Ethnographie du monde numerique ou comment faire du terrain dans le (meilleur des mondes)?
Jewsiewicki, Bogumil ; Pastinelli, Madeleine
Notre monde est-il numerique ? (Simon 2000)
Interroge a l'improviste, l'homme de la rue
caracteriserait probablement Internet par sa rapidite, comme vient de le
faire Alain Madelin. Pour cet homme politique francais en vue, qui se
veut a la page, l'univers des communications electroniques est un
nouveau monde ou ce ne sont pas les gros qui triomphent des petits, ce
sont les rapides contre les lents (Le Monde, 2-3 juillet 2000).
Plusieurs annees auparavant, Paul Virilio ecrivait deja que La realite
de l'information est toute entiere contenue dans sa vitesse de
propagation . L'homme numerique (Negroponte 1995), qui succede a
l'Homo sapiens sapiens, serait donc tout d'abord caracterise
par la vitesse de traitement de l'information peu importe son
contenu. La fameuse formule d'Einstein, E=mc2, serait-elle le
nouveau, le vrai nom de l'espece que la selection naturelle, qui
opere a l'avantage des rapides, est en train d'engendrer ?
La prediction d'une nouvelle epoque, voire d'un nouvel
age de l'humanite apparaissant avec les nouveaux moyens de
collecter, de traiter et de transmettre l'information date
d'il y a au moins un demi-siecle (Wiener 1948). Elle inspire
indirectement un groupe de sociologues americains qui predisent, dans
les annees 1950, la fin de l'ideologie qui caracteriserait la
societe postindustrielle de democratie participative, l'ere de
l'information ou du savoir, le monde administre par une communaute
de la science (Bell 2000). Auparavant, James Burnham (1941) avait
envisage la convergence des modules capitaliste et communiste au sein
d'une managerial society. Moins de trois decennies plus tard,
Zbignew Brzezinski (1969) a annonce l'avenement de la premiere
societe globale dominee par la communication. Enfin, 25 ans apres lui,
le vice-president des Etats-Unis, Al Gore, a annonce l'avenement de
l'age global de la nouvelle famille humaine et, un an plus tard, en
1995, les pays les plus industrialises du monde, les membres du G7, ont
endosse la notion de societe globale de l'information .
L'autosatisfaction des Etats-Unis est alors a son comble, puisque
la societe americaine, toujours ouverte a la circulation de
l'information et donc soucieuse d'en developper les moyens,
beneficie de l'avantage de l' information edge (Nye & Owen
1996). Sa victoire sur le systeme sovietique y avait trouve son arme. Le
nouvel age qui s'ouvrirait devant nous ne serait plus celui de la
fin de l'ideologie et de l'histoire, mais bien celui de leur
renaissance, vient d'ecrire Daniel Bell (2000) dans la preface a la
nouvelle edition de son livre de 1962. La symetrie de cette ideologie
liberale avec l'ideologie communiste, au moins quant au degre de
l'autosatisfaction, est frappante mais nullement cachee ; le
sous-titre du fameux livre de Walt Rostow (1960), The Stages of Economic
Growth, n'etait-il pas A Non-Communist Manifesto ?
Circonscrire l'insaisissable
Comme c'est d'habitude le cas sar le terrain du marche
liberal -- et cela ne dement nullement le principe de Darwin --, dans
l'espace electronique, c'est l'entrepreneur, dont
c'est le terrain, qui en saisit le mieux les regles.
L'intellectuel ne semble voir qu'un arbre, lui coupant la vue,
la ou importe la foret (Costigan 1999 : xvii), il en est autrement
lorsqu'il s'agit du chercheur converti en entrepreneur.
C'est le cas de Thomas Middlelhoff qui dirige Bertelsmann,
troisieme conglomerat mondial dans le domaine des medias. Dans les
annees 1980, sa these de doctorat portait deja sur le commerce
electronique. Le monde des affaires a compris avant les chercheurs et
les hommes politiques que la vitesse est certes un formidable atout de
l'informatique, mais la vitesse sans le contenu ne peut etre vendue
et le contenu sans consommateur represente peu d'interet ; au moins
du point de vue du profit. Le recent achat de Time Warner par AOL a bien
illustre l'importance du contenu ; la recente prise de controle du
delinquant Napster par la respectable Bertelsmann (BMG) vise
l'exploitation commerciale de l'immense potentiel que presente
Internet pour creer, maintenir et surtout connecter les communautes
virtuelles (pour la definition du terme dans la tradition philosophique
occidentale voit Esposito 2000) fortes de dizaines de millions ... Et
c'est la que le chercheur trebuche a nouveau, cette fois-ci sur la
difficulte de qualifier ceux qui font partie d'une telle
communaute. Prenons encore l'exemple de Napster : accusee
actuellement de complicite dans le piratage des droits d'auteur, en
un peu plus d'un an, grace a un logiciel de partage des fichiers
musicaux, l'entreprise a vu se developper un ensemble de plus de 60
millions d'adherents fideles. S'agit-il d'une communaute
? Appelons-la e-communaute pour eviter toute confusion avec, par
exemple, celle qui se reunit dans une eglise ou celle que forment les
habitants d'un village. Les internautes qui se branchent
regulierement a Napster lui sont-ils fideles uniquement dans la mesure
ou l'echange de musique peut s'y faire gratuitement et
facilement ? Sont-ils prets a partager, a cette occasion, autre chose :
une cause politique, de l'information sur une autre question que la
musique a y copier, etc. ? Le pari de Bertelsmann, partage par plusieurs
autres dirigeants d'entreprises, est que cette e-communaute
constitue potentiellement un marche pour le livre, pour l'image,
peut-etre pour des idees, un marche qui pourrait un jour etre vendu pour
de la propagande electorale, etc.
