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  • 标题:Le Rara de Leogane: Entre fete traditionnelle liee au vodou et patrimoine ouvert au tourisme.
  • 作者:Dautruche, Joseph Ronald
  • 期刊名称:Ethnologies
  • 印刷版ISSN:1481-5974
  • 出版年度:2011
  • 期号:September
  • 语种:English
  • 出版社:Ethnologies
  • 摘要:Le Rara de Leogane, une pratique rituelle des collectivites haitiennes, a fait l'objet de plusieurs reamenagements au fil des evolutions societales. Les evenements composes de musiques, de danses et de processus ritualises sont organises en bande et diriges par des chefs. Ce sont eux qui, les premiers, ont change l'image de cette pratique hautement culturelle a l'occasion du premier festival de Rara, qui a eu lieu en 1992. L'etude de leurs communications avec les medias lors de ce premier evenement centralisateur demontre une mediation culturelle aupres du public qui a ete appuyee par l'ensemble des acteurs de la gouvernance sociale, la mairie, la deputation et le ministere de la Culture. L'auteur, dans cet article, se questionne sur les processus qui ont fait du Rara un patrimoine identitaire territorial et met en lumiere l'importance de la potentialite touristique de l'evenement, qui s'impose en tant que ressource de developpement dans une zone ravagee par des confrontations humaines et des catastrophes naturelles repetees.

Le Rara de Leogane: Entre fete traditionnelle liee au vodou et patrimoine ouvert au tourisme.


Dautruche, Joseph Ronald


The Rara of Leogane, a ritual practice in Haitian communities, has been the subject of several reworkings in the course of social evolution. The events made up of music, dance and ritual procedures are organized as a group and orchestrated by leaders. It is they who first changed the image of this unique cultural practice at the first Rara Festival in 1992. The study of their communications with the media at the time of this first consolidating event, shows a cultural mediation in connection with the public, which found support on the part of all the players in social governance, the mayor's office, members of parliament and the Ministry of Culture. In his article, the author muses about the processes which have conveyed on Rara a territorial heritage of identity, and he brings to light the importance of the tourist potential latent in this event as a developmental resource in an area torn apart by repeated human confrontations and natural disasters.

Le Rara de Leogane, une pratique rituelle des collectivites haitiennes, a fait l'objet de plusieurs reamenagements au fil des evolutions societales. Les evenements composes de musiques, de danses et de processus ritualises sont organises en bande et diriges par des chefs. Ce sont eux qui, les premiers, ont change l'image de cette pratique hautement culturelle a l'occasion du premier festival de Rara, qui a eu lieu en 1992. L'etude de leurs communications avec les medias lors de ce premier evenement centralisateur demontre une mediation culturelle aupres du public qui a ete appuyee par l'ensemble des acteurs de la gouvernance sociale, la mairie, la deputation et le ministere de la Culture. L'auteur, dans cet article, se questionne sur les processus qui ont fait du Rara un patrimoine identitaire territorial et met en lumiere l'importance de la potentialite touristique de l'evenement, qui s'impose en tant que ressource de developpement dans une zone ravagee par des confrontations humaines et des catastrophes naturelles repetees.

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Les nombreuses confrontations entre les anciennes puissances colonisatrices, la guerre menee par les anciens esclaves contre le systeme colonial esclavagiste, pour l'independance d'Haiti et les catastrophes naturelles ont laisse peu de traces du passe materiel (le bati en particulier) de Leogane. Cette ville, qui a ete detruite a plus de 90% lors du puissant seisme du 12 janvier 2010, est devenue tristement celebre, mais il est important que cet evenement ne finisse pas par emporter tout ce qui reste vivant et anime encore cette region d'Haiti, voire ce qui fait son identite. Un mois environ apres cette tragedie, les sites cles differentes bancles de Rara (1) commencaient a etre reanimes au rythme du tambour annoncant la saison de cette fete traditionnelle.
 <<Le Rara est l'une des ressources culturelles majeures de cette
 ville. Depuis les annees 1990, les acteurs locaux de Leogane
 organisent un festival mettant en valeur les differentes bandes de
 Rara, l'histoire et quelques particularites culturelles de la
 region. Cette expression culturelle sort de plus en plus d'un
 statut de fete traditionnelle locale liee au vodou pour devenir une
 attraction touristique de cette zone, qui attire de nombreux
 Haitiens vivant a l'etranger (originaires de Leogane en
 particulier), des cooperants travaillant dans le pays et des
 visiteurs locaux.>>


Il ne s'agit pas clans cet article de presenter une friche de la culture haitienne qui tendrait a renvoyer une image specifique d'Haiti ou a confiner la culture haitienne dans une essence ou dans une tradition. Le Rara n'est pas pris ici comme une survivance d'un temps revolu ou un dernier element d'un <<primitivisme>> haitien conserve de maniere authentique par des gens coupes du reste du monde ou, du moins, comme un <<paysage>> qui merite d'etre protege pour le plaisir des regards exterieurs (2). A l'heure des debats epistemologiques et methodologiques qui agitent aujourd'hui la discipline anthropologique, il est temps que les ethnologues ou anthropologues se remettent du <<peche originel>> (3) qui a marque la discipline depuis sa fondation et s'interessent moins a l'exotisme pour se tourner progressivement vers les foyers contemporains d'interet collectif (Bromberger 1997 : 308). Autant dire que ce ne sont pas les formes traditionnelles du Rara ou ses manifestations au cours de la periode coloniale qui m'interessent ici, mais son inscription contemporaine dans la vie locale.

