Les << potentialites de la vie intentionnelle >> et la conscience inactuelle.
Serban, Claudia-Cristina
The "Potentialities of Intentional Life" and Inactual
Consciousness
Le present article se propose de s'interroger sur le sens et
la portee de la these husserlienne d' une << potentialite de
la vie intentionnelle >>, pour reprendre l'expression
presente dans le titre du [section] 19 des Meditations cartesiennes.
Cette these equivaut tout d' abord a un elargissement hautement
significatif de l'intentionnalite au-dela des seuls vecus actuels
(1), et une de mes ambitions sera de montrer qu'elle nous confronte
meme a un remaniement profond de la theorie de l'intentionnalite.
Dans le cadre prescrit par cette theorie, la potentialite dont parle
Husserl prend la forme d'une visee de l'inactuel et plus
radicalement d'un auto-depassement continu de toute visee qui fait
signe, nous allons le voir, vers la structure d horizon comme
constitutive de toute conscience et de toute experience. Mais
d'autre part, outre la visee de l'inactuel qui en represente
le versant en quelque sorte objectif, les potentialites de la vie
intentionnelle nous renvoient egalement, de facon tout aussi decisive, a
une nouvelle figure de la conscience, elle-meme inactuelle, que Husserl
decrit surtout au premier et au deuxieme tome de ses Idees directrices.
C'est cette possibilite d'une inactualite de la conscience qui
fournit, a mes yeux, au moins en partie, le versant subjectif du concept
de potentialite, abondamment traite par les Ideen mais moins aborde par
les Meditations. Je me propose aujourd hui d explorer ces deux
dimensions ouvertes par la mise en avant des potentialites de la vie
intentionnelle, et pour indiquer le trait d'union qui me permettra
de les tenir ensemble, je vais souligner des maintenant le fait que la
potentialite qui entoure chaque vecu et chaque conscience et constitue
leur horizon n'est aucunement de part en part indeterminee ou
arbitraire, elle est loin d'avoir le statut d'une <<
virtualite vide >>, mais se fait connaitre le plus souvent comme
<< possibilite motivee >>. (2) Mais comment se determine
alors cette potentialite et qu'est-ce qui motive les possibilites
qui s'esquissent en elle? En repondant a cette question relative a
la teneur des potentialites de la vie intentionnelle, nous pourrons sans
doute egalement decider si elle se trouve veritablement sur un pied
d'egalite avec la conscience et l'intentionnalite actuelles.
(3)
I. Les << potentialites de la vie intentionnelle >> a)
Potentialite et horizon
Au [section] 19 des Meditations cartesiennes, intitule precisement
<< Actualite et potentialite de la vie intentionnelle >>,
Husserl presente la these des potentialites intentionnellement
pretracees au sein de chaque vecu actuel tant comme << un nouveau
trait fondamental de l'intentionnalite >>4 que comme la
source d'un renouveau methodologique incontournable pour la
description et l'analyse phenomenologiques. L'importance et le
serieux de ces considerations se confirment si l'on tient compte du
role architectonique crucial de ce [section] 19 dans la genese des
Meditations, role incontestable dans la mesure ou ses developpements
fournissaient un des plus importants noyaux des Conferences de Paris
tenues par Husserl en Sorbonne le 23 et le 25 fevrier 1929. Dans ces
conferences deja, Husserl avait souligne le caractere fondamental de la
potentialite de la vie et le fait qu elle est << tout aussi
essentielle que son actualite >>,5 en presentant cette these comme
une << idee tardive >>6 qui impose << une methode
totalement nouvelle >>. (7) Pour anticiper un peu, nous pouvons
deja dire que les potentialites de la vie intentionnelle
s'attestent comme fondamentales dans la mesure ou elles sont
censees prouver que toute intentionnalite est, de facon constitutive,
intentionnalite d'horizon. (8) Mais voyons d' abord de quelle
facon la potentialite est introduite par Husserl en tant que ratio
cognoscendi, si je puis dire, de la structure d'horizon. (9) Je
vais citer le texte des Conferences de Paris, qui me semble sur ce point
plus radical que sa reecriture au sein du [section] 19 des Meditations :
Mais, outre cela, et tout aussi essentielle que son actualite,
c'est la potentialite de la vie qui est fondamentale et qui n'est
nullement une virtualite vaine. Tout cogito, une perception
exterieure ou une rememoration, etc., par exemple, vehicule en soi
et de maniere decelable une potentialite qui lui est immanente :
celle de vecus possibles, referables a un meme objet intentionnel,
realisables pour le moi et a partir de lui. En chaque cogito nous
decouvrons, comme le dit la phenomenologie, des horizons en un sens
different. La perception progresse et trace un horizon d attente
comme horizon de l'intentionnalite, elle fait signe vers ce qui s'y
manifeste comme percu, donc elle designe des series de perceptions.
Mais chacune introduit des potentialites, comme "je pourrais
regarder la-bas au lieu de regarder la", je pourrais orienter
autrement le cours de la perception du meme percu. (10)
Ce texte extremement dense a le merite d'ouvrir vers les
implications multiples et riches de la these des potentialites
intentionnelles. Tout d'abord, il est manifeste que la presence de
potentialites est constitutive pour tout vecu, quelque soit son espece,
et elle se traduit par le renvoi necessaire du vecu actuel aux vecus
possibles qui sont susceptibles de le prolonger et de le completer.
Cette prefiguration des vecus possibles est necessairement donnee pour
deux raisons : non seulement parce qu aucun vecu n'epuise son objet
intentionnel (et d'autant moins le champ de notre experience), mais
surtout parce que, dans chaque vecu actuel, le moi s'atteste comme
la source d'une potentialite indefinie d'autres vecus. Il nous
faut ainsi reconnaitre des maintenant, et c'est un point essentiel
sur lequel je vais revenir, que les << potentialites de la vie
intentionnelle >> trouvent leur fondement tant du cote de
l'objet de l'acte et de son mode de donation, que du cote du
moi qui vit dans ces vecus et en est le sujet.
Pour en venir maintenant a une autre indication importante fournie
par l'extrait que je viens de citer, c'est la correspondance
etablie par Husserl entre potentialite et horizon (11) qui doit etre
soulignee. C'est en effet la structure d'horizon (12) de
chaque cogito et de chaque experience qui fait qu'ils s
accompagnent d'un halo irreductible de potentialites. De facon tres
significative, l'horizon de l'intentionnalite qui est ici
evoque (et qui veut surtout dire que l'intentionnalite est de facon
constitutive intentionnalite d'horizon (13)) se trouve
immediatement qualifie d'horizon d'attente pour montrer que
tout acte intentionnel regarde deja vers son avenir et que c'est en
ce sens qu'il enveloppe des potentialites. La structure
d'horizon des vecus comme les potentialites qu'ils englobent
mobilisent donc la consideration de la temporalite intrinseque de chaque
acte et de chaque experience. Et les potentialites de la vie
intentionnelle sont pour cette raison eminemment des potentialites du
flux de la conscience, dans la mesure ou la facon dont ce flux se
temporalise en fait un entrelacement necessaire d actualites et de
potentialites.
b) Potentialite et synthese
Dans l'economie interne de la Deuxieme Meditation cartesienne,
la these des potentialites de la vie intentionnelle est integree dans un
cadre theorique plus vaste qui est celui de la synthese. Au [section]
17, le theme eminemment kantien de la synthese fait son apparition pour
nommer la << forme originelle de la conscience >> (14) et
c'est dans ce contexte que s annonce un remaniement tres
significatif de la theorie de l'intentionnalite, dans la mesure ou
Husserl y souligne avec force que c'est a la synthese qu il revient
d'eclairer le vrai sens de l'intentionnalite. Je cite ce
passage important :
Seule la mise en lumiere de la specificite de la synthese rend
feconde la presentation du cogito, du vecu intentionnel, comme
conscience de, et par consequent aussi la decouverte significative
de Franz Brentano, a savoir que l'intentionnalite est le caractere
descriptif fondamental des phenomenes psychiques. (15)
Le nouvel eclairage jete par la problematique de la synthese sur le
sens de l'intentionnalite revient precisement a presenter sous un
nouveau jour le fait que tout acte intentionnel est agence de facon
synthetique, qu'il comprend plusieurs moments, plusieurs stades
qu'il s'agit de tenir ensemble en montrant qu'ils
s'integrent dans l'unite d'une synthese.
