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  • 标题:Ethnographie du monde numerique ou comment faire du terrain dans le (meilleur des mondes)?
  • 作者:Jewsiewicki, Bogumil ; Pastinelli, Madeleine
  • 期刊名称:Ethnologies
  • 印刷版ISSN:1481-5974
  • 出版年度:2000
  • 期号:January
  • 语种:English
  • 出版社:Ethnologies
  • 摘要:Interroge a l'improviste, l'homme de la rue caracteriserait probablement Internet par sa rapidite, comme vient de le faire Alain Madelin. Pour cet homme politique francais en vue, qui se veut a la page, l'univers des communications electroniques est un nouveau monde ou ce ne sont pas les gros qui triomphent des petits, ce sont les rapides contre les lents (Le Monde, 2-3 juillet 2000). Plusieurs annees auparavant, Paul Virilio ecrivait deja que La realite de l'information est toute entiere contenue dans sa vitesse de propagation . L'homme numerique (Negroponte 1995), qui succede a l'Homo sapiens sapiens, serait donc tout d'abord caracterise par la vitesse de traitement de l'information peu importe son contenu. La fameuse formule d'Einstein, E=mc2, serait-elle le nouveau, le vrai nom de l'espece que la selection naturelle, qui opere a l'avantage des rapides, est en train d'engendrer ?
  • 关键词:Cultural anthropology;Ethnography;Internet;Interpersonal communication

Ethnographie du monde numerique ou comment faire du terrain dans le (meilleur des mondes)?


Jewsiewicki, Bogumil ; Pastinelli, Madeleine


Notre monde est-il numerique ? (Simon 2000)

Interroge a l'improviste, l'homme de la rue caracteriserait probablement Internet par sa rapidite, comme vient de le faire Alain Madelin. Pour cet homme politique francais en vue, qui se veut a la page, l'univers des communications electroniques est un nouveau monde ou ce ne sont pas les gros qui triomphent des petits, ce sont les rapides contre les lents (Le Monde, 2-3 juillet 2000). Plusieurs annees auparavant, Paul Virilio ecrivait deja que La realite de l'information est toute entiere contenue dans sa vitesse de propagation . L'homme numerique (Negroponte 1995), qui succede a l'Homo sapiens sapiens, serait donc tout d'abord caracterise par la vitesse de traitement de l'information peu importe son contenu. La fameuse formule d'Einstein, E=mc2, serait-elle le nouveau, le vrai nom de l'espece que la selection naturelle, qui opere a l'avantage des rapides, est en train d'engendrer ?

La prediction d'une nouvelle epoque, voire d'un nouvel age de l'humanite apparaissant avec les nouveaux moyens de collecter, de traiter et de transmettre l'information date d'il y a au moins un demi-siecle (Wiener 1948). Elle inspire indirectement un groupe de sociologues americains qui predisent, dans les annees 1950, la fin de l'ideologie qui caracteriserait la societe postindustrielle de democratie participative, l'ere de l'information ou du savoir, le monde administre par une communaute de la science (Bell 2000). Auparavant, James Burnham (1941) avait envisage la convergence des modules capitaliste et communiste au sein d'une managerial society. Moins de trois decennies plus tard, Zbignew Brzezinski (1969) a annonce l'avenement de la premiere societe globale dominee par la communication. Enfin, 25 ans apres lui, le vice-president des Etats-Unis, Al Gore, a annonce l'avenement de l'age global de la nouvelle famille humaine et, un an plus tard, en 1995, les pays les plus industrialises du monde, les membres du G7, ont endosse la notion de societe globale de l'information . L'autosatisfaction des Etats-Unis est alors a son comble, puisque la societe americaine, toujours ouverte a la circulation de l'information et donc soucieuse d'en developper les moyens, beneficie de l'avantage de l' information edge (Nye & Owen 1996). Sa victoire sur le systeme sovietique y avait trouve son arme. Le nouvel age qui s'ouvrirait devant nous ne serait plus celui de la fin de l'ideologie et de l'histoire, mais bien celui de leur renaissance, vient d'ecrire Daniel Bell (2000) dans la preface a la nouvelle edition de son livre de 1962. La symetrie de cette ideologie liberale avec l'ideologie communiste, au moins quant au degre de l'autosatisfaction, est frappante mais nullement cachee ; le sous-titre du fameux livre de Walt Rostow (1960), The Stages of Economic Growth, n'etait-il pas A Non-Communist Manifesto ?