En s'appuyant sur des entrevues menees avec des dirigeants de bandes de Rara, des acteurs impliques dans l'organisation du festival et des donnees tirees d'observation directe sur le terrain, l'objectif de cet article est de montrer les usages actueis du Rara et les mecanismes d'esthetisation dont il fait l'objet lors de la mise en patrimoine et en tourisme. Ces processus s'inscrivent dans une demarche des acteurs locaux qui tend a faire de cette tradition vivante non seulement une ressource culturelle d'importance sur le plan national et international, mais aussi, un capital a faire fructifier dans l'interet economique d'une zone ravagee par des confrontations humaines et des catastrophes naturelles repetees.

Nous presentons, dans un premier temps, quelques elements d'ordre theorique susceptibles de structurer le texte. Nous enchainons en traitant des relations du Rara avec le vodou. Nous tachons de retracer, dans un second temps, le processus de transformation du Rara de Leogane avec pour ambition de faire ressortir les enjeux qui le sous-tendent. En conclusion, nous essayons de montrer l'importance du Rara pour les Leoganaises et les Leoganais disperses a travers le monde en faisant le lien a ce qu'on appelle de nos jours <<le tourisme de retour>>.

Festivites rara et toudsme : une question de construction et de recherche d'ancrage patdmonial

Depuis la chute du regime des Duvalier en fevrier 1986, des migrants haitiens de premiere generation et leurs descendants commencent a choisir Haiti comme destination de vacances et effectuent leurs voyages surtout au moment des festivites : vodou, carnaval, Rara, etc. Cette dynamique ne s'apparente pas a un tourisme centre sur la quete de l'Autre ou de l'ailleurs, mais plutot a un tourisme anime par la recherche d'ancrage patrimonial, de referents identitaires ou de retour chez soi. Ceci nous invite a la considerer a la lumiere des etudes mettant l'accent davantage sur les liens personnels pouvant rapprocher les touristes du patrimoine.

Les personnes migrantes et celles issues de la migration sont toujours traversees par le desir d'entretenir des liens avec les territoires d'origine. Ces formes de retour en tant que pratique et experience touristique ont deja attire l'attention de certains chercheurs. On parle de tourisme de memoire (Urbain 2003), de tourisme diasporique (Coles et Timothy 2004, Wagner 2008), de tourisme de retour ou <<re-tourisme>> (Saidi 2006) et de tourisme des racines (Legrand 2006). L'emigration plus ou moins forte qu'a connue et que connait encore Haiti favorise le developpement de ces types de tourisme.

Le tourisme diasporique est lie a un desir de retour sur leur terre natale qui habite nombre de personnes migrantes et cette nostalgie se vit a travers des sejours de courte duree (Wagner 2008). Definie comine un tourisme des racines par Caroline Legrand (2006 : 165), cette <<forme singuliere de circulation>> permet a ces personnes de se rapprocher physiquement et provisoirement de leur lieu d'origine. Timothy (1997), lui, parle de tourisme de patrimoine personnel (personal heritage tourism) lorsque ces touristes entretiennent des liens emotionnels avec les sites visites.

Dans cette veine, Poria, Reichel et Biran (2006) soutiennent que c'est l'individu qui considere le patrimoine personnel comme tel en se basant sur son identite, son experience, sa tradition ou d'autres dimensions sociales ou emotionnelles. Legrand renforce cette idee, en soulignant que les gens n'ont de cesse de vouloir fouler la contree de leurs ancetres pour mieux conforter leur sentiment d'appartenance et enrichir, sous le coup de cette experimentation, leur propre memoire (2006 : 163). Le tourisme de memoire tel qu'il est vu par Urbain (2003) participe, dans une certaine mesure, de cette meme dynamique. Il le regarde comme un rite collectif de connaissance du passe, une pedagogie par le voyage, un vecteur de conscientisation historique du touriste. Le chercheur considere meme que, sur un territoire donne, c'est un outil de consolidation de la culture, une contribution a la construction identitaire, pouvant meme influencer la formation d'un peuple.

Ces formes de nostalgie se vivent dans nombre de communautes diasporiques. Dans certains pays, on met en place des projets pour aider les gens a recreer certains liens avec leur communaute d'origine. On construit des circuits touristiques en lien avec les trajectoires familiales propres a chaque migrant ; on favorise la creation de musees de l'emigration devenus, ici ou la, de veritables lieux de memoire pour des populations dispersees en quete de sens, de referents historiques et autres ancrages patrimoniaux. Le Liban, par exemple, conscient de la manne financiere que represente la population diasporique, developpe ainsi des circuits d'une semaine pour les jeunes descendants de migrants libanais qui souhaitent garder le contact avec leur pays d'origine (Legrand 2006).

Dans un autre ordre d'idees, le patrimoine est vu chez certains auteurs comme une ressource visant a doter le present et l'avenir d'un systeme de valeurs specifiques renforcant la solidarite au sein d'un groupe et le separant des autres (Bandyopadhyay 2008). Et dans le livre recemment publie sous la direction d'Emma Waterton et Steve Watson (2010), les auteurs apprehendent le tourisme comme une arme puissante dans la strategie visant a creer une conscience collective, une difference par rapport aux autres, et a mettre l'accent sur ce qui est singulier ou unique, lis soulignent que l'intention d'une telle strategie est de creer une prise de conscience particuliere, une identite regionale ou locale, soutenue par les valeurs et les representations. Saidi, lui, en paraphrasant Hollinshead (1998), voit le tourisme comme un domaine de marchandisation de la difference et d'interpretation de l'alterite. Il croit que :