Il est pourtant legitime de se demander qu'est-ce qui prescrit
un tel deroulement synthetique a l'acte intentionnel.
L'exemple pris ici par Husserl, celui de la perception du cube,
peut laisser croire que c'est principalement le caractere spatial
de son objet qui en est responsable : s agissant d'une perception
externe qui s'effectue essentiellement par esquisses, (16) la
synthese est incontestablement requise en vue de l'integration de
la serie d'esquisses perceptives dans l'unite et
l'identite d'un meme objet intentionnel, l'objet vise par
l'acte. Et tres precisement, il est clair ici en quel sens la
synthese en tant que caracteristique de l'acte intentionnel total
et plenier est une synthese qui englobe, comme ses moments, des
actualites et des potentialites du vecu : ce qui est actuellement
present, c'est toujours seulement une esquisse, un aspect de
l'objet, alors que les autres et, surtout, l'objet en son
entier sont constamment co-vises mais ne sont presents qu'a titre
de potentialites de la perception actuelle. De cette maniere, dans le
cadre de cet exemple, les potentialites mises en jeu par l'acte
perceptif renvoient essentiellement a un exces de la visee (17) sur la
donnee perceptive : la perception de l'objet vise constamment plus
que ce qui est donne en elle, et cela parce que le donne actuel se
limite toujours a une simple perspective partielle sur l'objet.
Il s'agit d'une situation phenomenologique dont Husserl
avait pleinement pris conscience dans la Sixieme Recherche Logique,
comme le montre la fin du [section] 10 qui reconnaissait deja le rapport
particulier qui existe, dans le cadre de toute perception, entre
l'intention totale qui a la chose pour correlat et les intentions
partielles qui visent seulement des moments ou des parties de la chose.
Si elle n'etait pas explicitement caracterisee comme synthetique,
l'intention totale suffisait neanmoins pour attester le fait que
<< la conscience peut aller au-dela de ce qui est veritablement
vecu. Elle peut, pour ainsi dire, viser au-dela, et la visee peut se
remplir >>. (18) Mais, dans le contexte de la Sixieme Recherche
Logique, cet auto-depassement de la visee intervient surtout comme une
preuve du fait que la perception est tissee de composantes signitives,
et celles-ci sont la pour montrer que << le domaine de la
signification est beaucoup plus vaste que celui de l'intuition
>>. (19) L'ideal de la plenitude intuitive formule par
Husserl a cet endroit invite en meme temps a faire la part du contenu
intuitif et du contenu signitif, afin d'obtenir, que ce soit
seulement a titre de simple abstraction, le contenu intuitif dans toute
sa purete. Les visees conjointes qui attendent encore leur remplissement
a cote de la visee remplie sont precisement ce qui trouble la purete du
contenu intuitif et, pour cette raison, la progression du remplissement
a pour but de les biffer. Et meme, tout en reconnaissant que ces visees
signitives encore vides visent conjointement le meme objet, donc
qu'il s'agit d'une Mitmeinung, Husserl hesite a y voir
une relation essentielle (20) pour l'etre du vecu, dans la mesure
ou il explique ces visees vides par un phenomene d' association
<< par contiguite >>. (21) Cette Mitmeinung n'est donc
pas encore la Mehrmeinung (22) dont parlent les Meditations. Et
c'est precisement en tant qu'elles sont inessentielles que les
visees conjointes doivent etre reduites en vue de la realisation de
l'ideal de la plenitude intuitive qui correspond a l'intuition
pure. Celle-ci
[...] ne renferme absolument aucun contenu signitif. Tout en elle
est plenitude ; aucune partie, aucune face, aucune determination de
son objet qui ne nous soit presentee intuitivement, aucune qui ne
soit visee qu' indirectement et implicitement. Non seulement tout
ce qui est presente est vise (ce qui est une proposition
analytique), mais encore tout ce qui est vise est aussi presente.
(23)
Mais pour obtenir une telle intuition pure, il faut precisement
reduire les composantes signitives de la visee en transformant, par la
dynamique du remplissement, leur vide en plenitude, ou en les ecartant
si elles ne peuvent pas etre remplies. (24) Qui plus est, la plenitude
intuitive qui est ici en question correspond, selon toute apparence, a
une pure actualite et elle revient donc, implicitement, a une
consideration des << potentialites du vecu >> comme
inessentielles. Lorsque << tout ce qui est vise est presente
>>, il n'y a en effet plus lieu pour une quelconque visee de
l'inactuel.
Or, la mise en avant, dans les Meditations cartesiennes, du theme
de la synthese afin d'eclairer le sens de l'intentionnalite
implique, comme j'ai deja pu le suggerer, une reevaluation
fondamentale de la fonction des potentialites du vecu, pour autant que
la synthese representee par l'intention totale de l'acte est
eo ipso synthese de l'actuel et de l'inactuel, de l actuel et
du potentiel. Et la potentialite est desormais constitutive parce qu
elle est irreductible : le remplissement de l'intention totale ne
pourra jamais prendre la forme d'une perception pure, mais il sera
au contraire toujours un entrelacement de perceptions actuelles et
potentielles, (25) et donc de presentation et d'appresentation. Car
meme en ayant fait le tour complet de l'objet spatial, la synthese
des perceptions partielles ainsi obtenues reste a faire, et en ce point
la spatialite de l'objet rencontre, comme source nouvelle de
potentialites irreductibles, la temporalite de la synthese,26 dimension
passee sous silence par les analyses de la Sixieme Recherche Logique que
je viens d'invoquer. Le privilege explicatif de la perception
externe et de la structure de renvoi qui la caracterise ne doit ainsi
pas occulter le fait que, s'il y a une forme universelle de la
synthese, c'est celle de la temporalite transcendantale immanente a
la conscience. (27)
c) Potentialite et temporalite
Une fois mise a jour la << synthese universelle du temps
transcendantal >>,28 il devient hautement manifeste en quoi la
<< potentialite de la vie intentionnelle >> (que les
Meditations thematiseront immediatement apres) est essentielle : en tant
que temporelle, non seulement toute synthese, donc toute intentionnalite
s'atteste comme un entrelacement d actualites et de potentialites,
mais il est desormais clair pourquoi l actualite ne peut jamais etre
donnee a l'etat pur. En tant que pure, elle serait seulement une
abstraction : etant le pendant rigoureux de la ponctualite du
maintenant, l'actualite est a son tour toujours ponctuelle -- un
noyau ponctuel entoure d'un halo de renvois vers des potentialites
du passe et du futur. (29) La synthese d' actualites et de
potentialites que realise chaque vecu intentionnel illustre donc a
chaque fois la synthese primordiale qui accomplit l'unite du temps
en associant a l'actualite du maintenant les horizons constitutifs
du passe et du futur.