Il nous est impossible de nous prononcer sur ces paris commerciaux,
mais ils attirent notre attention sur deux questions majeures concernant
Internet et, de facon plus generale, en ce qui a trait a la
communication diffusee et traitee par voie electronique. Dans cet
espace, la vitesse ne constitue que le moyen permettant la constitution
de communautes de taille et de duree variable qui coupent a travers les
frontieres de toutes les natures. C'est l'individu entrant
dans une telle communaute qui construit lui-meme son identite, en dehors des contraintes traditionnelles de sexe, de race, d'age et,
partiellement, de milieu social(1). Ces communautes n'ont aucun
moyen (en ont-elles la pretention ?) de revendiquer l'exclusivite
d'appartenance de leurs membres puisque, a condition d'avoir
du temps et de l'imagination, chacun peut se construire autant
d'identites qu'il est capable d'imaginer et de gerer.
Cependant, nul ne sait aujourd'hui quel peut etre l'impact de
ces communautes virtuelles sur le comportement civique ou politique de
l'individu en dehors de l'univers virtuel, celui des echanges
electroniques. Au moins jusqu'a present, c'est toujours un
citoyen qui va a son bureau de vote afin d'y deposer un bulletin.
Tient-il deja compte de son appartenance a des e-communautes, des
echanges tenus dans les groupes ou des textes consultes dans le Web ?
Selon l'enquete originale, bien que tres limitee, que Tessy Bakary
a menee sur une experience de vote en ligne au Senegal et dont il
presente ici les resultats, il semble que ce ne soit pas encore le cas.
Philippe Lejeune (2000) vient de nous livrer, en imprime seulement,
son recit de voyage dans l'univers du journal intime et de
l'autobiographie en ligne (pour les interesses, a visiter par
exemple www.onelist.com/messages/journal) alors que Daniel Scheidermann
livre, dans un carnet de voyage, des impressions sur ses excursions dans
le cyberespace, parues d'abord sous forme de chroniques dans Le
Monde. Aujourd'hui, alors qu'Internet est connu du grand
public depuis moins d'une dizaine d'annees(2), l'espace
du cybermonde est deja l'objet des premiers recits de voyage,
connait ses propres explorateurs, y compris des Kurtz de Conrad pris de
vertige du pouvoir qui tentent d'eriger des royaumes imaginaires. A
quand l'ethnographie de ces univers virtuels(3), une ethnographie
de ces cyberpays qu'on peut visiter a n'importe quelle heure,
meme si, pour y entrer, il faut d'abord cliquer sur une case de
demande de visa. Les adeptes de l'e-politique, de
l'e-souverainete et de l'e-ONU batissent des nations que le
surfeur curieux peut visiter a www.aericanempire.com, a
www.republic-of-lomar.org ou encore a www.sealand.gov.com, etc.
L'e-vote vient d'etre experimente aux Etats-Unis comme
alternative au depot en personne d'un bulletin de vote.
Changera-t-il le comportement electoral ? Verrons-nous voter plutot un
cybermembre d'une e-communaute a la place du citoyen en chaire et
en os ? Quels interets defend-il en cliquant sur une case ? Sont-ils les
memes que lorsqu'il cochait a l'aide d'un crayon ?
Difficile de repondre pour l'instant, mais, quoiqu'il en soit,
on peut deja soupconner que par les effets de contraction du temps et de
l'espace qui y sont associes, Internet risque de transformer des
aspects importants de l'organisation sociale, politique et
economique. Ainsi, [c]ertains logiciels permettent d'automatiser la
lecture de documents et d'en gerer le flux, sans que les salaries
puissent intervenir, tandis que les reseaux, eux, permettent de
s'emanciper des lieux geographiques (Bulard 2000 : 24), en
consequence de quoi le volume de travail s'accroit et la
proletarisation des classes moyennes s'accentue (Cascino 1999). Par
ailleurs, Internet a deja rendu possible la syndicalisation de
travailleurs qui auraient ete trop disperses geographiquement pour
pouvoir former une organisation de type traditionnel. Dans la meme
foulse, en avril 1999, les salaries d'Elf, a Pau en France,
mobilisent les confreres expatries et organisent une greve en reseau alors que, en 2000, la direction d'IBM recule devant une revolte de
ses salaries qui l'inondent de courriers electroniques. Ainsi, face
a l'e-exploitation et a l'e-proletarisation naissent les
cyberluttes syndicales.