Circonscrire l'insaisissable

Comme c'est d'habitude le cas sar le terrain du marche liberal -- et cela ne dement nullement le principe de Darwin --, dans l'espace electronique, c'est l'entrepreneur, dont c'est le terrain, qui en saisit le mieux les regles. L'intellectuel ne semble voir qu'un arbre, lui coupant la vue, la ou importe la foret (Costigan 1999 : xvii), il en est autrement lorsqu'il s'agit du chercheur converti en entrepreneur. C'est le cas de Thomas Middlelhoff qui dirige Bertelsmann, troisieme conglomerat mondial dans le domaine des medias. Dans les annees 1980, sa these de doctorat portait deja sur le commerce electronique. Le monde des affaires a compris avant les chercheurs et les hommes politiques que la vitesse est certes un formidable atout de l'informatique, mais la vitesse sans le contenu ne peut etre vendue et le contenu sans consommateur represente peu d'interet ; au moins du point de vue du profit. Le recent achat de Time Warner par AOL a bien illustre l'importance du contenu ; la recente prise de controle du delinquant Napster par la respectable Bertelsmann (BMG) vise l'exploitation commerciale de l'immense potentiel que presente Internet pour creer, maintenir et surtout connecter les communautes virtuelles (pour la definition du terme dans la tradition philosophique occidentale voit Esposito 2000) fortes de dizaines de millions ... Et c'est la que le chercheur trebuche a nouveau, cette fois-ci sur la difficulte de qualifier ceux qui font partie d'une telle communaute. Prenons encore l'exemple de Napster : accusee actuellement de complicite dans le piratage des droits d'auteur, en un peu plus d'un an, grace a un logiciel de partage des fichiers musicaux, l'entreprise a vu se developper un ensemble de plus de 60 millions d'adherents fideles. S'agit-il d'une communaute ? Appelons-la e-communaute pour eviter toute confusion avec, par exemple, celle qui se reunit dans une eglise ou celle que forment les habitants d'un village. Les internautes qui se branchent regulierement a Napster lui sont-ils fideles uniquement dans la mesure ou l'echange de musique peut s'y faire gratuitement et facilement ? Sont-ils prets a partager, a cette occasion, autre chose : une cause politique, de l'information sur une autre question que la musique a y copier, etc. ? Le pari de Bertelsmann, partage par plusieurs autres dirigeants d'entreprises, est que cette e-communaute constitue potentiellement un marche pour le livre, pour l'image, peut-etre pour des idees, un marche qui pourrait un jour etre vendu pour de la propagande electorale, etc.

Il nous est impossible de nous prononcer sur ces paris commerciaux, mais ils attirent notre attention sur deux questions majeures concernant Internet et, de facon plus generale, en ce qui a trait a la communication diffusee et traitee par voie electronique. Dans cet espace, la vitesse ne constitue que le moyen permettant la constitution de communautes de taille et de duree variable qui coupent a travers les frontieres de toutes les natures. C'est l'individu entrant dans une telle communaute qui construit lui-meme son identite, en dehors des contraintes traditionnelles de sexe, de race, d'age et, partiellement, de milieu social(1). Ces communautes n'ont aucun moyen (en ont-elles la pretention ?) de revendiquer l'exclusivite d'appartenance de leurs membres puisque, a condition d'avoir du temps et de l'imagination, chacun peut se construire autant d'identites qu'il est capable d'imaginer et de gerer. Cependant, nul ne sait aujourd'hui quel peut etre l'impact de ces communautes virtuelles sur le comportement civique ou politique de l'individu en dehors de l'univers virtuel, celui des echanges electroniques. Au moins jusqu'a present, c'est toujours un citoyen qui va a son bureau de vote afin d'y deposer un bulletin. Tient-il deja compte de son appartenance a des e-communautes, des echanges tenus dans les groupes ou des textes consultes dans le Web ? Selon l'enquete originale, bien que tres limitee, que Tessy Bakary a menee sur une experience de vote en ligne au Senegal et dont il presente ici les resultats, il semble que ce ne soit pas encore le cas.

Philippe Lejeune (2000) vient de nous livrer, en imprime seulement, son recit de voyage dans l'univers du journal intime et de l'autobiographie en ligne (pour les interesses, a visiter par exemple www.onelist.com/messages/journal) alors que Daniel Scheidermann livre, dans un carnet de voyage, des impressions sur ses excursions dans le cyberespace, parues d'abord sous forme de chroniques dans Le Monde. Aujourd'hui, alors qu'Internet est connu du grand public depuis moins d'une dizaine d'annees(2), l'espace du cybermonde est deja l'objet des premiers recits de voyage, connait ses propres explorateurs, y compris des Kurtz de Conrad pris de vertige du pouvoir qui tentent d'eriger des royaumes imaginaires. A quand l'ethnographie de ces univers virtuels(3), une ethnographie de ces cyberpays qu'on peut visiter a n'importe quelle heure, meme si, pour y entrer, il faut d'abord cliquer sur une case de demande de visa. Les adeptes de l'e-politique, de l'e-souverainete et de l'e-ONU batissent des nations que le surfeur curieux peut visiter a www.aericanempire.com, a www.republic-of-lomar.org ou encore a www.sealand.gov.com, etc.