Mais avec la consideration du temps subjectif comme synthese
universelle et fondatrice, nous sommes insensiblement passes des
potentialites du vecu intentionnel a la potentialite qui caracterise la
conscience elle-meme. Et cela non seulement dans la mesure ou, comme
j'ai deja pu le suggerer, la conscience s'annonce, par le
motif fondamental du << Je peux >>, comme le pouvoir
subjectif qui ouvre les horizons du vecu (30) et dessine ainsi les
possibilites d'experience de chaque objet, (31) mais parce que
l'actualite et la potentialite sont les aspects complementaires de
sa vie meme. Il s'agira donc a present de voir, une fois acquise la
teneur positive du concept de potentialite, la lumiere qu'il permet
de jeter sur le partage de la conscience entre l'actualite et
l'inactualite.
II. La conscience inactuelle
Au [section] 35 des Ideen I, Husserl se livre precisement a
l'examen du sens de l'inactualite, envisagee comme <<
modification >> (donc comme quelque chose de secondaire, de
derive), par rapport a la comprehension du cogito comme << acte
>>. Le caractere incontournable d'une modification
d'inactualite touchant le cogito s'impose a partir de
l'evidence fondamentale selon laquelle << le flux du vecu ne
peut jamais etre constitue de pures actualites >>. (32) En effet,
chaque vecu doit necessairement s'integrer dans le flux de la
conscience intime du temps, et pour cette raison l actualite ne lui est
reservee que comme une determination passagere. S'il est opere
toujours sous la forme d'un acte, le vecu n'est pas moins
menace par la chute imminente dans l'inactualite que represente,
d'abord, le passe immediat de la conscience. La conscience devient
donc inactuelle dans la mesure ou elle a un passe et ou son attention
est tout aussi ponctuelle que son actualite : elle est ainsi constamment
entouree par un halo d'inactualite et d'inattention, qui
troublent sa transparence et sa presence immediate a soi par son
irreductible epaisseur temporelle. Toutefois, cette epaisseur n est pas
insurmontable, elle ne va pas jusqu a installer le drame de
l'inconnaissance de soi au coeur de la conscience, car Husserl
tient toujours a souligner le fait que le passage inverse, de
l'inactualite a l'actualite, reste a chaque fois
principiellement possible par une libre conversion du regard (et
c'est en ce point que le theme de la reflexion comme possibilite
ideale de revenir sur des actes sombres dans l'inactualite (33)
atteste son importance cruciale). Dans ce contexte, la potentialite
veritable de la conscience n'est pas tant son inactualite, mais le
pouvoir ou la possibilite de convertir cette inactualite en une nouvelle
actualite, de ressusciter ainsi le passe de la conscience par la force
de la reflexion - c'est la potentialite que Husserl designe
ailleurs comme << potentialite du Je peux >>. (34)
La complementarite de l'actualite et de la potentialite va
donc, ici, plus loin que l'opposition de l'actuel et de
l'inactuel : si, en general, les potentialites de chaque vecu sont,
comme dit Husserl, << mes possibilites des possibilites que je
peux mettre en oeuvre >>, (35) ou encore quelque chose de <<
possible en fonction des formes subjectives qui lui sont inherentes, du
je peux, du pouvoir >>, (36) face a la conscience inactuelle la
potentialite designe surtout le pouvoir subjectif de l'ego de
reactualiser ses vecus passes ou de reiterer activement ou
attentivement, les vecus accomplis dans l'inattention ou dans la
passivite. (37) De cette perspective, l'ideal qui regit la
description husserlienne demeure celui de la vigilance du moi, d'un
moi qui serait de part en part, ou du moins le plus possible, conscience
actuelle (38) et attention. Menace par l'inactualite de la
conscience, le moi vigilant peut toujours la surmonter :
Nous pouvons definir moi "vigilant" (waches) le moi qui realise
continuellement la conscience a l'interieur de son flux de vecus
sous la forme specifique du cogito. Mais l'essence du flux du vecu
chez un moi vigilant implique, d' apres ce qui precede, que la
chaine ininterrompue des cogitationes soit constamment cernee par
une zone d'inactualite, toujours prete elle-meme a se convertir
dans le mode de l'actualite, comme reciproquement l'actualite en
inactualite. (39)
La vigilance du moi, qui est toujours a gagner, est ainsi synonyme
de l'effectuation du cogito comme acte, et donc de l'actualite
de la conscience. Elle consiste essentiellement, par consequent, dans
une victoire sur les inactualites qui appartiennent de facon
constitutive au flux de la conscience - non pas necessairement dans une
victoire effective mais surtout dans la possibilite ideale de les
reactualiser par une conversion attentionnelle du regard. Dans cette
perspective, il est manifeste que c'est l'actualite de la
conscience qui continue a jouer le role fondamental : Husserl reconnait
d ailleurs ici que, au sens fort, le << cogito >> et la
<< conscience de quelque chose >> se referent toujours a des
vecus actuels. (40)
Moins reticent par rapport a la << mythologie des activites
>> qu'a
l'epoque de la Cinquieme Recherche Logique, Husserl reconduit
ainsi implicitement l'actualite des vecus a leur accomplissement
actif, conscient et attentif, qui seul caracterise la vraie vie de la
conscience. C'est ce que laissent du moins entendre les
developpements relatifs a l'inactualite presents au [section] 92
des Ideen I, dedie aux mutations attentionnelles, qui vont jusqu a
qualifier le mode de l'inactualite, ou l'inattention, de
<< mode de la conscience morte >> (des toten Bewussthabens)
>>. (41) Car c' est seulement au sein des actes qu'il
accomplit activement, de ses vecus actuels, que le moi << vit
[...] comme l'etre libre (freie Wesen) qu' il est >>.
(42) La marge d' inactualite qui entoure le rayon de
l'attention, nomme par Husserl Ichstrahl, (43) ne prend son sens
que par rapport a cette activite libre qui s'exerce par
l'attention (44) et qui caracterise la vie intentionnelle veritable
: cette marge represente le << champ de potentialite offert aux
actes libres du moi >>. (45) Nous comprenons desormais que
l'introduction du motif de l'activite est indissolublement
liee a la fonction qu' assume desormais le moi : l'Ichprinzip
et la mythologie des activites font effectivement leur retour ensemble.
(46) En effet, c' est la relation ou l'appartenance au moi qui
realise, au sein de la conscience comme sphere des vecus,
l'unification de l'actuel et de l'inactuel. Et
l'inactuel appartient au moi, nous l'avons deja souligne,
comme champ de potentialite offert a sa liberte, ce qui permet aussi
d'unifier la sphere du propre et de la delimiter par rapport a la
sphere de l'etranger.
Or, puisque les vecus inactuels sont incontestablement, a leur
tour, intentionnels -- c'est justement ce que prouve abondamment
l'idee d'une potentialite de la vie intentionnelle --, (47) il
devient hautement necessaire de redessiner la morphologie des rapports
entre acte et vecu intentionnel, ou entre actualite et intentionnalite.