Dans les limites de l'introduction de ce numero, l'aspect
le plus important est cette puissante (quoique tres inegale) capacite
d'Internet de donner lieu a des communautes electroniques, des
groupes d'adherents qui sont caracterises par une appartenance
reposant toujours sur des objectifs et des moeurs specifiques, mais
n'impliquant jamais l'exclusivite de l'engagement des
personnes sociales et politiques. Cette forme d'appartenance sans
engagement exclusif est tres attrayante pour qui veut se liberer de
certaines contraintes sociales. Sans vouloir banaliser le phenomene, on
peut par exemple se demander si ce qui semble etre une veritable
epidemie de pedophilie dans Internet n'est pas accentue par
l'apparente gratuite des multiples appartenances. Peut-etre que
plusieurs visiteurs, voire createurs, des sites de cette pornographie
n'auraient jamais envisage de telles pratiques dans le monde reel.
Dans l'e-monde, les memes gestes leur semblent peut-etre sans
consequence, puisque aucun enfant reel ne parait implique, Lenfant, le
desir n'existeraient pas hors de ce quasi-reve et on se dit sans
doute que personne ne peut etre tenu responsable de ses reves.
L'Etat sanctionne la pedophilie, mais pas la violence. Un meurtre
dans Internet, dans un jeu video, non seulement n'est pas un crime,
mais est socialement considere comme appartenant au domaine du loisir !
Que dire alors d'un etudiant d'histoire qui prend pour adresse
electronique hitler@hotmail.com ? Faut-il refuser de repondre aux
messages expedies d'une telle adresse, refuser de communiquer avec
cette e-personne ou considerer qu'il s'agisse d'une farce
de mauvais gout d'adolescent attarde ?
Margaret Wertheim propose une comparaison entre l'utopie
chretienne du paradis et celle du cyberespace, que les enthousiastes,
selon elle, saluent comme un lieu ou le moi se trouve libere des limites
de l'incarnation physique (1997 : 296). Clarisse Herrenschmidt
ajoute qu' Internet diffuse une spiritualite particuliere, et
l'on peut lire souvent, dans des contextes assez differents, que
les internautes vivent une "transcendance horizontale",
typifient une "humanite reconciliee avec elle-meme" et
distribuent a leurs contemporains non connectes la bonne nouvelle (2000
: 111). Elle conclut en prevenant le lecteur : Gardons-nous de sourire
[...] Une transformation qui touche aux signes dont [chacun] a
l'habitude, atteint tous les aspects de sa vie et les idees
qu'il s'en fait, les brise et les recompose (Herrenschmidt
2000). Les canaux de bavardage prosperent en partie a cause de
l'utopie decoulant de l'ecriture reticulaire, dans laquelle le
message peut joindre plusieurs destinataires simultanement, ce qui
produit l'illusion d' un vrai salon de tous les coins du monde
(Herrenschmidt 2000 : 109) ou circule une ecriture de la conversation.
Cet espace sans frontieres et sans contraintes, dans lequel on entre et
duquel on sort quand et comme on veut, est non seulement toujours
disponible, mais peut aussi etre transgresse en tout temps afin de
produire des rencontres dans le monde dit reel .
Certaines recherches et experiences suggerent que le but final de
frequentation d'une e-communaute est le retour au monde des etres
en chaire et en os, qui ne peuvent ni ne veulent echapper aux marqueurs
traditionnels de leur identite : sexe, age, preferences
d'apparence, etc. C'est par exemple le cas d'une analyse
qui se trouve etre la lointaine origine de ce projet de publication, un
article de Madeleine Pastinelli (1999), coredactrice de ce numero, sur
sa propre experience de frequentation d'un reseau de bavardage
electronique. Elle affirmait en conclusion que la rencontre en
face-a-face est l'aboutissement de toute relation de bavardage qui
se prolonge, cette rencontre ne mettant pas necessairement fin a la
participation active au bavardage electronique. Un travail collectif
d'analyse des listes de diffusion, des forums et des sites Web
crees pour appuyer les combats politiques au Burundi, au Congo et au
Kosovo a ete inspire par cette premiere exploration et a constitue la
seconde phase de la demarche qui a conduit a la production de ce numero
special. Linteret particulier s'est alors deplace vers
l'utilisation du passe (pas necessairement celui de la societe
concernee) pour impregner de sens l'information fournie en ligne et
orienter les membres des e-communautes vers des actions a entreprendre
dans le monde hors ligne. Les reactions tres positives des participants
au colloque Lieux de memoire, politiques de la memoire et avenir de
l'histoire , tenu a Quebec en 1999 en hommage a Pierre Nora,
vis-a-vis de la presentation de ces communications (elles sont a
l'origine des articles de Tristan Landry, de Barnabe Ndarishikanye
et de Madeleine Pastinelli), nous ont encourages a poursuivre,
conduisant au present dossier qui beneficie de la chaleureuse
hospitalite de la revue Ethnologies.