L'e-vote vient d'etre experimente aux Etats-Unis comme alternative au depot en personne d'un bulletin de vote. Changera-t-il le comportement electoral ? Verrons-nous voter plutot un cybermembre d'une e-communaute a la place du citoyen en chaire et en os ? Quels interets defend-il en cliquant sur une case ? Sont-ils les memes que lorsqu'il cochait a l'aide d'un crayon ? Difficile de repondre pour l'instant, mais, quoiqu'il en soit, on peut deja soupconner que par les effets de contraction du temps et de l'espace qui y sont associes, Internet risque de transformer des aspects importants de l'organisation sociale, politique et economique. Ainsi, [c]ertains logiciels permettent d'automatiser la lecture de documents et d'en gerer le flux, sans que les salaries puissent intervenir, tandis que les reseaux, eux, permettent de s'emanciper des lieux geographiques (Bulard 2000 : 24), en consequence de quoi le volume de travail s'accroit et la proletarisation des classes moyennes s'accentue (Cascino 1999). Par ailleurs, Internet a deja rendu possible la syndicalisation de travailleurs qui auraient ete trop disperses geographiquement pour pouvoir former une organisation de type traditionnel. Dans la meme foulse, en avril 1999, les salaries d'Elf, a Pau en France, mobilisent les confreres expatries et organisent une greve en reseau alors que, en 2000, la direction d'IBM recule devant une revolte de ses salaries qui l'inondent de courriers electroniques. Ainsi, face a l'e-exploitation et a l'e-proletarisation naissent les cyberluttes syndicales.

Dans les limites de l'introduction de ce numero, l'aspect le plus important est cette puissante (quoique tres inegale) capacite d'Internet de donner lieu a des communautes electroniques, des groupes d'adherents qui sont caracterises par une appartenance reposant toujours sur des objectifs et des moeurs specifiques, mais n'impliquant jamais l'exclusivite de l'engagement des personnes sociales et politiques. Cette forme d'appartenance sans engagement exclusif est tres attrayante pour qui veut se liberer de certaines contraintes sociales. Sans vouloir banaliser le phenomene, on peut par exemple se demander si ce qui semble etre une veritable epidemie de pedophilie dans Internet n'est pas accentue par l'apparente gratuite des multiples appartenances. Peut-etre que plusieurs visiteurs, voire createurs, des sites de cette pornographie n'auraient jamais envisage de telles pratiques dans le monde reel. Dans l'e-monde, les memes gestes leur semblent peut-etre sans consequence, puisque aucun enfant reel ne parait implique, Lenfant, le desir n'existeraient pas hors de ce quasi-reve et on se dit sans doute que personne ne peut etre tenu responsable de ses reves. L'Etat sanctionne la pedophilie, mais pas la violence. Un meurtre dans Internet, dans un jeu video, non seulement n'est pas un crime, mais est socialement considere comme appartenant au domaine du loisir ! Que dire alors d'un etudiant d'histoire qui prend pour adresse electronique hitler@hotmail.com ? Faut-il refuser de repondre aux messages expedies d'une telle adresse, refuser de communiquer avec cette e-personne ou considerer qu'il s'agisse d'une farce de mauvais gout d'adolescent attarde ?

Margaret Wertheim propose une comparaison entre l'utopie chretienne du paradis et celle du cyberespace, que les enthousiastes, selon elle, saluent comme un lieu ou le moi se trouve libere des limites de l'incarnation physique (1997 : 296). Clarisse Herrenschmidt ajoute qu' Internet diffuse une spiritualite particuliere, et l'on peut lire souvent, dans des contextes assez differents, que les internautes vivent une "transcendance horizontale", typifient une "humanite reconciliee avec elle-meme" et distribuent a leurs contemporains non connectes la bonne nouvelle (2000 : 111). Elle conclut en prevenant le lecteur : Gardons-nous de sourire [...] Une transformation qui touche aux signes dont [chacun] a l'habitude, atteint tous les aspects de sa vie et les idees qu'il s'en fait, les brise et les recompose (Herrenschmidt 2000). Les canaux de bavardage prosperent en partie a cause de l'utopie decoulant de l'ecriture reticulaire, dans laquelle le message peut joindre plusieurs destinataires simultanement, ce qui produit l'illusion d' un vrai salon de tous les coins du monde (Herrenschmidt 2000 : 109) ou circule une ecriture de la conversation. Cet espace sans frontieres et sans contraintes, dans lequel on entre et duquel on sort quand et comme on veut, est non seulement toujours disponible, mais peut aussi etre transgresse en tout temps afin de produire des rencontres dans le monde dit reel .

Certaines recherches et experiences suggerent que le but final de frequentation d'une e-communaute est le retour au monde des etres en chaire et en os, qui ne peuvent ni ne veulent echapper aux marqueurs traditionnels de leur identite : sexe, age, preferences d'apparence, etc. C'est par exemple le cas d'une analyse qui se trouve etre la lointaine origine de ce projet de publication, un article de Madeleine Pastinelli (1999), coredactrice de ce numero, sur sa propre experience de frequentation d'un reseau de bavardage electronique. Elle affirmait en conclusion que la rencontre en face-a-face est l'aboutissement de toute relation de bavardage qui se prolonge, cette rencontre ne mettant pas necessairement fin a la participation active au bavardage electronique. Un travail collectif d'analyse des listes de diffusion, des forums et des sites Web crees pour appuyer les combats politiques au Burundi, au Congo et au Kosovo a ete inspire par cette premiere exploration et a constitue la seconde phase de la demarche qui a conduit a la production de ce numero special. Linteret particulier s'est alors deplace vers l'utilisation du passe (pas necessairement celui de la societe concernee) pour impregner de sens l'information fournie en ligne et orienter les membres des e-communautes vers des actions a entreprendre dans le monde hors ligne. Les reactions tres positives des participants au colloque Lieux de memoire, politiques de la memoire et avenir de l'histoire , tenu a Quebec en 1999 en hommage a Pierre Nora, vis-a-vis de la presentation de ces communications (elles sont a l'origine des articles de Tristan Landry, de Barnabe Ndarishikanye et de Madeleine Pastinelli), nous ont encourages a poursuivre, conduisant au present dossier qui beneficie de la chaleureuse hospitalite de la revue Ethnologies.