<<L'une et l'autre sont consubstantielles de ce qu'on peut appeler une <<touristicite>> du monde. Celle-ci met en lumiere non seulement les traits et les elements qui soulignent clairement le caractere touristique d'un objet ou d'une destination, mais aussi les pratiques, les politiques et les strategies de se promouvoir, de se presenter et de se representer qui plus subtilement structurent et conditionnent une destination au fur et a mesure qu'elle se laisse volontairement envahir par les flux touristiques. Ce faisant, celle-ci acquiert une culture d'auto-esthetisation, a la lumiere de laquelle elle se magnifie, se maquille, dit sa beaute, affiche ses specificites et fait profiter le monde de son hospitalite.>> (Saidi 2010 : 6)

Nous analyserons nos donnees a la lumiere d'idees, de notions et de concepts avances par des auteurs choisis pour leurs convergences dans ce qui se passe et se fait a Leogane depuis les annees 1990. Notamment, le tourisme diasporique tel qu'il est mis de l'avant par Coles et Timothy (Ibid.) et par Wagner (2008), le concept de tourisme de racines utilise par Legrand (2006) et celui de tourisme de patrimoine personnel avance par Timothy (Ibid.), Poria, Reichel et Biran (2006), ainsi que l'idee de tourisme de retour et surtout celui de culture d'auto-esthetisation emballant un objet qui s'ouvre au tourisme, soulignee par Saidi (2006-2010).

Le Rara : entre metissage historique et croyances religieuses

Le Rara est l'une des grandes fetes culturelles du peuple haitien qui se transmet depuis plusieurs generations et qui attire chaque annee des milliers de participants, tant d'Haiti que de la diaspora. Il a lieu dans plusieurs endroits du pays et Leogane est la zone la plus renommee. Dans la plaine de Leogane seulement, les autorites municipales comptent 32 bandes de Rara qui drainent au moins 2000 personnes chacune au moment des festivites des trois derniers jours de la Semaine sainte.

Utilise a la fois comme nom et comme adjectif, le terme <<rara>> designe plusieurs elements. Il signifie <<vacarme>> dans l'expression pa vin fe rara la a (eviter de faire du vacarme dans cet espace), sens proche de son origine africaine. Il indique un type de son ou un rythme musical particulier. Dans son acception la plus populaire, le terme <<rara>> fait reference a des fetes traditionnelles hMtiennes commencant le lendemain du mercredi des Cendres et finissant le lundi de Paques, soit durant la periode du careme chretien. Les manifestations sont animees par les bandes de Rara, generalement dans la rue, et rassemblent une immense foule dansant et chantant au rythme du tambour, l'instrument central de la musique rara. De son site ou lakou (4), une bande se deplace avec quelques dizaines de personnes et augmente en cours de route pour atteindre jusqu'a 2000 personnes. Elle est menee par un chef nomme <<colonel>>.

L'origine du Rara est plurielle et semble porter les traces de tous les groupes humains qui se sont rencontres en Haiti depuis le XVe siecle : Amerindiens, Europeens et Africains. Plusieurs hypotheses ont ete proposees. Pour certains, le Rara est associe a l'equinoxe du printemps celebre par les Amerindiens. Jean Coulanges (5) a remarque que la pratique des jongleurs haitiens est similaire a celle des descendants actueis des Mayas du Guatemala et de l'Equateur qui honorent la nature de cette facon.

Selon la tradition orale, le Rara s'est developpe principalement a Leogane et dans l'Artibonite, car la reine Anacaona (6) residait dans cette region et se deplacait souvent avec sa garde d'honneur vers l'Artibonite pour visiter son epoux, Caonabo, cacique du royaume du Maguana (actuellement Departement de l'Artibonite), et ses deplacements se faisaient au son de la musique. Aujourd'hui encore, cette tradition est particulierement forte dans ces deux regions du pays.

Le Rara puise aussi ses racines dans la culture europeenne, notamment dans la fete espagnole La Cruz ou fete de <<la croix>> qui dure toute la Semaine sainte jusqu'au matin du dimanche de Paques (Alexis 1961). En France, le Rara serait associe au symbole du printemps a l'epoque de la feodalite (Paul 1962). Pour d'autres chercheurs, le Rara serait issu des tribus africaines Congo et Yoruba (actuei Nigeria) (7). Dans l'une de leurs langues, le mot <<rara>> signifie <<bruyamment, hautement>>.

Le debat relatif a l'origine du Rara reste encore ouvert (ce sujet n'est pas ici notre principale preoccupation), il semble que cette coutume d'origine plurielle ait subi bien des transformations dans le contexte de l'histoire bouleversante d'Haiti, ce qui en fait, au til du temps, une expression culturelle propre a ce pays. Sa base se construit avec des elements culturels provenant des Tainos, des Espagnols, des Francais et de differents groupes humains venus d'Afrique (Dautruche 2008). Ce qui invite a apprehender cette expression culturelle comme un <<patrimoine metisse>> (8). Le Rara porte encore aujourd'hui la memoire de son parcours historique et nombre de ces elements tirent leurs racines dans des traditions anterieures. (Voir Figure 1)

Rara et vodou" une question de croyances des heritiers

Dans le temps, l'activite d'une bande de Rara etait comparable a celle d'une petite armee appelee a defendre un territoire donne. Ce qui implique aussi la demonstration de la force mystique (9) de son proprietaire qui est generalement un ougan (pretre du vodou). Cette preoccupation se traduit dans la denomination de plusieurs bandes a Leogane : <<Chien Mechant>>, <<Renommee>>, <<Taureau lakou>>, <<Tirailleurs (10)>. Frequentees essentiellement par des gens vivant dans les peripheries de leur site d'origine, les bandes se deplacaient surtout la nuit en marge des villes. L'effectif d'une bande de Rara ne depassait pas a ce moment-la une cinquantaine de personnes. L'orchestre entonnait des chansons au rythme des rituels vodou et etait accompagne de petits instruments traditionnels : coquille du lambi, vaksin (11), rape en fer-blanc, tige de fer et tambour.