Puisque le vecu intentionnel a une signification plus large que
l'acte au sens du vecu actuel ou opere, il ne peut pas y avoir de
recouvrement entre actualite et intentionnalite. Par cet acquis, les
Ideen I ouvrent effectivement la voie pour la reconnaissance du
caractere essentiel des << potentialites de la vie intentionnelle
>>. D autre part, afin de ne pas abandonner la coextensivite entre
acte et vecu intentionnel, au [section] 115 Husserl propose un concept
elargi d'acte, qui puisse comprendre non seulement les actes
effectivement et actuellement operes, mais aussi les amorces
d'actes (Aktregungen) qui << sont vecues avec toutes leurs
intentionnalites, mais le moi n'y vit pas en tant que "sujet
operant" >>. (48)
Il est manifeste a partir de cette remarque que c'est la
participation du moi au vecu et son degre d'activite qui permet de
trancher entre l'acte opere et l'amorce d'acte, alors que
cette distinction a moins d'importance la ou aucun Ichprinzip
n'est considere comme necessaire. << Le vecu intentionnel
explicite est un "je pense" "opere" (vollzogenes)
>>, (49) affirme Husserl au meme paragraphe, nous confrontant a
l'importance de la recuperation du motif kantien du << je
pense >> - et meme dans sa formulation complete -- << le
"je pense" doit pouvoir accompagner toutes mes representations
>> - dans les Ideen. Dans leur contexte, la phrase kantienne
exprime precisement la possibilite de principe de la conversion de
l'inactualite de la conscience en actualite. Je vais citer en ce
sens le texte des Ideen II : (50)
L'ego pur doit pouvoir accompagner toutes mes representations.
Cette proposition kantienne prend un sens correct, si nous
entendons ici sous le terme de representation toute conscience
obscure. Par principe, l'ego peut penetrer pour les vivre dans tous
les vecus intentionnels inaccomplis (au sens determine
d'inconscients, ineveilles), il peut apporter la lumiere de la
conscience eveillee dans les vecus qui ont sombre a l'arriere-plan,
qui ne sont plus accomplis, et pourtant l'ego ne regne que dans
l'accomplissement d acte, dans les cogitationes proprement dites.
Mais il peut envoyer son regard dans tout ce qui peut precisement
recevoir le rayon de la fonction egologique. Il peut penetrer par
la vue tout ce qui est constitue de facon intentionnelle dans le
flux de la conscience [...]. (51)
C'est a mes yeux l'adhesion profonde a cette idee
d'une possibilite ideale (52) de la reflexion, du retour sur tout
acte, de la reactualisation de tout vecu, (53) soit-il le plus recule,
voire << refoule >>, qui explique, au moins en partie la
resistance insurmontable de Husserl devant le concept psychanalytique
d'inconscient, (54) et sans doute aussi devant le principe meme de
la cure psychanalytique : le transfert.
III. Conclusion
En guise de conclusion, je vais d'abord reprendre les jalons
essentiels du chemin que je viens de suivre. J' ai voulu montrer en
premier lieu que la these husserlienne des potentialites de la vie
intentionnelle est etroitement liee a un remaniement implicite de
l'intentionnalite, comprise desormais non plus comme visee
exclusive de l'objet, mais tout aussi essentiellement comme
intentionnalite d'horizon. Lorsque l'horizon devient, chez
Husserl, une structure constitutive de l'experience, les
potentialites de la vie intentionnelle s'attestent a leur tour
comme constitutives et irreductibles. Et cela est une consequence non
seulement du mode de donation des objets de l'experience, mais
surtout de l'agencement synthetique de toute experience en tant que
temporelle. Ainsi, le fait que la donnee primordiale soit toujours un
entrelacement d'actualites et de potentialites caracterise tout
d'abord le flux de la conscience elle-meme, ce qui ouvre la voie au
partage, hautement significatif, de la conscience entre l actualite et
l'inactualite.
Neanmoins, c' est l'actualite qui demeure la forme
pleniere de la vie de la conscience, et cela en raison de la
possibilite, de l'ultime potentialite que nomme le Je peux, de
convertir par un acte libre de la reflexion l'inactualite en
actualite. De cette maniere, l'actualite est non seulement le noyau
de la potentialite qui se donne toujours comme halo et comme horizon,
mais demeure un ideal de la vie de la conscience, bien qu'elle ne
puisse etre donnee a l'etat pur qu'a titre d'abstraction.
En meme temps, c'est l'actualite qui detient le plus souvent
la force motivante de la potentialite ; mais cette motivation
s'exprime en derniere instance par une Vermbglichkeit plus haute,
celle du Je peux qui se rapporte a l'horizon et au halo
d'inactualite comme a la sphere de ses possibilites subjectives, de
ses accomplissements possibles.
Bibliography :
A. Husserl's Works
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Marc de Launay, Paris : PUF, coll. << Epimethee >>, 1994
(Husserliana : Edmund Husserl gesammelte Werke, Band 1 : Cartesianische
Meditationen und Pariser Vortrage, hrsg. von Stephan Strasser, La Haye:
Martinus Nijhoff, 1963);
2. Experience et jugement. Recherches en vue d'une genealogie
de la logique, trad. par Denise Souche-Dagues, Paris : PUF, coll.
<< Epimethee >>, 20003, 1970 ;
3. Chose et espace. Lecons de 1907, trad. par Jean-Francois
Lavigne, Paris : PUF, coll. << Epimethee >>, 1989
(Husserliana : Edmund Husserl gesammelte Werke, Band XVI : Ding und Raum
: Vorlesungen (1907), hrsg. von Ulrich Claesges, La Haye: Martinus
Nijhoff, 1973) ;
4. Husserliana: Edmund Husserl gesammelte Werke, Band XX/ I :
Logische Untersuchungen Erganzungsband, erster Teil: Entwurfe zum
Umarbeitung der VI. Untersuchung und zur Vorrede fur die Neuauflage der
Logischen Untersuchungen (Sommer 1913), hrsg. von Ulrich Melle,
Dordrecht: Kluwer, 2002 ;
5. Recherches logiques, Tome III : Elements d'une elucidation
phenomenologique de la connaissance (Recherche VI), trad. par Hubert
Elie, Arion L. Kelkel et Rene Scherer, Paris : PUF, coll. <<
Epimethee >>, 1963 ;
6. La representation vide suivi de Les Recherches logiques, une
oeuvre de percee, sous la dir. de Jocelyn Benoist et Jean-Francois
Courtine, Paris : PUF, coll. << Epimethee >>, 2003 ;
7. Idees directrices pour une phenomenologie et une philosophie
phenomenologique pures, tome I : Introduction generale a la
phenomenologie, trad. par Paul Ricoeur, Paris : Gallimard, 1950
(Husserliana : Edmund Husserl gesammelte Werke, Band III/1 : Ideen zu
einer reinen Phanomenologie und phanomenologischen Philosophie, erstes
Buch : Allgemeine Einfuhrung in die reine Phanomenologie, hrsg. von
Walter Biemel, La Haye: Martinus Nijhoff, 1950);
8. Philosophie premiere (1923-1924), Deuxieme Partie : Theorie de
la reduction phenomenologique, trad. par Arion L. Kelkel, Paris : PUF,
coll. << Epimethee >>, 1990 (2), 1972 (Husserliana : Edmund
Husserl gesammelte Werke, Band VIII: Erste Philosophie (1923-1924), 2.
Theorie der phanomenologischen Reduktion, hrsg. von Rudolf Boehm, La
Haye: Martinus Nijhoff, 1959) ;
9. Husserliana : Edmund Husserl gesammelte Werke, Band XV: Zur
Phanomenologie der Intersubjektivitat. Texte aus dem Nachlass 3
(1929-1935), hrsg. von Iso Kern, La Haye: Martinus Nijhoff, 1973;
10. Idees directrices pour une phenomenologie et une philosophie
phenomenologiques pures, livre second : Recherches phenomenologiques
pour la constitution, trad. par Eliane Escoubas, Paris : PUF, coll.
