Les ingenieurs sanitaires a Montreal, 1870-1945: lieux de formation et exercice de la profession.
Natasha Zwarich, Robert Gagnon et
Cet article a pour objet les ingenieurs sanitaires a Montreal
depuis leur emergence, au [XIX.sup.e] siecle, jusqu' au milieu du
siecle dernier. Peu etudies par les historiens de la medecine et, plus
generalement, par les specialistes de l'histoire urbaine, ces
experts ont pourtant joue un role de premier plan dans la mise en place de certaines infrastructures liees a la sante publique. Il est cependant
difficile de retracer l' histoire d'un groupe qui ne
s'est pas incarne dans des organismes de representation et dont la
formation, a l'interieur des ecoles de genie ou des facultes de
medecine, ne s'est pas completement autonomisee. En retracant
l'itineraire de carriere de quelques ingenieurs sanitaires et en
analysant le developpement de l'enseignement du genie sanitaire a
Montreal, nous avons tente de jeter un peu de lumiere sur un groupe
d'experts relativement meconnus en histoire urbaine.
This article studies the evolution of the sanitary engineers in
Montreal, from their emergence in the nineteenth century until the
middle of the twentieth century. Poorly researched by historians of
medicine and, more generally, by specialists in urban history, these
experts, however, led in the development of infrastructures related to
public health. In spite of their important role, it is difficult to
track down the history of their group, since they were not officially
represented by organizations and their training, within schools of
engineering or medical colleges, not fully independent. By describing
the career of some sanitary engineers and by analyzing the development
of the training in sanitary engineering, the authors intend to shed
light on a group of experts relatively ignored in urban history.
Au [XIX.sup.e] siecle, dans plusieurs pays d'Europe et
d'Amerique, l'industrialisation et l'urbanisation
entrainent une concentration accrue de la population dans un espace
restreint: la ville. Cette densification affecte les conditions
sanitaires ainsi que la qualite de vie en milieu urbain. De plus, les
epidemies (typhus, cholera, variole) amenent invariablement la mort a
leur suite et, de ce fait, temoignent de la faiblesse et meme de
l'inexistence de mesures hygieniques et sanitaires. Dans plusieurs
grandes villes, on assiste a une prise de conscience de la gravite de
ces problemes. Un mouvement de reformes sanitaires nait ainsi,
d'abord en Europe, puis en Amerique, ou on revendique
l'adoption de mesures d'hygiene publique.
Le [XIX.sup.e] slecle voit, par ailleurs, l'emergence de
nouveaux groupes professionnels. En effet, c'est au cours de ce
siecle que naissent plusieurs associations, societes ou ordres qui
entament un travail de definition menant a des identites
professionnelles. Leurs porte-parole auront bientot fait d'imposer
leur expertise comme necessaire a la construction d'infrastructures
qu'entrainent les effets nefastes de l'industrialisation. Les
ingenieurs, par exemple, proposent des solutions aux problemes poses par
l'urbanisation (reseau integre d'egouts, systeme
d'aqueduc, collecte des dechets, etc.). Les medecins deviennent,
quant a eux, des acteurs importants dans l'elaboration de
politiques de sante publique. Un peu plus tard, une nouvelle figure
hybride fera son apparition dans les officines de l'administration
publique: I'ingenieur sanitaire. Alliant le savoir medical et les
connaissances de l'ingenieur, il jouera un role dans la mise en
place de nouvelles infrastructures urbaines et dans I'application
des politiques sanitaires.
Or, dans le cas du Quebec et en particulier de Montreal, on ne sait
pratiquement rien sur cet acteur pourtant assez visible dans
d'autres pays. Les causes de cette meconnaissance sont multiples.
L'histoire de I'environnement commence a peine a attirer
l'attention des specialistes au Quebec. En effet, les professions
qui n'ont pas reussi a s'imposer socialement,
c'est-a-dire a se former en groupe explicite, avec une
organisation, des porte-parole, et des systemes de representation,
laissent peu de traces et restent ainsi difficiles a etudier. C'est
le cas des ingenieurs sanitaires au Quebec. Faut-il abandonner toute
pretention a connaitre l'histoire de ces acteurs qui ont neanmoins
joue un role important dans l'histoire de la sante publique? Nous
croyons qu'il est possible d'apporter une contribution a
l'histoire de ces professionnels qui se sont distingues de leurs
collegues ingenieurs en faisant valoir leur expertise et en occupant des
postes pour lesquels leurs competences etaient requises. Cet article
vise done a analyser la formation en milieu universitaire et
I'itineraire de quelques ingenieurs sanitaires dans
I'administration municipale montrealaise et provinciale de la sante
au Quebec. C'est le cas, par exemple, de Joseph-Emery Dore qui, des
1892, devient le premier ingenieur sanitaire engage par la Ville de
Montreal. Les carrieres de Theodore-Joseph Lafreniere et d'Aime
Cousineau, notamment, nous aideront a mieux comprendre les activites
specifiques de ces experts de la sante publique. Bref, si on ne peut
dresser un tableau complet de I'histoire de ce groupe meconnu du
domaine de la sante, nous tenterons neanrnoins de comprendre comment
emerge cette nouvelle expertise et nous examinerons les principaux lieux
d'exercice de I'ingenieur sanitaire.
Des sources nous permettent, en effet, de retracer les debuts
d'un enseignement universitaire consacre aux problemes de sante
publique et de genie sanitaire. Les archives des Facultes de genie et de
medecine de I'Universite McGill, de I'Ecole Polytechnique de
Montreal et de la Faculte de medecine de I'Universite de Montreal
nous renseignent ainsi sur les cours et les programmes instaures par ces
institutions universitaires pour preparer medecins ou ingenieurs a
relever les nouveaux defis suscites par la construction des
infrastructures urbaines et le developpement de la sante publique a
I'heure de la bacteriologie. Nous nous sommes penches
particulierement sur les annuaires de cours qui indiquent les debuts de
la specialisation du genie sanitaire et le curriculum des cours a suivre
par les etudiants. Les dossiers des professeurs appeles a prodiguer ce
type d'enseignement constituent egalement une source importante. En
effet, ces dossiers nous informent autant sur les savoirs transmis aux
etudiants, que sur I'emploi que certains professeurs occupent dans
I'administration municipale, ainsi que sur les associations
professionnelles dont ils sont membres. De plus, les proces-verbaux des
facultes de genie et de medecine nous eclairent sur les arguments
avances par les experts en faveur de la creation d'une telle
specialisation.
Par ailleurs, les archives de la Ville de Montreal renferment de
precieuses informations concernant I'exercice de la profession
d'ingenieur sanitaire au sein de I'administration publique
montrealaise. En effet, les rapports annuels des divers comites et
commissions ayant trait a la sante publique donnent un compte rendu detaille de leurs activites. Grace a ces documents, nous avons pu suivre
pas a pas les activites de plusieurs ingenieurs sanitaires. De plus,
nous avons consulte les Rapports de I'etat sanitaire de la cite de
Montreal. C'est dans ces documents que nous retrouvons les rapports
annuels de I'ingenieur sanitaire qui contiennent I'ensemble de
ses recommandations pour I'amelioration de la sante publique de la
ville. Ces rapports jettent un eclairage sur le role de I'ingenieur
sanitaire au sein de I'administration municipale. Nous avons aussi
considere les rapports annuels du Conseil d'hygiene de la province
de Quebec qui nous aident a comprendre le contexte general de
l'evolution de la sante publique au Quebec. Finalement, les
publications des associations professionnelles d'ingenieurs et la
presse specialisee ont egalement ete consultees.
La formation en genie sanitaire a Montreal
L'urbanisation et la sante publique a Montreal
La ville de Montreal, tout comme plusieurs grandes villes
europeennes et americaines, connait, a la fin du [XIX.sup.e] siecle, une
forte croissance de I'industrialisation et de I'urbanisation.
