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文章基本信息

  • 标题:Le cinema de Sembene Ousmane, une (double) contre-ethnographie (Notes pour une recherche).
  • 作者:Jonassaint, Jean
  • 期刊名称:Ethnologies
  • 印刷版ISSN:1481-5974
  • 出版年度:2009
  • 期号:September
  • 语种:English
  • 出版社:Ethnologies
  • 摘要:* This article begins with a brief sketch of the intellectual biography of Sembene Ousmane (his real name, Ousmane Sembene being his pen name) in order to highlight the connections between his productions and his life as a Senegalese. At the same time, looking at the progression of the titles of his novels from French to Wolof, from Docker noir (1956) to Xala (1973), it attemps to explain his passage from novel writing to filmmaking. Secondly, we look at the internal consistency of his films from La Noire de ... (1966) to Moolaade (2004), with Mandabi (1968), Ceddo (1976) or Camp de Thiaroye (1988) in between. These films all centre around a crisis caused by an encounter with an Other (or Others), more specifically the sudden introduction of multiple foreign elements into a social setting, thereby provoking confrontation/transformation. This double counter-ethnography, portrayal of the Self, portrayal of the Other, neither being One but Many, multiplied/divided is poethics (poetics and ethics) linked to a personal commitment of the writer-filmmaker to redefine the image of Africa on the screen. In this sense, his work runs counter, notably if implicitly, to a certain type of ethnographic film of which Jean Rouch was the figurehead with his documentaries Les Maitres fous (1954) or Mammy Water (1966).
  • 关键词:African literature;African writers;Authors, African;Ethnographic movies;Film criticism;Movie criticism;Multilingualism;Self identity

Le cinema de Sembene Ousmane, une (double) contre-ethnographie (Notes pour une recherche).


Jonassaint, Jean


* Dans un premier temps, cet article brosse brievement une biographie intellectuelle de Sembene Ousmane pour faire ressortir les rapports entre sa production et sa trajectoire de sujet senegalais, Ousmane Sembene de son vrai nom, devenu le romancier et cineaste Sembene Ousmane. Du meme coup, a partir d'une lecture de l'evolution des titres de ses romans du francais au wolof, du Docker noir (1956) a Xala (1973), il tente d'expliquer son passage de l'ecrit a l'ecran. Dans un deuxieme temps, ce texte montre la coherence interne de l'oeuvre cinematographique de La Noire de ... (1966) a Moolaade (2004), en passant par Mandabi (1968), Ceddo (1976) ou Camp de Thiaroye (1988). Ces films qui, tous, mettent en scene une crise suite a une rencontre avec l'Autre (ou d'autres), plus specifiquement l'irruption d'un ou des elements etrangers dans un corps social jamais un mais multiple, divers dans un proces de confrontation/transformation. Cette double contre-ethnographie, portrait de Soi et portrait de l'Autre, ni Soi ni l'Autre n'etant un, mais multiple, divers/divise est une poethique (poetique et ethique) liee a un engagement personnel de l'ecrivaincineaste pour une redefinition de l'image de l'Afrique sur les ecrans. En ce sens, son travail se fait notamment, du moins implicitement, contre un certain cinema ethnographique dont Jean Rouch a ete la figure de proue avec des documentaires comme Les Maitres fous (1954) ou Mammy Water (1966).

* This article begins with a brief sketch of the intellectual biography of Sembene Ousmane (his real name, Ousmane Sembene being his pen name) in order to highlight the connections between his productions and his life as a Senegalese. At the same time, looking at the progression of the titles of his novels from French to Wolof, from Docker noir (1956) to Xala (1973), it attemps to explain his passage from novel writing to filmmaking. Secondly, we look at the internal consistency of his films from La Noire de ... (1966) to Moolaade (2004), with Mandabi (1968), Ceddo (1976) or Camp de Thiaroye (1988) in between. These films all centre around a crisis caused by an encounter with an Other (or Others), more specifically the sudden introduction of multiple foreign elements into a social setting, thereby provoking confrontation/transformation. This double counter-ethnography, portrayal of the Self, portrayal of the Other, neither being One but Many, multiplied/divided is poethics (poetics and ethics) linked to a personal commitment of the writer-filmmaker to redefine the image of Africa on the screen. In this sense, his work runs counter, notably if implicitly, to a certain type of ethnographic film of which Jean Rouch was the figurehead with his documentaries Les Maitres fous (1954) or Mammy Water (1966).

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La plupart des cineastes africains abordent le cinema en termes d'education et de formation. Nous ne pouvons pas nous permettre de faire du cinema comme en Occident. Ayant beaucoup d'annees de retard, nous avons non seulement a former des hommes mais a faire fusionner des ethnies qui, durant des annees, ont coexiste sans se connaitre. Ce qui rend notre responsabilite tres lourde. Moi-meme, je l'avoue,j'ai une tres grande peur de la puissance de l'image que j'utilise. Avant d'utiliser chaque image, je suis oblige de calculer, d'imaginer l'impact et la force de cette image sur les spectateurs. Je m'interdis de montrer des travers qui pourraient, le cas echeant, etre interpretes autrement.

Si tous les cineastes raisonnaient de la sorte, nous pourrions avoir un cinema valable. En tout cas, notre responsabilite est tres grande vis-a-vis du public. D'autant plus que l'Afrique a ete longtemps victime des sociologues et des ethnologues.

Sans connaitre la culture africaine, ils ont montre des images reelles mais accompagnees de commentaires faux. Ils ne connaissaient ni le sens de la danse ni de la musique. Ils ont colle tout ce qu'ils voulaient la-dessus. L'Europeen qui recoit ca, qui voit l'image et entend le commentaire, se fait necessairement, une fausse idee de l'Afrique et des Africains.

Ce n'est qu'en prenant conscience de ces problemes, en mesurant la dualite entre l'image et la parole, que les cineastes africains feront du bon cinema. Cependant, il faut dire que le cinema africain ne sera pas authentiquement africain tant qu'il n'y aura pas de politique culturelle bien definie (Sembene Ousmane, propos recueillis par Siradiou Diallo 1973 : 46) (1).

Pour eviter quelques malentendus (2), d'entree de jeu, je voudrais signaler que je ne suis ni ethnographe ni anthropologue et encore moins specialiste du cinema de Sembene Ousmane, ne connaissant ni le wolof ni le diola ou toute autre langue africaine de ses films, me fiant aux traductions souvent incompletes : les sous-titres ne s'etendant jamais aux chants qui forment une part significative dans ses longs metrages. Par exemple, dans Moolaade (2004), meme si grace au rythme, aux mimiques, au contexte, nous nous doutons du contenu du chant de Salba pleurant sa fille, Diatou, morte a la << purification >>, ignorant la langue de cette complainte africaine, nous ne saurons comprendre pleinement son propos (chapitres 17-18) (3). Il en est de meme des chants des femmes, prisonnieres en plein soleil, en reponse a un tirailleur qui vient d'arracher un parasol a deux meres et leurs enfants dans Emitai (1971). Si un spectateur (ou une spectatrice) ignorant la langue diola peut saisir qu'il s'agit d'une forme de protestation ou de contestation, il ou elle ne peut pour autant comprendre le contenu du texte (voir chapitre 3). Par ailleurs, au passage, il convient de rappeler entre autres les propos de Sembene Ousmane lui-meme sur les limites des traductions. En effet, invoquant la fin de Xala (1974), il dit a Jean et Ginette Delmas :

Pour nous, [Xala,] c'est un mythe sur la lutte des classes, et la lutte que la masse doit faire pour renverser la classe bourgeoise. La masse doit aller jusqu'au bout, ce que symbolisent les crachats.En fait, la vraie traduction n'est pas cracher, c'est plutot vomir, sortir sa bile le mot exact, c'est la bile : il faut << de-biler >> sur la bourgeoisie. C'est une image, un mot populaire et par lemythe, a travers le film, nous faisons un travail que l'ecriture journalistique ne pourrait faire parce qu'il est difficile d'ecrire les choses d'une maniere aussi directe (Sembene Ousmane 1976 : 15).

Les memes remarques s'appliquent au mot senegalais, << ceddo >> qu'il reprend pour titrer un long metrage de 1976. En effet, aucune traduction ou expression francaise ou autre ne saurait rendre toute la charge semantique ou la polysemie du << ceddo >> africain dont il retracait l'origine historique et la signification en ces termes :

A l'origine, il s'agissait d'un groupe d'individus qui se sont opposes a la penetration de l'islam pour ne pas perdre leur identite culturelle. Ces premiers hommes quirefuserent de se convertir etaient appelesceddo, << gens du dehors >>. Il s'agit vraisemblablement d'un mot pular.

Le ceddo est un homme de refus. C'est ce refus qui est demeure a travers les siecles, etqui a donne au mot sa signification. Chez les Ouolofs, les Sereres, les Pulars etre ceddo, c'est avoir l'esprit caustique, etrejaloux de sa liberte absolue. Etre ceddo, c'est aussi etre guerrier : parfois combattantpour des causes justes, parfois mercenaire.Le ceddo n'est ni une ethnie, ni une religion, c'est une maniere d'etre, avec des regles (Hennebelle 1985 : 29).

Malgre ces difficultes evidentes qu'on ne saurait gommer, depuis une vingtaine d'annees, je contribue a faire connaitre ce cinema en Amerique du Nord par mes cours ou d'autres interventions extra academiques. Ce travail de diffusion pedagogique m'a permis ou force a donner sens a la poethique singuliere (donc une poetique et ethique) qui sous-tend cette Luvre, et expliquer sa difference radicale avec un cinema hollywoodien omnipresent. Par ailleurs, prenant comme point de reference des films documentaires comme Les Maitres fous (1954/ 1957) ou Mammy Water (1966) de Jean Rouch (4)--produits d'une vision plutot classique de l'ethnologie et du cinema ethnographique qui se veut un regard (exogene) pour les siens sur un Autre plutot << statique >> et << different >>, du moins percu comme tel (dont Rouch se reclamait encore du moins jusqu'en 1985 (5)) --, je compte montrer comment le cinema de Sembene Ousmane qui est regard sur Soi pour Soi dans un proces de confrontation/transformation suite a une rencontre avec l'Autre (ou d'autres) est doublement contre-ethnographique, d'autant plus quand cette plongee dans des memoires africaines se fait en langues indigenes. C'est d'abord cette lecture plutot personnelle, notes pour une recherche, que je souhaiterais communiquer a un public plus large que mes salles de classe ou de projection, et ainsi rendre hommage a un geant des temps modernes le tres regrette << aine des anciens >> qui insiste dans l'un de ses derniers textes publies sur l'importance des rencontres avec l'Autre, les autres pour se (trans)former (6).

Qui est Sembene Ousmane ou Ousmane Sembene ?

<< Ousmane Sembene (January l, 1923-June 9, 2007), often credited in the French style as Sembene Ousmane in articles and reference works, was a Senegalese film director, producer and writer >> (Wikipedia, the free encyclopedia, <http ://en.wikipedia.org/wiki/Ousmane_Sembene>, consulte le 16 aout 2009).

Sans repeter des informations (elementaires) qu'on trouve un peu partout sur Sembene Ousmane, pour l'economie de ce texte, je voudrais rappeler tres brievement quelques aspects de sa vie et de son oeuvre afin de faire ressortir les rapports entre cette production capitale et la trajectoire du sujet senegalais Ousmane Sembene, devenu le romancier et cineaste Sembene Ousmane, et du coup montrer la coherence interne de son Luvre de La Noire de ... (1966) a Moolaade (2004) qui met en scene une crise suite a une rencontre avec l'Autre (ou d'autres), plus specifiquement l'irruption d'un ou des elements etrangers dans un corps social jamais un mais multiple, divers dans un proces de transformation vers un nouvel equilibre. Cette double contre-ethnographie, portrait de Soi et portrait de l'Autre, ni Soi ni l'Autre n'etant un, mais multiple, divers/divise est une poethique liee a un engagement personnel que ce regard (panoramique) donnera l'occasion de mettre en lumiere.

Sembene Ousmane, comme l'ecrivain algerien Kateb Yacine, a pris un nom d'auteur qui est un maquillage de son nom de l'etat civil. Autrement dit, cet autodidacte qui n'a frequente l'ecole qu'environ six ans, au lieu d'ecrire son nom d'auteur suivant la syntaxe de la page couverture, prenom + nom de famille (de l'etat civil), a prefere celle des listes d'ecoliers ou apparaissent d'abord le nom de famille, puis le ou les prenom(s). C'est a la fois une facon de signaler une << depossession >>, cette nomination etant une imposition coloniale, notamment de l'ecole et de l'armee coloniale francaise dont Sembene Ousmane a ete un soldat, puisqu'il a ete tirailleur senegalais comme on disait a l'epoque. Mais cette (de)nomination, Sembene Ousmane, est aussi une facon de la contester, en la detournant, subvertissant du meme coup l'usage ou le rituel litteraire. Car nous voila pris avec un nom d'auteur qui n'est ni tout a fait un pseudo ni vraiment un nom d'etat civil, qui pose probleme aux bibliographes et critiques--qui doivent se demander ou l'entrer, a S ou a O ? De fait, ils le rentrent parfois a S, parfois a O, d'autres fois a S et a O.

