Les Autochtones dans le Quebec post-confederal (1867-1960).
Roussel, Valerie
Les Autochtones dans le Quebec post-confederal (1867-1960). Par
Claude Gelinas. (Sillery, Septentrion, 2007, Pp264, ISBN 2-89448-499-2)
Dans Les Autochtones dans le Quebec post-confederal, Claude Gelinas
part en quelque sorte a la recherche des autochtones des annees
post-confederales, voulant notamment trouver une explication a
l'absence des peuples amerindiens dans les ecrits de l'epoque.
Des historiens et chercheurs, dont l'ethnologue Marius Barbeau, au
debut du vingtieme siecle, considerent que l'extinction des peuples
autochtones est imminente. Au lendemain de la confederation, la creation
de lois afin que les Autochtones evoluent a l'interieur d'une
legislation federale contraignante, la Loi sur les Indiens, place ces
derniers dans une situation economique precaire. Exclus de la
trajectoire socio-economique et historique du Quebec et soumis aux
mesures d'entraide du Canada, les Autochtones ne sont plus percus
que sous les traits d'etres depourvus de moyens pour assurer leur
survie. Puis, un renversement de la situation survient. Au lendemain de
la crise economique des annees 1930, l'Amerindien reapparait dans
les discours humanistes et constitue desormais un sujet de curiosite,
voire le modele de l'individu opprime aux yeux des defenseurs des
droits humains.
Personne n'aurait tort d'etre sceptique quant au fait que
les Autochtones aient pu disparaitre entierement de la sphere politique
et culturelle entre 1867 et 1960. En effet, qu'en est-il de la
participation des Autochtones dans les debats de societe durant cette
epoque qui a vu passer plusieurs evenements marquants ? La recherche
entreprise par Gelinas sur la presence amerindienne dans
l'historiographie demontrera combien les Premieres Nations ont
souvent denonce certaines situations et reclame que les gouvernements
reconsiderent les lois qui ont affecte la realite economique et
culturelle en place avant l'arrivee des colons europeens, realite
dont les Autochtones semblaient jusqu'alors s'etre accommodes.
Claude Gelinas dresse en cinq chapitres le portrait des Autochtones
du Quebec durant la periode post-confederale. Peuples dont
l'existence et les ambitions sont mises a l'ecart par les
ideologies de l'elite intellectuelle de l'epoque et de
l'Eglise, leur refus d'evoluer sous la tutelle d'une
autorite etrangere accentuera tout au long de leur histoire cette
<< invisibilite >>. Tandis qu'on trouve au premier
chapitre les donnees demographiques, economiques et territoriales qui
viendront en partie alimenter l'expose de Gelinas tout le long de
l'ouvrage, dans le second chapitre, l'auteur s'interroge
sur la maniere dont la promotion des differentes ideologies par les
intellectuels et les religieux a contribue a marginaliser directement et
indirectement les Autochtones a la fin du dix-neuvieme siecle et au
debut du vingtieme. Il presente ensuite au chapitre trois la
transformation qui s'opere durant les annees 1930 dans
l'imaginaire de la societe a propos de l'Autochtone, lequel
est redecouvert sous les traits d'un individu opprime dont les
droits sont a defendre et a debattre publiquement. Pour les Premieres
Nations, le defi devient celui de preserver leurs traditions et leurs
acquis. C'est ce dont il est question au chapitre quatre, ou
l'on comprend mieux les motivations des Autochtones a preferer
certaines mesures d'assimilation et a en refuser d'autres.