En effet, apres 1867, Montreal vit une periode de transformations
profondes. Ville portuaire par excellence, Montreal domine le commerce
canadien par son controle des transports et par la croissance de son
industrie lourde et manufacturiere. La classe ouvriere prend de
I'expansion et exerce une pression sur I'espace urbain. De
nouveaux types de logements font leur apparition. Si
I'industrialisation permet I'enrichissement des hommes
d'affaires, elle est aussi synonyme de conditions d'existence
difficiles pour les travailleurs. Les clivages sociaux deviennent plus
visibles. De plus, les problemes de gestion de I'ensemble urbain
prennent une toute autre ampleur, qu'il s'agisse du controle
des conditions sanitaires, de I'accessibilite aux services publics
ou de la gestion de I'administration municipale.
La croissance de Montreal a la fin du [XIX.sup.e] siecle ne se
mesure pas seulement par son activite economique mais aussi par
I'evolution de sa population. En 1871, Montreal compte deja 107 225
habitants. Trente ans plus tard, on en denombre 267 730 sans compter les
petites villes de banlieue qui seront rapidement annexees a la metropole (1). Dans le dernier quart du [XIX.sup.e] siecle, le taux
d'urbanisation connait done une augmentation assez spectaculaire.
Montreal est alors la ville la plus populeuse du Canada, puisque Toronto
n'a que 208 040 habitants en 1901. Sa taille est comparable aux
villes de Cincinnati et de Detroit, mais demeure loin derriere New York qui compte deja 3, 5 millions d'habitants en 1900 (2).
Il ne faut pas se surprendre que cette densification affecte les
conditions sanitaires ainsi que la qualite de vie des Montrealais. Si
les membres de la bourgeoisie profitent de conditions de vie excellentes
(I'espace ne manque pas, les residences sont equipees de W.-C.,
d'eau courante et, au debut du [XIX.sup.e] siecle, le telephone et
I'electricite y font leur entree), on ne peut dire la meme chose
des familles ouvrieres. Celles-ci sont cantonnees, bien souvent, dans
des quartiers defavorises sur le plan des infrastructures publiques (3).
Les conditions d'existence a Montreal sont, par ailleurs,
aggravees par la persistance de certains fleaux qui frappent parfois de
maniere inattendue. Les epidemies, par exemple, surgis-sent tout au long
du [XIX.sup.e] siecle. Qu'il s'agisse du cholera, du typhus ou
de la variole, les epidemies provoquent chaque fois la mort de plusieurs
individus et, de ce fait, temoignent de la faiblesse, voire de
I'inexistence de mesures hygieniques et sanitaires. La typhoide,
causee par la mauvaise qualite de I'eau, sevit de facon recurrente.
Les maladies contagieuses frappent tout particulierement les enfants. La
derniere grande epidemie, celle de la variole en 1885, ravage
principalement les quartiers populaires. La population et les autorites
municipales sont mal preparees pour leur faire face. Lepidemie frappe sans discerne-ment et peut atteindre tout le monde, y compris les
membres de la bourgeoisie qui ont les moyens de s'assurer une saine
alimentation et des conditions de logements adequates. Bref, les
conditions malsaines d'un seul quartier de la ville mettent en
danger toute la population urbaine.
La mise en place des infrastructures urbaines
S'inspirant des actions entreprises et des visions elaborees
en Angleterre et aux Etats-Unis, les representants des mouvements de
reforme sanitaire a Montreal proposent des solutions de type
technocratique et souhaitent I'introduction d'une nouvelle
rationalite dans la gestion des problemes urbains. Comme partout
ailleurs, la doctrine miasmatique a conduit a penser que
l'environnement joue un role crucial dans I'eclosion des
maladies et leur rapide propagation. Des le milieu du siecle, la
necessite de construire des egouts pour assainir les marais nauseabonds
a ete invoquee par les inspecteurs municipaux (4). Ceux-ci ont joue
d'ailleurs un role de premier plan dans la construction des
infrastructures urbaines reclamees par les promoteurs du mouvement
sanitaire. Les medecins ne se laissent pas ecarter pour autant. Leur
presence dans les officines de I'administration publique devient
plus visible a mesure que le siecle avance. lls reclament des autorites
qu'elles mettent en place des mecanismes de controle sanitaire
adequats et se font les promoteurs infatigables de I'hygiene
publique. Celle-ci represente une science recente, une branche nouvelle
de la medecine, qui doit encore se faire accepter. Le principal lieu d'intervention de ce groupe d'experts sur la scene
montrealaise sera le Bureau de sante cree en 1865. Cette annee-la, la
Ville adopte un reglement pour etablir un Bureau de sante qui devient
l'instance principale pour tout ce qui touche le domaine de la
sante publique a Montreal. Avant cette date, le Bureau de sante
n'etait qu'une instance temporaire pour faire face aux
epidemies qui frappaient la ville, retournant dans I'ombre aussitot
le fleau disparu. A partir de la, la participation des medecins a
I'administration montrealaise de la sante s'intensifie. La
Montreal Sanitary Association est fondee I'annee suivante et pese
de tout son poids sur le Bureau de sante pour qu'y soient nommes
des medecins permanents. La petite verole sevit alors a Montreal et le
Bureau engage deux medecins pour veiller a I'application des
reglements de sante et a I'amelioration des conditions sanitaires
(5). Ceux-ci redigeront des rapports dans lesquels ils dressent un bilan
de leurs activites et y vont de leurs recommandations. En 1868, leur
nombre passe a trois medecins, dont le D' Larocque (6).
[FIGURE 1 OMITTED]
A la fin du [XIX.sup.e] siecle, un changement de paradigme marque
le monde medical. En effet, les theses bacteriologiques commencent a
bouleverser les pratiques de I'hygiene preventive et ce nouveau savoir va permettre I'engagement d'un nouvel expert, le
bacteriologiste. En 1895, en effet, le premier bacteriologiste fait son
entree au Bureau de sante et, deux ans plus tard, un laboratoire de
bacteriologie est inaugure. Les theses bacteriologistes gagnent alors
rapidement l'administration montrealaise de la sante. Au niveau
provincial, apres 1880, le gouvernement quebecois intervient dans le
secteur de la sante. Un premier pas est franchi en 1884 quand le
legislateur promulgue la Loi d'incorporation de la Societe
d'hygiene de la province de Quebec qui siegera a Montreal (7). La
terrible epidemie de variole, qui frappe Montreal de plein fouet
I'annee suivante, a raison des dernieres reticences de
I'administration publique provinciale. En 1886, la Loi pour
I'Hygiene publique est votee, suivie deux ans plus tard par la Loi
provinciale sur la Sante publique. Entretemps, le Conseil d'Hygiene
de la province est cree en 1887 pour appliquer la nouvelle loi (8). Le
gouvernement provincial et le Conseil municipal possedent desormais les
outils institutionnels pour repandre la "bonne nouvelle"
hygieniste partout en province et plus particulierement dans la
metropole.
En cette fin de siecle, les experts du Bureau de sante doivent
s'attaquer a plusieurs problemes d'ordre sanitaire: collecte
et elimination des dechets et des cadavres d'animaux, vaccination,
verification de la qualite du lait, elimination des fosses
d'aisance, depistage des maladies, isolement des contagieux,
identification des logements insalubres, desinfection, elimination de la
vermine, etc. A Montreal, deux problemes, resultant de
I'urbanisation, ont monopolise I'energie des principaux
acteurs de I'administration municipale au milieu du siecle: la
distribution de I'eau et I'evacuation des eaux usees. En
effet, le besoin en eau potable s'est accru, pendant que les
sources d'approvisionnement, comme les petits cours d'eau,
devenaient de plus en plus polluees (9). De nouveaux besoins se sont
fait sentir, comme le nettoyage des rues a I'aide de jets
d'eau. A l'instar de plusieurs autres villes nord-americaines,
Montreal a municipalise le service de distribution de l'eau en
1845. Onze ans plus tard, apres un incendie qui a ravage une partie de
la ville, la construction d'un grand aqueduc, sous la supervision
du celebre ingenieur Thomas Coltrin Keefer, a permis d'etablir un
service d'eau courante pour tous les Montrealais (10).