Malgre le caractere heterogene de ce numero, les articles et les notes de recherche rassembles ici sont loin de former un tour d'horizon complet du champ de recherche qui s'est ouvert avec l'avenement d'Internet. Au mieux, ce numero et les explorations qu'il renferme constitue une sorte de breche, une invitation a la recherche. Notre vif espoir est de faire naitre ainsi plus d'interet pour l'ethnographie du e-monde, en particulier pour l'e-sociabilite, un phenomene qui a le principal merite non seulement d'etre autour de nous mais de plus en plus aussi d'etre au coeur meme du monde qui est le notre. L'e-monde participe de plus en plus du monde que nous avons encore l'habitude d'appeler le monde reel . Jadis, on avait l'habitude de restreindre le monde reel, celui qui comptait pour l'avenir de l'humanite, a un territoire socialement et politiquement tres limite, soit l'Occident bourgeois, l'univers victorien. L'ethnographie, l'ethnologie, l'anthropologie exploraient, expliquaient, exhibaient ces autres univers (exotique, paysan, plus tard ouvrier), mondes en retard sur le progres, condamnes a terme a disparaitre. D'une certaine maniere, la vitesse, si on l'assimile au progres, appartenait au premier monde, le caracterisait. Aujourd'hui, on semble en faire une caracteristique de l'e-monde. Qui alors fera desormais l'ethnographie de qui ? Les cybernautes du monde jadis dit reel ou les citoyens de ce monde, peut-etre en passe de devenir des dinosaures, du seul monde vrai , l'univers virtuel ? La dichotomisation a la vie dure, au moins en sciences sociales. Ne serait-il pas possible d'apprehender Internet comme outil d'etre dans le monde, un outil certes nouveau et, dans ce sens, susceptible de transformer la maniere d'etre dans le monde, mais qui ne le remplacera pas pour autant ? A ce titre, la comparaison avec l'imprime que propose Baptiste Campion dans ce numero nous semble productive, puisqu'elle force a banaliser la nouveaute.

S'il est possible de caracteriser Internet par trois elements : vitesse, adaptation du contenu et communaute des passeurs (4), une combinaison secrete que les hommes d'affaires ont decouverte sans en prevenir les chercheurs, il est evident qu'on ne comprendra pas son univers ni ses rapports avec le monde hors ligne sans les analyser tous ensemble. Ce numero est une tres modeste proposition allant dans ce sens ; il nous semble trop ambitieux de parler deja de contribution. Puisque l'histoire ne se repete jamais autrement que dans la perception nostalgique du present, dont l'horizon d'attente est enchaine a la structure narrative du recit, il est dangereux d'affirmer que cette revolution a deja eu lieu. En evoquant l'invention de l'imprimerie, nous n'avons pas l'intention de pretendre que l'impact de l'informatique serait de meme nature. Neanmoins, sans necessairement y voir une relation de cause a effet, la contemporaneite de plusieurs transformations profondes des societes occidentales et de la diffusion de l'imprime suggere de porter une attention particuliere a la contemporaneite de la diffusion de la circulation electronique de l'information et des profonds changements du monde actuel. Meme si nous laissons de cote la fausse question de la poule et de l'oeuf, celle de l'anteriorite d'Internet ou de la globalisation des mouvements sociaux, de l'economie, du crime, ou de l'ampleur inedite du phenomene migratoire generant des diasporas fieres de l'etre, leur contemporaneite nous interpelle.

L'e-reel revolution

Recemment, dans un magazine plutot conservateur et tres influent aux Etats-Unis, on annonsait : Liberal Arts post-docs need a web site too. The New Republic is now on line ([Politics/Books & Arts/Cyberspace] New York Review of Books, 2 novembre 2000 : 63). De l'avis de plusieurs, l'e-edition, est une revolution en devenir (Epstein 2000). PricewaterhouseCoopers, cite par Publishers Weekly, prevoyait meme, avant l'effondrement recent des titres d'ecommerce (voir The Industry Standard, www.thestandard.com/article/display), que le livre electronique prenne un quart du marche du livre vers 2004. Les premieres tentatives, qui consistent en distribution en ligne du texte ecrit que le consommateur acheee, telecharge et imprime, touchent en fin de compte plus la distribution du livre que sa nature profonde. Il est d'ailleurs symptomatique que la tentative de Stephen King pour vendre en ligne The Plant, son dernier roman, soit peu concluante(5). On propose, un peu comme pour la musique qu'on partage avant d'aller acheter un disque en magasin, une double circulation, numerique d'abord, qui serait meme gratuite, et imprimee ensuite, par le biais de la vente du livre imprime en librairie. On voudrait pour la premiere fois depuis des siecles et meme depuis le debut de l'ecriture, dissocier le texte de son support, et ainsi diffuser des savoirs ou des histoires, toujours plus nombreux, d'une maniere plus economique et plus efficace (Arbon, Geze et Valensi 2000 : 30).