Par exemple, dans le Dictionnaire des oeuvres du XXe siecle, a l'entree sur la revue << Presence africaine >>, nous lisons simplement << Sembene Ousmame >>, mais a l'index on a << SEMBENE Ousmane >> --noter les capitales a Sembene, sans accent sur le << e >> de << be >>, l'absence de virgule entre les deux parties du nom (Mitterand 1995 : 396, 591). Par contre, dans le Dictionnaire historique, thematique et technique des litteratures, l'entree est a << OUSMANE >> (Demougin 1986 : 1183), alors qu'a l'index du Dictionnaire des oeuvres litteraires negro-africaines de langue francaise, il y a une entree a << Ousmane, Sembene >> qui renvoie a << Sembene, Ousmane >>, ou se trouvent les donnees (Kom 1983 : 637, 658). Dans les deux ouvrages, il importe de noter les virgules qui font de << Sembene >> et << Ousmane >> des noms de famille. Quant au tout recent Dictionnaire des cineastes africains de long metrage de Roy Armes (2008 : 115, 255-256), comme sa version originale anglaise, Dictionary of African Filmmakers (2008 : 118-119, 229-230), il opte pour << Sembene >> comme nom de famille et Ousmane comme prenom d'auteur, suivant ainsi la tradition critique anglo-americaine de refuser, jusqu'a un certain point, a l'ecrivain et cineaste senegalais le droit de choisir son nom d'artiste comme nous le rappelle implicitement l'entree de Wikipedia citee plus haut.

La question du nom d'artiste du Senegalais Ousmane Sembene n'est pas des plus simples, lui-meme ayant sans doute laisse faire, du moins pour la diffusion des DVDs de ses films aux Etats-Unis sous le nom de << Ousmane Sembene >>. Par ailleurs, force est de reconnaitre que la Bibliotheque Nationale de France donne comme << forme internationale >> : << Sembene, Ousmane >>, rejetant la forme << Ousmane, Sembene >> qu'on retrouve a son catalogue general 1960-1969 (7). C'est egalement la position du critique Samba Gadjigo (de tous les commentateurs et proches de Sembene Ousmane, sans doute celui qui a le plus contribue a la diffusion de son Luvre aux USA) dans sa biographie Ousmane Sembene une conscience africaine : genese d'un destin hors du commun (2007) qui semble choisir de ne pas questionner la prise d'un nom d'artiste si ambigu par le Senegalais. Est-ce l'influence anglo-americaine qui a porte Gadjigo (qui a etudie aux USA et y enseigne) a s'aligner sur une certaine tradition anglophone de ramener le nom d'artiste au nom de l'etat civil << Ousmane Sembene >> (comme il l'a fait dans un precedent ouvrage collectif en anglais--voir Gadjigo et al. 1993), ou tout simplement, il renvoie a l'homme et son << destin >> ? Pour ma part, je pense qu'il faut accepter le choix systematique de l'artiste de se presenter sous le (faux)pseudo << Sembene Ousmane >> qu'on retrouve aux generiques et affiches originales de ses films, sur les premieres de couverture et pages titres de ses livres en francais et generalement en anglais, donc de le traiter bibliographiquement comme un pseudo.

Ce debat sur le nom d'auteur peut paraitre sibyllin. Mais l'inconsistance du catalogue en ligne de la British Library (consulte le 31 aout 2009) (8), ou plutot son souci de refleter l'inconsistance des editeurs anglophones de Sembene Ousmane, notamment Heinemann qui le publie parfois sous le nom d'auteur, Sembene Ousmane, d'autres fois sous son nom de naissance, Ousmane Sembene, porte du moins a reflechir. Par ailleurs, quand on constate que son editeur francais, Presence africaine, publie en 1972 un ouvrage de Paulin Soumanou Vieyra (qui fut le directeur de production du cineaste), titre en premiere de couverture, Sembene Ousmane cineaste et sur la tranche Sembene Ousmane, mais devient en page de faux-titre, Ousmane Sembene cineaste, et en page de titre, Ousmane Sembene cineaste Premiere periode 1962-1971 (9), on comprend mieux le flou autour de ce nom d'auteur, et l'importance de cet essai de clarification. En effet, ce seul ouvrage est parfois cite << Sembene Ousmane cineaste >> et d'autres fois comme << Ousmane Sembene cineaste >> (10). Comment se retrouver dans cette valse de variations sur un nom d'auteur ?

Un deuxieme element biographique a retenir sur cet ecrivain et cineaste senegalais, c'est un autodidacte : tour a tour pecheur, soldat, docker, militant syndical, romancier, cineaste. Il a ete a l'ecole de la vie, et son oeuvre en porte l'empreinte, notamment son premier roman, Le Docker noir (1956), qui est sous certains aspects autobiographiques, mais surtout son approche pragmatique de la litterature et de l'art en general comme il l'exprime si bien dans ses entretiens de 1968 avec Guy Hennebelle :

Ce qui m'interesse, c'est d'exposer les problemes du peuple auquel j'appartiens. Je ne cherche pas a faire du cinema pour mes petits copains, pour un cercle restreint d'inities.... Pour moi, le cinema est un moyen d'action politique. Sur le plan ideologique, je me reclame du marxisme-leninisme. Mais a ce sujet, je tiens a ajouter deux choses : d'une part, je ne veux pas faire un cinema de pancartes ; d'autre part, je ne pense pas qu'il soit possible de changer une situation donnee avec un seul film. Simplement, je crois que si nous, cineastes africains, tournons une serie de films orientes dans le meme sens, nous parviendrons a modifier un tout petit peu les forces en presence, en developpant la prise de conscience du peuple. J'aime Brecht et j'essaie de m'inspirer de son exemple (Hennebelle 1968 : 5-6).

En fait, ce que Sembene Ousmane rappelle ici avec beaucoup de force, de courage et de conviction, c'est son refus de l'artpour l'art , autrement dit son engagement sans pour autant renier la dimension esthetique, sans tomber dans l'art de propagande. Il pense que le cineaste, comme l'ecrivain, doit << participer a la liberation des peuples >> avec tous les outils a sa disposition, sans exclusive. Aussi, il ne partage pas le point de vue de ceux qui refusent la camera comme invention des blancs ou toute alliance avec les ex-colonisateurs. Sur ce point, repondant a une question de Hennebelle sur les avances sur recettes qu'il avait recues du gouvernement francais pour Le Mandat, il va jusqu'a declarer : << dans l'etat actuel des choses, je suis pret a m'allier au diable, tout en etant decide a ne renier aucune de mes convictions politiques >>. De plus, cet engagement culturel est important pour l'Afrique en lutte, et doit se situer au-dela de tout parti pris racial ou ethnique, en ce sens, il se distingue nettement du courant de la negritude. Il ne cherche pas a celebrer une Afrique ancestrale ou mythique, et encore moins une africanite de facade (11). Il est un ecrivain et un cineaste pragmatique qui cherche a communiquer avec son peuple pour donner a lire ou a voir la ou le bat blesse qu'importe l'origine, qu'importe les responsables, en quete de comprehension et de solution. Aussi, pour lui, << un film, c'est un debat, ce n'est pas seulement un film >>. Il ajoute :

Il faut que le cinema soit une ecole du soir pour ceux qui veulent reflechir doivent y trouver des elements de reflexion pour pouvoir aller de l'avant....

On discute tous les jours du film.... Nous allons dans les ecoles, chaque lycee a une salle, vous appelez ca cine-club, nous appelons ca salle de reflexion. On vient, on presente un film et on discute du film .... Mais nous sortons du film, nous ne discutons pas seulement du fihn. Le film conduit a la discussion. Nous discutons de la bourgeoisie et comment on devient mendiant dans un pays, voila. Nous parlons des paysans et ainsi de suite. Ca deborde le cadre du film. Et ca donne a la discussion un caractere concret. Meme la critique au realisateur. Moi je suis oblige tous les mois, deux fois par mois, de passer sous la douche devant le public (Sembene Ousmane 1976 : 15-16).

Cette volonte de debattre, d'echanger sur le film ou meme de defier le realisateur, pour une transformation ne se manifeste pas seulement hors scene (apres la projection), elle est egalement sur scene, partie integrante du cinema de Sembene Ousmane. En fait, l'un des traits recurrents de ses films, notamment depuis Emitai (1971)--qui raconte l'affrontement d'un village, plus particulierement de ses femmes avec l'armee coloniale francaise sur un mode quasi silencieux, ne s'exprimant que par gestes ou des chants--est la mise en scene d'une confrontation ou d'une suite de confrontations verbales ou debats. Cette poethique de la confrontation ou du debat, de la joute oratoire qui n'est pas sans rappeler des << palabres >> dont la premiere manifestation evidente est dans la fin de Xala (1974) avec les proces de El Hadj Abdoukader Beye par les hommes d'affaire a la chambre de commerce et les mendiants chez lui, atteint un apogee avec Ceddo (1976) qui est structure comme un long proces de l'islam dogmatique sur la place d'un village africain au 18e siecle (12). Elle sera reprise avec des variantes dans les films subsequents, notamment Camp de Thiarove (1988), Guelwaar (1992) et Moolaade (2004)--voir photogrammes A1-A4.

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Le dernier element sur lequel il convient d'insister, sans doute le plus important, c'est le rapport etroit entre l'evolution de son Luvre, et le contexte historique et social dans lequel elle s'inscrit. Plus particulierement, il importe de souligner comment cette evolution se fait en fonction de ce pragmatisme militant qui est central dans sa conception du travail artistique ou litteraire, et se traduit dans le choix de ses titres, du moins leur langue, les thematiques et formes ou genres de ses oeuvres.

Au premier coup d'oeil, on constate que Sembene Ousmane a publie son premier roman, Le Docker noir (1956), avant les Independances africaines, et son dernier titre, Guelwaar, date de 1996 (13). De fait, il est avec le Camerounais Mongo Beti, auteur entre autres du fameux pamphlet contre les nouveaux dirigeants africains, Main basse sur le Cameroun (1972), l'un des rares romanciers francophones africains (au sud du Sahara) a avoir publie plusieurs titres avant et apres les Independances.

Entre 1956 et 1960, l'annee des Independances africaines, Sembene Ousmane qui vit en France publie trois romans qui sont relativement longs, plus de 200 pages pour les deux premiers, et pres de 400 pour le dernier. Ces trois romans portent principalement sur le colonialisme, bien que le premier, Le Docker noir, soit aussi un texte sur l'immigration et l'appropriation tant de la force de travail du migrant (colonise) que ses expressions esthetiques, plus particulierement ici son ecriture (vol d'un manuscrit d'un docker noir par une eminente romanciere francaise qui est tuee par ce dernier pour ce mefait) (14). Les titres de ces romans sont tout a fait francais, sauf le dernier, Les Bouts de bois de Dieu, qui est une traduction litterale de son sous-titre wolof : << Banty Mam Yall >>, les hommes. Par ce recours manifeste a une autre langue d'une autre culture, et a cette traduction qui n'en est pas une, s'introduit un ecart significatif. L'expression << les bouts de bois de Dieu >> ne fait pas sens en francais. Du moins, elle ne dit pas ce que l'ecrivain exprime dans sa langue, les hommes (Banty Mam Yall). Il me semble qu'ici il veut attirer l'attention du lecteur occidental sur le fait qu'il a un langage propre, avec ses propres formes ou expressions qui ne sont pas reductibles.

Vers le cinema, pour une contre-ethnographie

L'affirmation d'une preeminence subjective du wolof sur le francais, pour reprendre une formule d'Alioune Tine (15), ou plus specifiquement d'une certaine titrologie africaine sur une francaise, pas seulement sur le plan linguistique, mais plus largement langagier, est des plus evidentes dans les titres des annees 1962-1965 qui sont un syntagme africain, Vehi Ciosane, ou un terme africain francise, l'Harmattan, ou un mot francais africanise, Voltaique. Mais ce qui est fondamental ici, c'est qu'apres son retour en Afrique en 1961, c'est le changement de forme et de problematique. Delaissant le conflit colonial (sans oublier le choc des cultures qu'il a engendre) pour interroger d'abord les nouveaux dirigeants africains et certaines traditions africaines (changement thematique), Sembene Ousmane passe d'une part a la nouvelle (Voltaique) ou au court recit (Le Mandat et Vehi Ciosane) ; d'autre part au cinema qui deviendra apres le succes du film La Noire de ... (1966) sa forme d'expression privilegiee, conscient que le cinema lui permet de mieux communiquer les preoccupations de son peuple, et aussi de mieux communiquer avec son peuple qui est analphabete (double changement sur le plan formel).

En effet, de retour au Senegal, il decouvre un fait troublant, il n'existe pas comme ecrivain en Afrique, il n'est pas lu, il n'est pas connu, et pour cause, l'Afrique connait a l'epoque des taux d'analphabetisme pouvant atteindre 99%. D'ou son questionnement : comme ecrivain engage, comment atteindre ce public (qui est le sien) qui n'a pas acces au livre ? Et pour lui, la meilleure facon de le faire, c'est avec le film, le cinema. Et tres vite, il comprendra qu'il faut le faire en langue africaine, d'ou son choix en 1968 du wolof pour son premier vrai long metrage (16), Mandabi.

Cette volonte de mieux communiquer les preoccupations du continent africain, et aussi de mieux communiquer avec ses habitants qui est centrale dans sa demarche est fort bien illustree par l'adaptation cinematographique de La Noire de ... Si dans la nouvelle, l'histoire de Diouana s'inscrit entierement dans l'Afrique coloniale en lutte, le texte s'ouvrant sur sa mort le << 23 juin de l'an de grace 1958 >> (17), Le film quant a lui place l'histoire dans le contexte postcolonial, celui de l'assistance technique, de la neo-colonisation comme le rappelle si bien la scene du repas ou M. explique a un jeune couple les avantages extraordinaires, garantis par des solides accords de cooperation, pour un Europeen travaillant en Afiique, notamment au Senegal (chapitre 3).