Une fois l'approvisionnement en eau resolu, il restait le
probleme de I'evacuation des eaux usees rejetees par une population
entassee dans un perimetre relativement etroit. Le systeme des fosses
privees, privilegie jusqu'au milieu du [XIX.sup.e] siecle, est
remplace peu a peu par les water-closets sans qu'un systeme general
d'evacuation des eaux domestiques n'ait ete etabli. En effet,
l'accroissement de la population urbaine et la construction
effrenee de nouveaux edifices ont entraine dans toutes les villes le
debordement des fosses. Proprietaires, medecins et ingenieurs reclament
alors des mesures draconiennes et surtout fort couteuses pour assainir
la ville. Un systeme d'egouts integre (c'est-a-dire qui
collecteraient l'ensemble des eaux usees) est la solution
majoritairement privilegiee (11). A Montreal, plusieurs ingenieurs ou
arpenteurs a l'emploi de la Ville proposent donc, dans les annees
1840 et 1850, des plans pour la construction d'un systeme integre
d'egouts. Ainsi en 1842,1'inspecteur des chemins, John Ostell,
arpenteur et architecte forme en Angleterre, " prie
respectueusement le conseil [de Ville] d'accorder toute son
attention au sujet de I'egouttage qui doit etre mis en ceuvre de
maniere complete et efficace" (12). Quelques annees plus tard,
James McGill, egalement inspecteur des chemins, propose un plan
d'assainissement de la ville base sur la construction d'un
reseau d'egouts. Le Comite des chemins demande alors a
l'ingenieur civil Charles Martland Tate d'examiner le plan de
McGill. C'est finalement le nouvel inspecteur des chemins, John P.
Doyle, un ingenieur civil qui, en 1857, soit un an apres
I'ouverture du grand aqueduc, dresse les plans d'un reseau
integre d'egouts qui sera mis en place entre 1862 et 1867 (13).
Ville d'Amerique du Nord amenagee sur les bords d'un
grand fleuve, Montreal connait un climat qui provoque des ecarts de
temperature assez exceptionnels. La fonte rapide des neiges au printemps
et les debacles frequentes sur le fleuve, par exemple, n'ont pas
manque de causer des maux aux autorites et aux Montrealais qui
redoutaient a chaque annee une inondation plus ou moins importante. La
hantise de voir une epidemie meurtriere, causee par des etangs
nauseabonds ou des marais putrides, n'est donc pas le seul facteur
qui a conduit a la construction d'un reseau d'egouts au milieu
siecle. II ne faut peut-etre pas s'etonner que la metropole
canadienne ait meme devance plusieurs grandes villes etats-uniennes qui
ont attendu le dernier quart du siecle avant de fournir a leurs
habitants ce service public. Chicago, chef de file dans le domaine, a
construit son systeme d'egouts entre 1856 et 1876 (14). Son celebre
ingenieur, Ellis Sylvester Chesbrough a publie son plan d'egouttage
en 1855, deux ans seulement avant la parution du plan de John P. Doyle.
New York n'a mis en place un systeme complet d'egouts
qu'a partir de 1865 (15). Montreal n'a donc ete aucunement a
la remorque des villes americaines quand ont ete construits ses grands
collecteurs dans les annees 1860. Au Canada, elle a devance la ville de
Toronto de plusieurs decennies. La capitale ontarienne a attendu, en
effet, le debut du XXe Siecle avant d'investir dans une telle
infrastructure (16).
Or, la construction de cette importante infrastructure n'a pas
resolu tous les problemes de sante publique. Les millions de metres cube
d'eaux usees deversees dans le fleuve vont rapidement se reveler nocives pour les Montrealais. L'eau distribuee dans les foyers
cesse d'etre propre a la consommation. On s'apercevra bien
vite qu'elle est la cause de maladies graves. Bref, au debut du
[XX.sup.e] siecle, I'implantation d'usines de filtration,
l'elimination et le traitement des eaux usees sont desormais
necessaires pour assurer la sante publique des citadins, au meme titre que les reseaux d'egouts et d'aqueduc I'etaient au milieu
du siecle.
Un besoin grandissant d'experts
Au Quebec, I'industrialisation est propice, comme partout
ailleurs, a I'ascension de professions qui requierent
I'acquisition de connaissances scientifiques et techniques
necessaires a une economie de plus en plus a la remorque de la
technologie et meme des sciences. Chimistes, agronomes, ingenieurs et
architectes deviennent, des lors, une ressource humaine que I'on
s'arrache a prix d'or. Bien que les ingenieurs commencent, au
debut du siecle, a realiser les premiers grands travaux publics. il
n'existe encore, au milieu du siecle, aucun establissement qui
assure leur formation au Canada. Comme aux Etats-Unis, ils s'
initient a leur art en cotoyant un ingenieur souvent forme en Angleterre
(17). A partir des annees 1850, politiciens, hommes d'affaires,
journalistes et educateurs, commencent a evoquer la necessite pour le
Quebec d'implanter des reformes dans le systeme scolaire afin de
mieux I'adapter aux nouvelles realites economiques (18). Selon eux,
il devient urgent de former dans les nouveaux etablissements
d'enseignement superieur, non seulement des medecins, avocats,
notaires, pretres ou pasteurs, mais egalement des geologues, des
chimistes et surtout des ingenieurs. Les conditions sont alors reunies
pour que naisse une nouvelle generation d'ingenieurs, non plus
formee par I'apprentissage sur le terrain mais issue du systeme
d'enseignement superieur. L'Universite McGill cree, en 1856,
un des premiers programmes de genie civil au Canada. Vite abandonne, il
renaitra de ses cendres en 1871 (19). C'est egalement a Montreal,
dans un etablissement d'enseignement primaire de la Commission des
ecoles catholiques de Montreal (CECM), I'Academie commerciale
catholique de Montreal, qu'est fondee en 1873, une ecole
scientifique et industrielle destinee a former des ingenieurs
francophones. Trois ans plus tard, I'ecole prendra le nom
d'Ecole Polytechnique de Montreal (20). En 1887, elle parviendra a
quitter le giron de la CECM pour s'affilier a I'Universite
Laval a Montreal.
[FIGURE 2 OMITTED]
La formation des ingenieurs sanitaires aux Etats-Unis
Avant d'examiner le development des cours et des programmes de
formation en genie sanitaire a Montreal, il convient de jeter un regard
sur ce qui s'est fait dans ce domaine au sud de la frontiere
canadienne. Aux Etats-Unis, le development de I'enseignement du
genie sanitaire, a la fin du [XIX.sup.e] siecle, va permettre de former
plusieurs ingenieurs sanitaires et d'influencer le development de
cette specialisation du genie. Rappelons qu'au niveau superieur,
I'enseignement scientifique et technique doit son development au
gouvernement federal et au Morrill Grant Land Act. Cette loi instauree
en 1862 prevoit la donation de terres afin d'y construire des
institutions d'enseignement superieur qui dispensent une formation
pratique. Une des plus importantes ecoles techniques a voir le jour grace a cette loi est le Massachusetts Institute of Technology (MIT).
Quelques annees plus tard, en 1888, I'Etat du Massachussetts, qui
s'interroge sur les conditions sanitaires des cours d'eau,
demande au personnel du MIT de faire des analyses chimiques et
bacteriologiques de I'eau. C'est a ce moment que la
bacteriologie, qui jusque-la faisait partie du cours de biologie, est
integree au curriculum d'un nouveau programme de genie sanitaire
(21). C'est le premier programme de formation d'ingenieur
sanitaire a voir le jour en sol americain. Comme nous le verrons plus
loin, c'est dans cette institution que des ingenieurs quebecois
iront parfaire leur formation.