Cependant, puisque le telechargement n'aboutit toujours qu'a un etat appauvri du texte et que l'e-publication ne suscite pas grand enthousiasme, la revolution se fait attendre. A mi-chemin entre les deux modes, on trouve l'edition a la demande, le client commande un livre et le libraire le lui imprime en 15 minutes en copie unique. En fin de compte, couplee avec la mise en ligne par l'auteur, sans maison d'edition, sans contrainte de rentabilite, etc., cette forme d'edition reproduit ce qu'est maintenant le Web. Une fois de plus, le plus grand defi serait celui auquel fait face le lecteur. Comment savoir ce qui est interessant, utile ou fiable avant d'essayer, d'acheter, de lire ? A qui se fier ? Et le defi est plus grand encore lorsqu'on s'aventure hors des domaines pour lesquels on dispose de l'information qui permet de juger de la qualite des contenus. C'est la promesse de ce monde sans autorite aucune qu'est, pour le moment du moins, le Web, si bien sur on fait abstraction du pouvoir, essentiellement financier, qui permet d'attirer et de convaincre par la publicite. C'est actuellement le constat qui est fait a propos de l'utilisation d'Internet lors des elections americaines, alors que les depenses pour la publicite traditionnelle , televisee surtout, ne cessent de croitre. Ici aussi, la revolution copernicienne se fait tirer l'oreille.

En ce debut de XXIe siecle, le regne du clavier comme principal intermediaire entre les membres des communautes en ligne semble s'engager dans ce qui ressemble de plus en plus au commencement de la fin. Avec les micros, les webcameras et les connexions de plus en plus rapides, on voit emerger les communautes de dialogue et de visioconference, ou le visuel et l'auditif, qui sont desormais interactifs, l'emportent sur l'ecrit. Les versions les plus recentes des programmes de bavardage, comme les populaires Messenger et ICQ, sont effectivement toutes en mesure de transmettre le son de facon permettre le dialogue. Un seul clic sur les boutons talk ou call de ces applications permet maintenant a l'internaute de se liberer des contraintes du clavier et de l'ecrit pour s'exprimer oralement, comme il le ferait en face-a-face. Dans cette evolution technique, le temps de la communication clavier et le curieux retour a l'echange epistolaire qui en a decoule apparaissent presque comme un accident de l'histoire. Comme l'a judicieusement remarque Jacques Anis (1999), la langue du bavardage electronique au clavier, qui est beaucoup plus proche du registre de l'oral que de celui de l'ecrit, appelait elle-meme le depassement du clavier comme intermediaire d'echange. Il ne restait qu'a rattraper le retard de la technique : c'est maintenant chose faite. Deja, l'introduction du son et de l'image affecte la nature et le fonctionnement des e-communautes, principalement en reduisant considerablement la taille des groupes et en reintroduisant certaines composantes de l'identite individuelle comme l'age, le sexe et la couleur de la peau. L'avenement de la webcamera change considerablement la donne. Il n'est plus question de diffuser et de regarder une image construite par un mediateur, mais plutot de se projeter soi-meme, a partir de son reel, dans le cybermonde. L'attrait de ces images hyperreelles est grand. Survivor (CBS) et Temptation Island (Fox), avec leurs audiences qui oscillent entre 10 et 12 millions de telespectateurs au moment de la diffusion qui a lieu une fois la semaine, sont depasses par des sites comme www.jennicam.org qui enregistre 5 millions de visites par jour, tous les jours ! Les deux premieres emissions, malgre tous les efforts qui sont deployes pour les rendre vraies , demeurent comme vraies et n'echappent donc pas l'esthetique de la television. Par contre, la limite entre le privee et le public semble abolie alors que le surfer dpie Kaye Ringley, qui s'expose chez-elle, sa camera, 24 heures par jour. S'il le prefere, l'internaute peut aussi epier Theresa Senft, qui redige sa these consacre au webcamming , www.echonyc.com/janedoe.

Les specialistes theorisent deji sur l'impact qu'aurait ce passage du regne du regard [gaze], qui structure l'esthdtique du cinema, au coup d'oeil [glance], structurant celle de la television, dont la consommation s'integre aux activites quotidiennes, a l'acte de se saisir de quelque chose [grab] qui serait le principe de la webcamdra, similaire au geste du consommateur presse qui attrape son Big-Mac au service a l'auto. Dans le quotidien des e-communautes, le passage la webcamera bouleverse certaines des regles de base, puisqu'il ne sera desormais plus possible de pretendre etre quelqu'un d'autre, voire plusieurs autres a la fois dans plusieurs canaux de bavardage distincts. La liberte de construire son age, son sexe, son appartenance sociale que permettait le clavier cede le pas au realisme cru de l'image en ligne et en temps reel. Que deviendra, par exemple, l'e-sexualite qui semble avoir de beaux jours devant elle si on s'en remet a ce qu'on trouve jusqu'a maintenant sur Netmeeting, des pratiques auxquelles Women and Performance vient de consacrer un numero special et dont le realisme depasse celui du cinema verite ?