Malgre le caractere heterogene de ce numero, les articles et les
notes de recherche rassembles ici sont loin de former un tour
d'horizon complet du champ de recherche qui s'est ouvert avec
l'avenement d'Internet. Au mieux, ce numero et les
explorations qu'il renferme constitue une sorte de breche, une
invitation a la recherche. Notre vif espoir est de faire naitre ainsi
plus d'interet pour l'ethnographie du e-monde, en particulier
pour l'e-sociabilite, un phenomene qui a le principal merite non
seulement d'etre autour de nous mais de plus en plus aussi
d'etre au coeur meme du monde qui est le notre. L'e-monde
participe de plus en plus du monde que nous avons encore l'habitude
d'appeler le monde reel . Jadis, on avait l'habitude de
restreindre le monde reel, celui qui comptait pour l'avenir de
l'humanite, a un territoire socialement et politiquement tres
limite, soit l'Occident bourgeois, l'univers victorien.
L'ethnographie, l'ethnologie, l'anthropologie
exploraient, expliquaient, exhibaient ces autres univers (exotique,
paysan, plus tard ouvrier), mondes en retard sur le progres, condamnes a
terme a disparaitre. D'une certaine maniere, la vitesse, si on
l'assimile au progres, appartenait au premier monde, le
caracterisait. Aujourd'hui, on semble en faire une caracteristique
de l'e-monde. Qui alors fera desormais l'ethnographie de qui ?
Les cybernautes du monde jadis dit reel ou les citoyens de ce monde,
peut-etre en passe de devenir des dinosaures, du seul monde vrai ,
l'univers virtuel ? La dichotomisation a la vie dure, au moins en
sciences sociales. Ne serait-il pas possible d'apprehender Internet
comme outil d'etre dans le monde, un outil certes nouveau et, dans
ce sens, susceptible de transformer la maniere d'etre dans le
monde, mais qui ne le remplacera pas pour autant ? A ce titre, la
comparaison avec l'imprime que propose Baptiste Campion dans ce
numero nous semble productive, puisqu'elle force a banaliser la
nouveaute.
S'il est possible de caracteriser Internet par trois elements
: vitesse, adaptation du contenu et communaute des passeurs (4), une
combinaison secrete que les hommes d'affaires ont decouverte sans
en prevenir les chercheurs, il est evident qu'on ne comprendra pas
son univers ni ses rapports avec le monde hors ligne sans les analyser
tous ensemble. Ce numero est une tres modeste proposition allant dans ce
sens ; il nous semble trop ambitieux de parler deja de contribution.
Puisque l'histoire ne se repete jamais autrement que dans la
perception nostalgique du present, dont l'horizon d'attente
est enchaine a la structure narrative du recit, il est dangereux
d'affirmer que cette revolution a deja eu lieu. En evoquant
l'invention de l'imprimerie, nous n'avons pas
l'intention de pretendre que l'impact de l'informatique
serait de meme nature. Neanmoins, sans necessairement y voir une
relation de cause a effet, la contemporaneite de plusieurs
transformations profondes des societes occidentales et de la diffusion
de l'imprime suggere de porter une attention particuliere a la
contemporaneite de la diffusion de la circulation electronique de
l'information et des profonds changements du monde actuel. Meme si
nous laissons de cote la fausse question de la poule et de l'oeuf,
celle de l'anteriorite d'Internet ou de la globalisation des
mouvements sociaux, de l'economie, du crime, ou de l'ampleur
inedite du phenomene migratoire generant des diasporas fieres de
l'etre, leur contemporaneite nous interpelle.
L'e-reel revolution
Recemment, dans un magazine plutot conservateur et tres influent aux Etats-Unis, on annonsait : Liberal Arts post-docs need a web site
too. The New Republic is now on line ([Politics/Books &
Arts/Cyberspace] New York Review of Books, 2 novembre 2000 : 63). De
l'avis de plusieurs, l'e-edition, est une revolution en
devenir (Epstein 2000). PricewaterhouseCoopers, cite par Publishers
Weekly, prevoyait meme, avant l'effondrement recent des titres
d'ecommerce (voir The Industry Standard,
www.thestandard.com/article/display), que le livre electronique prenne
un quart du marche du livre vers 2004. Les premieres tentatives, qui
consistent en distribution en ligne du texte ecrit que le consommateur
acheee, telecharge et imprime, touchent en fin de compte plus la
distribution du livre que sa nature profonde. Il est d'ailleurs
symptomatique que la tentative de Stephen King pour vendre en ligne The
Plant, son dernier roman, soit peu concluante(5). On propose, un peu
comme pour la musique qu'on partage avant d'aller acheter un
disque en magasin, une double circulation, numerique d'abord, qui
serait meme gratuite, et imprimee ensuite, par le biais de la vente du
livre imprime en librairie. On voudrait pour la premiere fois depuis des
siecles et meme depuis le debut de l'ecriture, dissocier le texte
de son support, et ainsi diffuser des savoirs ou des histoires, toujours
plus nombreux, d'une maniere plus economique et plus efficace
(Arbon, Geze et Valensi 2000 : 30).