La rencontre de plusieurs experts en sante publique de la
Rockefeller Foundation, en 1914, est propice aux discussions sur la
definition de la sante publique et, surtout, sur le type de formation a
privilegier pour ceux qui se destinent a une carriere dans ce domaine.
Pour certains, la sante publique est un amalgame de medecine, des
sciences sociales et des sciences de I'ingenieur; il faut donc une
formation specialises dans chacun de ces champs d'etudes. Pour
d'autres, la sante publique est une combinaison de genie sanitaire
et de bacteriologie.
Certains voient la sante publique comme etant un probleme de
reformes sociales et d'organisation et donc, du ressort des
politiciens. Au terme d'un long questionnement, un consensus emerge
autour de la creation d'une ecole nationale de sante publique. Elle
devra etre affiliee a une universite tout en ayant son identite propre.
Elle ne doit pas etre un simple departement d'une faculte de
medecine ou de genie. L'ecole doit avoir son propre batiment et des
membres assurant l'enseignement et la recherche. Elle doit etre
situee dans une ville portuaire, ou debarquent quotidiennement plusieurs
immigrants, mais a proximite des regions rurales. Deux ans plus tard, la
premiere ecole nationale de sante publique voit le jour a Baltimore. La
School of Hygiene and Public Health est affiliee a la Johns Hopkins
University ou le genie sanitaire et la medecine seront egalement
enseignes (22). C'est donc la deuxieme universite a offrir une
formation en genie sanitaire, apres le MIT. Ensuite, cette formation se
repand un per partout sur le territoire. Ainsi en 1938, 10 universites
offrent un diplome de sante publique et douze ecoles d'ingenieurs
decernent des diplomes d'ingenieur sanitaire (23).
Ecole Polytechnique de Montreal et Faculte de genie de I'
Universite' McGill
A Montreal, la Faculte de genie de McGill et I'Ecole
Polytechnique connaissent des developpements fort differents. Appuyee de
facon eclatante par la grande bourgeoisie montrea-laise composee presque
exclusivement d'anglophones, I'Uni-versite McGill connait une
expansion remarquable au tournant du siecle. Les Molson, Redpath,
Workman et surtout le magnat du tabac, William Macdonald, deversent des
millions de dollars dans les coffres de l'Universite (24). Avant le
debut du [XIX.sup.e] siecle, des departements de genie civil, de genie
minier, de genie mecanique, de genie electrique et de chimie pratique
sont deja mis sur pied. L'Ecole Polytechnique ne jouit pas des
memes conditions d'epanouissement. Apres la premiere decennie du
[XIX.sup.e] siecle, elle n'aura forme que 250 ingenieurs civils,
tandis que la faculte de genie de McGill aura produit quelques 1 150
ingenieurs specialises et architectes (25). Coupes des milieux
industriels, les diplomes de Polytechnique vont oeuvrer surtout dans la
fonction publique et, dans une moindre mesure, dans le secteur du
genie-conseil. Quelques-uns d'entre eux partici-peront ainsi a la
mise en place des principales infrastructures de Montreal au tournant du
siecle. Comme nous le verrons, le premier ingenieur sanitaire engage a
la Ville de Montreal est un produit de cette ecole de genie francophone.
En Europe, mais plus aux Etats-Unis encore, la formation en genie
sanitaire est offerte soit dans les ecoles de sante publique, soit dans
les ecoles de genie (26). Dans les ecoles d'ingenieurs,
I'enseignement se concentre sur les questions techniques, et
principalement sur celles qui ont trait a I'eau potable, aux eaux
usees et au traitement des ordures. Dans les institutions qui offrent
des programmes en sante publique, on y trouve plutot des cours generaux
d'hygiene et de biologie. Montreal est certes une ville
particulierement interessante pour i'etude du genie sanitaire
puisqu'on y trouve, comme on I'a vu, ces deux types de
formation depuis le debut des annees 1870. En milieu anglo-phone,
c'est principalement le departement de sante publique de la Faculte
de medecine de I'Universite McGill qui s'interessera au genie
sanitaire. Tandis qu'en milieu francophone, I'Ecole
Polytechnique de Montreal, a I'interieur de son programme de genie
civil, se preoccupera de donner les notions de base en genie sanitaire.
Le genie sanitaire a la Faculte de medecine de I'Universite
McGill
Dans le dernier quart du [XIX.sup.e] siecle, on commence alors a
voir apparaitre, ca et la, des cours d'hygiene et
d'assainissement dans les programmes des facultes de medecine et de
genie de I'Universite McGill. En 1875, on inaugure alors un cours
specialise sur I'hygiene et la sante publique a la Faculte de
medecine. Le cours ne sera cependant ouvert aux etudiants des autres
facultes dont celle de genie qu'au cours de I'annee scolaire
1890-1891 (27). Le developpement de l'administration publique de la
sante pousse alors certainement I'Universite McGill a
s'interesser de plus pres au genie sanitaire, notamment pour
initier les etudiants de la Faculte de genie qui, a cette epoque.
inaugure des specialites comme le genie mecanique et le genie
electrique. II ne s'agit certes pas d'inaugurer un programme
de formation complet en genie sanitaire, mais on songe neanmoins a
offrir un cours dans le cadre du programme de genie civil. On peut lire,
en effet, dans le rapport annuel de I'Universite McGill en 1889:
There as been some demand for a course in Sanitary Engineering [...].
The problem of the disposal of waste is so intimately associated with
the promotion and preservation of public health that it has become
one of the most important which confronts modern civilisation and
must be faced by every civil engineer. Our medicine faculty must be a
leader in meeting every new demand of social need. (28).
Une annee plus tard, la Faculte de genie de McGill inaugure ainsi
un cours de sanitation, offert aux etudiants de premiere annee en genie
civil qui vise notamment a transmettre des connaissances sur le drainage
et la ventilation des habitations et des batiments et sur les moyens
d'evacuer les eaux de surface (29). C'est toutefois au sein de
la Faculte de medecine que se developpera le genie sanitaire. Tout
commence au cours de I'annee scolaire 1896-1897, alors que le
Departement de sante publique et de medecine preventive prend forme.
Plusieurs enseignants de retour d'Europe, introduisent
I'enseignement de la bacteriologie au programme. Finalement, afin
de faciliter l'assimilation des matieres enseignees, on inaugure,
en 1898, un musee de sante publique et de medecine preventive.
Tout est maintenant en place pour assurer la formation en sante
publique. Quelques annees plus tard, en effet, la Faculte de medecine
institue un enseignement superieur conduisant a un diplome en sante
publique et en science sanitaire (30). Pour les ingenieurs civils qui
ont suivi des cours d'hygiene et des cours de genie municipal,
c'est I'occasion de completer leur formation recue au niveau
du baccalaureat par un diplome d'etudes superieures. La Faculte de
medecine dispense les cours en sante publique et la Faculte de genie
complete la formation grace a des cours qui couvrent les aspects plus
techniques des infrastructures urbaines. Les cours sont ouverts, entre
autres, aux etudiants en genie, mais des etudiants de medecine y sont
egalement inscrits. Le programme s'echelonne sur une annee
academique. Pour s'inscrire, les candidats doivent avoir en leur
possession un diplome de baccalaureat et avoir occupe un emploi dans
leur discipline respective pendant un an. Les travaux pratiques sont a
I' honneur et un stage aupres des medecins hygienistes fait partie
du programme. Ainsi, au moment de la mise sur pied du programme, le
D' Wyatt Johnston fait des demarches aupres du medecin officier de
sante a la Ville de Montreal, D(r) Louis Laberge, afin que des etudiants
puissent faire des stages sous sa supervision (31). Les matieres du
cours d'etudes superieures de sante publique et de science
sanitaire vont de I'epidemiologie a la bacteriologie, en passant par la biologie, la microbiologie, la physiologie, les principes et
pratiques de la sante publique, I'assainissement, I'hygiene
industrielle et professionnelle, I'organisation et
I'administration des services de la sante publique. De plus, les
candidats doivent suivre un cours de trois mois en bacteriologie dans
lequel une attention speciale est portee aux organismes pathogenes et
aux parasites.