Depuis la periode coloniale, a l'instar de plusieurs traditions culturelles du pays, le Rara et le vodou ont tisse des liens serres. D'apres les temoignages de nombreux dirigeants de bandes, celles-ci se forment a la demande d'un lwa (divinite du vodou) et la personne qui a recu le message (en songe ou par l'intermediaire d'une tierce personne chevauchee par un lwa) a pour responsabilite d'organiser les festivites chaque annee. Cet engagement se transmet a travers les generations, et le cas de la bande denommee <<Tirailleurs>> nous permet de comprendre ce rapport.

La fondation de la bande Tirailleurs remonterait aux annees 1830 sur le site dit Ka Tony, situe sur l'habitation Bineau l'Estere, a Dessources, lre section communale de Leogane. Le premier dirigeant des Tirailleurs, Tony Charlessaint, selon nos informateurs, aurait eu acces a un pwen (12) pour l'aider a se defendre dans un conflit terrien l'opposant a l'Etat haitien, au sujet du site de la fondation de la bande. Cette force surnaturelle aurait eu pour vertu de proteger ce dernier dans le dit conflit. En echange, il devait fonder une bande de Rara sur le site avec pour obligation d'y organiser des festivites chaque annee.

Il est important de souligner qu'une ceremonie vodou represente assez souvent une forme de tribut envers les lwa, dont les principaux roles consisteraient a veiller aux affaires temporelles des croyants. La ceremonie prend dans cette veine l'allure d'une transaction dans laquelle sont evalues et reglementes dons, promesses et dettes. Et, comme l'a ecrit Claude Dauphin, <<le pratiquant du vodou compte sur le succes de ces negociations pour mener une vie bien accordee avec son entourage social, economique, politique et culturel>> (1986 : 17). De nos jours, les dirigeants des bandes organisent une grande ceremonie vodou au debut de chaque cycle rara. Celle-ci a pour but d'obtenir la protection des lwa tout au long de la saison en vue des grands parcours qui se font surtout la nuit, car selon la croyance populaire, durant ces heures nocturnes, les personnes sans protection mystiques peuvent faire des rencontres avec des forces malefiques capables de les perturber. Il importe aussi de proteger la bande contre les mauvais sorts que peuvent envoyer les rivales voulant diminuer ses performances. Les responsables de bandes implorent ainsi la bienveillance de Met kafou, ce lwa qui aurait la faculte de proteger la bande a chaque traversee des carrefours consideres comme dangereux (Voir Figure 2).

Du site vodou cu centre-ville : le Rara devient la fete culturelle de reference de la region

Le Rara a ete considere comme quelque chose qui faisait la mauvaise renommee de Leogane. Animees du desir d'ecraser les concurrents, les bandes rivales s'adonnaient couramment a des rixes, avec pour corollaire empoignades et <<coups de poudre>> (13). S'ajoutent a tout cela les prejuges rattaches au vodou et a la culture populaire dans la societe haitienne d'avant 1986 (14). En temoigne, dans le debat autour de l'Exposition internationale de Port-au-Prince en 1949, cerre intervention d'Ern Smith :

<<Durant tout le cours de l'Exposition [que soient tenus] eloignes de ce centre de civilisation [...] les adeptes et les amoureux du culte vodou [...] : les raras et les bandes grotesques de mardi-gras consideres comme des pestiferes. [...] Il est grand temps que nos intellectuels et nos folkloristes jettent un pleur sur ces cadavres et prononcent definitivement leurs oraisons funebres (Smith, 1948 : 1).

Les nombreux cas de blessures graves enregistres apres chaque affrontement des bandes rivales--suivis de deces certaines fois--ainsi que l'incidence de ces rivalites sur l'image de Leogane, ajoutes aux nombreuses critiques adressees principalement aux responsables de bandes, ont provoque une prise de conscience chez tous les acteurs concernes. Dans cette veine, le responsable de bande Bonheur Calixte est souvent intervenu aupres des medias de la capitale (la Television nationale en particulier) pour expliquer la nature du Rara. Il n'en demeure pas moins que son travail au niveau local, pour que tout se passe bien, etait colossal (motiver les dirigeants pour eviter les rixes entre les bandes, les inciter a sortir un peu plus tot dans l'apresmidi, former des comites pour assurer la securite des participants et l'encadrement des visiteurs, etc.). Mais, c'est surtout l'organisation d'un festival impliquant le defile des bandes dans l'espace urbain qui va changer en profondeur les anciennes pratiques. Se deroulant sur fond de concours de musique entre les differentes bandes, ce festival va donner lieu a de nouvelles formes de competitions. Il ne s'agit plus de mettre a point les forces physiques et mystiques, mais de bien accorder les notes de musique et preparer banderoles, drapeaux et autres accessoires afin de faire bonne figure aux grands defiles du centre-ville. Ainsi, le Festival Rara est organise au cours des trois derniers jours de la Semaine sainte dans le centre-ville de Leogane depuis 1992.

Il importe de preciser que l'organisation du premier Festival Rara n'est pas uniquement le fruit du travail des acteurs locaux ; celle-ci resulte aussi du climat politique de l'epoque. En effet, le coup d'Etat militaire de 1991 et l'embargo economique de la communaute internationale ont provoque une vague de desespoirs au sein de la population haitienne. Les traditions festives du pays etaient alors mobilisees sur un mode performatif pour galvaniser la population. Des organismes publics et des mecenes ont commence des lors a apporter leur soutien a ces festivites.