Plusieurs graphiques sont exposes dans le premier chapitre, ou
l'auteur presente l'evolution de differentes donnees
sociologiques, parmi lesquelles se trouve le profil demographique de
chaque Nation, pour l'epoque etudiee. Des la seconde moitie du
dix-neuvieme siecle, le statut d'<< Indien >> est
defini. C'est sur la base de la definition de 1876 que seront
effectues dans les annees a venir les recensements. Etudiant les
statistiques disponibles concernant les Autochtones, Gelinas cherche a
etablir des liens entre certains facteurs sociaux, economiques et
naturels, et les fluctuations demographiques. Par exemple, en 1880, un
declin demographique survient chez les Montagnais, puis les Attikameks
et les Algonquins, alors que la colonisation s'accelere dans le
Moyen-Nord et apporte son lot d'epidemies.
Claude Gelinas aborde dans le premier chapitre un sujet a la base
de plusieurs revendications autochtones contemporaines, la distribution
des terres au fil du temps ainsi que les droits accordes aux Autochtones
dans l'utilisation de leur territoire. Bien que les autochtones
soient confines dans leurs reserves et que toute possibilite de
maintenir leur reseau commercial soit compromise par les lois du
gouvernement federal, les autorites politiques canadiennes expriment
publiquement depuis 1859 leur volonte d'amener les Amerindiens a se
<< meler aux blancs >>, comme elles le disent alors
elles-memes. Toutefois, ce ne sera pas avant la fin de la Seconde Guerre
mondiale que l'objectif d'emanciper les Autochtones commencera
reellement a se realiser, le gouvernement sombrant durant pres de
quatre-vingts ans dans un processus de reglement au cas par cas des
problemes occasionnes par la presence autochtone.
Gelinas degage trois grandes phases dans la politique du
gouvernement federal a l'egard des Autochtones du Quebec. De 1870
jusqu'a la Premiere Guerre Mondiale, il a ete parallelement
question d'une politique d'assimilation et d'une
politique d'emancipation economique des Amerindiens. A partir de
1920, l'administration des Affaires indiennes s'est faite de
maniere passive, le gouvernement se contentant de prendre des decisions
ad hoc et de maintenir chez les Amerindiens le statu quo. Apres la
Deuxieme Guerre, la politique amerindienne a pris un tournant beaucoup plus humaniste. Une plus grande connaissance des droits humains et la
reconnaissance de la participation des Autochtones a l'effort de
guerre durant les deux guerres mondiales ont rendu la population
critique a l'egard de la politique menee a l'encontre des
Autochtones du Canada. Cette nouvelle attitude conduira a
l'obtention du droit de vote au federal en 1960 puis au provincial
en 1969.
L'elite intellectuelle du Quebec post-confederal depeignait la
realite historique des Autochtones selon ses propres assises,
c'est-a-dire faire la promotion de la specificite culturelle du
Canada francais en l'opposant a ce qui l'entourait : les
anglophones, les immigrants et les Autochtones. C'est ce que
Gelinas demontre dans le second chapitre, ou il s'interesse
particulierement a plusieurs historiens, dont les recherches et ecrits
prouvent a quel point, durant la premiere moitie du vingtieme siecle,
l'ideologie dominante marquait la construction et la promotion de
l'histoire du Quebec, et ce, meme s'il s'agissait
d'auteurs apprecies par leurs contemporains. L'histoire a
longtemps ete le vehicule de l'autopromotion catholique, du
nationalisme canadien-francais, des conflits avec les Anglais et de la
depreciation de l'image des Autochtones au profit des Canadiens
francais.
Entre le milieu du dix-neuvieme siecle et 1930, les Autochtones ont
donc ete mis en marge de la trajectoire historique du Quebec. Mais apres
1930, avec l'abandon chez les intellectuels du darwinisme social et
des autres theories evolutionnistes, on assiste a une refonte du
discours a propos des Autochtones. L'opinion publique a leur egard
se transforme, s'impregnant de militantisme des les annees 1950.