Au terme de ce cours, les finissants passent un examen pratique
dans lequel ils doivent effectuer une analyse bacteriologique. Les
etudiants suivent egalement un cours, d'une duree de trois mois, en
chimie sanitaire. Cet enseignement comprend, bien sur, des travaux
pratiques en laboratoire et demeura inchange pendant un demi-siecle.
Compte tenu de la diversite de formation des etudiants inscrits a ce
cours, la Faculte de medecine de McGill cree des diplomes specialises
qui repondent aux besoins specifiques de chaque groupe d'experts.
C'est ainsi qu'on delivre un diplome specialise en genie
sanitaire. En effet, durant I'annee universitaire 1908-1909, des
cours speciaux en hygiene sont crees, dont un specifiquement pour les
ingenieurs civils. Ces derniers peuvent finalement obtenir un diplome en
genie sanitaire. La description du McGill University Calendar, nous
apprend que:
this course is given to meet the requirements of engineers,
particularly those making a specialty of sanitary engineering. The
object of the instruction is to elucidate the public health
principles involved in engineering problems, e.g., ventilation, water
supplies, sewerage disposal, and drainage systems (32).
Des ingenieurs sanitaires diplomes vont enfin pouvoir joindre les
rangs de la fonction publique ou du secteur prive. Or, comme nous allons
le voir plus. loin, on ne retrouvera aucun d'eux dans les
organismes quebecois de sante publique. En fait, les ingenieurs diplomes
sont rares a s'inscrire a ce programme d'etudes superieures.
De plus, beaucoup de finissants de McGill quittent le Quebec apres leurs
etudes. En 1909, seulement un tiers d'entre eux exercent leur
profession dans cette province. Pres du quart vont meme oeuvrer en
dehors du pays. ll faut dire que seulement 45 pour cent des diplomes de
McGill, a cette epoque, sont originaires du Quebec (33).
Le genie sanitaire a l' Ecole Polytechnique de Montreal
Chez les francophones, la formation d'ingenieur sanitaire,
contrairement a l' Universite McGill, n'est pas prise en
charge par la Faculte de medecine de I'Universite de Montreal. On
la retrouvera plutot a l'Ecole Polytechnique de Montreal ou, en
1914, est inaugure un premier cours de genie sanitaire. Precisons,
toutefois, que ce cours s'inscrit a I'interieur du programme
de genie civil et ne mene nullement a l'obtention d'un diplome
en genie sanitaire. Ce cours, d'une duree de 85 heures, est donne
par Theodore-Joseph Lafreniere. Diplome de l'Ecole Polytechnique de
Montreal en genie civil en 1910, Lafreniere est alle se perfectionner au
MIT, ou il a obtenu une maitrise en genie sanitaire en 1912. ll occupe
alors le poste d'ingenieur en chef du Conseil d'hygiene de la
province de Quebec. On peut supposer que Lafreniere importe, a
l'Ecole Polytechnique, une partie du programme du MIT (34). Le
cours de genie sanitaire, suivi a la derniere annee du programme de
genie civil, aborde surtout les techniques liees aux traitements des
eaux usees et a la filtration de I'eau. Les cours de specialisation
sont completes par des travaux en laboratoire, des travaux pratiques
ainsi que par des visites a des usines. Le contenu de ce cours subira
tres peu de modifications jusqu'en 1930, si ce n'est une mince
reduction des heures de cours.
Tout comme a I'Universite McGill, les etudiants de
Polytechnique doivent suivre par ailleurs, des leur premiere annee de
formation, un cours d'hygiene sociale qui, encore la, examine les
questions liees au domaine du genie sanitaire. D'une duree de 10
heures par semestre, ce cours qui s'echelonne sur quatre annees est
donne par un medecin, le [D.sup.r] Joseph-Albert Baudouin, professeur a
la Faculte de medecine de I'Universite de Montreal et principal
professeur du programme specialise en hygiene appliquee (35). Diplome en
sante publique de la School of Hygiene and Public Health de
I'Universite Johns Hopkins a Baltimore, Baudouin a mis sur pied un
cours d'hygiene specialement concu pour les etudiants de
I'Ecole Polytechnique de Montreal (36). Ce cours permet aux futurs
ingenieurs de mieux saisir les problemes lies a I'hygiene publique
et d'etre en mesure de prendre des decisions eclairees au moment de
la mise en place d'equipements sanitaires.
En somme, nous remarquons que plusieurs cours du programme de genie
civil, au debut du [XIX.sup.e] siecle, abordent des notions concernant
I'assainissement urbain. Contrairement au milieu anglophone, le
cours de genie sanitaire et les matieres se rapportant aux
infrastructures sanitaires se donnent princi-palement a I'Ecole
Polytechnique de Montreal plutot que dans une faculte de medecine. La
formation en genie sanitaire de ces deux institutions est donc tres
differente, puisque I'une met davantage I'accent sur la sante
publique et la bacterio-logie, alors que I'autre se concentre
surtout sur les questions purement techniques de I'ingenieur. De
plus, la specialisation en genie sanitaire de I'Ecole Polytechnique
de Montreal s'offre au niveau du baccalaureat, tandis que
I'Universite McGill, des le tournant du [XIX.sup.e]siecle, propose
bien des graduate courses a ses etudiants, mais un seul en genie
sanitaire. II sera donc impossible, pour les etudiants, de poursuivre
des etudes de cycles superieurs en genie sanitaire a I'Ecole
Polytechnique de Montreal ou a McGill. C'est pourquoi, comme nous
le verrons, plusieurs diplomes de Polytechnique vont parfaire leur
formation dans les universites americaines.
La pratique du genie sanitaire a Montreal
L'emergence et le developpement du genie sanitaire
Comme on I'a vu, la medecine preventive commence a
s'implanter au Quebec a partir du milieu du [XIX.sup.e] siecle.
Cette pratique s'est d'abord developpee en Europe puis aux
Etats-Unis (37). En Angleterre, la figure de proue de la montee de la
medecine preventive -- et par-la de celle des medecins -- est John Simon qui accede a la presidence du General Board of Health en 1854 et au
Conseil prive de la couronne en 1858 (38). II est le grand responsable
de la participation des medecins a I'expansion du domaine de la
sante publique. Dans les annees 1880, leur contribution debouche sur la
construction d'identites professionnelles distinctes chez les
differents praticiens de la sante (39). Ainsi, des associations
professionnelles consacrees a I'avancement des connaissances en
medecine preventive voient le jour, tels le College of State Medicine,
le Royal Institute of Health, I'Institute of Hygiene et le Royal
Sanitary Institute. Ce dernier assurera alors la formation d'un
nouvel acteur sur la scene de la sante publique, I'ingenieur
sanitaire. Ce nouvel expert jouera un role dans la mise en place de
nouvelles infrastructures urbaines et dans I'elaboration de
politiques sanitaires. On voit alors naitre des associations
professionnelles specialisees de genie sanitaire, comme
I'Association of Municipal and Sanitary Engineers creee en 1873 et
I'lnstitute of Sanitary Engineers fondee en 1895. Cette derniere
deviendra I'Institution of Sanitary Engineers en 1916.