<< Epimethee >>, 1982 (Husserliana : Edmund Husserl
gesammelte Werke, Band IV : Ideen zu einer reinen Phanomenologie und
phanomenologischen Philosophie, zweites Buch : Phanomenologische
Untersuchungn zur Constitution, hrsg. von Marly Biemel, La Haye,
Martinus Nijhoff, 1952) ;
11. Phenomenologie de l'attention, trad. par Natalie Depraz,
Paris : Vrin, 2009 (Husserliana : Edmund Husserl gesammelte Werke, Band
XXXVIII : Wahrnehmung und Aufmerksamkeit. Texte aus dem Nachlass
(1893-1912), hrsg. von Thomas Vongehr und Regula Giuliani, Dordrecht,
Springer, 2004) ;
12. Recherches logiques, Tome second : Recherches pour la
phenomenologie et la theorie de la connaissance, Deuxieme Partie
(Recherches III, IV et V), trad. par Hubert Elie, Lothar Kelkel et Rene
Scherer, Paris : PUF, coll. << Epimethee >>, 1962 ;
13. Husserliana: Edmund Husserl gesammelte Werke, Band XXXIII : Die
bernauer Manuskripte uber das Zeitbewusstsein (1917/ 18), hsg. von
Rudolf Bernet und Dieter Lohmar, Dordrecht: Kluwer, 2001 ;
14. Lecons pour une phenomenologie de la conscience intime du
temps, trad. par Henri Dussort, Paris : PUF, coll. << Epimethee
>>, 1983 [1964] (Husserliana: Edmund Husserl gesammelte Werke,
Band X: Zur Phanomenologie des inneren Zeitbewusstseins, hrsg. von
Rudolf Boehm, La Haye, Martinus Nijhoff, 1966 ;
B. Secondary Literature
1. Bernet, Rudolf (1994), << Finitude et teleologie de la
perception >>, Kairos, 5, 13-30 ;
2. Fraisopi, Fausto (2009), << Experience et horizon chez
Husserl : contextualite et synthese a partir du concept de
"representation vide" >>, Studia phaenomenologica, IX,
455-476;
3. Kuhn, Helmut (1940), << The Phenomenological Concept of
Horizon >>, in Farber, Marvin (ed.), Philosophical Essays in
Memory of Edmund Husserl, Cambridge, Massachussets : Harvard University
Press, 106-123;
4. Marbach, Eduard (1974), Das Problem des Ich in der
Phanomenologie Husserls, La Haye : Martinus Nijhoff;
5. Rang, Bernhard (1973), Kausalitat und Motivation. Untersuchungen
zum Verhaltnis von Perspektivitat und Objektivitat in der Phanomenologie
Edmund Husserls, La Haye: Martinus Nijhoff;
6. Wiegerling, Klaus (1984) Husserls Begriff der Potentialitat.
Eine Untersuchung uber Sinn und Grenze der transzendentalen
Phanomenologie als universaler Methode, Bonn: Bouvier;
(1) A l'interieur des Meditations cartesiennes, le theme des
potentialites de la vie intentionnelle a cependant une portee beaucoup
plus vaste que je ne vais pas pouvoir explorer ici. Il lui revient
notamment un role crucial dans la demarche de la Cinquieme Meditation :
voir, surtout, le [section] 46, << La specificite comme sphere des
actualites et des potentialites des vecus >>, et le [section] 53,
<< Les potentialites de la sphere primordiale et leur fonction
constitutive dans l'appresentation de l'autre >>. Le
lien entre potentialite et experience d'autrui est analyse par
Klaus Wiegerling dans son etude Husserls Begriff der Potentialitat. Eine
Untersuchung uber Sinn und Grenze der transzendentalen Phanomenologie
als universaler Methode, Bonn : Bouvier, 1984 (en particulier la
quatrieme partie: << Potentialitat und Intersubjektivitat
>>).
(2) Pour le concept de motivation, je renvoie a l'etude
classique de Bernhard Rang, Kausalitat und Motivation. Untersuchungen
zum Verhaltnis von Perspektivitat und Objektivitat in der Phanomenologie
Edmund Husserls, La Haye: Martinus Nijhoff, 1973 (en particulier, le
chapitre IV: << Horizontintentionalitat und Wahrheit an sich
>>, qui offre une excellente analyse de la possibilite motivee).
(3) En effet, si Husserl maintient toujours une parfaite
complementarite de l'actualite et de la potentialite, le plus
souvent la potentialite et la conscience inactuelle apparaissent comme
secondaires, voire derivees par rapport a l'actualite. Pour cette
raison, leur rapport exact est a preciser.
(4) Edmund Husserl, Meditations cartesiennes et Les Conferences de
Paris, trad. par Marc de Launay, Paris : PUF, coll. << Epimethee
>>, 1994, p. 90 (Hua I, p. 82).
(5) Ibidem, p. 18 (Hua I, p. 18).
(6) Les Meditations renonceront a cette caracterisation de la these
des potentialites comme decouverte tardive. Selon une conversation
relatee par Dorion Cairns du debut des annees 30, Husserl l'aurait
plutot revendiquee par la suite comme une idee deja bien ancienne :
<< Je lui parlais des recentes conferences ou Becker opposait a ce
qu'il presentait comme etant la notion husserlienne de possibilite,
reduite a la 'pure possibilite' , la notion heideggerienne de
possibilite comme potentialite, Vermogen. Naturellement, Husserl fut
etonne que quelqu'un ait pu avancer une distinction entre lui et
Heidegger sur ce point. Depuis quinze ans au moins, il fait usage de la
notion de possibilite comme potentialite - il avait meme coutume d
employer le terme de Vermoglichkeit pour exprimer la libre potentialite
de l'ego >> (Dorion Cairns, Conversations avec Husserl et
Fink, trad. par Jean-Marc Mouillie, Grenoble : Jerome Millon, 1997,
Conversation du 11/ 7/ 1931, pp. 84-85).
(7) Edmund Husserl, Meditations cartesiennes et Les Conferences de
Paris, p. 19 (Hua I, p. 19).
(8) La centralite de l'intentionnalite d'horizon est
explicitement soulignee par Husserl au [section] 19 des Meditations
(ibidem, p. 83, Hua I, p. 91).
(9) Le texte incontournable sur l'horizon comme structure de
l'experience est le [section] 8 d'Experience et jugement.
C'est la que Husserl developpe egalement le dedoublement de
l'horizon en interne et externe (Husserl, Edmund, Experience et
jugement. Recherches en vue d'une genealogie de la logique, trad.
par Denise Souche-Dagues, Paris : PUF, coll. << Epimethee
>>, 2000, 1970, pp. 36-45).
(10) Edmund Husserl, Meditations cartesiennes et Les Conferences de
Paris, p. 19 (Hua I, pp. 18-19).
(11) << Les horizons sont des potentialites esquissees
>>, affirme Husserl au [section] 19 des Meditations (ibidem, p.
82, Hua I, p. 90).
(12) Pour une etude approfondie du concept d'horizon, je
renvoie aux articles suivants : Helmut Kuhn, << The
Phenomenological Concept of Horizon >>, in Marvin, Farber (ed.),
Philosophical Essays in Memory of Edmund Husserl, Cambridge,
Massachussets : Harvard University Press, 1940, pp. 106-123, et Fausto
Fraisopi, << Experience et horizon chez Husserl: contextualite et
synthese a partir du concept de "representation vide"
>>, Studia phaenomenologica IX/ 2009, pp. 455-476.