Cependant, puisque le telechargement n'aboutit toujours
qu'a un etat appauvri du texte et que l'e-publication ne
suscite pas grand enthousiasme, la revolution se fait attendre. A
mi-chemin entre les deux modes, on trouve l'edition a la demande,
le client commande un livre et le libraire le lui imprime en 15 minutes
en copie unique. En fin de compte, couplee avec la mise en ligne par
l'auteur, sans maison d'edition, sans contrainte de
rentabilite, etc., cette forme d'edition reproduit ce qu'est
maintenant le Web. Une fois de plus, le plus grand defi serait celui
auquel fait face le lecteur. Comment savoir ce qui est interessant,
utile ou fiable avant d'essayer, d'acheter, de lire ? A qui se
fier ? Et le defi est plus grand encore lorsqu'on s'aventure
hors des domaines pour lesquels on dispose de l'information qui
permet de juger de la qualite des contenus. C'est la promesse de ce
monde sans autorite aucune qu'est, pour le moment du moins, le Web,
si bien sur on fait abstraction du pouvoir, essentiellement financier,
qui permet d'attirer et de convaincre par la publicite. C'est
actuellement le constat qui est fait a propos de l'utilisation
d'Internet lors des elections americaines, alors que les depenses
pour la publicite traditionnelle , televisee surtout, ne cessent de
croitre. Ici aussi, la revolution copernicienne se fait tirer
l'oreille.
En ce debut de XXIe siecle, le regne du clavier comme principal
intermediaire entre les membres des communautes en ligne semble
s'engager dans ce qui ressemble de plus en plus au commencement de
la fin. Avec les micros, les webcameras et les connexions de plus en
plus rapides, on voit emerger les communautes de dialogue et de
visioconference, ou le visuel et l'auditif, qui sont desormais
interactifs, l'emportent sur l'ecrit. Les versions les plus
recentes des programmes de bavardage, comme les populaires Messenger et
ICQ, sont effectivement toutes en mesure de transmettre le son de facon
permettre le dialogue. Un seul clic sur les boutons talk ou call de ces
applications permet maintenant a l'internaute de se liberer des
contraintes du clavier et de l'ecrit pour s'exprimer
oralement, comme il le ferait en face-a-face. Dans cette evolution
technique, le temps de la communication clavier et le curieux retour a
l'echange epistolaire qui en a decoule apparaissent presque comme
un accident de l'histoire. Comme l'a judicieusement remarque Jacques Anis (1999), la langue du bavardage electronique au clavier, qui
est beaucoup plus proche du registre de l'oral que de celui de
l'ecrit, appelait elle-meme le depassement du clavier comme
intermediaire d'echange. Il ne restait qu'a rattraper le
retard de la technique : c'est maintenant chose faite. Deja,
l'introduction du son et de l'image affecte la nature et le
fonctionnement des e-communautes, principalement en reduisant
considerablement la taille des groupes et en reintroduisant certaines
composantes de l'identite individuelle comme l'age, le sexe et
la couleur de la peau. L'avenement de la webcamera change
considerablement la donne. Il n'est plus question de diffuser et de
regarder une image construite par un mediateur, mais plutot de se
projeter soi-meme, a partir de son reel, dans le cybermonde.
L'attrait de ces images hyperreelles est grand. Survivor (CBS) et
Temptation Island (Fox), avec leurs audiences qui oscillent entre 10 et
12 millions de telespectateurs au moment de la diffusion qui a lieu une
fois la semaine, sont depasses par des sites comme www.jennicam.org qui
enregistre 5 millions de visites par jour, tous les jours ! Les deux
premieres emissions, malgre tous les efforts qui sont deployes pour les
rendre vraies , demeurent comme vraies et n'echappent donc pas
l'esthetique de la television. Par contre, la limite entre le
privee et le public semble abolie alors que le surfer dpie Kaye Ringley,
qui s'expose chez-elle, sa camera, 24 heures par jour. S'il le
prefere, l'internaute peut aussi epier Theresa Senft, qui redige sa
these consacre au webcamming , www.echonyc.com/janedoe.
Les specialistes theorisent deji sur l'impact qu'aurait
ce passage du regne du regard [gaze], qui structure l'esthdtique du
cinema, au coup d'oeil [glance], structurant celle de la
television, dont la consommation s'integre aux activites
quotidiennes, a l'acte de se saisir de quelque chose [grab] qui
serait le principe de la webcamdra, similaire au geste du consommateur
presse qui attrape son Big-Mac au service a l'auto. Dans le
quotidien des e-communautes, le passage la webcamera bouleverse
certaines des regles de base, puisqu'il ne sera desormais plus
possible de pretendre etre quelqu'un d'autre, voire plusieurs
autres a la fois dans plusieurs canaux de bavardage distincts. La
liberte de construire son age, son sexe, son appartenance sociale que
permettait le clavier cede le pas au realisme cru de l'image en
ligne et en temps reel. Que deviendra, par exemple, l'e-sexualite
qui semble avoir de beaux jours devant elle si on s'en remet a ce
qu'on trouve jusqu'a maintenant sur Netmeeting, des pratiques
auxquelles Women and Performance vient de consacrer un numero special et
dont le realisme depasse celui du cinema verite ?
Peut-on vraiment partager les performances autobiographiques
visuelles que des individus lancent 24 heures sur 24 dans le cyberespace
comme des bouteilles a la mer ? Les pionniers sont devenus des stars,
comme Ringley qui d'ailleurs n'hesite pas a reconnaitre que,
sans la camera, elle serait inconnue pour toujours. A mesure que le
nombre d'internautes equipes de webcameras augmente, on peut se
demander combien de temps durera l'attrait pour le reel nu ;
serait-il un antidote a l'envahissement du quotidien par la
publicite et la television ? Apres avoir regarde quelqu'un vaquer a
ses occupations des plus ordinaires, aurait-on encore envie de lui
donner un rendez-vous dans le reel ? Peut-etre qu'on prefererait
plutot improviser une rencontre dans le cyberespace, par clavier et mots
interposes, afin que la fantaisie emporte le quotidien.