De plus, contrairement au texte qui, d'entree de jeu, met en place les deux mondes qui s'affrontent, celui des baigneurs insouciants de la plage d'Antibes, et celui des peuples en lutte contre le colonialisme, le film s'ouvre sur une sorte d'image d'Epinal d'un paquebot arrivant en rade (en France) (18). Mais cette image est signe tant de la neo-colonisation que de la migration notamment Sud/Nord. En effet, le tourisme, particulierement la croisiere etant l'une des formes les plus generalisees de l'entreprise neocoloniale, et l'immigration, un symptome assez manifeste de l'echec des Independances et de la desillusion postcoloniale qu'il mettra encore mieux en evidence avec le roman Le Mandat (1965) et son adaptation cinematographique Mandabi (1968) (19) qui raconte les deboires d'un chomeur illettre, Ibrahima Dieng, dans les dedales bureaucratiques de Dakar pour encaisser un mandat recu d'un neveu de Paris.

D'autre part, si le recit laisse entendre la voix d'un narrateur impersonnel qu'un lecteur tend a identifier avec un auteur (romancier ou ethnographe), dans le film, c'est plutot celle de Diouana (voix de la dominee, de l'observee qui se fait observatrice par la force des choses), bien que off, qui domine. C'est a travers sa conscience, sa memoire, non a partir de celle de Mme (l'etrangere lettree, celle qui traditionnellement observe, commente) comme dans la nouvelle, que nous reconstituons les faits. Aussi, le fihn part de son arrivee en France en bateau a sa mort, plutot que du constat de sa mort comme dans le recit. Ce changement de perspective permet de mettre en valeur la femme noire, et de faire de Diouana une vraie heroine, tragique certes, mais heroine tout de meme au sens le plus classique du cinema. Car comme l'a rappele Sheila Petty : << [Diouana] ecrase par sa seule presence les autres personnages du film. Elle est presente dans toute l'action du film, donnant une unite au recit >> (Petty 1991 : 127).

Par ailleurs, ce passage du il (d'un narrateur omniscient) au je (d'une narratrice personnage principal), donc d'une certaine ou pretendue objectivite a une certaine ou pretendue subjectivite n'est pas sans consequence. Elle implique un regard de Soi sur Soi, un regard sur l'Autre pour Soi qui donne a voir et entendre un processus de prise de conscience : la transformation de Diouna se rappropriant et transcendant ses manieres de faire et d'etre, donc s'exprimant pleinement. Elle se fait meme juge de ses juges, ici ses patrons francais denommes anonymement M. et Mme (20). C'est un moment fort d'une contre-ethnographie, ou le discours de l'observe/domine sur l'observateur/dominant normalement tu, sinon ignore (21), s'exprime avec force : << Madame m'a menti. Elle m'a toujours menti.... Jamais plus elle me mentira. Elle voulait me garder ici comme une esclave >>, dit-elle dans son dernier monologue (chapitre 16). Faisant suite a son << Qu'est-ce qu'ils mangent et radotent ces gens ! Ils ne font que boire >> lors du diner (chapitre 3), la reprise de son don a madame en scandant << Ce masque est a moi ! >> (chapitre 12), et sa confrontation musclee avec sa patronne qui tente de se rapproprier le masque (chapitre 15), ce cri est sans equivoque. Elle refuse d'etre << la noire de >>. Elle range ses habits dans sa valise, se defait de la perruque qu'elle prisait tant avant, se coiffe de tresses africaines, se prepare pour son suicide se disant a elle-meme : << Jamais plus Mme ne me verra !... Jamais plus de Diouna ! Jamais plus je ne les verrai moi aussi >> (chapitre 16). Elle sort definitivement de 1'<< esclavage domestique >> ou elle etait acculee en France pour renouer, au-dela des siecles et de l'espace, avec la geste legendaire des esclaves noirs d'Amerique, car ce n'est sans doute pas par hasard, malgre les contradictions et questions que ce choix peut soulever ou souleve, que la voix de Diouna soit celle d'une comedienne haitienne, Toto Bissainthe. Et notre cineaste africain, a son tour de s'approprier d'une image emblematique des plus connues de l'histoire et de l'art francais, le Marat assassine de J.-L. David (1793) pour immortaliser le geste de Diouna la gorge tranchee dans sa baignoire le rasoir tombant de sa main, mais ce n'est qu'une premiere image du drame, celle qui suit rappelant plutot des corps d'esclaves dans la cale d'un navire negrier (voir photogrammes B1-B4). Une telle composition de l'image comme une toile d'un grand maitre de la Revolution francaise ou d'un symbole des luttes anti-esclavagistes des 18e-19e siecles, est fort significative : le suicide se lit comme un assassinat (ou un genocide) et s'inscrit au-dela de l'histoire d'une bonne (ou du fait divers qui l'a inspire) dans la grande histoire des luttes humaines contre l'oppression. D'autre part, il s'agit d'un renversement radical, ce n'est pas le dominant qui s'approprie des outils ou savoirs du domine, mais le domine, l'Africain, qui fait sien les outils et savoirs des colonisateurs francais pour parler de lui, de sa rencontre avec cette France qui devient objet d'investigation. Ce sont la deux fondements de la contre-ethnographie que Sembene Ousmane elabore pour les siens d'abord, mais aussi implicitement, sinon consciemment, contre Jean Rouch (22) qu'il avait accuse de les presenter << comme des insectes >> dans une << confrontation >> de 1965 entre les deux cineastes, ou un certain cinema qui faisait des Africains des curiosites, au mieux des figurants.

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Dans cet echange, Rouch soutient explicitement la demarche classique de l'ethnologie, affirmant : << je dispose d'un avantage et d'un inconvenient a la fois, j'apporte l'oeil de l'etranger. La notion meme d'ethnologie est basee sur l'idee suivante : quelqu'un mis devant une culture qui lui est etrangere voit certaines choses que les gens qui sont a l'interieur de cette meme culture ne voient pas. >> A cela, Sembene Ousmane replique : << Tu dis voir. Mais dans le domaine du cinema, il ne suffit pas de voir, il faut analyser. Ce qui m'interesse c'est ce qui est avant et apres ce que l'on voit. Ce qui me deplait dans l'ethnographie, excuse-moi, c'est qu'il ne suffit pas de dire qu'un homme que l'on voit marche, il faut savoir d'ou il vient, ou il va.... >> (Cervoni 1982 : 77). Il est donc evident que ce qui gene le cineaste africain--qui demandait juste avant a Rouch s'il comptait << continuer a faire des films sur l'Afrique >> quand il << y aura beaucoup de cineastes africains >> (Cervoni 1982 : 77) --, c'est aussi, sinon plus, ce regard exterieur qui se veut neutre, du moins non partie prenante d'une demarche explicative et transformatrice. Il donne en exemple, Les Fils de l'eau (1952) dont << beaucoup de spectateurs europeens n'y ont rien compris parce que ces rites d'initiation, pour eux, n'avaient aucun sens. Ils trouvaient le film beau, mais ils n'y apprenaient rien. >> Rouch implicitement acquiesce a cette remarque, et donne en exemple, Les Maitre fous (1954) dont << la diffusion.., a ete reservee a des cinemas d'art et d'essai, et a des cine-clubs >>, car il croit << qu'il ne faut pas apporter de tels films a un public trop large, non informe, et sans presentation, sans explication >> (Cervoni 1982 : 78). On pourrait egalement citer l'absence complete d'explication (ou meme de mise en contexte) de la croix gammee inversee sur une voile d'un bateau de pecheurs dans une sequence vers la fin de Mammy Water (1966) de Rouch qui contraste avec les longues explications et contextualisations de l'attachement obsessionnel de Pays au casque nazi dans Camp de Thiaroye. D'un cote, il y a une appropriation, si appropriation il y a, qui semble statique, << alienante >>, d'un signe de l'autre, il y a un usage dynamique, dialectique d'un symbole nazi pour montrer, entre autres, le parcours douloureux d'un personnage, et du coup signifier l'horreur du fascisme. C'est la un aspect fondamental de la contre-ethnographie sur lequel il convient d'insister, car justement, selon le cineaste senegalais, ce qui lui deplait dans l'ethnographie, c'est le manque de perspective historique : son refus de voir l'avant et de projeter l'apres.

Bien que depuis la << confrontation >> de 1965, selon la presentation des extraits republies par Cinem Action, Sembene Ousmane << s'est refuse a toute declaration sur le cinema de Rouch >>, comme en 1973 dans sa longue entrevue avec Siradiou Diallo pour Jeune Afrique, dans un entretien avec Guy Hennebelle des annees plus tard, parlant de son court metrage, "faw, il reaffirme implicitement son refus du cinema ethnographique, plus particulierement du << cinema-verite >>. En effet, dit-il : << ... Taw, un court metrage, [qui] m'a ete commande par le Conseil Lcumenique des Eglises (U,S.A.). Il s'agissait d'evoquer le probleme des jeunes a Dakar et de dresser en somme un bilan de dix ans d'independance de leur point de vue. J'etais mal a l'aise au depart car je ne suis pas documentariste et je ne crois pas beaucoup au << cinemaverite >> (Hennebelle 1985 : 26) (23). Par ailleurs, Rouch egalement des dizaines d'annees plus tard ne digerait pas plus le cinema militant ou d'intervention auquel Sembene Ousmane s'identifie. Il le considere comme n 'etantpas du cinema, ne connaissant pas << d'exemple reussi de cinema militant ... sur le plan cinematographique >>. Et plus loin, repondant a cette question de Guy Hennebelle (<< Je crois que ce qui te deplait dans un certain cinema militant, c'est la presence d'une conception globale ... >>), il ajoute : << Non, qu'il y ait des reponses ! Je n'aime pas qu'on pretende detenir la verite ! >> (Martineau et al. 1982 : 172-173, 175). Mais pour les deux cineastes, il importe de donner voix aux Africains, comme le montrent bien certains films de Jean Rouch comme Moi un Noir (1959) dont Sembene Ousmane affirme qu'un << Africain aurait pu le faire >> (Cervoni 1982 : 77) ; La Pyramide humaine (1961), regards croises sur des Europeens et Africains en Afrique ; La Chasse au lion a l'arc (1965) qui donne a voir la complexite de tout un savoir-faire africain (de la maitrise du fer a celle des vegetaux en passant par une connaissance exemplaire de la faune) ; Petit a Petit (1970) qui est tout a la fois une amusante ethnographie de la France par des Africains et un regard critique sur les voies de developpement en Afrique. En ce sens, le cinema ethnographique de Rouch qui se veut des << objets inquietants >> pouvant agir sur << la conscience du spectateur europeen >> (Martineau et al. 1982 : 166) est fort different d'un certain cinema colonial des annees 1950-1960. Pourtant, il y a tout de meme des divergences profondes entre les projets cinematographiques du Francais et du Senegalais. Jusqu'a un certain point, nous faisons face a deux positions irreductibles aux finalites entierement divergentes : un cinema documentaire (ethnographique) fait par un universitaire etranger (europeen) qui veut archiver le monde (africain) pour un public europeen ; et un autre militant (de fiction) fait par un autodidacte (africain) qui veut transformer le monde (africain) pour un public africain. Aussi, ce n'est pas par hasard que le rapport entre filmants et filmes soit radicalement different d'un cinema a l'autre : Rouch l'universitaire europeen filmant des Africains impose dans sa langue francaise sa voix off pour donner sens aux images, Sembene Ousmane l'autodidacte africain filmant des Africains dans leurs langues diverses fait corps avec les siens pour transformer son monde au contact des Autres. Ainsi, il est acteur parmi les acteurs, fondu dans la masse des personnages : ceddo parmi les ceddos dans le film du meme nom ou ecrivain public dans Le Mandat, par exemple (voir photogrammes C1-2).

Ce regard sur Soi dans sa rencontre avec l'Autre (dominant) implique un renversement et un detournement qu'illustre bien Camp de Thiaroye. Plus que dans La Noire de... ou Emitai, dans ce film corealise avec Thierno Faty Sow, Sembene Ousmane fait des observateurs autorises d'antan des objets d'investigation d'aujourd'hui, et s'approprie d'objets emblematiques de l'histoire europeenne pour decrire les siens. D'une part, d'un film, qui au prime abord raconte le retour de la deuxieme guerre mondiale de tirailleurs senegalais, il en fait une critique et une ethnographie fort complexes de l'Armee coloniale francaise, presentant ce corps militaire de la France libre en Afrique dans toutes ses contradictions (24). D'autre part, il s'approprie d'un des symboles les plus populaires du nazisme, le casque SS, le transforme en objet fetiche d'un tirailleur, ex-prisonnier de guerre de Buchenwald, denomme Pays, qui << n'a plus toute sa raison >>, pour reprendre l'expression du sergentchef Diatta, rappelant aux officiels militaires francais qui questionnaient l'origine des sommes d'argent trouvees dans les baraques des tirailleurs, les exploits et souffrances de ces derniers dans la deuxieme grande guerre a laquelle, eux officiers francais de l'Armee coloniale n'ont pas participe (chapitre 5). Par ce detournement d'un symbole honni, il pointe certes l'horreur nazie qui a detraque bien des cerveaux, mais aussi plus largement la folie europeenne (25) En effet, comme en doutait le capitaine Raymond, le seul officier francais a comprendre et soutenir la cause des tirailleurs, le film (comme le contentieux qui l'a inspire) debouchant sur un massacre par l'Armee coloniale francaise d'anciens combattants franco-africains a qui la hierarchie militaire nie le droit a l'egalite -leur refusant leurs << arrieres de solde >>, leur << solde de captivite >>, et << les indemnites >> qui leur sont dus, en plus de leur propre argent de poche confisque--fait basculer la France libre du general de Gaulle dans le camp de la barbarie, rejoignant l'Allemagne nazie qu'elle a combattue au nom de la liberte.