En France, les ingenieurs sanitaires initient un premier travail de
regroupement, en 1892, avec la creation d'une revue, Genie
sanitaire, qui parait de maniere episodique de 1892 a 1900. Trois ans
plus tard, la Societe des ingenieurs et des architectes sanitaires de
France voit le jour. Cette societe reunit jusqu'a 250 membres, mais
les nombreuses dissensions entre ces derniers entrainent sa disparition
quelques annees seulement apres sa fondation. Elle renaitra en 1901 et
s'unira a la Societe de medecine publique et d'hygiene
professionnelle afin de fonder la Societe de medecine publique et de
genie sanitaire. L'influence croissante des ingenieurs sanitaires,
plus nombreux, commence alors a se faire sentir dans le champ de la
sante publique, notamment au sein de cette nouvelle association
professionnelle. C'est vers les annees 1900 que le genie sanitaire
se developpe a une plus grande echelle. Outre I'emergence
d'associations professionnelles specialisees, la Loi sur la sante
publique de 1902, qui voit finalement le jour apres 15 ans de debats
parlementaires, a, sans conteste, contribue a I'essor dugenie
sanitaire en France. Cette loi oblige les villes a se doter d'une
reglementation sanitaire et de bureaux d'hygiene. A cet effet, les
ingenieurs sanitaires seront appeles a jouer un role grandissant, aux
cotes des medecins, au sein de ces bureaux (40).
Ailleurs en Europe, le genie sanitaire va egalement se developper.
Le Congres international de sante publique, organise pour la premiere
fois en 1852, en temoigne annee apres annee. Ingenieurs, architectes et
medecins oeuvrant dans I'administration municipale s'y
rencontrent et echangent sur les differents problemes de sante publique,
notamment ceux lies a la mise en place d'infrastructures urbaines.
Depuis 1876, le genie sanitaire est reconnu par ce Congres qui lui
consacre une section specifique. On y aborde divers sujets comme
I'approvisionnement des villes en eau potable, les conditions
sanitaires urbaines, la ventilation et la pollution de I'air, le
traitement des dechets et I'entretien des voies publiques.
L'historienne Viviane Claude mentionne que dans certains congres,
d'autres sujets pouvaient etre abordes dans la section reservee au
genie sanitaire tels que la salubrite des habitations (Paris, 1889), les
aspects hygieniques des chemins de fer (Londres, 1891), le logement
ouvrier (Budapest, 1894) et I'administration de la sante publique
(Berlin, 1907) (41). Chaque pays, hote du congres, etablit des
correlations entre la rencontre et leurs propres preoccupations
sanitaires. Ces rencontres favorisent la mise sur pied des periodiques
scientifiques de genie sanitaire.
Au cours des annees 1870 et 1880, les hygienistes americains,
principaux representants de ce que Stanley Schultz appelle les [much
less than] environnementalistes moraux [much greater than] (42),
travaillent a acquerir une autonomie professionnelle dans le champ en
emergence qu'est le genie sanitaire. Une revue professionnelle est
creee en 1877, le Plumber and Sanitary Engineer qui, trois ans plus
tard, devient le Sanitary Engineer (43). Ce sont leurs efforts qui
conduisent a la creation du premier programme de formation en genie
sanitaire au MIT.
Aux Etats-Unis, trois experts vont assumer des roles de premiere
importance dans le domaine de la sante publique: les medecins, les
bacteriologistes et les ingenieurs specialises en genie sanitaire. Ces
derniers, qui entrent plus tardivement sur la scene de la sante
publique, auront pour mandat de transiger directement avec les
contraintes environnementales et d'assurer I'assainissement de
I'espace urbain. II est important de noter cependant que, dans la
plupart des pays, dont le Canada, la profession d'ingenieur
sanitaire ne jouit pas d'un statut juridique qui protege le titre
et I'exercice de la profession.
L'engagement du premier ingenieur sanitaire a la Ville de
Montreal
Comme en Europe et aux Etats-Unis, la creation d'associations
sanitaires et de revues medicales et le pouvoir exerce par les medecins
au sein de I'administration municipale vont rendre inevitable
I'application de mesures sanitaires a Montreal. La necessite
d'engager un ingenieur sanitaire ne manquera pas d'etre
evoquee. Le [D.sup.r] Alphonse-Barnabe Larocque est I'un des
premiers medecins a oeuvrer au sein du Bureau de sante.
Avant meme d'etre nomme medecin officier, il etait connu pour
sa participation au mouvement hygieniste naissant a Montreal. Membre
fondateur de la Montreal Sanitary Association (MSA), il avait signe un
memoire presente au Conseil de Ville en 1867. Les membres de la MSA,
dont Larocque est I'un des deux secretaires, n'avaient pas
neglige de souligner que Montreal affichait un des pires taux de
mortalite en Amerique, taux egale seulement par les quartiers les plus
mal fames de New York. lls s'etaient penches sur les causes de ces
morts prematurees dont la majorite etait des enfants. II s'averait,
selon eux, que les mauvaises conditions sanitaires de la ville etaient
responsables de ce taux anormalement eleve de mortalite.
Un an plus tard, Larocque, maintenant medecin officier au Bureau de
sante, loin de renoncer aux idees qu'il defendait au sein de la
MSA, mettra toutes ses energies a les concretiser. L'assainissement
urbain est, pour lui, une condition sine qua non au developpement
economique d'une ville de l'importance de Montreal. II est
convaincu que I'hygiene est une science qui aide les peuples a
s'elever intellectuellement. Les habitants d'une ville
destinee a joindre les rangs des grandes cites du monde ne sauraient
s'en passer. Ces arguments ne peuvent que toucher ceux qui
detiennent les renes du pouvoir dans la metropole. Elus municipaux,
proprietaires de logements et hommes d'affaires ne resteront pas
insensibles au discours du principal officier du Bureau de sante pendant
plus de 15 ans. Dans son premier rapport, en 1869, Larocque se laisse
aller a un certain lyrisme qui revele sa foi en la science, et plus
particulierement la science hygieniste. Cette profession de foi
s'accorde, comme on peut le constater dans cet extrait, avec
I'[much less than] environnementalisme moral [much greater than]
ambiant de l'epoque (44).
Nous admirons les ameliorations qu'ont fait les autorites,
mais ne devons-nous pas en meme temps faire preuve de cet esprit
de progres qui a pour but non seulement de garantir les Citoyens
contre toute sorte de maladies, mais aussi de donner a toute la
population cette force physique et morale qui feront son bonheur.
L'hygiene est la science a laquelle on doit avoir recours pour
ameliorer la condition physique, intellectuelle et morale des masses.
La Civilisation moderne en a si bien compris l'importance que les
principales villes d'Europe et d'Amerique ont recours a I'hygiene
comme etant le plus puissant levier pour faire avancer les peuples
dans la voie du progres. Montreal appelle a devenir par sa position
geographique, ses ressources materielles et intellectuelles la ville
la plus importante de la Puissance du Canada, negligerons-[nous]
d'accepter un puissant moyen de prosperite offert dans une reforme
sanitaire? Nous esperons qu'il n'en sera pas ainsi (45).
La participation du Bureau de sante au dossier des egouts va mener,
quelques annees plus tard, a I'engagement d'une personne
qualifiee, possedant a la fois les competences d'un ingenieur et
celles d'un hygieniste. Le D' Larocque se fera un devoir de
convaincre l'administration municipale de la necessite d'avoir
un ingenieur sanitaire parmi son personnel. Dans son rapport annuel de
1880 sur I'etat sanitaire de la ville, il y va d'une premiere
intervention dans ce sens. Apres avoir souligne l'importance du
travail des inspecteurs sanitaires, il s'empresse d'ajouter:
Cependant, je dois dire que dans certains cas, les services
d'uningenieur sanitaire seraient requis. On sait d'ailleurs que tout
ce qui a rapport aux egouts, a la ventilation, aux tuyaux de gaz, a
la construction des habitations, est du ressort de l'ingenieur
sanitaire. [...] Le Bureau de sante a adopte certains reglements
concernant la construction et l'assainissement des habitations.
execution des travaux par ces reglements est difficile, a cause du
manque d'ingenieurs competents dans cette branche du genie,
quiest reconnue comme des plus importantes au point de vue de la
sante. Nous n'avons qu'a consulter les rapports sanitaires d'Europe
et des Etats-Unis pour nous convaincre que le soin de travaux aussi
importants ne peut etre confie qu'a des ingenieurs speciaux (46).