(13) << Ainsi, a toute conscience en tant qu'elle est
conscience de quelque chose appartient la propriete essentielle, non
seulement de pouvoir parcourir des modes de conscience toujours nouveaux
[...], mais aussi d' en etre capable uniquement selon la modalite
de cette intentionnalite d'horizon >> (Edmund Husserl,
Meditations cartesiennes et Les Conferences de Paris, p. 83, Hua I, p.
91).
(14) Ibidem, p. 84 (Hua I, p. 77).
(15) Ibidem, p. 86 (Hua I, p. 79).
(16) La caracterisation husserlienne de la perception externe est
d'une importance capitale pour la problematique des potentialites.
Neanmoins, puisque je privilegie dans ce travail le << versant
subjectif >> du probleme, je ne vais pas proceder ici a son
analyse detaillee. Les reperes cruciaux sur ce sujet se trouvent tout
d' abord dans Ding und Raum (Hua XVI, en francais Chose et espace.
Lecons de 1907, trad. par Jean-Francois Lavigne, Paris : PUF, coll.
<< Epimethee >>, 1989). Pour une presentation synthetique et
eclairante, je renvoie a l'article de Rudolf Bernet, <<
Finitude et teleologie de la perception >>, Kairos 5/ 1994, pp.
13-30.
(17) Cet exces de la visee est eminemment un exces du sens
(Erfahrung und Urteil parle, au [section] 8, de Sinnestranszendenz), ce
pourquoi il est tout a fait legitime de caracteriser la teleologie de la
perception, non pas tant comme une teleologie de la plenitude intuitive
que comme une teleologie du sens (et meme du sens noematique) : <<
L'objet est pour ainsi dire un pole d identite, sans cesse
conscient avec un sens previse qui est a realiser >> (Edmund
Husserl, Meditations cartesiennes et Les Conferences de Paris, p. 83,
Hua I, p. 91). La realisation du sens est a comprendre en outre comme
une progression dans la determination, et les potentialites du vecu
correspondent precisement au halo d' indetermination de
l'objet. Toutefois, des Chose et espace Husserl est bien conscient
du fait que la << determination definitive de l'objet
>> est une << tache infinie >> (Edmund Husserl, Chose
et espace. Lecons de 1907, p. 166, Hua XVI, p. 134), ce qui revient a
dire que les potentialites sont, de fait, irreductibles. Cette
consideration sert a Husserl dans les complements de 1913 a la Sixieme
Recherche Logique pour donner un nouveau sens a la definition kantienne
du phenomene comme << unbestimmte Gegenstand der empirischen
Anschauung >> : l'objet de l'intuition empirique est
indetermine parce que de multiples (<< unendliche >>, dit
Husserl) possibilites de determination restent toujours ouvertes en ce
qui le concerne (Edmund Husserl, Husserliana, Band XX/ I : Logische
Untersuchungen Erganzungsband, erster Teil: Entwurfe zum Umarbeitung der
VI. Untersuchung und zur Vorrede fur die Neuauflage der Logischen
Untersuchungen (Sommer 1913), hrsg. von Ulrich Melle, Dordrecht: Kluwer,
2002, [section] 42, p. 162).
(18) Edmund Husserl, Recherches logiques, Tome III : Elements
d'une elucidation phenomenologique de la connaissance (Recherche
VI), trad. par Hubert Elie, Arion L. Kelkel et Rene Scherer, Paris :
PUF, coll. << Epimethee >>, 1963, p. 57 [41].
(19) Ibidem, [section] 63, p. 230 [192].
(20) Les complements a la Sixieme Recherche Logique font un pas
important en ce sens par l'investissement du concept de halo en
relation avec celui de representation vide. En effet, lorsque le vide
est reevalue en termes de halo, il devient possible d'apercevoir
<< le mode de l'entrelacement et de la motivation de
l'invisible dans sa relation avec le visible (Verfluchtung und
Motivation des Unsichtigen in Beziehung auf das Sichtige) >>
(Edmund Husserl, << La representation vide >>, trad. par
Jocelyn Benoist in : Husserl, Edmund, La representation vide suivi de
Les Recherches logiques, une oeuvre de percee, sous la dir. de Jocelyn
Benoist et Jean-Francois Courtine, Paris : PUF, coll. << Epimethee
>>, 2003, pp. 11-36, p. 14, Hua XX/ 1, p. 143). Par la, c'est
implicitement l'entrelacement de l'actuel et du potentiel qui
est reconnu comme necessaire.
(21) << C'est ainsi que, d'une maniere purement
phenomenologique, dans l'intuition d'une perception de chose
ou d'une image nous faisons, en effet, distinction entre ce qui, de
l'objet, apparait effectivement dans le phenomene, la seule
"face" sous laquelle il se presente a nous, et ce a quoi cette
presentation fait defaut, ce qui n'est pas presente mais cache par
d' autres objets phenomenaux, etc. Manifestement cela veut dire -
l'analyse phenomenologique le confirme incontestablement dans
certaines limites - que meme des elements non presentes sont vises
conjointement (mitgemeint) dans la representation intuitive, et
qu'il faut, par consequent, attribuer a celle-ci un ensemble de
composantes signitives. Nous devons d'abord faire abstraction de ce
contenu si nous voulons obtenir le contenu intuitif dans toute sa
purete. Ce dernier confere au contenu presentatif son rapport direct
avec des moments correspondants de l'objet et c'est seulement
par contiguite que viennent s'y rattacher les intentions nouvelles
en tant, par consequent, qu'intentions mediates de type signitif
>> (Edmund Husserl, Recherches logiques, Tome III : Elements
d'une elucidation phenomenologique de la connaissance (Recherche
VI), [section] 23, pp. 102-103 [80]).
(22) Edmund Husserl, Meditations cartesiennes et Les Conferences de
Paris, p. 84 (Hua I, p. 92). La Mehrmeinung intervient au [section] 20
dans le contexte de la mise a jour de la specificite de l'analyse
intentionnelle, dont la tache est de << devoiler les potentialites
impliquees dans les actualites de la conscience >> : <<
L'analyse intentionnelle est guidee par le savoir fondamental que
tout cogito est, en tant que conscience, et, au sens le plus large,
visee de son objet, mais que cet objet vise de maniere presomptive est,
a chaque instant, plus (il est vise de maniere presomptive avec un plus)
que ce qui est explicitement vise a chaque instant >> (ibidem).
(23) Edmund Husserl, Recherches logiques, Tome III : Elements
d'une elucidation phenomenologique de la connaissance (Recherche
VI), p. 104 [81].
(24) Dans la Sixieme Recherche Logique, cette purification de
l'intuition ne concerne pas seulement ses composantes signitives,
car elle s'etend egalement aux composantes imaginatives. Ce
qu'elle vise donc sous le titre d'intuition pure est par
consequent la perception pure, reine Wahrnehmung (ibidem).
(25) Plus loin encore, l'horizon interne (relatif a
l'objet) de la perception doit etre complete par son horizon
externe, qui ouvre l'acte vers l'entourage de l'objet et
en definitive vers l horizon total du monde. Par son horizon externe,
tout acte intentionnel vise ainsi implicitement le monde. Par cette
consequence de sa theorie des deux horizons d' experience, interne
et externe (exposee tant au [section] 8 d'Experience et jugement
que dans Philosophie premiere II, 49e lecon), Husserl s'eloigne
donc considerablement de la comprehension canonique de
l'intentionnalite comme relation a l'objet, et montre en meme
temps une proximite insoupconnee par rapport a la transcendance
heideggerienne.