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Bien que le film soit base sur des evenements historiques, reprenant presque, par endroits, le mot a mot des revendications des tirailleurs rapportees en 1983 par un survivant, M. Doudou Diallo, president de la Federation des Anciens Combattants et Prisonniers de Guerre du Senegal >> (26), il n'est pas pour autant toujours fidele aux faits. Il y a une part de transformation ou de distorsion de la memoire historique, en un mot fictionalisation. Sur ce point, Bernard Moitt ecrit justement que le film << brosse un tableau de ce que doit avoir ete la situation dans un camp bouillonnant de tensions, quelques heures seulement avant l'eclatement de la tragedie.... Sembene le cineaste [pouvant] se permettre des libertes et atteindre ce que les historiens ne peuvent pas, dans la mesure ou il peut rendre l'histoire vivante sur l'ecran. >> Et il ajoute entre autres : son << regard perspicace de cineaste >> fait du << symbolisme du camp entoure de fil barbele >> << un moteur dramatique >> (Moitt 1997 : 137).

C'est justement la dramatisation sous forme d'un long proces, qui est confrontation/transformation a la maniere de Ceddo ou d'Emitai, qu'impose le medium filmique qui commande une certaine distorsion, du moins une re-creation des faits. Par exemple : contrairement au temoignage de Doudou Diallo qui affirme << [qu']apres trois sommations, ils [les militaires francais] ont ouvert le feu. D'abord les hommes ont cru qu'ils s'agissaient de cartouches a blanc; mais quand ils ont vu leurs camarades tomber, ils ont compris qu'on leur tirait dessus pour de bon >> (27), dans le film, il n'y a pas de sommation, l'attaque du camp a eu lieu en pleine nuit, par surprise (voir photogrammes D1-2). L'effet sur les spectateurs est immediat et beaucoup plus fort. De voir avancer ces chars d'assaut francais dans la nuit, se doutant qu'un drame est imminent, le bombardement qui suit d'anciens combattants francais desarmes dans leurs lits ne peut que nous bouleverser profondement (chapitre 6). Par ailleurs, dans le film, le general est pris en otage par les tirailleurs. Il est enferme dans une baraque sous la surveillance de Pays qui l'humilie : lui prenant son kepi pour lui tendre une chechia de tirailleur (chapitre 5). C'est la un moment particulierement fort qui se lit comme une replique cinglante a l'insulte faite aux tirailleurs rapatries de leur reprendre uniformes et bottes donnes par l'Armee americaine pour leur imposer des sandales et uniformes de tirailleurs (chapitre 3). Mais selon Diallo, le general a ete seulement << entoure >> par les tirailleurs qui << ne [voulaient] pas le laisser partir tant qu'il ne [leur] aurait pas donne l'assurance que tout serait regle avant [leur] depart. Ce qu'il fit >> (Diallo 1983 : 51). Dans une lettre au president de la Republique francaise en faveur des << prisonniers senegalais condamnes apres les incidents de decembre 1944, au camp de Thiaroye >> datee du 16 mai 1947, le depute du Senegal, L. S. Senghor, donne une version plus ambigue. Il ecrit:<< Sans doute sont-ils [ces tirailleurs] coupables d'acte d'indiscipline en avant retenu prisonnier un general [je souligne] pour appuyer leurs revendications >> (28). Mais cette formule hautement rhetorique dans une demande officielle et publique de pardon laisse place a une grande marge d'interpretation qui fait penser que la version de Diallo est plus proche des faits. Senghor, le poete, qui deja en 1944 faisait l'eloge des tirailleurs assassines dans << Tyaroye >> (Hosties noires) reclamant justice, ne tenait-il pas ici, par une concession strategique a l'histoire officielle, d'amadouer l'autorite francaise pour obtenir l'essentiel, la liberation de ses compatriotes tirailleurs, anciens prisonniers de guerre comme lui (29) ? En fait, peu importe, ce geste decisif et irreverencieux de Pays qui semble avoir ebranle le general, et le pousser, juste apres un plaidoyer d'un tirailleur sur leurs droits (30), a proposer malicieusement (ce qui n'echappe pas a la perspicacite de son << gardien >>) aux tirailleurs de tenir la promesse de les dedommager equitablement comme tout ancien combattant francais est une fiction. Il permet de construire un momentum dramatique, pour bien marquer une transformation radicale des tirailleurs, et un tournant decisif dans l'histoire africaine. Comme le rappelle, juste avant cette sequence, le capitaine Raymond a ces collegues officiers qui sous-estiment la determination des tirailleurs : << les petits noirs de type y'a bon banania, messieurs, c'est termine ! >> (chapitre 5).

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Cette re-creation des faits est partie integrante de la poethique de Sembene Ousmane qui implique un passage dialectique oblige de l'historique au fictif (Emitai, Ceddo), du fait divers a l'historique (La Noire de ...), de l'individuel au collectif (Mandabi, Guelwaar, Moolaade), du prive au politique (Xala), de Soi a l'Autre et vice versa. Comme il l'a explique, entre autres, a propos d'Emitai et de Ceddo, s'il tient a etre authentique et a partir du reel (quotidien ou historique), contrairement au Rouch premiere maniere, avant les ethnofictions, il veut pas dupliquer la realite et encore moins l'archiver. En fait, il l'utilise comme un materiau primaire pour montrer un proces de transformation, et provoquer une discussion qui dans un second temps peut contribuer a engendrer un eveil des consciences et une vraie transformation sociale. Emitai offre un bel exemple de sa maniere de (re)travailler la memoire historique ou l'actualite pour les filmer. D'un geste percu dans la legende comme individuelle, mystique (l'histoire d'An Sitoe), on passe au recit filmique d'un geste collectif (celui des femmes d'un village) (31) lie aux traditions ou a l'histoire certes, mais aussi en rupture avec la doxa. La determination des femmes du village s'inscrit dans une logique de respect et de detournement de deux traditions : celle du role central du riz dont elles ont la charge pour leur monde ; celle de leur (apparent ou pretendu) mutisme traditionnel dans les affaires de la Cite qu'elles utilisent comme une arme contre l'Armee coloniale qui n'arrive pas a les faire flechir meme en les gardant prisonnieres en plein soleil. Elles font corps comme une seule et meme personne dans un geste historique comme le groupe de femmes qui rejoint et soutient Colle Ardo dans son opposition a l'excision dans Moolaade permet le passage d'un acte individuel (prive) a une action collective publique (politique). Il en est de meme dans Xala ou le probleme individuel, sinon intime de l'impuissance sexuelle de El Hadj devient une affaire publique. Tout Dakar parle de sa ruine jusqu'a son expulsion du groupe des hommes d'affaires qui debouche sur sa harangue contre le neo-colonialisme et la corruption des elites a laquelle fera echo a la fin du film le groupe des paysans qui assaille sa villa pour lui signifier l'origine de son xala et lui rappeler comment il avait spolie des terres familiales pour s'enrichir (32).

Dans un renversement dialectique qui lui est propre, Sembene Ousmane fait de cette reunion/confrontation privee, sinon familiale, a la fois une parodie de la mythique crucifixion chretienne, et une replique (sinistre) du cercle de palabre africain. En effet, il place El Hadj, a moitie nu, la couronne blanche de la robe de mariee de sa troisieme epouse, qui venait de lui signifier le divorce pour impuissance, sur le front, perche sur un tabouret au centre de l'assemblee formee d'un cote de sa famille, de l'autre des desherites qui ont envahi sa demeure sous la conduite de l'aveugle, majestueusement debout avec son long baton a la main, commandant de de-biler sur le condamne. Cette scene, par moment insoutenable, n'est pas sans rappeler la ceremonie du chien des Maitres fous de Rouch. Par contre, plutot qu'une catharsis pour les seuls personnages d'un film (comme dans le film de Rouch), elle devient a la maniere des grandes tragedies grecques, resolution, et de celle du cineaste africain, un appel a l'action. Encore une fois, l'appropriation des symboles de l'Autre et des rituels des Siens est dynamique, elle tend a engager au-dela des personnages sur l'ecran une communaute qui s'identifie ou peut s'identifier a eux pour une transformation de leur rapport au Monde.

Une contre-ethnographie, qu'est-ce a dire ?

Le regard sur l'Autre comme le detournement de ses symboles est toujours dialectique, dialogique pour mieux comprendre Soi dans un proces de transformation suite a une crise, qui est prise de conscience de ses rapports aux Mondes, au contact des Autres (d'ici ou d'ailleurs). En effet, contrairement a l'anthropologie classique qui percoit l'Autre (l'observe) comme coupe de Soi (l'observateur), tout a fait etranger et different, sinon inegal dans sa purete de << bon sauvage >> ou d'ethnie originelle pour reprendre une expression de Rouch (33), dans la demarche de Sembene Ousmane, l'Autre ne peut etre percu (observe) qu'en rapport a Soi, et vice versa. C'est un des premiers fondements de la contre-ethnographie que donnent a lire ses films.

L'histoire de Diouna dans La Noire de ... nous est contee parce qu'elle est devenue bonne a tout faire en France, comme les mesaventures d'Ibrahima Dieng dans Mandabi sont avant tout rapportees pour decrire l'absurde d'une administration senegalaise calquee sur la francaise, qui ne tient aucunement compte du pays reel, que Dieng doit affronter pour encaisser un mandat recu d'un neveu de Paris. El Hadj dans Xala represente l'impuissance et la corruption d'une classe politique et economique coupee des realites nationales, a la solde des interets etrangers, mais utilisant les traditions nationales a des fins demagogiques. Par contre, Pierre Henri Thioune dans Guelwaar est le symbole d'une dignite et d'une combativite senegalaises. Il refuse l'aide alimentaire etrangere en denoncant publiquement et vivement les pieges qu'elle recele pour le pays, mais sa mort, plutot son assassinat par les autorites, provoque un autre affrontement entre catholiques et musulmans, deux religions etrangeres en Afrique. Dans Ceddo, l'opposition a la penetration de l'Islam provoque un bouleversement de l'ordre social qui debouche sur l'execution de l'Iman imposteur par la princesse heritiere Dior Yacine qu'il voulait epouser de force. Emitai et Camp de Thiaroye relatent des confrontations historiques entre l'armee coloniale francaise et un village senegalais d'une part, et des tirailleurs revenant de la deuxieme guerre mondiale d'autre part. Le retour des tirailleurs a Thiaroye, comme le village diola d'Emitai, est filme parce qu'il offre un moment de confrontation-transformation dans l'histoire de la colonisation francaise en Afrique. Il ne s'agit pas d'imponderabilia, autrement dit pour paraphraser Malinowski, ces << habitus quotidiens ordinaires >> que les indigenes eux-memes expliquent difficilement (Malinowski 1922 : 25), mais d'evenements historiques, donc fort singuliers, recrees, transformes, pour agir sur le present, pour indiquer ou rappeler des voies d'action, de transformation. C'est une position marxiste, du moins militante, qui est tout le contraire d'une demarche ethnographique classique. Autrement dit, bien qu'il parte toujours du reel ou de faits historiques, le cinema de Sembene Ousmane, qui ne cesse d'insister sur ce point, comme contre-ethnographie, ne tente jamais de reproduire une realite brute a archiver comme dans des documentaires ethnographiques de Rouch (34). C'est une fiction (fondee certes sur des faits authentiques) d'un moment unique de confrontation avec l'Autre qui engendre une transformation pour l'action, le changement. Sur ce point, Eloise Briere a raison de relier l'oeuvre de Sembene Ousmane a la notion de << lieu de memoire >> et d'affirmer, a propos du roman Les Bouts de bois de Dieu, que ce dernier cherche moins a << creer un document historique exact [qu'a offrir] une image d'Africains oeuvrant consciemment pour leur propre liberation >> (Briere 2007 : 141). Une telle assertion peut s'appliquer a tous ses films, notamment ceux inspires de faits historiques, qui sont des appels aux Siens dans leurs langues pour l'action, comme le disent bien les dernieres repliques du facteur (en voix off) a Dieng entoure de ses deux femmes (comme dans un cercle de palabre) dans Mandabi : << Nous changerons le pays.... Toi, les femmes, tes enfants. Nous tous >> (fin du chapitre 5).

C'est la un second fondement de cette contre-ethnographie, mais etroitement, sinon dialectiquement, lie a un troisieme (35) : la necessite de l'action collective. En effet, meme quand au depart le geste est individuel, il se transforme en mouvement social, et n'aboutit que dans l'action collective. L'individu se definissant toujours en rapport a un groupe qui prend sens (notamment pour les spectateurs) a travers des individualites representatives (porte-parole ou non). Pour reussir, sinon survivre, l'individu doit rejoindre un groupe ou etre rejoint par un groupe, non le groupe --l'ensemble social etant toujours fragmente, fissure dans les films qui donnent a voir des strategies d'appartenance ou d'identification, des deplacements d'un groupe a l'autre : Dior Yacine de retour de captivite qui rejoint le camp des ceddos (et est rejointe par eux) dans un renversement narratif qui aboutit a un climax, l'execution de l'Iman. Ce sont ces perturbations ou renversements qui font du recit filmique un objet (esthetique) captivant. Sembene Ousmane les utilise a dessein. Par exemple, Diouana se rappropriant du masque qu'elle avait offert a sa patronne, par ce geste inattendu rejoint son groupe qui, a son tour, se solidarise autour de sa mort pour signifier a Monsieur leur refus de vendre leur ame. En effet, sa mere a Dakar, comme elle avant de se suicider a Antibes, refuse l'argent de Monsieur, et son petit frere ramasse le masque pour poursuivre Monsieur, comme une reappropriation symbolique de l'ethnographie africaine.