L'espace du cybermonde : a la croisee du local et du global
Le plus recent rapport du Programme des Nations unies pour le
developpement (PNUD) nous informe qu'en 1999, 2,4 % des humains
etaient branches a Internet, mais que seulement 0,04 % des habitants de
l'Asie du Sud l'etaient contre 0,1% de ceux d'Afrique et
0,8 % d'Amerique latine. Les internautes faisant partie des 17 %
des habitants de la planete qui vivaient dans les pays industrialises
constituaient alors 88 % de toutes les personnes branchees a Internet.
Partout, les individus plus aises et plus instruits sont surepresentes
parmi les internautes. Les donnees contenues dans l'article de
Tessy Bakary illustrent bien, pour l'Afrique, cette inegalite
d'acces, qui est autant geographique (pays plus riches contre pays
plus pauvres, villes contre campagnes), que sociale et, par ce biais,
jouant plutot en faveur des hommes et des jeunes, en particulier des
plus instruits. D'une meme maniere, certains nouveaux programmes,
comme Instant Messaging, qui facilite les echanges rapides et ne
necessite pas l'acces a un ordinateur pleinement equipe (on peut y
acceder a partir de certains telephones mobiles, par exemple), sont
nettement le domaine des jeunes des pays industrialises. Aux Etats-Unis,
plus de 80 % des internautes ages entre 13 et 18 ans et plus de 60 % de
ceux ages entre 19 et 35 ans utilisent l'Instant Messaging, contre
seulement 40 % parmi les internautes plus ages.
Pour Luc Boltanski et Eve Chiapiello (1999), la connexion est
surtout un instrument d'exclusion qui donne lieu a une forme
contemporaine d'exploitation : celle des non-connectes par ceux qui
sont branches aux grands reseaux. Dans le meme sens, Bauman souligne
qu'Internet et plus specialement le Web ne sont pas pour tout le
monde, que l'interactivite l'est a sens unique puisque les
locaux regardent les mondiaux. Ce qui confere de l'autorite a ces
derniers, c'est leur eloignement meme ; les mondiaux ne sont
litteralement "pas de ce monde", mais est beaucoup plus facile
de les voir flotter au-dessus du monde local -- ils le font chaque jour
sans aucune retenue -- qu'on ne pouvait voir les anges planer au-dessus du monde chretien (1999 : 85).
Les taux de branchement a Internet peuvent etre trompeurs,
puisqu'on ne peut les mettre directement en parallele avec
l'acces a l'information diffusee dans le Web. Comme pour la
lecture des livres et des journaux, il ne faut pas confondre les tirages
avec le nombre de lecteurs. Il est possible d'affirmer que dans une
societe raisonnablement scolarisee, plus le livre et le journal sont
materiellement difficiles d'acces, plus il y a de lecteurs par
exemplaire en circulation et plus l'information lue est repercutee
oralement. Sans aucun doute, dans les pays industrialises, la pratique de l'internaute est tres largement solitaire, comme l'etait la
lecture au cours du siecle dernier, d'ou la desormais celebre
formule de Nicholas Negroponte qui qualifie le Web de premier media de
masse individualise (1995). A l'inverse, dans les pays pauvres, la
ou l'acces a la telephonie cellulaire et a l'ordinateur est un
privilege, un internaute connecte des dizaines, parfois des centaines de
personnes aux informations tant d'ordre familial que d'ordre
politique ou social auxquelles il accede. Internet ne fait certainement
pas de tous les pauvres de la planete des surfeurs sur les ondes du
village global qui se parlent en direct ; il permet neanmoins des
mobilisations sociales transnationales inedites jadis. Le feminisme, le
mouvement anti-mondialisation, les mouvements aborigenes en ont surement
beneficie pour accomplir le passage des actions intermittentes a une
mobilisation planetaire en continue. La derniere marche mondiale des
femmes, qui s'est tenue a New York a l'automne 2000,
n'aurait probablement pas ete possible sans la communication dans
Internet.
Il y a, comme le remarque justement Philippe Breton (2000), une
relation historique entre l'utopie de la contre-culture d'il y
a 30 ans et celle d'Internet, qui est reve comme un espace de
communication libre entre des individus pleinement souverains (Mattelart
2000). Pour Francois Caron, Internet realise une synthese technique
comparable a celle accomplie au XIXe siecle par le chemin de fer et le
telegraphe. Tandis que de cette revolution technique est nee la culture
de masse, le reseau electronique, lui, s'est developpe parce
qu'il apporte une reponse globale aux aspirations nees de la
contestation de la civilisation de masse (Caron 2000 : 31). Internet est
pour lui l'instrument de la destruction de toutes les rentes de
situation ; il se joue des frontieres. Il est cense etre a meme de
supprimer l'emprise des medias de masse, dote d'une capacite
infinie de transformation des relations entre les hommes, il est
instrument interactif de dialogue entre des individus connectes ensemble
dans le monde entier.