(26) Le probleme crucial, que je ne vais pas pouvoir aborder ici,
est certes celui de l'articulation de la spatialite et de la
temporalite, ou de la finitude de l'experience externe et de celle
de l experience interne. Au premier tome des Idees directrices, Husserl
reconnait les deux tout en refusant de les situer sur le meme plan :
<< Finalement le flux total de mon vecu est une unite de vecu
qu'il est impossible par principe de saisir adequatement dans sa
pleine unite [...]. Mais cette incompletude, cette
"imperfection" que comporte l'essence de la perception du
vecu est par principe differente de celle que recele l'essence de
la perception "transcendante" >> (Edmund Husserl, Idees
directrices pour une phenomenologie et une philosophie phenomenologique
pures, tome I : Introduction generale a la phenomenologie, trad. par
Paul Ricoeur, Paris : Gallimard, 1950, p. 144, Hua III/ 1/ 1, p. 103).
Plus precisement, il s'agit ici de maintenir que le flux du vecu,
en depit de l'inadequation qui lui est propre (en
l'occurrence, le fait qu'il soit a son tour, tout comme
l'experience externe, un entrelacement d'actualites et de
potentialites), ne donne pas moins un absolu.
(27) << La forme fondamentale de cette synthese universelle,
qui permet toutes les autres syntheses de la conscience, est la
conscience du temps, conscience qui englobe tout >> (Edmund
Husserl, Meditations cartesiennes et Conferences de Paris, pp. 88-89,
Hua I, p. 81).
(28) Selon le titre du [section] 18 des Meditations cartesiennes.
(29) Pour une presentation de la structure d'horizon en termes
temporels, voir la 49e lecon de Philosophie premiere, << Les
horizons du flux du present vivant >> (Edmund Husserl, Philosophie
premiere (1923-1924), Deuxieme Partie : Theorie de la reduction
phenomenologique, trad. par Arion L. Kelkel, Paris : PUF, coll. <<
Epimethee >>, 19902, 1972, p. 203, Hua VIII, p. 146).
(30) << Ces perceptions possibles sont necessairement
co-presupposees comme mes possibilites des possibilites que je peux
mettre en oeuvre [...]. >> (Edmund Husserl, Meditations
cartesiennes et Conferences de Paris, p. 24, Hua I, p. 24).
(31) << Tout objet, s'il est, est objet d'un
univers d'experiences possibles >> (Ibidem, p. 25, Hua I, p.
25).
(32) Edmund Husserl, Idees directrices pour une phenomenologie et
une philosophie phenomenologique pures, tome I : Introduction generale a
la phenomenologie, p. 114 (Hua III/ 1, p. 79 : << der
Erlebnisstrom kann nie aus lauter Aktualitaten bestehen >>).
(33) Voir, par exemple, la 50e lecon de Philosophie premiere II,
<< L'infini flux temporel de la vie et la possibilite
d'une reflexion et d'une enox^ universelles >>.
(34) Hua XV, p. 128 (Zur Phanomenologie der Intersubjektivitat.
Texte aus dem Nachlass 3 (19291935), hrsg. von Iso Kern, La Haye:
Martinus Nijhoff, 1973).
(35) Edmund Husserl, Meditations cartesiennes et Conferences de
Paris, p. 24 [Hua I, p. 24].
(36) Ibidem, p. 25 [Hua I, p. 25].
(37) Au deuxieme tome des Idees directrices, [section] 5, Husserl
explicite en effet l'opposition entre actualite et inactualite de
la conscience a partir de celle entre spontaneite et passivite :
<< la spontaneite ou, si l'on veut, ce que l'on doit a
proprement parler nommer activite, passe dans un etat de passivite, bien
qu'une telle passivite -- comme on l'a deja dit -- renvoie a
l'accomplissement spontane et articule. Ce renvoi est caracterise
en tant que tel par le "je peux" qui lui est a l'evidence
inherent, ou la faculte de "reactiver" cet etat [...] >>
(Edmund Husserl, Idees directrices pour une phenomenologie et une
philosophie phenomenologiques pures, livre second : Recherches
phenomenologiques pour la constitution, trad. par Eliane Escoubas, Paris
: PUF, coll. << Epimethee >>, 1982, p. 35, Hua IV, p.
12-13).
(38) Pour la signification de l'actualite du moi, je renvoie a
l'etude d' Eduard Marbach, Das Problem des Ich in der
Phanomenologie Husserls (La Haye : Martinus Nijhoff, 1974), et en
particulier au chapitre VI, << Husserls Stellungnahme zum Ich in
den Ideen >>.
(39) Edmund Husserl, Idees directrices pour une phenomenologie et
une philosophie phenomenologique pures, tome I : Introduction generale a
la phenomenologie, p. 115 (Hua III/ 1, p. 79).
(40) << [...] les vecus purement actuels determinent le sens
fort des expressions telles que "cogito", "j'ai
conscience de quelque chose", "j opere un acte de
conscience" >> (ibidem).
(41) Ibidem, p. 319 (Hua III/ 1, p. 230).
(42) Ibidem, p. 321 (Hua III/ 1, p. 231).
(43) Ibidem.
(44) Pour tous ces problemes, une grande importance revient a
certains developpements presents dans les cours de 1904-1905 sur la
perception et l'attention, edites dans le volume Hua XXXVIII :
Wahrnehmung und Aufmerksamkeit. Texte aus dem Nachlass (1893-1912),
traduits en francais sous le titre Phenomenologie de l'attention,
par Natalie Depraz, Paris : Vrin, 2009. Voir, surtout, les <<
Remarques conclusives concernant la relation entre perception,
apprehension et visee. La conscience obscure et la "lumiere de la
conscience" >> (Hua XXXVIII, 121, p. 111-112 de la traduction
francaise).
(45) << Tous les processus qui se deroulent dans le flux du
vecu en dehors du rayon du moi ou du cogito prennent un sens
essentiellement different : ils sont situes en dehors de
l'actualite du moi et pourtant [...] ils comportent une
appartenance au moi, dans la mesure ou il est le champ de potentialite
offert aux actes libres du moi >> (Edmund Husserl, Idees
directrices pour une phenomenologie et une philosophie phenomenologique
pures, tome I : Introduction generale a la phenomenologie, p. 321-322,
Hua III/ 1, p. 231).
(46) Pour cet aspect, c' est le [section] 80 des Ideen I, qui
traite precisement de la relation des vecus au moi pur, qui est crucial.
Husserl s'y applique en effet a renforcer le lien entre ego et
actualite : << Chaque 'cogito' , chaque acte en ce sens
special, se caracterise comme un acte du moi, il procede du moi, en lui
le moi 'vit' 'actuellement' >> (Ibid., p. 269,
Hua III/ 1, p. 194). Et a propos des vecus inactuels : << ils
participent aussi au moi pur et celui-ci a eux. Ils lui
'appartiennent , ils sont les 'siens , son arriere-plan de
conscience, son champ de liberte >> (Ibidem, p. 270, Hua III/ 1,
p. 195).