Mon hypothese de presenter le cinema de Sembene Ousmane comme ayant partie liee a ethnographie : (double) contre-ethnographie, comme on parle de contre-discours-- ou plus precisement, ce qui n'est qu'une definition minimale : une ethnographie de Soi pour Soi dans ses divers rapports au Monde, sinon ses confrontations avec d'autres (d'ici ou d'ailleurs), dans sa ou ses langue(s) indigene(s) selon ses propres formes d'expression --va a l'encontre de toute une tradition critique du cinema africain. En effet, generalement ses films sont qualifies de realistes, historiques, politiques, militants, loin du cinema ethnographique d'avant les Independances percu comme exotique, colonialiste. Certes, comme je viens de le montrer egalement plus haut, son cinema s'inscrit dans ces divers courants, mais il n'est pas que cela. Il est aussi autre autrement.

En fait, se placant dans une perspective de redefinition de l'image filmique africaine, Sembene Ousmane ne pouvait eviter de revisiter (revoir et reevaluer) ces stereotypes et mythes coloniaux, sinon colonialistes d'une certaine ethnographie, et de son cinema en particulier, pour creer de nouvelles images d'un continent en mouvement. C'est le sens meme de sa question a Rouch en 1965 qu'il convient de rappeler encore une fois : << Est-ce que, lorsqu'il y aura beaucoup de cineastes africains, les cineastes europeens, toi par exemple, comptent continuer a faire des films sur l'Afrique ? >> (Cervoni 1982 : 77), et jusqu'a un certain point, le moteur conscient ou non de sa demarche cinematographique qui fait parfois subtilement echo a Rouch comme dans Camp de Thiaroye qui reprend et le symbole nazi (le casque de Pays) et le coq gaulois (la pancarte du << Coq hardi >>, le bordel ou le sergent-chef Diatta se fait virer parce que Africain) qui se retrouvent dans Mammy Water sur des voiles de pecheurs. On peut aussi voir l'insistance sur le rituel des repas dans Mandabi, ou meme l'egorgement par le marabout du mouton dans Camp de Thiaroye, comme reponse a la ceremonie des chiens dans Les Maitres fous (1954/ 1957). A un autre niveau, soulignons que des remarques de Rouch sur Emitai, reprochant a Sembene Ousmane de n'avoir pas rappele que << [ces] gens [les tirailleurs] ont libere la France malgre les Francais ; il y avait tres peu de Francais, tous les types venaient d'Afrique. Ca pouvait etre dit ! >> (Haffner 1985 : 93), semblent trouver echo dans Camp de Thiaroye quand Diatta rappelle aux officiers francais les prouesses des tirailleurs dans la derniere grande guerre a leur place (chapitre 5). Par contre, il y a un tout autre aspect de ce dialogue cinematographique franco-africain qui semble moins evident, mais tout aussi important : celui d'une certaine influence de Sembene Ousmane sur le cinema de Rouch. En d'autres termes, jusqu'a quel point les films de Rouch apres la << confrontation >> de 1965 font-ils echo aux propos, sinon aux films de Sembene Ousmane ? Par exemple, le Paris de Petit a Petit (1970) ne serait-il pas une contre-replique de celui des Africains de Mandabi (1968)? ou encore Petit a Petit une reponse a La Noire de ... ? Qu'importe les reponses, il reste que Rouch a ete porte du moins une fois a comparer publiquement et candidement sa demarche cinematographique avec celle du Senegalais. A propos de Mandabi, il dit en 1985 : << J'avais dit a Sembene : j'aurais montre dans un de mes films ton gars en train de manger et de roter comme ca, on m'aurait traite de salopard ! Qui regarde l'Africain comme un insecte ! Toi, tu peux le faire, merci ! >> (Haffner 1985 : 91). Il semble donc evident pour lui que du point de vue de la reception du moins, Sembene Ousmane, etant africain, jouit d'un avantage, celui de pouvoir parler des siens sans se faire accuser de tous les noms, et bien sur de faire le tour de son jardin (ethnologique) sans retenu ou presque. Avec un enthousiasme admirateur, il souligne : << Traiter du probleme de l'impuissance sexuelle en Afrique, il faut etre gonfle comme Sembene pour le faire ! C'est pourquoi un iconoclaste comme lui (et dans Ceddo n'en parlons pas) aurait du faire quelque chose dans Emitai sur les heros ! Xala c'est drole, on retrouve le Mandat, et il denonce tout, avec un courage sans home ! Plus que la bureaucratie, la bourgeoisie profiteuse, et il le fait avec un erotisme extraordinaire ! >> (Haffner 1985 : 93).

Aussi, force est de reconnaitre que Sembene Ousmane reprend systematiquement de nombreux objets ou pratiques hautement canoniques ou symboliques des descriptions ou discours ethnographiques sur l'Afrique : de la palabre, confrontation ou confortation, qui se retrouve, sous une forme ou une autre, dans tous les films au griot, chanteur ou conteur, dont la voix hante toutes les bandes sonores. Sur ce point, en conclusion de son memoire sur les cinemas de Rouch et Sembene Ousmane, Charlotte Meyer ecrit : << Les resultats de l'analyse des films Borom sarret et La Noire de ... temoignent bien de la volonte de Sembene d'<< africaniser >> son oeuvre cinematographique. L'esthetique de ces films se manifeste par l'insertion de plusieurs elements de la tradition orale africaine.... On constate en surplus l'importance des objets traditionnels africains significatifs, sinon symboliques >> (Meyer 2005 : 120-121) (36). Cette reappropriation esthetique manifeste de formes d'expression percues comme typiquement africaines est des plus achevees et les plus fortes dans Ceddo et Moolaade par l'usage systemique des griots qui doublent et encadrent en meme temps par leur narration le recit ou le dialogue filmiques. Elle se manifeste egalement par les danses rituelles ou non qui expriment les joies ou les peines d'un individu (Diouana dans La Noire de ... sur les monuments aux morts apres qu'elle ait ete rassuree d'aller en France avec ses patrons) ou d'un groupe (la danse des villageois enterrant leur chef dans Emitai; celle des tirailleurs apres les fausses promesses du general francais a la fin de Camp de Thiaroye).

En effet, d'un film a l'autre, de la place capitale du masque dans La Noire de.... en passant par le ceremonial des repas dans Mandabi, jusqu'aux tambours parlants de Moolaade qui, au debut du film, par personnage-interprete interpose (37) font pour l'auditoire (non initie au langage des tam-tams) le recit de la crise qui frappe la societe --une rupture dans l'equilibre social qui menera a une transformation (profonde) : six filles qui refusent l'excision sont en fuite--, Sembene Ousmane construit une poethique qui recrit le discours ethnographique.

Les exemples sont multiples de ce detournement/recentrement pour Soi et sur Soi qui n'est plus objet fige d'un discours exogene, mais sujet d'un proces de mises en scene de rapports au monde divers, complexes avec des individualites marquees et des groupes non homogenes. Qu'il s'agisse des couteaux des exciseuses jetes au feu ou brulent les radios portatifs devant la mosquee dans Moolaade ou de la longue suite de visites infructueuses de El Hadj aux marabouts et feticheurs a travers le pays dans Xala --dont le titre meme, impuissance temporaire causee par un sort, releve des croyances populaires (38) est tout un programme ethnographique--, Sembene Ousmane fait toujours un usage dynamique, dialogique, dialectique des traditions (quatrieme fondement d'une contre-ethnographie) : rejetant celles jugees desuetes, pronant celles jugees dynamiques, progressives. Un bel exemple de cette dialectique est le combat de Colle contre excision au nom du droit d'asile (le moolaade) qu'elle ne saurait refuser aux jeunes filles qui lui demandent protection dans Moolaade. Toujours dans cette logique de remise en question de traditions percues comme inacceptables ou degradantes, se referant a sa propre experience, Colle Ardo, face a l'assemblee des hommes, rappelle la difference fondamentale entre le couteau qui donne espoir et vie (le bistouri de sa cesarienne) et le couteau qui seme angoisse et mort (celui des exciseuses) au nom d'une tradition qui n'est pas inscrite dans la loi islamique comme l'a annonce le grand Iman a la radio (cette voix qui informe et ouvre sur le monde exterieur). Il appert donc que tout apport etranger n'est pas a rejeter, comme toute tradition ancestrale peut etre reevaluee ou evoluee. C'est le constat que faisait deja des 1977, a partir d'une lecture d'Emitai, Bernard Nave qui ecrivait

Ainsi, si a premiere vue, il s'agit d'un film a la gloire de la femme dans sa determination sans faille, Emitai developpe un propos plus divers et plus complet a la fois. Ce sont les femmes qui tout au long de la lutte ont l'attitude la plus resolue et unanime face a l'armee venue chercher le riz. Elles montrent aux hommes et particulierement aux chefs absorbes dans leurs palabres la voie de la resistance. Mais le film ne saurait se resoudre a cette opposition dans la mesure ou le sens de cette lutte est de montrer comment certaines contradictions sont amenees a se resoudre dans la lutte. Ainsi le theme religieux prend ici une place plus importante que dans les autres films de Sembene Ousmane, dans la mesure ou il ne se contente pas de presenter la religion seulement comme alienantc, mais d'en analyser le role de facon dialectique, a la lumiere de la place qu'elle occupe et du role qu'elle est amenee a jouer face a une realite historique. Avec Emitai', on peut dire qu'il y a une remise en cause de dieux, une interrogation sur leur existence meme, face a leur mutisme dans une situation qui remet en question les structures du groupe social. Sembene Ousmane nous fait sortir d'une vision figee de la religion africaine ou les croyances et les rites seraient des choses immuables et independantes du contexte dans lequel elles existent. 11 nous les presente comme un donne de la tradition populaire, susceptibles d'evoluer et d'etre remises en cause par la vie (Nave 1977 : 35-36).

L'evocation des traditions (rituel, coutume, savoir-faire) n'est jamais gratuite, elle s'inscrit dans une trame narrative, elle concourt a un denouement : une transformation d'une situation initiale vers une finale suite a une perturbation dans l'ordre social ou les rapports entre differents acteurs sociaux. Elle repond a un besoin poethique, donc esthetique et ethique. Plus globalement, on peut dire que Sembene Ousmane ne recourt aux formes dites traditionnelles (patures de l'ethnographie ou de l'anthropologie coloniale ou postcoloniale) que comme maniere non figee en proces de confrontation/transformation (qui fait suite a une crise) dont il reconnait etre partie prenante par sa presence meme discrete comme acteur dans ses films. Pour memoire, rappelons quelques personnages qu'il interprete qui sont loin, par exemple, de l'omnipresence d'un Jean Rouch comme narrateurcommentateur de ses films : maitre d'ecole populaire dans La Noire de ... (chapitre 18), ecrivain public dans Mandabi (chapitre 2), ceddo rebaptise parmi les ceddos lors de la grande conversion forcee sur la place du village dans Ceddo (chapitre 4), le tirailleur dans Emitai qui questionne son sergent sur l'etrangete du remplacement du marechal Petain par le general de Gaulle a la tete de l'Armee francaise (chapitre 3).

De meme, il ne reprend des stereotypes sur la France et les Francais, ou plus largement des icones ou symboles europeens ou occidentaux --tours d'habitation en France dans La Noire de ..., le poster de De Gaulle et la discussion qu'elle entraine dans Emita't, la radio et la tele dans Moolaade, la Tour Eiffel et les balayeurs noirs a Paris dans Mandabi, la chanson << Que reste-t-il de nos amours >> de Charles Trenet dans la scene du bordel de Camp de Thiaroye, faisant du coup un clin d'oeil aux Baisers voles de Truffaut (39), la riviera francaise et le paquebot de croisiere dans La Noire de...., la grande messe catholique de Ceddo-- que pour les deconstruire par un regard africain, irreverencieusement indigene, porte sur eux. Aussi, le traditionnel sujet/observateur jamais observe --dumoins se croyant jamais observe, ou ne relatant que tres rarement, sinon jamais dans son discours (recit ou description ethnographique qui tente de rapporter le particulierement typique d'une societe percue comme homogene et figee dans ses traditions), les questions de l'autre/ indigene sur lui/etranger et encore moins la rencontre de ces deux mondes et les consequences (voir Laplantine et Saillant 2005 : 21-22)-- se retrouve dans ses films objet observe. Pire ou mieux encore, il est juge non dans une langue dominante du Nord mais celle des domines du Sud, Sembene Ousmane a partir de Mandabi, filmant prioritairement en langues africaines. Sur ce point, la belle harangue de Pierre Henri Thioune dit Guelwaar, dans le film homonyme, contre l'aide etrangere qui pietine la dignite des Africains, a laquelle fait echo les propos de sa veuve appuyant des jeunes gens qui, refusant de vivre et de grandir en mendiant, versent sur la route les sacs de nourriture etats-unienne recue des autorites soupconnees d'avoir assassine son mari qu'elle allait inhumer, est exemplaire. On n'est loin de la neutralite et de l'ex-centricite de l'ethnologie ou de l'anthropologie (40) classique qui, dans un rapport inegal, postule une enquete qualitative sur un autre different, du moins percu comme tel, non pour le groupe investigue, mais celui de l'investigateur dans sa langue ou celle de ses commanditaires. Malgre l'integration de bribes de langues indigenes, l'anthropologie partagee de Rouch est presentee en francais comme la << reverse anthropology >> de Manthia Diawara est en anglais (41). En ce seul sens, la contre-anthropologie de Sembene Ousmane est deja radicalement differente. A l'encontre de ces tentatives importantes anterieures ou posterieures d'une ethnographie autre, elle se fait d'abord en langues non europeennes (notamment celles reputees sans savoir), meme quand les dialogues, comme dans Camp de Thiaroye, sont massivement en << francais-tirailleur >>. Ce cinema fictionnel, aucunement documentaire, touchant a la fois divers acteurs de la rencontre (dominants et domines, investigateurs et investigues), se fait avec et pour les domines dans leur langue (generalement des acteurs non professionnels), selon leur mode d'expression, leur sensibilite et leur capacite de comprehension. Aussi, compte tenu des defis linguistiques propres au sous-continent africain avec ses 2000 langues indigenes, et de la volonte du cineaste senegalais de tourner pour toute l'Afrique, cette oeuvre est plutot differente des experiences cinematographiques militantes latino-americaines des annees 1960-1970 comme celles de Jorge Sanjines ou Fernando Solanas, par exemple, bien qu'elles se recoupent par endroits (42).