Les cafes Internet et les autres lieux d'acces a la
communication en ligne, qu'ils soient accessibles gracieusement
(eglises, ONG, etc.) ou a titre onereux (cabines mobiles montees sur des
vehicules), multiplient, particulierement dans les pays pauvres,
l'acces occasionnel au reseau a plusieurs. Certes, ces internautes
contraints de partager un rare et tres court acces avec d'autres ne
sont surtout pas des inconditionnels d'Internet. Mais, il n'en
faut pas plus pour que l'information, surtout les temoignages et
les nouvelles locales, quitte l'espace local ou se deroule la vie
de la majeure partie de l'humanite pour etre portee dans un espace
global. Au gre des interets des intermediaires, des moderateurs qui
administrent sa circulation, l'information entre le local et le
global s'installe dans l'espace du cybermonde, et de
personnelle, familiale, communautaire, elle devient matiere premiere des
politiques globales. Le recit oral numerise de la grand-mere ou du
grand-pere devient ainsi accessible a plusieurs a titre de temoignage.
Sous une forme qu'on peut facilement et instantanement diffuser, il
devient disponible et on peut le saisir aussi bien a titre de preuve
apparente d'une these, d'un argument, qu'a titre de flash
authentifiant un discours construit ailleurs et poursuivant des
objectifs qui lui sont propres. De plus en plus de journalistes
s'approvisionnent en information sur les sites qui distribuent
cette information qui semble etre un temoignage en temps reel, parce
qu'elle circule vite, et qui semble authentique, parce qu'elle
est initialement destinee a etre lue par des proches. L'information
internationale qui s'y approvisionne en illustrations
spectaculaires parvient au niveau local par des chemins similaires,
parfois identiques a son premier envoi. Les textes ou leurs fragments,
souvent copies-colles des pages Web, sont detaches du contexte plus
large et prennent place dans le paysage politique local. Ainsi, un
temoignage local peut retourner en moins de 24 heures a son expediteur,
legitime dans sa forme mais aussi dans son contenu, par ce passage
virtuel dans l'espace electronique du village global, un non-lieu
(Auge) de la modernite actuelle. L'article d'Eric Paquet
presente ici et portant sur les ramifications du mouvement zapatiste
dans Internet apporte un eclairage tres instructif sur les
transformations subies par un discours local a l'occasion de son
passage dans l'espace global.
L'acces indirect a Internet, modere par les individus et les
organisations, est difficile a chiffrer, mais c'est surtout son
impact politique et social que nous ignorons. Alors qu'une grande
part de l'influence qu'exercent sur l'opinion publique
internationale (de fait toujours surtout occidentale) les informations
qui circulent dans Internet vient de la supposee immediatete, de la
spontaneite du temoin qui donnerait acces a son experience, la realite
est souvent radicalement differente. D'une part, en fonction des
causes qu'ils ont choisi de defendre, les compagnons de route et
les porteurs de valises gerent des sites qui sont certes de puissantes
boites de resonance pour l'information localement generee, mais qui
sont aussi hautement selectifs. D'autre part, le nombre de
communiques quotidiennement mis en ligne, qui se chiffre en milliards,
fait que la concurrence entre les sites est forte pour attirer
l'internaute d'abord, puis pour le retenir. Enfin, la
diffusion des informations dans le Web, meme si on considere uniquement
les messages textuels, a ses regles, obeit a une esthetique, tant celles
qui sont propres a Internet (par exemple pour les hyperliens) que celles
qui sont propres au texte (qui reste tres largement narratif) afin de
toucher la cible, l'opinion publique internationale ou ses
fractions. Pour faire avancer une cause, il faut donc non seulement que
les messages soient selectionnes, leur nombre limite, etc., mais il faut
aussi que le temoin d'une part, le moderateur local d'autre
part adaptent la forme et le contenu a la sensibilite des cibles de
l'information. Il faut en outre qu'ils partagent avec leur
public cette ethique de l'ephemere (Agacinski 2000) qui regit la
communication a laquelle ils s'adonnent. Attacher le visiteur a un
site, s'assurer de sa fidelite devient actuellement aussi important
(parfois meme plus) que le fait de lui en vendre l'acces. Les biens
echanges deviennent des services (Rifkin 2000) et, comme dans
l'univers de la telephonie cellulaire, on offre de plus en plus
souvent l'appareil ou l'acces en echange d'un abonnement
de longue duree, l'acces gratuit a Internet etant en passe de
devenir le moteur du Web marchand (Gensollen 1999). Doit-on voir la une
croissance de e-communautes ou un e-esclavage ?