L'arrivee de nouveaux dirigeants scolarises et/ou issus de la diaspora a aussi largement contribue a la transformation du Rara. Si, dans le temps, une bande de Rara etait dirigee par une seule personne --le <<proprietaire>> de cette bande, generalement un ougan--de nos jours, elle est administree par un comite executif. Les membres du comite sont nommes en fonction de leurs aptitudes, a l'exception du president qui, lui, est choisi en fonction de sa position privilegiee dans la localite. Ce dernier est transforme en distributeur de biens et assume seul certaines depenses de la bande.

Les rivalites entre les bandes de Rara se deroulent aussi de nos jours sur fond de concours de musique improvise dans les rues. De fait, pour etre competitive, une bande doit necessairement renforcer son orchestre en instruments et en musiciens. L'apport materiel et financier des Leoganaises et des Leoganais vivant a l'etranger est sur ce plan remarquable. Les instruments de musique (trompettes, trombones, helicon et contrebasse) utilises dans les bandes de Rara sont generalement des dons de ces derniers.

Dans la diaspora haitienne, des comites se mettent en place dans plusieurs Etats des Etats-Unis d'Amerique et dans plusieurs autres pays, notamment en France et dans les Antilles, pour financer les bandes et faire leur promotion. En effet, avec la musique rara s'est ouvert au sein des communautes haitiennes de ces pays un marche de disques compacts attirant des Haitiens, quelques musicologues et/ou ethnomusicologues et d'autres etrangers. L'interet ainsi suscite, motive nombre d'entre eux a venir participer aux festivites rara.

Un maestro nous a souligne que c'est la production de disques compacts et la qualite de la musique qui font aujourd'hui l'honneur d'une bande. Il affirme, avec une pointe de fierte, que cette annee sa bande a produit un cederom comportant cinq chansons. En effet, la production d'un CD est de nos jours un gage de la qualite de la musique d'une bande ainsi que des exploits de ses musiciens. Ce systeme de valeurs culturel est conforte par les medias locaux. Dans un spot publicitaire, par exemple, sur une station de radio a Leogane, nous entendons dire qu' <<on reconnait une grande bande de Rara a partir de la qualite et de la quantite de disques compacts qu'elle produit>>. Ainsi, toute l'energie des responsables des bandes de Rara se concentre desormais sur leurs performances et leurs productions musicales.

Ainsi, les retombees economiques d'une saison rara, sont assez importantes et elles le sont encore plus pour le Festival. Les mototaxis, les hotels, les chambres d'hote, les restaurants, les marchands de fritures, de pistaches grillees, d'ecorce trempee ou clairin tranpe (15), les charpentes, les proprietaires de depots de boissons gazeuses, les artistes, les choregraphes, les ingenieurs du son, les musiciens, etc. font generalement de bonnes affaires. Les gains nets des bandes rejaillissent sur le bien-etre commun. Malgre leur budget de depenses relativement lourd, certaines bandes arrivent a investir dans des activites communautaires, comme en temoigne l'un des dirigeants de la bande de Rara denommee <<Tirailleurs>>. Le comite organisateur de son groupe a jete un pont sur la route reliant leur site au centre-ville de Leogane apres les festivites de 2007.

Le Rara devient un espace privilegie pour les acteurs qui cherchent a se positionner sur la scene publique. Les candidats aux collectivites territoriales, a la mairie et a la deputation cherchent toujours a attirer la sympathie des bandes. Aux elections de 2006, deux des trois conseillers municipaux elus etaient d'anciens presidents de bande et dirigeants de I'URAL (Union des Rara de Leogane). Le depute elu lors de cette meme election avait l'habitude de jouer le role de colonel (meneur de bande). Le Rara sert ainsi de support aux pouvoirs politiques locaux. De belles festivites rara realisees pour une saison tres proche des elections peuvent garantir la reelection des dirigeants en place.

Le Rara joue aussi le role de catalyseur de projets d'infrastructure. A la veille des festivites, les dirigeants locaux sont plus enclins a voir les problemes d'infrastructure de la ville : vetuste des rues, electricite, telecommunications, hotels, etc. Comme il est ecrit dans le document de projet prepare par la Mairie de Leogane et I'URAL pour relancer le festival en 2011 apres une annee d'interruption a la suite du seisme de janvier 2010 : <<Il y a la necessite d'utiliser ces activites populaires pour sensibiliser la population a la prise de conscience collective pour relever les grands defis de cette reconstruction>>. lis croient ainsi en la force mobilisatrice du Rara et mesurent son poids electoral.

Cette note d'un document de projet elabore par le comite d'organisation du Festival Rara de 2011 traduit bien l'espoir des Leoganaises et Leoganais dans cette expression culturelle :
 <<Le Rara peut constituer un vecteur de la reconstruction du
 pays et de Leogane en particulier. Reparer les routes, financer
 l'organisation du Grand Defile du dimanche de Paques, restaurer
 le circuit electrique du centre-ville de Leogane [...]. Ces actions
 auront egalement un effet pour ameliorer la qualite de la vie des
 Leoganaises et Leoganais. En outre, en mobilisant une foule
 depassant un demi-million de personnes le dimanche de Paques,
 les festivites Rara occasionnent des retombees economiques non
 negligeables pour la commune de Leogane en termes de revenus
 de vente pour les distributeurs de boissons, de nourriture, les
 transporteurs, les artisans, les hotelleries, etc.>>


Le Rara : un patrimoine en cours d'esthetisation

De nos jours, le Festival Rara de Leogane attire des milliers de visiteurs. En 2011, les organisateurs l'ont estime a 300,000 personnes. Les habitants des autres regions du pays constituent la grande majorite de ces visiteurs et, dans une moindre mesure, on retrouve des Haitiens vivant a l'etranger et des membres des missions etrangeres installees dans le pays. A cette liste s'ajoutent des touristes etrangers (qui accompagnent ou non les Haitiens de la diaspora), quelques chercheurs et des journalistes. Le president de I'URAL souligne par exemple qu'il a remarque la participation des journalistes de la chaine americaine de television CNN au Festival Rara de 2009.