Les mauvaises conditions socio-economiques dans lesquelles se
retrouvaient les Autochtones etaient desormais denoncees par les
non-autochtones. L'auteur dresse donc au troisieme chapitre,
intitule << De l'enfant mourant au bon sauvage >>, un
historique de l'evolution du discours sur les Autochtones. Ces
derniers, vus comme condamnes a disparaitre depuis la <<
decouverte >> de l'Amerique -- puisqu'ils possedent des
moyens bien trop restreints, dit-on, pour rivaliser avec les
non-autochtones -- eveillent desormais la curiosite des chercheurs et de
la societe en general.
La population euro-quebecoise devenue plus consciente -- et
conscientisee -- de la realite autochtone, l'enjeu de ces derniers
est maintenant de preserver leurs traditions et leurs acquis plutot que
de souscrire aux mesures federales d'emancipation allant a
l'encontre de leur souverainete politique. L'echec du
gouvernement a assurer materiellement le fonctionnement de ses propres
mesures d'assimilation lui fera perdre de la credibilite, certes,
mais la volonte des Autochtones de ne pas renier leur propre identite
est a la base du refus de s'emanciper, quelle que soit
l'offre. Eventuellement cependant, celle du gouvernement de prendre
en charge l'education des enfants sera vue par certaines familles
comme l'opportunite d'avoir une descendance en mesure de vivre
selon les nouvelles orientations economiques du Quebec, le commerce de
la fourrure connaissant un declin et la chasse devenant difficile a
pratiquer durant les annees 1930 et 1940.
Apres la crise des annees 1930, les communautes autochtones sont
quasi unanimes dans leur motivation a integrer la societe nationale
ainsi qu'a exercer pleinement les droits qui peuvent leur etre
concedes, mais ils desirent a la fois preserver leur authenticite
culturelle et identitaire. Evidemment, certains individus sont plus
attires que d'autres par les avantages que peuvent apporter une
pleine comprehension de meme qu'une pleine utilisation des moyens
offerts par la societe nationale. Le caractere individualiste des
Autochtones, qui, fondamentalement, favorisent la liberte individuelle
lorsqu'il ne s'agit pas de besoins prioritaires pour la
collectivite, sera donc tout aussi determinant de l'aspect que
prennent concretement les rapports entre Autochtones et non-autochtones.
Les differentes communautes autochtones n'ont jamais constitue une
seule societe. Une nation, une communaute, une famille ou meme un seul
individu pouvait avoir son opinion a l'egard des modalites
d'integration a la societe nationale. Enfin, comme l'economie
des Autochtones a subi des hauts et des bas au cours du siecle dernier,
la motivation est demeuree davantage ponctuelle que generalisee. En
somme, et il en sera question au chapitre cinq, c'est apres la
grande crise de 1930 que les Amerindiens ont integre plus definitivement
le cycle de dependance envers les gouvernements. Si l'economie de
chacune des communautes n'a pas connu le meme sort avant 1930 --
certains territoires subissant plus que d'autres les contraintes de
l'acceleration de la colonisation et de la chasse sportive, par
exemple -- les possibilites etaient desormais limitees pour les
Autochtones de vivre de la chasse et de la vente de fourrure. Ces
derniers allaient donc dependre du travail salarie. Cependant, de plus
en plus, le secteur economique et la vie sociale etaient pris en charge
par les fonctionnaires des Affaires Indiennes a un moment ou le travail
salarie permettait pourtant de jouir d'une certaine independance
vis a vis du gouvernement, particulierement dans les annees 1940. Apres
quatre-vingts annees a resister par leurs propres moyens aux mesures
d'emancipation offertes par le gouvernement et a preserver leur
capacite d'autodetermination en tant que collectivites distinctes,
les Autochtones allaient devenir une categorie juridico-administrative
distincte.
Dans ce livre, Claude Gelinas fait bien plus que reformuler
objectivement l'histoire des Amerindiens du Quebec post-confederal,
il amene le lecteur a reflechir aux strategies utilisees historiquement
par les autorites afin de controler l'existence aussi bien
culturelle qu'identitaire d'une minorite ethnique.
Valerie Roussel
Universite Laval