Bientot, les moteurs de recherche dotes d'un logiciel resumant
un texte en quelques secondes (comme le nouveau logiciel elabore par
Copernic) imposeront de nouvelles normes d'acces au lecteur, donc
de nouvelles regles de formation d'une e-communaute. Il faudra
peut-etre introduire dans le texte un nombre suffisant de mots que le
logiciel retient lors de la composition du resume, de sorte que le
lecteur accepte le contrat de lecture propose par le logiciel. Le besoin
pour de tels outils, en depit de leur relative inefficacite, se fait de
plus en plus criant etant donne la croissance en nombre des contenus
disponibles. Par ailleurs, comme le rappelle justement Yves Lasfargue,
Les reseaux permettent, certes, de partager des donnees, mais
certainement pas des savoirs (2000 : 25). Il ne faut donc pas se
leurrer, puisque, comme le rappelle Dominique Wolton (2000) et
contrairement aux apparences, nous ne sommes pas mieux informes a mesure
qu'augmente la quantite d'information disponible, puisque
cette masse, loin d'etre eclairante, nous oblige a conduire un
fastidieux travail de recherche, d'analyse, de selection et de
hierarchisation, comme le fait le journaliste, dans le cas de
l'imprime, en amont de notre contact avec une realite donnee.
Ce rapide panorama de ce qui s'ecrit, se dit, est reve du
potentiel present et futur d'Internet et particulierement du Web
permet de se rendre compte a quel point cet espace est lourdement charge
de tous les vieux reves et vieux cauchemars de l'humanite. On est
presque tente de conclure que plus ca change, plus c'est la meme
chose. Cependant, avant de verser dans le pessimisme, il serait plus
utile d'inviter le lecteur a lire ce dossier modestement
ethnographique en mode hypertexte, puis de poursuivre cette entreprise
de description des univers technologiquement nouveaux mais en meme temps
tres familiers a plusieurs egards. Pour le moment, le cyberespace
ressemble surtout a une auberge espagnole, ou chacun se nourrit de ce
qu'il apporte, de sa propre banque de donnees. Le jour ou ces
banques personnelles seront effectivement partagees -- mais gare a Big
Brother -- une vraie communaute humaine naitra. Est-ce si different de
ce dont revent et de ce qu'offrent toutes les grandes religions
dont l'ambition depasse la communaute immediate ? Daniel Bell
repondrait peut-etre oui, puisque l'ideologie est morte ; la
lecture des textes de notre bibliographie nous rend sceptiques. Il y a
plutot un grand marche ideologique qui emerge dans le Web et, rien que
pour cette raison, il nous faudra toujours, dans le Web comme dans le
monde reel, des reperes de la pensee critique. Pour le meilleur et pour
le pire, nous sommes condamnes a la realite, sentenced to Reality comme
a ecrit le poete Yehuda Amichai.
(1.) Puisque la communication passe toujours par l'ecrit
numerise, bientot probablement par l'oral numerise, les
caracteristiques sociales de l'ecrit et de l'oral, meme si
elles sont actuellement moins fortes qu'il y a une ou deux
generations, peuvent trahir l'appartenance a une categorie sociale.
Le fait que les e-communautes coupent a travers les frontieres,
qu'elles communiquent souvent au moyen d'un e-langage,
reposant le plus souvent sur une langue de grande diffusion,
l'anglais surtout mais aussi le francais ou l'espagnol, rend
cette trahison involontaire d'appartenance a une categorie sociale
moins probable. C'est que l'e-monde repond a ses propres
regles et, au-dela de la distance spatiale ou culturelle qui separe les
internautes, tous ont au moins en commun cette culture (toujours
equivoque bien sur) qui est celle d'Internet. Meme dans les
pratiques de bavardage electronique en temps reel, la ou le contact
entre les internautes est a la fois le plus direct et le plus personnel,
ce serait d'abord la culture de l'Internet Relay Chat (IRC)
qui servirait de toile de fond aux echanges et, il faut bien le dire,
qui permettrait aussi par-la de gommer les ecarts culturels, ne
serait-ce que temporairement (Ma 1996 : 181-182).
(2.) Une tres longue histoire lui a toutefois rapidement ete
construite, voir History of the Internet : A Chronology, 1843 to the
Present (Moschovitis et al. 1999).
(3.) En 1998, une societe savante, l'Association of Internet
Researchers, a pris forme. Apres son premier colloque tenu en 2000,
l'association comptait 500 membres. Son president actuel, Steve
Jones de l'University of Illinois a Chicago, a annonce le lancement
de Digital Formation , une nouvelle collection de volumes imprimes sur
papier et publies par la maison d'edition Peter Lang.
(4.) Sylviane Agacinski (2000 : 57-67), dans l'expression
passeur de temps , propose ce terme dans un double entendement du terme
passeur. Notre passeur de temps evoque ces deux significations : il
s'ouvre au temps sans essayer de le maitriser, il est disponible
pour faire passer, pour menager un passage d'un temps a un autre en
se laissant solliciter par les traces -- traces du passe dans la ville,
traces ecrites des livres. Il est un temoin, observateur passif, mais
sans lequel le temps ne serait pas. En tant qu'il est a la fois
passif et actif, le passeur est aussi celui par qui quelque chose passe,
lui-meme lieu du passage. Il est enfin l'impossible contemporain de
lui-meme ou de son temps, habitant une epoque ou chacun fait
l'experience aigue du passage. (p. 57-58, les italiques sont de
l'auteur). N'est-ce pas une bonne saisie de ce qui caracterise
un membre d'une e-communaute ? Sommes-nous tous en passe de le
devenir ? Le desironsnous ?
(5.) Voir www.stephenking.com.
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