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Intentions poietiques et realites esthesiques : des limites de la voie filmique

Le lecteur attentif l'a surement percu, l'analyse qui precede se construit principalement sur deux ordres de discours, l'un poietique, l'autre esthesique (au sens que donnent a ces termes Jean Molino 1988) : des propos des cineastes sur leurs oeuvres ; des analyses de leurs productions. Dans le cas des films de Sembene Ousmane qui nous interessent au premier chef, cette critique est generalement exogene, du moins se fait hors du continent africain (meme quand elle est d'Africains de naissance ou d'adoption), comme les premieres des films qui ont lieu generalement a l'etranger dans le cadre de festivals internationaux. Un film comme Ceddo a meme ete interdit au Senegal pendant des annees (43), L'Empire Songhai (son premier et seul film entierement produit par un etat africain, le Mali) n'a jamais ete diffuse, des doutes memes subsistent sur son existence (44). Par ailleurs, les sous-titrages des films sont en langues europeennes : francais et anglais principalement, donc nullement disponible pour l'Africain qui ne maitrise ni l'une des trois ou quatre langues indigenes de ses films, ni le francais ou l'anglais. D'autre part, les droits de diffusion sont detenus par des firmes etrangeres (anglo-americaine et francaise) soit, jusqu'a sa faillite recente, New Yorker Films pour les USA, la Mediatheque des Trois Mondes pour la France, ses deux plus gros marches institutionnels du moins. Pourtant le cineaste senegalais pretend vouloir parler a son peuple qui, pour lui, deborde les frontieres de son pays pour englober au moins toute l'Afrique au sud du Sahara. Comment y parvient-il ? That is the question t. Selon Charlotte Meyer, par exemple, reprenant des donnees qui remontent aux annees 1960, la reponse est plutot negative. Elle conclut son memoire, affirmant

... Il veut faire un cinema pour les Africains hors de toute influence europeenne --qui montre une image reelle de l'Afrique, qui evoque des sujets africains contemporains et qui reflete, par son esthetique cinematographique africaine inspiree de la narration traditionnelle, les specificites culturelles de l'Afrique.... Neanmoins, il importe de noter que la realite du cinema d'Afrique noire est tout autre : il n'a pas d'audience hors d'une certaine clientele (qui est souvent europeenne), il n'est pas finance par l'Afrique(comme l'aurait voulu Sembene) et, a cause des problemes de distribution, les films ne sont montres que rarement en Afrique meme. Notons aussi la rarete des salles (en 1963, une demie-place pour 100 habitants) et leur faible frequentation par la population. En bref, malgre les efforts de Sembene, la plupart des films projetes sur les ecrans africains restent des films etrangers (Meyer 2005 : 120).

De prime abord, ma propre experience nord-americaine avec des etudiants africains (de familles riches ou non) me pousse a pencher dans la meme direction. En effet, sauf rares exceptions, ces jeunes africains ignorent meme le nom Sembene Ousmane ou Ousmane Sembene qui, lui-meme, rappelait a Cannes en 2005 que le << cinema en Afrique connait de graves problemes. De production : il y a peu de films, mais surtout de diffusion : personne n'y voit nos propres films. Le manque de distribution des films africains sur notre propre continent est un grave handicap >> (Sembene Ousmane 2007 : 198). Il n'est donc pas etonnant que les etudiants africains (ou d'origine africaine) a l'etranger soient tres peu interesses a leur cinema en general, qu'on les voit rarement, sinon jamais de leur propre chef, dans les rencontres sur cette production. Toujours sur un autre plan proprement africain, la comedienne Therese M'bissine Diop (aussi connue sous le nom de M'bissine Therese Diop qui apparait au generique de La Noire de..), rappelant avec une certaine amertume, quarante ans plus tard, l'ostracisme qu'elle a subi tant de sa famille immediate, notamment sa mere, que de parents et voisins d'avoir joue dans ce film, donne a penser qu'une bonne part de la population senegalaise, du moins dans un premier temps, n'a pas vu d'un bon oeil l'emergence d'un cinema senegalais fait par des Senegalais (voir Coulpier et Senthiles 2008) (45).

Jean-Pierre Bekolo dans son film Le Complot d'Aristote/ Aristotle's Plot (1996) semble donner une reponse plus ou moins similaire dans sa fable d'un cineaste africain en Afrique, Essemba Tourneur, dont le prenom est l'anagramme de Sembene, et un nom de famille, Tourneur, rappelle le retournement opere par Ousmane Sembene pour se donner un nom d'auteur. D'autre part, le synopsis du film diffuse sur le site de << France Diplomatie >>, qui est fort probablement de Bekolo, condense une histoire qui pourrait etre celle du regrette aine des anciens. En effet, cette fable --un << cineaste maudit chasse d'Europe [qui] rentre au pays [pour decouvrir] avec stupeur que la vieille salle de cinema est litteralement occupee par une bande de jeunes malfrats dirigee par un africain surnomme "Cinema" qui consomme a longueur de vie des films americains >>-- n'est pas sans rappeler le retour de l'ecrivain Sembene Ousmane au Senegal pour constater qu'il etait inconnu chez lui. Par ailleurs, n'est-ce pas aussi son combat que celui d'Essemba Tourneur qui << decide de recuperer les lieux pour y projeter des films africains >> ? Et l'ultime victoire (a la Pyrrhus sans doute) de ce dernier dont les << villageois ... adorent >> les films africains que leur projette la gang de << Cinema >>, << la mort dans l'ame >> (46), renvoie jusqu'a un certain point aux tournees de Sembene Ousmane avec ses films a travers le Senegal. Par ailleurs, sans le dire explicitement, dans un entretien avec Olivier Barlet, Bekolo laisse entendre que son film se fait bien en reference au Senegalais, sinon contre lui. En effet, a la question, << Pourquoi avoir choisi Aristote ? >>, il repond longuement :
   Quand on m'a demande de faire un film sur le cinema africain pour
   le centenaire du cinema, c'etait deja contradictoire. De plus, les
   autres realisateurs etaient des grands, comme Scorcese, Bertolucci,
   Godard, Frears ... et moi, je n'etais personne.... Je me suis donc
   demande ce qu'etait le cinema moderne : raconter des histoires !
   Dans les stages de scenario, la premiere personne citee est
   Aristote : << une bonne histoire doit susciter la crainte et la
   pitie >>. J'ai donc relu La Poetique, base de tous les recits
   occidentaux. C'est la que se fait la difference avec l'Afrique.
   L'humour et la derision s'averent une force culturelle interessante
   pour le cinema. La comedie affirme Dieu en soi-meme, une capacite
   de resolution interne des problemes, alors que la tragedie, comme
   la religion chretienne, place Dieu a l'exterieur de l'individu. En
   Afrique, les gens ont Dieu en eux-memes. Mais lorsque Sembene
   Ousmane filme l'Afrique, il la situe dans la tragedie ! Cette
   generation a voulu faire ce qu'on lui avait appris. Bien sur, on
   utilise un langage mais l'outil cinema permet d'autres
   possibilites. C'est le sujet du film ; il ne donne pas de recettes,
   il ne dit pas comment il faut faire " il ne fait qu'en parler.


Puis en reponse a une seconde question, il ajoute :
   ... je m'identifie a tres peu de films africains ! Ce qui
   m'interesserait, ce serait une certaine attitude face au monde. Je
   trouve grave de voir a Cannes des films africains qui fuient la
   realite africaine actuelle ; ce sont des films aseptises. On ne
   peut pretendre exprimer quoi que ce soit si l'on a pas pense notre
   relation au monde moderne [je souligne] (47).


Les commentaires de Bekolo nous ramenent a une question fondamentale qui se pose peu ouvertement : << Qu'est ce qu'un filin africain ? >> Je l'ai abordee a l'hiver 2009 dans un seminaire avec trois etudiants nord-americains, deux Europeennes (dont une Francaise) et une Africaine (Senegambienne), malgre les limites de l'echantillon, les resultats sont assez evidents et significatifs. L'Afrique urbaine ou urbanisee des films comme Madame Brouette de Moussa Sene Absa (2004) ou Quartier Mozart de Bekolo (1992) est percue moins africaine, sinon non africaine, comme celle coloniale et militarisee de Camp de Thiaroye, par exemple. Par ailleurs, pour les etudiants de tous les films du questionnaire, Moolaade est le plus africain (abordant, selon eux, 5 sur 6 des problemes distinctement africains) ; puis viennent dans l'ordre decroissant Mandabi (dont les principaux personnages sont authentiquement africains) et Madame Brouette. Quant a Quartier Mozart, ils l'ont percu a la limite peu africain, comme le sergent-chef Diatta de Camp de Thiaroye (qui ecoute la musique classique, le jazz, lit des auteurs francais), pour quatre d'entre eux, n'est presque plus africain. De la discussion, il semblait se degager une vision plutot stereotypee de l'Afrique --rurale ou illetree, sinon sauvage, aucunement urbanisee ou modernisee. Est-ce la ce que Bekolo tend a denoncer ou ne fait-il qu'exprimer un conflit generationnel, sinon national ou de classe ? La petite bourgeoisie africaine --du moins un segment de cette classe urbanisee, ceux d'apres les Independances, contrairement aux ruraux et a la generation des Independances-- ne se retrouve pas, a tort ou a raison, dans ces images du pays profond ou d'antan, plutot << folkloriques >> ou << non modernes >> pour eux. Au-dela de l'interet de villageois africains ou d'etudiants etrangers pour le cinema du regrette aines des anciens, il faut reconnaitre les reussites de son entreprise artistique. De mobiliser tout un village senegalais pour le tournage d'Emitai, ou burkinabe pour celui de Moolaade, de reunir des comediens de toute l'Afrique de l'Ouest pour Camp de Thiaroye, ce sont des succes incontestables pour l'emergence d'une cinematographie africaine populaire (au-dela des frontieres nationales, ethniques ou linguistiques). S'il y a des ratages sur le plan de la reception nationale ou pari-africaine, malgre la Fespaco et Carthage, il reste que sur le plan regional et international, son oeuvre a trouve une audience exceptionnelle. En effet, qu'un film d'un jeune cineaste africain (commandite par le British Film Institute pour le centenaire du cinema) prenne pour reference cette production pour parler de cinema est bien signe de la fortune extraordinaire de Sembene Ousmane qui a su aussi trouver une place, a cote des plus grands cineastes encore vivants, dans Les Lecons de cinema du Festival de Cannes (48).

S'il ne parle pas directement a tous les Africains --il est evidemment qu'un cineaste n'arrive jamais a parler a tout un continent--, il parle fortement aux artisans du cinema africain. Il est la voix incontournable, le passage oblige a contester ou a suivre, comme en fait foi leurs temoignages dans Reference Sembene (2002), un documentaire de Yacouba Traore sur le tournage de Moolaade, ou encore les films d'un Bekolo ou Moussa Sene Absa qui, a divers niveaux, notamment par le questionnement de leur rapport aux cinemas occidentaux et africains (probleme plus que cher a Sembene Ousmane tant dans sa vie que dans ses films) font manifestement echo a sa poethique. N'est-ce pas le comble du succes d'etre a la fois cineaste de cineastes (africains), et cineaste des habitants d'un village des plus recules du pays profond africain ?

Bio-biliographie & Filmographie annotees de Sembene Ousmane (1923-2007)

[Notez les changements de frequences et de formes de production avant et apres les independances africaines (1960); avant et apres les premiers longs metrages (1966)]

1956, Le Docker noir [roman]. Paris, Debresse.

1957, O Pays, mon beau peuple! [roman]. Paris, Le Livre contemporain/ Amiot Dumont.

1960, Les Bouts de bois de Dieu : BanG Mam Yall [roman]. Paris, Le Livre contemporain/ Amiot Dumont.

1960. Independances africaines.

1961. Sembene Ousmane quitte la France ou il vivait depuis la fin de la Deuxieme Guerre mondiale, et retourne en Afrique.

1962. Etudes cinematographiques au Studio Gorki a Moscou.

Pour rejoindre son peuple ; passage de l'ecrit a l 'ecran, du roman a la nouvelle, recours au wolof ou au francais africain comme langue des titres.

1962, Voltaique [nouvelles]. Paris, Presence africaine (dernieres editions, apres le film, La Noire de ... : Voltaique/ La Noire de ..).

1963. Sembene Ousmane realise ses premiers films, deux courts metrages: L 'Empire Songhai et Borom Sarret (premier film africain presente a un festival international, Prix de la premiere oeuvre au Festival de Tours).