Peut-on vraiment partager les performances autobiographiques visuelles que des individus lancent 24 heures sur 24 dans le cyberespace comme des bouteilles a la mer ? Les pionniers sont devenus des stars, comme Ringley qui d'ailleurs n'hesite pas a reconnaitre que, sans la camera, elle serait inconnue pour toujours. A mesure que le nombre d'internautes equipes de webcameras augmente, on peut se demander combien de temps durera l'attrait pour le reel nu ; serait-il un antidote a l'envahissement du quotidien par la publicite et la television ? Apres avoir regarde quelqu'un vaquer a ses occupations des plus ordinaires, aurait-on encore envie de lui donner un rendez-vous dans le reel ? Peut-etre qu'on prefererait plutot improviser une rencontre dans le cyberespace, par clavier et mots interposes, afin que la fantaisie emporte le quotidien.

L'espace du cybermonde : a la croisee du local et du global

Le plus recent rapport du Programme des Nations unies pour le developpement (PNUD) nous informe qu'en 1999, 2,4 % des humains etaient branches a Internet, mais que seulement 0,04 % des habitants de l'Asie du Sud l'etaient contre 0,1% de ceux d'Afrique et 0,8 % d'Amerique latine. Les internautes faisant partie des 17 % des habitants de la planete qui vivaient dans les pays industrialises constituaient alors 88 % de toutes les personnes branchees a Internet. Partout, les individus plus aises et plus instruits sont surepresentes parmi les internautes. Les donnees contenues dans l'article de Tessy Bakary illustrent bien, pour l'Afrique, cette inegalite d'acces, qui est autant geographique (pays plus riches contre pays plus pauvres, villes contre campagnes), que sociale et, par ce biais, jouant plutot en faveur des hommes et des jeunes, en particulier des plus instruits. D'une meme maniere, certains nouveaux programmes, comme Instant Messaging, qui facilite les echanges rapides et ne necessite pas l'acces a un ordinateur pleinement equipe (on peut y acceder a partir de certains telephones mobiles, par exemple), sont nettement le domaine des jeunes des pays industrialises. Aux Etats-Unis, plus de 80 % des internautes ages entre 13 et 18 ans et plus de 60 % de ceux ages entre 19 et 35 ans utilisent l'Instant Messaging, contre seulement 40 % parmi les internautes plus ages.

Pour Luc Boltanski et Eve Chiapiello (1999), la connexion est surtout un instrument d'exclusion qui donne lieu a une forme contemporaine d'exploitation : celle des non-connectes par ceux qui sont branches aux grands reseaux. Dans le meme sens, Bauman souligne qu'Internet et plus specialement le Web ne sont pas pour tout le monde, que l'interactivite l'est a sens unique puisque les locaux regardent les mondiaux. Ce qui confere de l'autorite a ces derniers, c'est leur eloignement meme ; les mondiaux ne sont litteralement "pas de ce monde", mais est beaucoup plus facile de les voir flotter au-dessus du monde local -- ils le font chaque jour sans aucune retenue -- qu'on ne pouvait voir les anges planer au-dessus du monde chretien (1999 : 85).

Les taux de branchement a Internet peuvent etre trompeurs, puisqu'on ne peut les mettre directement en parallele avec l'acces a l'information diffusee dans le Web. Comme pour la lecture des livres et des journaux, il ne faut pas confondre les tirages avec le nombre de lecteurs. Il est possible d'affirmer que dans une societe raisonnablement scolarisee, plus le livre et le journal sont materiellement difficiles d'acces, plus il y a de lecteurs par exemplaire en circulation et plus l'information lue est repercutee oralement. Sans aucun doute, dans les pays industrialises, la pratique de l'internaute est tres largement solitaire, comme l'etait la lecture au cours du siecle dernier, d'ou la desormais celebre formule de Nicholas Negroponte qui qualifie le Web de premier media de masse individualise (1995). A l'inverse, dans les pays pauvres, la ou l'acces a la telephonie cellulaire et a l'ordinateur est un privilege, un internaute connecte des dizaines, parfois des centaines de personnes aux informations tant d'ordre familial que d'ordre politique ou social auxquelles il accede. Internet ne fait certainement pas de tous les pauvres de la planete des surfeurs sur les ondes du village global qui se parlent en direct ; il permet neanmoins des mobilisations sociales transnationales inedites jadis. Le feminisme, le mouvement anti-mondialisation, les mouvements aborigenes en ont surement beneficie pour accomplir le passage des actions intermittentes a une mobilisation planetaire en continue. La derniere marche mondiale des femmes, qui s'est tenue a New York a l'automne 2000, n'aurait probablement pas ete possible sans la communication dans Internet.

