanie, en 1933, ou lorsqu'elle compare
la situation financiere des feministes francaises avec celle des
Americaines ou Anglaises au moment ou il s'agit de disposer
d'argent pour leur propagande. (7)
Au final, la frustration des francaises s'etend avec la crise
financiere des annees '30, qui occupe une place tres importante sur
l'agenda politique des pays de l'Europe Occidentale. Elles
essayent de s'imposer en ce qui concerne les questions budgetaires
du pays, et essentiellement sur les questions les touchant directement,
tout en sachant que le Senat n'avait jamais ete favorable aux
demandes des feministes.
Le journal s'acheve brusquement en decembre 1933. Au final de
cette lecture nous avons une image de la lutte des feministes au debut
du XXe siecle, avec plus d'informations sur les francaises et sur
les roumaines, mais avec des references correctes aux autres pays aussi.
Ce qui manque quand meme en parcourant le texte, c'est une analyse
plus approfondie des phenomenes politiques et sociaux de ces annees, qui
aurait pu servir comme cadre ou contexte des mouvements feministes,
ainsi que de justification pour leurs resultats positifs ou negatifs.
Le lecteur attend aussi peut-etre une incursion dans
l'atmosphere emblematique parisienne (et non seulement) des annees
'20 et '30, attente qui ne sera pas satisfaite, le texte ne
s'eloignant jamais des articles de Brunschvicg, et des evenements
politiques en etroite liaison avec les objectifs des feministes.
Alexandra Petrescu redonne finalement la voix d'une epoque
souvent oubliee de ce point de vue, la voix d'un personnage
important et infatigable de la lutte des feministes du debut du siecle
passe. Elle nous montre non seulement les preoccupations principales et
interets immediats des feministes, mais aussi des visions plus larges et
plus complexes qui ont prepare le terrain pour les mouvements feministes
d'apres la Deuxieme Guerre Mondiale et jusqu'a nos jours.
Alina Paula Duta *
* Alina Paula Duta is MA student, European Political Comparative
Studies, Babes Bolyai/Paris-Est Universities. E-mail:
eueusiiarasieu@yahoo.fr.
(1) http://www.genreenaction.net/base/data/50/
Publications_Alexandra_Petrescu.pdf.
(2) Alexandra Petrescu, Journal feministe. Paris 1920-1933,
Cluj-Napoca, Editions Eikon, 2011, pp. 7-8.
(3) Ibidem, pp. 12-13.
(4) Ibidem, p. 67.
(5) Ibidem, pp. 67-68, 147.
(6) Ibidem, p. 95.
(7) Ibidem, p. 9.