1964. Il sort son premier moyen metrage : Niaye.

1964, L'Harmattan. Livre I ." Referendum [roman]. Paris, Presence africaine, 299 p. (Partie d'un plus large projet jamais termine, un seul volume publie)

1965, Vehi-Ciosane ou Blanche Genese suivi du Mandat [nouvelles]. Paris, Presence africaine. (dernieres editions, apres le film, Mandabi: Le Mandat, precede de Vehi-Ciosane).

1966. Premier long metrage realise par Sembene Ousmane, mais diffuse comme moyen metrage, La Noire de ... [Prix Jean-Vigo, Tamit d'or, Carthage], et son premier grand succes cinematographique. Le film a ete presente dans divers festivals de films dont le prestigieux Festival de Cannes. Depuis, il est de plus en plus implique dans la production cinematographique: Mandabi (1968) [Prix special du jury Venise] ; Taaw (1970) ; Emitai (1971) ; Xala (1974) ; Ceddo (1976); Camp de Thiaroye (1988 --co-realisateur Thierno Faty Sow) ; Guelwaar (1992) ; Faat-Kine (2000) ; Moolaade (2004).

1968. Mandabi, un premier film en wolof (qui existe aussi en version originale titree, Le Mandat).

Pour mieux rejoindre son peuple: passage du francais au wolof ou d'autres langues africaines, dans les titres notamment des films, mais aussi des livres avec deux exceptions notoires Le Mandat (terme inexistant en woloj), et Le Dernier de l'Empire (fort probablement un vieux projet). Par ailleurs, en mettant entre parentheses Niaye (1964), version filmique de Vehi-Ciosane (1965), il faut souligner un certain renversement dans le rapport Ecrit/ Ecran ; desormais des films sont produits avant la publication de leurs livres eponymes Taaw (1970) ; Guelwaar (1993).

1973. Xala [roman]. Paris, Presence africaine.

1981. Le Dernier de l'Empire (roman senegalais). Paris, L'Harmattan, 2 vol.

1987. Niiwam, suivi de Taaw [nouvelles]. Paris, L'Harmattan.

1996. Guelwaar [roman]. Paris, Presence africaine.

Plusieurs livres et films tant en anglais qu 'en francais sont entierement consacres a l 'oeuvre de Sembene Ousmane. Parmi eux on peut souligner :

a) Livres

Vieyra, Paulin Soumanou, 1972, Ousmane Sembene cineaste : premiere periode, 1962-1971, Paris, Presence africaine [autre titre : Sembene Ousmane cineaste].

Pfaff, Francoise, 1984, The Cinema of Ousmane Sembene. Wesport, Greewood Press.

Gadjigo, Samba et al., 1993, Ousmane Sembene. Dialogues with Critics and Writers. Amherst, University of Massachusetts Press.

Nzabatsinda, Anthere, 1996, Normes linguistiques et ecriture africaine chez Ousmane Sembene. Toronto, editions du Gref.

Diagne, Ismaila, 2004, Les Societes africaines au miroir de Sembene Ousmane. Paris, L'Harmattan.

Gadjigo, Samba, 2007, Ousmane Sembene, une conscience africaine. Genese d'un destin hors du commun. Paris, Homnispheres.

Bush, Annett et Max Annas (dir.), 2008, Ousmane Sembene Interviews. Jackson, University Press of Mississipi.

b) Films

Reference Sembene de Yacouba Traore (2002)

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Jean Jonassaint

Syracuse University

(1.) Ce n'est qu'apres la redaction de la version definitive de cet article que j'ai eu connaissance de ces propos du cineaste qui semblent bien valider l'analyse de son Luvre comme contre-ethnographie. Pour memoire, il m'a semble opportun de les citer integralement.

(2.) Je tiens grandement a remercier Catherine Benoit qui m'a permis, entre autres, de mieux cerner les enjeux de l'anthropologie d'hier et d'aujourd'hui. Sans nos discussions parfois vives sur ces questions, cet article serait fort different. Je voudrais egalement remercier Francine Saillant qui m'a invite et incite a relever ce premier defi de publier un article sur l'ethnographie et le cinema de Sembene Ousmane. Je dois aussi remercier les divers etudiants qui, au cours des annees, ont assiste a mes seminaires sur le cinema africain a Duke University et a Syracuse University : leurs questions, leurs reflexions, leurs travaux m'ont si souvent eclaire sur les enjeux d'une cinematographie africaine. Je dois un remerciement tout special a Isabella Arezzo de la Bird Libray de Syracuse University pour l'aide genereuse qu'elle m'a apportee au cours de la redaction de cet article, mettant sans reserve a ma disposition les DVDs des films qu'il me fallait. Au-dela de cette derniere, ma gratitude va a tout un personnel de cette institution, plus specifiquement celui du pret inter-bibliotheque qui sans relache m'aide a trouver les titres les plus rares. Un grand merci au professeur Joseph Miller et a mes collegues du NEH Summer Seminar de 2009 de la Virginia Foundation for the Humanities, << Roots : African Dimensions of the History and Cultures of the Americas >>, plus particulierement C.R.D. Halisi et Shannon Rose Riley qui m'ont chaleureusement accueilli ; et au National Endowment for the Humanities pour le support financier qu'il m'a donne pour la recherche et la redaction de cet article. Enfin, Je suis infiniment reconnaissant a M. Alain Sembene pour m'avoir autorise a publier des photogrammes de films de son pere, a mon collegue et ami Samba Gadjigo pour son aide inestimable.

(3.) Pour faciliter le reperage des scenes, plutot qu'un minutage precis qui me semble trop technique, je donne simplement le chapitre ou elles se trouvent sur les DVDs visionnes. Tous les films de Sembene Ousmane sont analyses a partir de DVDs edites par la Mediatheque des 3 Mondes (Paris, 2002), sauf les analyses de La Noire de... et de Moolaade qui se font respectivement a partir de l'edition de New Yorker Films (New York, 2005) diffuse sous le titre de Black Girl ; et Les Films Seville (Montreal, 2005). Quant aux films de Rouch, ils sont tous du coffret Jean Rouch, Le Geste cinematographique des Editions Montparnasse (Paris, 2005).

(4.) Comme le rappelle, entre autres, Faye Ginsburg (2005), ces premiers films doivent etre distingues des ethnofictions ou docufictions comme La Pyramide humaine (1961) ou Petit a petit (1970), par exemple.

(5.) Voir Monique Martineau, Yvonne Mignot-Lefebvre, Guy Hennebelle et Andre Paquet 1982.

(6.) Voir Sembene Ousmane qui affirme : << Mais toujours est-il que c'est au contact des autres qu'on se forme. Meme si l'on peut etre cruellement, mortellement, decu >> (2007 : 196).

(7.) Voir le catalogue en ligne de la BNF (consulte le 9 aout 2009) a : http://catalogue.bnf.frservletautorite? ID=11924383&idNoeud=1.1&host=catalogue.

(8.) Par exemple, pour le meme titre, God's Bits of Wood (la traduction anglaise de Les Bouts de bois de Dieu par Francis Price), publie la meme annee (1970), par le meme editeur (Heinemann), nous avons deux entrees avec de noms differents : << Sembene, Ousmane >> et << OUSMANE, Sembene >> [sic]. Il en est de meme des editions francaises de Niiwan (Presence africaine 1987 et 2001) qui sont listees sous des noms d'auteur differents, respectivement, << Sembene, Ousmane >> et << Ousmane, Sembene >> (sans les capitales a Ousmane).

(9.) L'edition francaise de O pays, mon beau peuple !publiee par Presses Pocket en 1975 presente aussi une incongruite plus ou moins similaire. En effet, en premiere et quatrieme de couverture, nous lisons << Ousmane Sembene >>, mais << Sembene Ousmane >> [sic] en page titre.

(10.) Par exemple, Martin Bestman (1974) dans un compte rendu pour une revue universitaire quebecoise, titre l'ouvrage et son texte << Sembene Ousmane cineaste >>. Samba Gadjigo egalement des annees plus tard sur son site Web consacre a << Ousmane Sembene, Senegal's most admired film maker of the century >>, liste l'ouvrage de Vieyra sous le titre de << Sembene Ousmane cineaste >> --voir, Critical Works <http://www.mtholyoke.edu/courses/sgadjigo/page30/page30.html>. Par contre, la Bibliotheque nationale de France, comme le catalogue en ligne WorldCat, donne comme titre, Ousmane Sembene cineaste : premiere periode 1962-1971.

(11.) Voir l'introduction a Vehi Ciosane ou Blanche-Genese ou il explique pourquoi il a ecrit cette histoire d'inceste malgre l'opposition de ses confreres africains qui y voient une arme entre les mains des ennemis de l'Afrique ; voir Sembene Ousmane 1965: 15-17.

(12.) En fait, bien que fonde sur des faits historiques, il y a dans Ceddo une imprecision voulue sur le temps de l'histoire qui se traduit parfois par l'anachronisme de certains objets du film : le parasol du Roi, les fusils des protagonistes entre autres. Sur ce point, dans une entrevue avec Guy Hennebelle, le realisateur affirme : << Le film est situe au XVIIe ou XVIIIe siecle, mais il n'est pas exactement date. J'ai surtout voulu que ce soit un film de reflexion, afin que nous, Africains, ayons le courage d'essayer de reflechir sur notre propre histoire et les elements que nous avons recus de l'exterieur et que nous cessions de faire des films pour pleurer sur notre misere ou solliciter la condescendance des autres >> (Hennebelle 1985 : 29). Pour une analyse detaillee des rapports de Ceddo a l'histoire (officielle ou non), voir Mamadou Diouf 1997.

(13.) Pour une vue globale rapide sur la production de Sembene Ousmane, voir sa bibliographie et filmographie en annexe. Pour des resumes de ses Luvres et extraits de ses films, voir le site Web du professeur Samba Gadjigo, << Ousmane Sembene, Senegal's most admired filmmaker of the century >> : <http://www.mtholyoke.edu/courses/sgadjigo/index.html>.

(14.) A noter, bien que ce roman soit jusqu'a un certain point de l'ordre de l'autobiographique, le vol de manuscrit qu'il rapporte ne semble pas fonder sur la biographie de l'auteur. Dans les faits, selon Samba Gadjigo, notre ecrivain a plutot beneficie de l'aide genereuse de camarades francais dont Odette Arouh qui corrigeait son manuscrit a mesure qu'il avancait dans sa redaction. D'ailleurs, ce roman, comme son second, O pays, mon beau peuple(1957) est dedie, entre autres, a << Odette >> --voir Gadjigo (2007 : 224).

(15.) Voir l'article de Tine (1985), d'ou je reprends en partie des elements biographiques et analytiques sur la vie et l'oeuvre romanesque de Sembene Ousmane.

(16.) La Noire de ... bien que produit comme un long metrage de 90 minutes, pour eviter des tracasseries administratives, a ete commercialise comme un moyen metrage de 60 minutes. Sur cette question, voir Guy Hennebelle (2008 : 9).

(17.) Pour memoire, rappelons entre autres que 1958 est l'annee du Referendum sur les colonies francaises d'Afrique (28 septembre), donc qui marque la fin de l'Union francaise (1946-1958), annonce les Independances a venir en 1960, et a inspire a Sernbene Ousmane, l'un de ses grands romans, L'Harmattan. Referendum. Certes, c'est aussi du point de vue de l'histoire de la France metropolitaine, la naissance de la Ve Republique, mais ce n'est la qu'un point secondaire pour notre propos.

(18.) Cette comparaison de la nouvelle, << La Noire de ... >> avec le film qui en est tire bien qu'elle recoupe par endroits celle deja classique de Francoise Pfaff, << Black Girl (1966) : From Text to Film >>, dans The Cinema of Ousmane Sembene, A Pionner of African Film (1984), s'en ecarte nettement tant dans le choix des scenes que la finalite de l'analyse. Par ailleurs, il convient de noter qu'une premiere version plus developpee de cette analyse comparative a beneficie de mes echanges avec la professeure Nicoletta Pireddu qui m'avait invite a donner une conference sur les << Noire de ... de Sembene Ousmane >> a son seminaire de litterature comparee a Georgetown University, le 2 decembre 1998.

(19.) Il existe deux versions de ce film, l'un en francais, Le Mandat, l'autre en wolof, titre, Mandabi. C'est cette derniere version qui est la plus diffusee et la mieux connue. C'est egalement elle que nous analysons, bien que nous la nommons parfois par commodite improprement, Le Mandat. A noter, selon Samba Gadjigo (entretien telephonique du 19 septembre 2009), que le projet de film a precede le roman, mais des problemes de financement ont pousse Sembene Ousmane a completer et publier le roman d'abord.

(20.) Ici manifestement, le film, comme la nouvelle d'ailleurs, prend le contre-pied des conventions qui font des domestiques des sans noms en prenommant la bonne, Diouna, et en taisant systematiquement les noms de ses patrons qui tombent dans l'anonymat de ceux reduits a leur fonction.

(21.) Bien que l'on sache, pour reprendre une formule de Michel lzard que << plus ou moins a son insu, l'ethnologue est observe, juge, jauge >> (voir lzard 2007 : 474), generalement, il me semble que cette parole autre n'est pas retransmise dans le discours ethnographique classique. Meme des films de Jean Rouch comme La Pyramide humaine (1961) ou Petit a petit (1970), qui donnent voix a des Africains sur l'Europe et les Europeens en general, ne vont pas jusqu'a juger Rouch, lui-meme comme observateur, qui tout compte fait dans ses docufictions ethnographiques ou ethnofictions avait, comme realisateur, le dernier mot.