Fondee en 2004, I'URAL, une association regroupant les representants de toutes les bandes de Rara de Leogane, se donne pour mission de sauvegarder et de valoriser cette expression culturelle dans le pays. Beneficiant du soutien financier du ministere de la Culture et de la Communication, ce groupement, de concert avec la Mairie de Leogane, constitue le principal organisateur du Festival Rara depuis cette meme annee. Pour la saison de 2011, a cote de I'URAL, un nouveau comite incluant des representants de plusieurs secteurs de la commune a ete cree pour gerer le festival.

En mars 2011, un protocole d'accord a ete signe entre la Mairie de Leogane, I'URAL et les representants des bandes de Rara dans l'objectif <<de creer les conditions permettant de proteger cet element cle de l'identite culturelle de la commune de Leogane et d'offrir un encadrement social, financier et technique aux groupes et associations evoluant dans ce domaine>> (16). Ce protocole donne aux responsables un pouvoir de controle sur tout ce qui se passe dans les bandes de Rara, allant de leur budget a la limitation du nombre des cuivres dans les orchestres, pour conserver certains aspects traditionnels, selon ce qui est ecrit.

Le Festival Rara joue un formidable role d'integration. Il met en scene des porteurs de traditions, comme les colonels, les joueurs de tambour, les Majors-jonc, et nombre de ressources culturelles immaterielles du pays qui etaient victimes de prejuges et qui restaient inconnues. Loin de se limiter aux seuls aspects traditionnels du Rara, les organisateurs profitent de la scene du Festival pour exposer des oeuvres artisanales et picturales, presenter des spectacles de danse et d'autres elements historiques et culturels de Leogane. Ils envisagent d'amener les visiteurs a prendre conscience des autres aspects culturels de la region. Le Rara de Leogane s'inscrit, ence sens, dans un processus d'esthetisation qui consiste a faconner cette expression cutturelle, dans l'objectif principal de capter l'attention des visiteurs par des manieres attrayantes, seduisantes et de creer par cette strategie un capital de sympathie. A cet effet, les Leoganaises et Leoganais, heritiers de cette tradition culturelle se font de plus en plus les promoteurs de cette fete culturelle identitaire. Ils ne cessent de clamer partout ou ils pa ssent que <<le bon Rara se danse a Leogane>>. En fin de compte, les pratiques et les espaces culturels jadis consideres comine ordinaires a Leogane sont de plus en plus vus a travers le prisme de leurs potentialites touristiques. C'est le cas, par exemple, des rituels de salutations annuelles, des agapes et des sites rara.

Agapes et billet aller-retour: des activites cu potentiel touristique

Au cours des 40 jours que dure le cycle des activites rara, soit du premier jeudi apres le mercredi des Cendres jusqu'au premier lundi suivant le dimanche de Paques, les 32 de Rara de Leogane organisent tour a tour des agapes a l'occasion de leur anniversaire de fondation. Il s'agit de fetes fastueuses accompagnees de repas bien garnis de viande. Dans une soiree, une bande peut recevoir la visite de 20 autres bandes au moins, entrainant chacune quelque 2000 personnes. Le plus impressionnant dans tout cela, c'est que les dirigeants de la bande hote tiennent a donner a manger et a boire a tous les musiciens et dirigeants de bandes visiteuses et parfois meme a ceux qui les suivent. Les dirigeants de bandes ne lesinent pas sur l'organisation de ces galas, lis sont prets a tout sacrifier pour que tout le monde soit satisfait. C'est l'occasion pour ces derniers et pour certains partisans de faire la demonstration de leur richesse. Chaque bande a ainsi pour obligation de rendre l'hospitalite recue.

Les deplacements reguliers des bandes pour aller vers les lieux des agapes creent beaucoup d'ambiance et sont tres prises par les visiteurs. Une bande peut parcourir jusqu'a 16 km aller-retour et en visiter plusieurs autres dans une seule soiree ; se deplacant vers 18 heures, une bande peut ne regagner son site qu'a 10 heures le lendemain. Pour les <<poursuivants>>, a cote d'une simple <<prise>> (faire seulement quelques dizaines de metres avec une bande), il y a lieu de prendre ce que les fans du Rara appellent un <<billet allerretour>>. Il s'agit de sortir du site d'une bande, de l'accompagner jusqu'a sa destination (chez une autre bande) et de retourner sur le lieu de depart au cours de la nuit ou le lendemain. La question de prendre un billet aller-retour au milieu de la nuit exige un engagement physique tres important et ceci <<se prete a toute une sollicitation sensuelle et emotionnelle>> (Groshens 2004 : 157). C'est l'occasion pour ces recordmans de prouver leurs capacites physiques, de liberer certaines pulsions ou de se depasser.