II revient a la charge, I'annee suivante, en affirmant que le
genie sanitaire a atteint un degre de maturite qui est un gage de succes
pour toute organisation sanitaire. Dans tous les bureaux de sante
americains ou europeens, declare-t-il, y oeuvre un ingenieur sanitaire
(47). Ces commentaires de I'officier de sante ont d'ailleurs
suscite I'etonnement de I'inspecteur des chemins de la Ville,
I'ingenieur George Ansley, qui retorque que, depuis 1878,
I'inspection des drains prives est sous la responsabilite du Comite
des chemins. Des lors, il ne comprend pas la necessite pour le Bureau de
sante d'engager un ingenieur sanitaire afin d'inspecter des
travaux qui ne sont pas sous sa responsabilite. Larocque ne se laisse
pas demonter pour autant et lui replique qu'un projet de reglement
est sur le point d'etre adopte:
In our new Health By-Law, which will soon be considered by the
Board and a committee of medical men, the appointment of a Sanitary
Engineer (as assistant) is recommended. It seems to me that such an
official will be the more necessary as we intend recommending the
adoption of the suggestions concerning the drainage of the
City [...] (48).
Malheureusement pour Larocque, ces reglements souhaites ne
franchiront pas I'etape de I'adoption. Le Comite de sante sur
lequel ne siege que des elus n'est pas pret a s'engager dans
cette voie. Larocque doit mettre en veilleuse, pour I'instant, son
projet de doter la ville d'un ingenieur sanitaire.
Son successeur, le [D.sup.r] Louis Laberge, reprend toutefois le
flambeau. Lorsque le Comite des chemins recommande, en 1888, que
I'inspection des drains prives soit desormais du ressort du Bureau
de sante, le [D.sup.r] Laberge saute sur I'occasion pour
ressusciter le dossier de I'engagement d'un ingenieur
sanitaire. Les nombreuses plaintes formulees contre I'inspecteur
des egouts domestiques et les malentendus frequents qui surgissent entre
les deux instances ont incite les membres du Comite des chemins a ceder
leur champ de competence sur ces egouts (49). Ces deux medecins ne
seront pas les seuls a reclamer I'engagement d'un ingenieur
sanitaire. En effet, plusieurs de leurs collegues vont se servir des
pages du Journal d'hygiene populaire, organe officiel du Conseil
d'hygiene de la province de Quebec, pour signaler que les reformes
sanitaires passent notamment par I'engagement d'un tel expert.
Le [D.sup.r] Elzear Pelletier souligne qu'afin d'assurer le
fonctionnement permanent du Bureau de sante, il faut [much less than]
attacher a son service un ingenieur sanitaire [...] qui serait charge de
conduire les travaux se rapportant a la salubrite publique;
jusqu'ici, il n'a encore ete rien fait dans ce sens, soitpar
esprit d'economie, our peut-etre meme a raison de
I'indifference des autorites. ll me semble que I'utilite de
cette mesure est incontestable, et on ne devrait pas reculer devant une
telle depense" (50). Le Dr J. I. Desroches, quant a lui, precise,
dans un article sur I'hygiene municipale, "I'extreme
importance d'avoir un ingenieur sanitaire attache au departement de
la sante" (51). Au cours d'une de ses assemblees, la Societe
medico-chirurgicale recommande la nomination d'un ingenieur
sanitaire (52).
ll faudra cependant attendre quatre ans avant de voir un ingenieur
sanitaire a I'emploi de la Ville. Ce n'est qu'en 1892, en
effet, que la Commission d'hygiene de la Ville propose finalement
d'engager ce type d'expert. Elle veut confier a ce dernier la
mise en place de mesures pour ameliorer les conditions sanitaires de la
ville. ll aurait notamment a preciser les meilleurs moyens pour enrayer
les causes de I'insalubrite. Pour ce faire, il devra notamment se
pencher sur la question de la ventilation des egouts publics et prives.
ll aura egalement la tache de voir a la bonne marche de
I'inspection des maisons en rapport avec la sante et de superviser
la construction d'incinerateurs publics (53). Le Comite des
finances approuve l'engagement d'un ingenieur sanitaire en vue
de reorganiser le service de sante de la ville. ll fixe son salaire a
2000 $ par an, avec une augmentation annuelle de 100$.
En juin 1892, la Commission d'hygiene organise un concours pour combler le nouveau poste d'ingenieur sanitaire. On retient
huit candidats sur une vingtaine. D'abord, J. Spenard, ingenieur
civil, diplome de I'Ecole Polytechnique de Montreal et Emile Jules
Thomas, issu de l'Ecole .superieure de genie civil de Belgique, qui
retire finalement sa candidature. On remarque egalement D.H. Fergusson,
autodidacte, qui a travaille a Edimbourg, et qui presente des lettres de
recommandation de directeurs de manufactures. Ce dernier a aussi
supervise des ouvriers en usine. ll dit avoir adapte certaines machines
a des fins mecaniques, notamment pour evacuer I'eau dans les tuyaux
"which necessited a practical knowledge of both plumbing work and
the best mode of ventilation " (54). ll y a aussi Leon Vermette,
medecin, diplome de I'ancienne faculte Victoria de
I'Universite Laval, Joseph Haynes, professeur a l'Ecole
Polytechnique de Montreal, recommande par I'Association des
architectes mais neanmoins autodidacte, A.C. Barber, "first class
Sanitary Plumber" et Alcide Chausse, architecte. En ce qui concerne
ce dernier, il presente une lettre signee par quatre medecins. Ceux-ci
mentionnent notamment" Comme monsieur Chausse est architecte, nous
croyons devoir ajouter qu'apres un medecin, la charge
"d'ingenieur sanitaire" ne peut mieux convenir qu'a
un architecte, vu qu'ils sont inities a construire toujours dans un
but hygienique" (55). Finalement, s'ajoutent les candidatures
de UP. Boucher, expert en travaux hydrographiques et Onesime Simard,
ingenieur civil et arpenteur. Ces deux derniers ont ete formes a
l'Ecole Polytechnique de Montreal.
Comme on le voit, l'identite de l'ingenieur sanitaire est
loin d'etre cristallisee dans la derniere decennie du siecle a
Montreal. Des individus provenant de divers milieux professionels jugent
qu'ils sont aptes a chausser les souliers de l'ingenieur
sanitaire.
Ingenieurs civils, architectes, medecins, plombiers et autodidactes
considerent leur formation et leur experience suffisantes pour exercer
cette profession naissante et pas encore bien definie. Le Comite de
selection ne le voit toutefois pas du meme ceil puisqu'il ne
retient aucun de ces candidats. En effet, aucun d'entre eux
n'appartient a une association d'ingenieurs sanitaires qui ont
vu le jour au cours de cette decennie ou la prece-dente en Europe et aux
Etats-Unis. Quant a ce type de formation, il commence seulement a
emerger au sud de la frontiere canadienne. Au Canada, les institutions
universitaires n'ont bien sur pas encore inaugure de tels
programmes. ll n'est donc pas surprenant de voir des individus aux
profils assez disparates postuler sur ce poste et de constater
I'absence d'un veritable ingenieur sanitaire. On notera
toutefois que, si l'on en juge par les candidats retenus, les
ingenieurs considerent d'ernblee que le genie sanitaire est une
specialite du genie civil et qu'ils peuvent legitimement remplir
les fonctions d'un ingenieur sanitaire.