(22.) Il importe de rappeler que l'un des tout premiers films de Sembene Ousmane, ironiquement jamais diffuse, sinon inacheve, porte sur l'Empire Songhai dont Rouch a longuement etudie notamment dans sa grande these d'ethnologie publiee en 1960.

(23.) Dans ce meme numero de CinemA<<tion, Roucb donne une entrevue a Pierre Haffner, ou il parle de son amitie avec le Senegalais et son admiration pour certains de ses films (voir: Haffner 1985). Sembene Ousmane aussi a evoque publiquement son amitie avec Rouch, mais c'etait chaque fois pour signaler du meme souffle qu'il << n'aimait pas ses films >> qui ne << lui convenaient pas >> ou pour rejeter son cinema-verite (voir entre autres Annett Bush et Max Annas 2008 : 16, 23, 48, 58 ; des entrevues de 1969 et 1971 avec Guy Hennebelle, celles de 1972 avec Peary et McGilligan). Par ailleurs, selon Samba Gadjigo (entretien telephonique du 19 septembre 2009), lors de sa lecon de cinema au Festival de Cannes (15 mai 2005), Sembene Ousmane aurait reconnu, entre autres, l'importance du cinema de Rouch pour sa demarche. Mais il n'y a aucune reference a Rouch dans le texte de la << lecon >> publie dans Les Lecons de cinema, edition etablie par Antoine de Baeque (2007 : 193-200). Par contre, il reconnait ses dettes entre autres envers les cineastes Chaplin, De Sica, Truffaut, et le critique Georges Sadoul qui lui a permis d'aller etudier le cinema a Moscou, et affirme d'entree de jeu etre << devenu celui par qui les images de l'Afrique sont arrivees en Europe >>. Comment nier plus categoriquement le travail de Rouch ? Cela dit, la complexite de la relation Sembene/ Rouch meriterait plus de recherches qui manquent singulierement.

(24.) A titre d'exemples, citons les contradictions entre l'Armee francaise et ses allies americains de qui elle depend a divers niveaux ; entre les officiers de la coloniale et le capitaine Raymond de l'Armee de la France libre ; entre les officiers francais (coloniaux ou non) et les tirailleurs senegalais ; entre deux anciens combattants fiancais, le capitaine Raymond et le tirailleur, sergentchef Diatta ; entre les veterans tirailleurs rapatries a Thiaroye et les tirailleurs locaux.

(25.) Un autre detournement creatif important dans le film qui n'est pas aborde ici, c'est l'usage du << francais-tirailleur >>. Sur ce point voir l'article en ligne de Cecile Van den Avenne (2008) qui soutient en conclusion que << le francaistirailleur fictionnel envahit le film, il devient la nomlc a l'aune de laquelle les autres varietes vont etre mesurees en terme d'ecart (et notamment la variete litteraire hypercorrccte du sergent-chef Diatta). Des lors il perd tout pouvoir de stigmatisation de ses locuteurs. Un renversement s'est opere >>.

(26.) Diallo, << L'aube tragique du l er decembre 1944 a Thiaroye (Senegal) >>, Afrique histoire 7 (1983), 49-51 ; article reproduit dans le dossier du DVD de Camp de Thiaroye fait par la Mediatheque des 3 Mondes.

(27.) Cette version des faits survenus a Thiaroye a l'aube du 1er decembre 1944 est plus ou moins la meme que celle de l'historien Myron Echenberg que cite Bernard Moitt (1997 " 136-137).

(28.) Voir << Intervention de L. S. Senghor en faveur des condamnes de Thiaroye >>, une lettre de Leopold Sedar Senghor publiee dans Reveil 215 (12 juin 1947), reproduite dans le dossier du DVD de Camp de Thiaroye fait par la Mediatheque des 3 Mondes.

(29.) Dans un article sur des reecritures de l'histoire coloniale par des createurs africains, Eloise A. Briere fait une toute autre lecture du reseau transtextuel evident entre le film de Sembene Ousmane et le poeme de Senghor. Elle ecrit : << On peut concevoir ce film comme faisant partie d'un reseau memoriel alternatif au discours senghorien, premier a evoquer, des 1940, les Tirailleurs de la Deuxieme Guerre >> (Briere 2007 : 144). A mon avis, les rapports entre Sembene Ousmane et Senghor ne sont ni aussi tranches ni aussi simples. Il y aurait toute une recherche a faire sur les echos de l'oeuvre senghorienne dans celle de Sembene Ousmane, du << Guelowar >>/<< Guelwaar >> au << Tyaroye >>/ << Thiaroye >> que les deux invoquent a la << femme noire >> et << les tirailleurs senegalais >> que les deux ont chante a leur maniere en passant par la polemique pretendument << orthographique >> qui les a oppose au sujet de Ceddo.

(30.) Sur ce plaidoyer en francais-tirailleur, voir l'analyse de Van den Avenne (2008 : 119).

(31.) Sur le processus d'ecriture d'Emitai, voir Guy Hennebelle 1985 : 27-28, et Paulin Soumanou Vieyra 1972 : 123-140, qui donne en details le contenu du scenario original. Sur An Sitoe, plus connu comme Aline Sitoe Diatta ou Aliin Sitoe Diatta avec ses variantes orthographiques Aliin Sitooye Diatta ou Jatta, voir Wilmetta J. Toliver-Diallo 2005.

(32.) Dans une note du 30 septembre 2009 sur une version de ce texte, Samba Gadjigo me signalait le caractere nettement historique de la prise de la direction de la Chambre de commerce par des Senegalais sur laquelle s'ouvre Xala, de meme que le caractere autobiographique des reproches faits a El Hadj par l'assemblee des mendiants. Ce telescopage d'une histoire collective et d'une histoire personnelle se retrouve aussi dans Camp de Thiarove notamment. C'est la sans doute une forme de la contre-ethnographie et de lapoethique de Sembene Ousmane qui meriterait d'etre plus amplement etudiee. Par ailleurs, sur l'importance capitale de l'histoire et de l'historiographie dans son oeuvre, voir Gadjigo 2004.

(33.) Suite a une question de Guy Hennebelle qui rappelait qu'on accuse le << cinema ethnographique >> d'entretenir << une nostalgie secrete pour le bon sauvage >>, Rouch repond sans hesitation : << Mais c'est vrai ! C'est vrai ! Rousseau nous a tous marques. Nous sommes tous a la recherche de notre ethnie originelle >> (Martineau et al. 1982 : 170). Il est evident que cette quete d'exotisme (ou de l'Autre) qui caracterise toute une ethnographie classique n'a rien a voir avec la demarche de Sembene Ousmane qui porte sur la crise qu'engendre une rencontre de Soi avec d'Autres dans un proces de transformation. En ce sens, elle est d'emblee contre-ethnographique. Nous sommes loin de la demarche classique d'un Malinowski qui veut s'eloigner des siens pour mieux comprendre l'Autre que tend encore a enseigner meme aujourd'hui une certaine ethnologie ; voir Karen O'Reilly 2005 : chapitre 1.

(34.) Selon Faye Ginsburg (1996: 835), Rouch a realise plus de 120 films, aussi importe-t-il de rappeler que ce commentaire porte avant tout sur les documentaires cites ici, non sur l'ensemble de sa production qui est difficilement accessible, et surtout comprend au moins de grands types de films, des documentaires proprement dits, et des docu-fictions ou ethnofictions.

(35.) Ce classement numerique n'implique aucunement une hierarchisation. Il est donne pour faciliter la lecture.

(36.) Au passage, il importe de souligner que suivant en ce sens une tradition critique bien instituee, Meyer ne voit point le cinema de Sembene Ousmane, comme je le soutiens ici, un cinema ayant partie liee a l'ethnographique. Par ailleurs, les exemples qu'elle donne comme caracteristiques de la << tradition orale africaine >> (<< la structure lineaire des recits, une certaine dialectique entre le protagoniste et l'antagoniste, le caractere de l'escroc ainsi que la quete ou l'aventure >>) sont loin d'etre exclusivement ou meme proprement africains.

(37.) Il importe de noter que c'est la premiere epouse du mari de Colle qui demande a son mari d'interpreter le message des tam-tams comme si elle ne savait pas deja, du moins intuitivement, de quoi il en retournait. Dans Emitai; il y a une scene plus ou moins similaire, mais il semble evident que l'officier francais qui demande au sergent tirailleur de lui interpreter les tare-tares annoncant la nomination du nouveau chef ne se doute point du contenu de ce message typiquement africain. Ici, il est manifeste que le recours a l'interprete est aussi un rappel de l'ethnologue questionnant son informateur (chapitre 3).

(38.) Avec l'excision (au centre du Moolaade), les croyances traditionnelles dites superstitieuses sont les champs privilegies des discours occidentaux ethnographiques ou non sur l'Afrique. Oubliant leur propres marquages/ marchandages des corps, de la vogue des tatouages a la chirurgie plastique en passant par l'industrie de l'augmentation du volume des organes sexuels, le Nord en general ne cesse de gloser sur ces pratiques africaines. Sembene Ousmane les rejette, certes, mais c'est de maniere respectueuse dans un souci de transformation sociale et non d'une hantise du refus des pratiques de l'Autre percues comme sauvages, primitives.

(39.) Il y a plusieurs references explicites au cinema ou a des cineastes dans les films de Sembene Ousmane, voir entre autres : le petit garcon jouant a Zorro dans La Noire de ... (chapitre 12) ; les affiches entre autres de Charlie Chaplin et du Mandat dans Xala (chapitre 3) ; l'affiche du Corbeau de Henri-Georges Clouzot dans Camp de Thiaroye (chapitre 2)--voir photogrammes E1-2. La presence de cette derniere affiche, comme toutes les autres, est motivee. Elle renvoie fort probablement a une certaine collaboration francaise avec le fascisme, notamment dans les colonies : Le Corbeau etant l'histoire d'une serie de denonciations (par lettres anonymes). Il convient aussi de rappeler qu'a cause de ce film produit par une compagnie allemande etablie en France, Continental Films, Clouzot a ete accuse d'etre un collaborateur. C'est justement le reproche du sergent-chef Diatta a l'Armee coloniale francaise en Afrique, lui qui, quelques jours avant avait vu l'annonce du film sur un trottoir de Dakar, juste avant de se faire virer d'un bordel, parce que << bougnoule >>. En fait, on pourrait meme extrapoler et dire avec Paulin Soumanou Vieyra--qui cite a titre d'exemple : << le chapelet >> dans Borom Sarret ; le << mandat >> dans le film eponyme ; le << masque >> dans La Noire de ... ; le << pantalon >> dans Taw--que les objets dans les films de Sembene Ousmane, peu importe leur nature, << sont significatifs quand ils ne sont pas symboliques >> (Vieyra 1972 : 155).

(40.) La similitude ici etablie entre ethnologie et anthropologie, bien que contestee ou contestable, est assez instituee, du moins dans l'espace francophone. Elle se retrouve sous la plume de plusieurs auteurs fort representatifs de la profession de Michel Izard qui soutient : << l'ethnographie intervient ... dans la premiere etape du travail anthropologique >> a Francois Laplantine et Francine Saillant qui ecrivent << l'anthropologie ... est d'abord ethnographie >> (voir Izard 2007 : 470 ; Laplantine et Saillant 2005 : 21). Par ailleurs, il importe de rappeler que notre propos concerne avant tout l'ethnologie/ethnographie moderne dite classique, celle instituee entre autres dans la foulee des travaux d'un Malinowski qui fait du << terrain >>, autrement dit le sejour prolonge dans la societe autre a decrire, une etape incontournable de la recherche (voir Izard 2007 et O'Reilly 2005 : chapitre 1).

(41.) Voir Manthia Diawara, Rouch in Reverse [video] (San Francisco: California Newsreel, 1995).

(42.) Pour un regard de premiere main sur ces cinemas latino-americains, voir entre autres: Fernando Solanas 1975; Jean Jonassaint 1978.

(43.) Selon Mamadou Diouf, dans une note fort judicieuse sur l'interdiction du film au Senegal, ce n'est que cinq ans apres sa sortie en 1981, suite a la demission du president Senghor, que Ceddo a pu etre presente au public senegalais-- voir Diouf (1997 : 20, note 2).

(44.) Voir entre autres Pierre Haffner qui dit : << cet Empire Songhai, ... on ne sait pas tres bien s'il est acheve ... >> (Haffner 1985 : 88).

(45.) Par ailleurs, comme me le signalait Samba Gadjigo dans un courriel en date du 30 septembre 2009, il importe de noter qu'une autre lecture possible soit que le veritable probleme rencontre par Therese M'bissine Diop, releve de << l'ostracisme contre le metier de comedien qui est le plus souvent associe aux castes dites inferieures. >>

(46.) Voir France Diplomatie, Le Complot d'Aristote de Jean-Pierre Bekolo a http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/actions-france_830/cinema_886/ aidesproduction_5622/films-aides_5623/films-aides-par-fonds-sud_5624/ cameroun_7113/complot-aristote_7178/index.html.

(47.) Voir Entretien d'Olivier Barlet avec Jean-Pierre Bekolo (Cameroun) a propos du Complot d'Aristote, Africultures (juin 1997) en ligne a http:// www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=2477.

(48.) Voir Les Lecons de cinema (de Beaque 2007), avec entre autres des textes de Youssef Chahine, Milos Forman, Stephen Frears, Nanni Moretti, Sydney Pollack, Francesco Rosi, Volker Schlondorff, Oliver Stone, Bertrand Tavernier, Agnes Varda, Wim Wenders, Wong Kar Wai.
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