Cette longue marche extenuante au milieu de la nuit necessite des pauses ou des periodes de ressourcement. Evidemment, elle est entrecoupee de haltes durant lesquelles la bande danse, chante, mange et boit avec les partisans <<retraites>>, les notables et les commanditaires, mais l'endroit de la pause est selectionne en fonction des relations des dirigeants de la bande avec les commercants de la place. Il y a lieu de passer par des chemins vicinaux conduisant les gens a des endroits specifiques choisis a l'avance suivant des ententes bien etablies. Aussi, les sites des differentes bandes visitees sont-ils bondes de petits restaurants, de kiosques de boissons gazeuses, de marchands de fritures et d'aliments de toutes sortes. Le passage d'une bande constitue une bonne affaire pour les proprietaires de ces commerces, caril entraine des retombees economiques relativement importantes pour les gens vivant sur les sites des bandes et les localites avoisinantes.

Au sens de Russo et Romagosa, nous pouvons parler ici d'<<itineraire touristique>> ou de <<moyen de diversification de l'offre touristique>>. Selon Russo et Romagosa (2010), un itineraire est le moyen par lequel les ressources touristiques sont commercialisees (l'attraction, l'accueil, le mouvement, l'espace, le repos, le temps). Les itineraires, selon ces auteurs, contribuent au developpement du tourisme dans les regions en etablissant un pont entre les centres et les peripheries au sein des systemes touristiques, lis permettent, ainsi, de reduire les externalites negatives qui sont generalement associees a cette polarisation. Dans ce sens, poursuivent-ils, les responsables du tourisme peuvent etablir des routes thematiques portant les touristes a visiter egalement l'arriere-pays ou encore entreprendre un voyage complet dans un territoire potentiellement important et developper des reseaux mettant l'accent sur des produits complementaires situes dans les peripheries ; voir aussi Murray et Graham (1997). Dans ce sillon, les bandes transportent les participants visiteurs dans differents coins de Leogane, leur font vivre toutes sortes d'emotions et leur font decouvrir differentes attractions dans un contexte ou l'accueil, le dep|acement, le temps de rafraichissement sont tous prepares et bien arranges a l'avance. Sans que la notion d'itineraire touristique ait clairement ete definie chez les dirigeants des bandes de Leogane, ces parcours permettent de mettre en valeur les ressources culturelles de la zone et de va|oriser differents aspects de cette expression culturelle.

Les festivitos rara : un espace privilogio pour los migrants leoganais

Leogane est reputee en Haiti pour la fabrication des canaux quilles, utilises dans un premier temps pour la pratique de la peche et du cabotage. C'est une pratique traditionnelle qui remonte a l'epoque amerindienne. La maitrise de cette technique a permis aux artisans de Leogane de construire de plus grands voiliers pouvant entreprendre de longs voyages dans les mers. Dans les annees 1970, ils commencent a effectuer des voyages vers les autres iles des Caraibes, se rendant ainsi jusqu'aux cotes de la Floride. Entre les annees 1970 et 1980, de nombreux habitants de Leogane ont profite ainsi de ces voyages peu couteux financierement pour immigrer dans certains pays baignant dans le bassin des Caraibes, notamment les Etats-Unis du cote de la Floride. Cette activite a toujours ete interdite par l'Etat haitien et mal vue par une bonne partie de la population. Etre boat people constitue en ce sens un deshonneur. Ces migrants ont ainsi un desir brulant de laver ce <<deshonneur>>. Tout passage au pays constitue pour eux une occasion d'afficher leur reussite en vue de retrouver une certaine fierte au sein de la communaute. Location de voiture, service de chauffeur prive, organisation de soirees bien arrosees, grandes depenses pour les membres de leur famille elargie et des amis sont entre autres supports du message de la reussite et ceci se cristallise davantage au moment des festivites rara. D'ailleurs, ils soutiennent financierement leur bande preferee et en retour leurs noms sont cites au moment des galas annuels ou affiches sur des bannieres en guise de remerciements. Faire du tourisme dans la region d'origine permet a ces migrants d'origine leoganaise d'augmenter leur prestige social. Le tourisme devient dans ce sens un facteur d'epanouissement personnel.

Le fait de circuler a travers la ville et ses peripheries avec une bande de Rara leur permet de se faire voir ou de montrer a un plus large public qu'ils sont de retour (17). Cette balade contribue du meme coup a faire propager le message de la reussite. Tout ceci est exploite de nos jours par les organisateurs du Festival Rara comme une forme de marketing touristique. En effet, en l'annee 2008 on a initie ce qu'on appelle un <<defile de diasporas (18)>> au cours duquel chaque bande accompagne respectivement ses fans venus de l'etranger dans un grand defile partant de la localite denommee <<Brache>> sur la route nationale numero deux, traversant le centre-ville de Leogane pour arriver sur le site des bandes.

Il est important de preciser, toutefois, que d'autres <<diasporas>>, qui ne sont pas forcement des anciens boat people reviennent a Leogane au temps des festivites rara et la question d'investir dans les bandes ne releve pas dans tous les cas d'une demonstration de reussite. Nombres de ces gens sont des heritiers et/ou d'anciens dirigeants de bandes. Contrairement au premier groupe, ce retour est pour eux une occasion de maintenir contact avec leur bande, voire de repondre pour certains--a des obligations religieuses.

Conclusion

Les anciennes formes de competition entre les bandes de Rara ont donne lieu a des affrontements violents. Ces rivalites ont projete une image negative de cette fete traditionnelle et celle-ci s'est repercutee sur toute la region de Leogane. Les dirigeants de bandes ont voulu renverser cette situation. Cet objectif s'est manifeste, dans un premier temps, a travers leurs interventions dans les medias, et dans un second temps, par l'organisation d'un Festival Rara. D'autres acteurs comme la Mairie, la Deputation, la diaspora leoganaise, le ministere de la Culture et des mecenes de la zone se sont tour a tour impliques dans la dynamique. Le Rara a ainsi fait l'objet d'une certaine esthetisation et se profile depuis une decennie environ comme le patrimoine identitaire de la region.