Il y a, comme le remarque justement Philippe Breton (2000), une relation historique entre l'utopie de la contre-culture d'il y a 30 ans et celle d'Internet, qui est reve comme un espace de communication libre entre des individus pleinement souverains (Mattelart 2000). Pour Francois Caron, Internet realise une synthese technique comparable a celle accomplie au XIXe siecle par le chemin de fer et le telegraphe. Tandis que de cette revolution technique est nee la culture de masse, le reseau electronique, lui, s'est developpe parce qu'il apporte une reponse globale aux aspirations nees de la contestation de la civilisation de masse (Caron 2000 : 31). Internet est pour lui l'instrument de la destruction de toutes les rentes de situation ; il se joue des frontieres. Il est cense etre a meme de supprimer l'emprise des medias de masse, dote d'une capacite infinie de transformation des relations entre les hommes, il est instrument interactif de dialogue entre des individus connectes ensemble dans le monde entier.

Les cafes Internet et les autres lieux d'acces a la communication en ligne, qu'ils soient accessibles gracieusement (eglises, ONG, etc.) ou a titre onereux (cabines mobiles montees sur des vehicules), multiplient, particulierement dans les pays pauvres, l'acces occasionnel au reseau a plusieurs. Certes, ces internautes contraints de partager un rare et tres court acces avec d'autres ne sont surtout pas des inconditionnels d'Internet. Mais, il n'en faut pas plus pour que l'information, surtout les temoignages et les nouvelles locales, quitte l'espace local ou se deroule la vie de la majeure partie de l'humanite pour etre portee dans un espace global. Au gre des interets des intermediaires, des moderateurs qui administrent sa circulation, l'information entre le local et le global s'installe dans l'espace du cybermonde, et de personnelle, familiale, communautaire, elle devient matiere premiere des politiques globales. Le recit oral numerise de la grand-mere ou du grand-pere devient ainsi accessible a plusieurs a titre de temoignage. Sous une forme qu'on peut facilement et instantanement diffuser, il devient disponible et on peut le saisir aussi bien a titre de preuve apparente d'une these, d'un argument, qu'a titre de flash authentifiant un discours construit ailleurs et poursuivant des objectifs qui lui sont propres. De plus en plus de journalistes s'approvisionnent en information sur les sites qui distribuent cette information qui semble etre un temoignage en temps reel, parce qu'elle circule vite, et qui semble authentique, parce qu'elle est initialement destinee a etre lue par des proches. L'information internationale qui s'y approvisionne en illustrations spectaculaires parvient au niveau local par des chemins similaires, parfois identiques a son premier envoi. Les textes ou leurs fragments, souvent copies-colles des pages Web, sont detaches du contexte plus large et prennent place dans le paysage politique local. Ainsi, un temoignage local peut retourner en moins de 24 heures a son expediteur, legitime dans sa forme mais aussi dans son contenu, par ce passage virtuel dans l'espace electronique du village global, un non-lieu (Auge) de la modernite actuelle. L'article d'Eric Paquet presente ici et portant sur les ramifications du mouvement zapatiste dans Internet apporte un eclairage tres instructif sur les transformations subies par un discours local a l'occasion de son passage dans l'espace global.

L'acces indirect a Internet, modere par les individus et les organisations, est difficile a chiffrer, mais c'est surtout son impact politique et social que nous ignorons. Alors qu'une grande part de l'influence qu'exercent sur l'opinion publique internationale (de fait toujours surtout occidentale) les informations qui circulent dans Internet vient de la supposee immediatete, de la spontaneite du temoin qui donnerait acces a son experience, la realite est souvent radicalement differente. D'une part, en fonction des causes qu'ils ont choisi de defendre, les compagnons de route et les porteurs de valises gerent des sites qui sont certes de puissantes boites de resonance pour l'information localement generee, mais qui sont aussi hautement selectifs. D'autre part, le nombre de communiques quotidiennement mis en ligne, qui se chiffre en milliards, fait que la concurrence entre les sites est forte pour attirer l'internaute d'abord, puis pour le retenir. Enfin, la diffusion des informations dans le Web, meme si on considere uniquement les messages textuels, a ses regles, obeit a une esthetique, tant celles qui sont propres a Internet (par exemple pour les hyperliens) que celles qui sont propres au texte (qui reste tres largement narratif) afin de toucher la cible, l'opinion publique internationale ou ses fractions. Pour faire avancer une cause, il faut donc non seulement que les messages soient selectionnes, leur nombre limite, etc., mais il faut aussi que le temoin d'une part, le moderateur local d'autre part adaptent la forme et le contenu a la sensibilite des cibles de l'information. Il faut en outre qu'ils partagent avec leur public cette ethique de l'ephemere (Agacinski 2000) qui regit la communication a laquelle ils s'adonnent. Attacher le visiteur a un site, s'assurer de sa fidelite devient actuellement aussi important (parfois meme plus) que le fait de lui en vendre l'acces. Les biens echanges deviennent des services (Rifkin 2000) et, comme dans l'univers de la telephonie cellulaire, on offre de plus en plus souvent l'appareil ou l'acces en echange d'un abonnement de longue duree, l'acces gratuit a Internet etant en passe de devenir le moteur du Web marchand (Gensollen 1999). Doit-on voir la une croissance de e-communautes ou un e-esclavage ?