(47) Au premier tome des Idees directrices, c'est
l'universalite de l'intentionnalite, telle qu'elle est
etablie au [section] 84, qui justifie le caractere intentionnel des
vecus inactuels : comme l'admet Husserl dans ce contexte, les
<< modes inactuels sont deja 'conscience de quelque chose
>> (Ibidem, p. 285, Hua III/ 1, p. 205). Dans les cours de
1904-1905 sur l'attention, la meme idee est exprimee a l'aide
de la distinction leibnizienne entre perceptio et apperceptio : la
conscience inactuelle est encore intentionnelle comme une perception
sans apperception : << Peut-etre est-ce la la caracteristique du
sommeil sans reves, du soi-disant in-conscient, de l'absence de
conscience, que d'etre depourvu de toute visee delimitante, de
toute ap[perception]. La conscience obscure est egalement une
conscience, la non-visee est egalement pour ainsi dire une visee, meme
s'il s'agit justement d'une visee completement obscure,
sans limites. Il nous faudrait alors distinguer la visee au sens
pregnant de la visee qui delimite, qui objective, qui fait apparaitre a
nos yeux les objets en tant que choses, et la visee non delimitee. On
voit cette derniere dans le simple etat de veille qui nous est connu au
titre d'une 'visee d'arriereplan >> (Hua XXXVIII,
p. 121, p. 112 de la traduction francaise). De facon tres remarquable
Husserl met ici deja en rapport, la conscience inactuelle, qualifiee ici
d'obscure, et la visee de l'inactuel. Au tome II de
Philosophie premiere, la meme distinction est faite en termes de
conscience patente et conscience latente - Vordergrundbewusstsein et
Hintergrundbewusstsein (Edmund Husserl, Philosophie premiere
(1923-1924), Deuxieme Partie : Theorie de la reduction phenomenologique,
p. 202, Hua VIII, p. 145).
(48) Edmund Husserl, Idees directrices pour une phenomenologie et
une philosophie phenomenologique pures, tome I : Introduction generale a
la phenomenologie, p. 389, Hua III/ 1, p. 281.
(49) Ibidem, p. 388, Hua III/ 1, p. 281.
(50) Cela est egalement visible au [section] 57 des Ideen I, ou
Husserl ecrit au sujet du moi pur : << Sa vie s'epuise en un
sens particulier avec chaque cogito actuel ; mais tous les vecus de
l'arriere-plan adherent a lui et lui a eux ; tous, en tant qu'
ils appartiennent a un unique flux du vecu qui est le mien ; doivent
pouvoir etre convertis en cogitationes actuelles, ou y etre inclus de
facon immanente ; en langage kantien : << le " je pense"
doit pouvoir accompagner toutes mes representations >> (Ibidem, p.
190, Hua III/ 1, p. 138). Ce serait sans doute instructif de comparer
cette these avec la position de la Cinquieme Recherche logique et sa
theorie de la perception interne qui << doit accompagner les vecus
presents actuellement >> (Edmund Husserl, Recherches logiques,
Tome second : Recherches pour la phenomenologie et la theorie de la
connaissance, Deuxieme Partie (Recherches III, IV et V), trad. par
Hubert Elie, Lothar Kelkel et Rene Scherer, Paris : PUF, coll. <<
Epimethee >>, 1962, p. 154 [354].
(51) Edmund Husserl, Idees directrices pour une phenomenologie et
une philosophie phenomenologiques pures, livre second : Recherches
phenomenologiques pour la constitution, p. 161, Hua IV, p. 108.
(52) Il est important de souligner qu'il s'agit
d'une possibilite ideale et non pas d'une necessite. Comme
l'admet Husserl au [section] 26 (<< Conscience eveillee et
conscience assoupie >>) des Ideen II : << il appartient
irreductiblement a l'essence de la conscience que tout acte ait son
horizon d obscurite, que tout accomplissement d'acte sombre dans
l'obscurite, des lors que l'ego se tourne vers de nouvelles
lignes de la cogitatio (de l'action). Des que le regard de
l'ego se detourne de lui, l'acte subit une mutation et penetre
dans un horizon vague. Mais ce n'est pas une necessite propre a
l'essence de la conscience que, en elle, un cogito actuel doive
etre accompli. Notre "conscience eveillee" peut etre
interrompue, par moments, par une conscience endormie, completement
assoupie depourvue de toute difference entre un champ actuel du regard
et un arriere-plan obscur. Tout est maintenant arriere-plan, tout est
obscurite >> (Edmund Husserl, Idees directrices pour une
phenomenologie et une philosophie phenomenologiques pures, livre second
: Recherches phenomenologiques pour la constitution, p. 160, Hua IV, p.
107). Et plus radicalement : << Aucune necessite d'essence
n'interdit qu'une conscience soit totalement une conscience
assoupie. Par contre, elle inclut cependant comme toute conscience en
general, la possibilite eidetique inconditionnee de pouvoir devenir une
conscience eveillee, c'est-a-dire qu'un regard de l'ego
s'installe en un endroit quelconque de cette conscience sous la
forme d' un cogito s'inserant en elle [...] >> (Ibidem,
p. 161, Hua VIII, p. 108).
(53) S agirait-il de la part de Husserl de l'introduction
d'une certaine conception de l'omniscience de la conscience?
Bien qu'il nous semble difficile de valider sans reste une telle
hypothese, nous renvoyons a un developpement des Manuscrits de Bernau
qui va resolument dans ce sens: il s'agit du [section] 8 du Texte
nr. 2, <Gegenwartiges Bewusstsein von Wirklichkeit und
Unwirklichkeit. Endliches und gottliches Bewusstsein>, ou nous
pouvons lire: << [...] als "Idee" erwachst ein
allwissendes "gottliches" Bewusstsein, dass sich selbst in
vollkommener Klarheit umspannt. Auch das "endliche"
Bewusstsein ist allwissend, auch seine Intentionalitat umspannt seine
ganze Vergangenheit und Zukunft, aber nur partiell klar, im Ubrigen
einer Dunkelheit, die eine Potentitalitat fur Klarheiten und
Wiedererinnungen ist >>. Edmund Husserl, Husserliana, Band XXXIII
: Die bernauer Manuskripte uber das Zeitbewusstsein (1917/ 18), hsg. von
Rudolf Bernet und Dieter Lohmar, Dordrecht: Kluwer, 2001, p. 46.
(54) Des les Lecons sur le temps de 1905, les critiques de Husserl
a l'egard du concept d' inconscient vont dans ce sens. Voir le
Supplement IX des Lecons, intitule precisement << Conscience
originaire et possibilite de la reflexion >>, ou Husserl ecrit, de
facon tres significative, que << la retention d'un contenu
inconscient est impossible >>, et pour cette raison << la
donnee originaire est deja consciente >>, ce qui lui permet
d'affirmer que << la conscience est necessairement
etre-conscient en chacune de ses phases >> (Edmund Husserl, Lecons
pour une phenomenologie de la conscience intime du temps, trad. par
Henri Dussort, Paris : PUF, coll. << Epimethee >> , 1983
[1964], p. 160, Hua X, p. 119). L'inconscient ne peut donc pas etre
l'autre de la conscience, mais seulement son << mode limite
>> (Edmund Husserl, Experience et jugement, p. 338 de la
traduction francaise). La meme expression se retrouve dans Logique
formelle et logique transcendantale (trad. par Suzanne Bachelard, Paris
: PUF, coll. << Epimethee >>, 1984 [1957], p. 280, Hua XVII,
p. 319).
Claudia-Cristina Serban*
* Claudia-Cristina Serban est agregee de philosophie et est
actuellement doctorante contractuelle a l'Universite Paris-Sorbonne
(Paris IV). E-mail: claudia.cristina.serban@gmail.com