La question des festivites rara se discute au plus haut point des instances etatiques du pays depuis 2004. Le Rara de Leogane fait l'objet de debat a I'UNESCO depuis 2010, s'inscrivant au premier plan du projet pilote pour la sauvegarde du patrimoine culturel immateriel haitien. Il devient une source de fierte pour les Leoganaises et les Leoganais, qui ne cessent de faire sa promotion a l'interieur comme a l'exterieur du pays. Subsequemment, le Festival Rara rassemble chaque annee des milliers de personnes voulant beneficier de la therapie que cette forme de communion collective procure.

Tout bien considere, dans un monde ou les points d'ancrage familial et identitaire deviennent moins solides face aux choix de vie cruciaux qu'operent nombre de gens, les festivites rara offrent aux Leoganaises et Leoganais disperses d'un bout a l'autre du pays et de la planete une occasion annuelle de retourner chez eux et de renouer contact avec les membres de leur famille elargie et leurs amis aussi bien qu'avec les bruits, les musiques, les saveurs, les emanations des moulins de cannes et des guildiveries, les odeurs de feu de bois, de fritures et des marches aux puces propres a leur localite d'origine.

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(1.) Le Rara fait reference a des fetes traditionneUes haitiennes commencant le lendemain du mercredi des Cendres et finissant le lundi de Paques, soit durant la periode du careme chretien. Les manifestations sont animees par les bandes de Rara, generalement dans la rue, et rassemblent une immense foule dansant et chantant au rythme du tambour, l'instrument central de la musique rara.

(2.) Certains auteurs ont critique cette tradition academique en ethnologie et en anthropologie : Said (1980); Todorov (1982); Fabian (2006); MacCannell (1986; 2011); Clifford (1996); Amselle (1990); Jewsiewicki (1991); Bensa (1996); Appadurai (2001); Thomas (1998); Kilani (2000); Hurbon (2005); Michel (2006); Korstanje (2012).

(3.) Pour plus d'explications sur cette question, voir Copans (1996 : 96), qui considere l'objet premier de l'ethnologie, la societe primitive, comme un peche originel.

(4.) Espace comprenant plusieurs logements, souvent un lieu de culte vodou.

(5.) Dans une entrevue qu'il nous a accordee en 2008 dans le cadre de la preparation de notre memoire de maitrise. Jean Coulanges est anthropologue et professeur a l'Universite d'Etat d'Haiti.

(6.) A l'epoque des Tainos (periode precolombienne), l'ile d'Haiti etait divisee en cinq caciquats ou royaumes. Leogane portait le nom de <<Yaguana>> et etait la capitale du caciquat Xaragua ou ont regne Bohechio et plus tard la reine Anacaona.

(7.) Voir Moreau de Saint-Mery, De la Danse (1801); Harold Coulander, The Drum and the Hoe, Life and Lore of Haitian People (1960); Jean Baptiste Romain, L'africanisme haitien, compilation et notes (1978); Elizabeth McAlister, Rara ! Vodou, Power and Performance in Haiti and its Diaspora (2002).

(8.) Suivant le concept utilise dans le titre du livre de Laurier Turgeon (2003) relatif aux metissages culturels dans les contextes coloniaux et postcoloniaux.

(9.) Les proprietaires de bandes alimentent et laissent raconter toutes sortes de legendes autour d'eux a cette epoque. Pour la bande Tirailleurs, par exemple, a cote du fondateur qui aurait ete detenteur d'une force surnaturelle, Elver, un de ses anciens colonels aurait pris un pwen qui lui aurait donne des qualites exceptionnelles de musicien. On rapporte que le Vendredi saint, il aurait eu l'habitude de faire jouer son vaksin, sans souffler dans cet instrument a vent. Colas Perpilus, lui, un dirigeant de la bande, rapporte-t-on, aurait detenu un secret lui permettant de renforcer la performance musicale de la bande a l'aide de sa pipe.

(10.) Tirailleurs etant le nom donne a une ancienne unite d'elite de l'armee d'Haiti.

(11.) Instrument de musique tres long, en tige de bambou ou en PVC, de taille variable, il est a la fois souffle et frappe et le son se repercute en echo.

(12.) Puissance ou esprit sumaturel qui execute la volonte de quelqu'un qui a envers lui des obligations.

(13.) La poudre ici fait reference a des substances preparees a base de plantes pouvant provoquer des malaises de toutes sortes chez l'individu touche, voire meme causer son deces.

(14.) Le vodou etait vu comme une superstition barbare par nombre d'ecrivins etrangers et a fait l'objet de plusieurs campagnes d'eradication menees par l'Eglise catholique avec l'appui de l'Etat haitien. En 1987, le pays s'est dote d'une nouvelle constitution plus democratique qui reconnait le droit d'exercer au vu et au su de tout le monde les pratiques vodou.

(15.) Clairin melange avec des herbes tropicales et des ecorces de certains arbres reconnues pour leurs effets aphrodisiaques.

(16.) Protocole d' accord pour la perennisation de la culture du Rara a Leogane, Mairie de Leogane, Union des Rara de Leogane (URAL), les dirigeants des bandes de Rara de Leogane, mars 2011.

(17.) Ce retour est aussi la preuve qu'ils ont un statut legal dans le pays d'adoption. lis peuvent aller la-bas et venir ici comine bon leur semble.

(18.) Le terme <<diaspora>> refere dans le langage populaire en Ha'iti a tout Ha'itien vivant a l'etranger. Il arrive que meme apres un court sejour a l'etranger, on puisse dire de quelqu'un qu'il est une diaspora ou un diaspora.

Joseph Ronald Dautruche

Universite Laval
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