Bientot, les moteurs de recherche dotes d'un logiciel resumant un texte en quelques secondes (comme le nouveau logiciel elabore par Copernic) imposeront de nouvelles normes d'acces au lecteur, donc de nouvelles regles de formation d'une e-communaute. Il faudra peut-etre introduire dans le texte un nombre suffisant de mots que le logiciel retient lors de la composition du resume, de sorte que le lecteur accepte le contrat de lecture propose par le logiciel. Le besoin pour de tels outils, en depit de leur relative inefficacite, se fait de plus en plus criant etant donne la croissance en nombre des contenus disponibles. Par ailleurs, comme le rappelle justement Yves Lasfargue, Les reseaux permettent, certes, de partager des donnees, mais certainement pas des savoirs (2000 : 25). Il ne faut donc pas se leurrer, puisque, comme le rappelle Dominique Wolton (2000) et contrairement aux apparences, nous ne sommes pas mieux informes a mesure qu'augmente la quantite d'information disponible, puisque cette masse, loin d'etre eclairante, nous oblige a conduire un fastidieux travail de recherche, d'analyse, de selection et de hierarchisation, comme le fait le journaliste, dans le cas de l'imprime, en amont de notre contact avec une realite donnee.

Ce rapide panorama de ce qui s'ecrit, se dit, est reve du potentiel present et futur d'Internet et particulierement du Web permet de se rendre compte a quel point cet espace est lourdement charge de tous les vieux reves et vieux cauchemars de l'humanite. On est presque tente de conclure que plus ca change, plus c'est la meme chose. Cependant, avant de verser dans le pessimisme, il serait plus utile d'inviter le lecteur a lire ce dossier modestement ethnographique en mode hypertexte, puis de poursuivre cette entreprise de description des univers technologiquement nouveaux mais en meme temps tres familiers a plusieurs egards. Pour le moment, le cyberespace ressemble surtout a une auberge espagnole, ou chacun se nourrit de ce qu'il apporte, de sa propre banque de donnees. Le jour ou ces banques personnelles seront effectivement partagees -- mais gare a Big Brother -- une vraie communaute humaine naitra. Est-ce si different de ce dont revent et de ce qu'offrent toutes les grandes religions dont l'ambition depasse la communaute immediate ? Daniel Bell repondrait peut-etre oui, puisque l'ideologie est morte ; la lecture des textes de notre bibliographie nous rend sceptiques. Il y a plutot un grand marche ideologique qui emerge dans le Web et, rien que pour cette raison, il nous faudra toujours, dans le Web comme dans le monde reel, des reperes de la pensee critique. Pour le meilleur et pour le pire, nous sommes condamnes a la realite, sentenced to Reality comme a ecrit le poete Yehuda Amichai.

(1.) Puisque la communication passe toujours par l'ecrit numerise, bientot probablement par l'oral numerise, les caracteristiques sociales de l'ecrit et de l'oral, meme si elles sont actuellement moins fortes qu'il y a une ou deux generations, peuvent trahir l'appartenance a une categorie sociale. Le fait que les e-communautes coupent a travers les frontieres, qu'elles communiquent souvent au moyen d'un e-langage, reposant le plus souvent sur une langue de grande diffusion, l'anglais surtout mais aussi le francais ou l'espagnol, rend cette trahison involontaire d'appartenance a une categorie sociale moins probable. C'est que l'e-monde repond a ses propres regles et, au-dela de la distance spatiale ou culturelle qui separe les internautes, tous ont au moins en commun cette culture (toujours equivoque bien sur) qui est celle d'Internet. Meme dans les pratiques de bavardage electronique en temps reel, la ou le contact entre les internautes est a la fois le plus direct et le plus personnel, ce serait d'abord la culture de l'Internet Relay Chat (IRC) qui servirait de toile de fond aux echanges et, il faut bien le dire, qui permettrait aussi par-la de gommer les ecarts culturels, ne serait-ce que temporairement (Ma 1996 : 181-182).

(2.) Une tres longue histoire lui a toutefois rapidement ete construite, voir History of the Internet : A Chronology, 1843 to the Present (Moschovitis et al. 1999).

(3.) En 1998, une societe savante, l'Association of Internet Researchers, a pris forme. Apres son premier colloque tenu en 2000, l'association comptait 500 membres. Son president actuel, Steve Jones de l'University of Illinois a Chicago, a annonce le lancement de Digital Formation , une nouvelle collection de volumes imprimes sur papier et publies par la maison d'edition Peter Lang.

(4.) Sylviane Agacinski (2000 : 57-67), dans l'expression passeur de temps , propose ce terme dans un double entendement du terme passeur. Notre passeur de temps evoque ces deux significations : il s'ouvre au temps sans essayer de le maitriser, il est disponible pour faire passer, pour menager un passage d'un temps a un autre en se laissant solliciter par les traces -- traces du passe dans la ville, traces ecrites des livres. Il est un temoin, observateur passif, mais sans lequel le temps ne serait pas. En tant qu'il est a la fois passif et actif, le passeur est aussi celui par qui quelque chose passe, lui-meme lieu du passage. Il est enfin l'impossible contemporain de lui-meme ou de son temps, habitant une epoque ou chacun fait l'experience aigue du passage. (p. 57-58, les italiques sont de l'auteur). N'est-ce pas une bonne saisie de ce qui caracterise un membre d'une e-communaute ? Sommes-nous tous en passe de le devenir ? Le desironsnous ?

(5.) Voir www.stephenking.com.

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