Devant I'impasse, on propose alors d'augmenter le salaire
annuel prevu a 3000$ afin d'attirer de meilleurs candidats, comme
si l'appat du gain pouvait faire surgir comme par magie ce type
d'expert. Cette motion est d'ailleurs defaite. Apres plusieurs
deliberations, c'est finalement l'un des candidats, U.P.
Boucher, qui est retenu. Toutefois, des rumeurs circulent selon
lesquelles il y aurait eu des pots de vins verses par les candidats aux
membres de la Commission pour obtenir le poste convoite. L'histoire
tourne court mais revele toutefois que la Commission d'hygiene
n'a examine que huit candidatures sur les 21 postulants (56). Apres
plusieurs jours de vives discussions entre les membres de la Commission
d'hygiene, le poste est finalement attribue a Joseph-Emery Dore qui
n'avait pas ete retenu lors de la premiere selection (57). Ce
dernier est un diplome de l' Ecole Polytechnique de Montreal. Apres
sa promotion en 1881, il a oeuvre au departement des chemins et canaux
du gouvernement federal. ll a travaille ensuite aux Etats-Unis. De
retour a Montreal en 1889, il a ouvert un bureau d'ingenieur civil.
ll entre au service de la Ville en 1892 sans que l' on puisse
savoir s'il a acquis une experience en genie sanitaire. Sa premiere
tache en tant qu'ingenieur sanitaire sera de reviser les
regle-ments de drainage et de plomberie qu'on s'apprete a
adopter.
La saga de I'engagement du premier ingenieur sanitaire dans
I'administration de la sante publique montre qu'en
I'absence d'un programme de formation en genie sanitaire dans
les institutions universitaires au Quebec, les candidats presentent des
profils fort differents qui ont cause des maux de tete aux membres de la
Commission d'hygiene. Elle nous revele egalement que les ingenieurs
s'averent les experts les plus enclins a se considerer comme aptes
a exercer la pratique du genie sanitaire meme s'ils n'ont recu
aucune formation specifique dans ce domaine.
L'ingenieur sanitaire dans l'administration publique a
Montreal
Comme on l'a vu, la formation en genie sanitaire
s'implante graduellement dans les universites montrealaises au
tournant du [XIX.sup.e] siecle. Des ingenieurs, rompus aux notions
d'hygiene publique et aux techniques du genie sanitaire, sont
maintenant prets a joindre les rangs de la fonction publique. Or, la
specialisation en genie sanitaire a I'Ecole Polytechnique de
Montreal ne mene pas a un diplome d'ingenieur sanitaire.
L'exercice de la profession d'ingenieur au Quebec montre
d'ailleurs, a l'evidence, que les individus qui ont occupe
cette profession n'ont pu se contenter de la formation offerte par
l'ecole de genie montrealaise. En effet, nous avons pu retracer la
carriere des premiers ingenieurs sanitaires francophones en consultant
les annuaires des anciens diplomes de l'Ecole Polytechnique de
Montreal. Ces annuaires revelent que les ingenieurs de Polytechnique qui
ont fait carriere comme ingenieur sanitaire ont pratique-ment tous du
parfaire leur formation aux Etats-Unis. En ce qui concerne les
ingenieurs formes a McGill et qui auraient exerce la profession
d'ingenieurs sanitaires, il nous a ete malheureu sement impossible
de les retracer. ll n'existe, en effet, aucune source semblable qui
nous aurait instruits sur leur cheminement de carriere. Nous savons
cependant que les ingenieurs sanitaires anglophones ont plutot ete rares
a exercer au Quebec. Si les ingenieurs francophones ont ete nombreux a
ceuvrer dans la fonction publique municipale ou provinciale, il
n'en a pas ete de meme pour les ingenieurs anglophones qui, en
grande majorite, ont exerce leur profession dans le secteur prive (58).
En ce qui concerne plus particulierement le genie sanitaire, cette
specialite s'est surtout exercee, comme nous le verrons, dans les
administrations publiques municipales et provinciale. ll ne devrait, par
consequent, pas etre surprenant d'y trouver surtout des ingenieurs
francophones.
Comme on pouvait s'y attendre, les premiers ingenieurs
sanitaires quebecois ont surtout oeuvre dans les bureaux de sante des
grandes villes ou dans les organismes quebecois d'hygiene et de
sante publique. Ceux-ci ont subi des transformations importantes a
partir du debut du [XX.sup.e] siecle et ont alors menage une place plus
importante aux experts. L'ingenieur sanitaire est l'un de
ceux-la A Montreal, le Bureau de sante est un bel exemple de ces
transformations qui vont permettre a l'ingenieur sanitaire de
participer au developpement d'infrastructures dont l'impact
sera considerable sur la sante des Montrealais. On sait que des 1892, un
poste d'ingenieur sanitaire est comble par un diplome de
Polytechnique. Dans la premiere moitie du [XX.sup.e] siecle, le mandat
du Bureau de sante s'elargit considerablement et on devra bientot
songer a l'embauche de nouveaux ingenieurs sanitaires.
L'organisme joue, par exemple, un role de plus en plus actif aupres
des enfants, en affectant du personnel a la visite des ecoles et au
depistage des maladies. Le laboratoire de bacteriologie, cree en 1895,
prend de plus en plus d'importance et un nombre de plus en plus
grand d'echantillons y sont analyses quotidiennement. Un personnel
qualifie continue par ailleurs a tenir a jour des statistiques sur
l'etat de sante de la population et en particulier sur la
mortalite. Le Conseil municipal appuie en outre des initiatives privees
dans le domaine de la sante publique en subventionnant notamment la
Ligue antituberculeuse, les cliniques connues sous le nom de Gouttes de
lait, ou les meres recoivent des conseils pour bien nourrir et soigner
leurs enfants, et les hopitaux, bien que les sommes consacrees a ce
chapitre restent assez modestes. La municipalite contribue aussi a
l'assianissement urbain grace a son reseau d'egouts et
d'aqueduc. Dans les dernieres decennies du [XX.sup.e] siecle, on
avait graduellement mis en place un reseau d'egouts efficace et
moderne destine a recueillir tout autant les eaux de pluie que les eaux
usees (59). Au debut du [XX.sup.e] siecle, les habitations montrealaises
sont, pour la plupart, connectees a ce reseau. L'elimination des
fosses d'aisance qui constituaient une source de pollution
importante est pratiquement terminee. En 1891, les quartiers de la basse
ville en comptaient encore plus de 6 600. Vingt-cinq ans plus tard, il
en reste moins d'une centaine (60). Quant au reseau de distribution
d'eau de la municipalite, il a ete mis en place, comme nous
I'avons vu, au milieu du [XX.sup.e] siecle. Mais au debut du
[XX.sup.e] siecle se pose la question de la qualite de cette eau puisee
a meme le Saint-Laurent. Des 1910, Montreal commence a ajouter du chlore
a l'eau qu'elle distribue a ses habitants pour reduire
l'ampleur de la typhoide. Les resultats ne se font pas attendre et
on peut constater une chute notable de la mortalite, en particulier de
la mortalite infantile, a partir de cette date. Mais la chloration de
l'eau n'est qu'une mesure partielle et il faut eriger
bientot de nouvelles installations pour proceder a la filtration de
l'eau. Mises en chantier un peu avant la guerre, ces nouvelles
installations de filtrage sont achevees en 1918 (61).
Lorsque Louis Laberge prend sa retraite en 1913, les elus,
influences par le mouvement reformiste, envisagent une reorganisation complete du departement. Pour ce faire, ils choisissent le docteur
Seraphin Boucher pour reorganiser le Bureau de sante. Ce dernier est une
figure de proue du mouvement hygieniste montrealais depuis de nombreuses
annees et un des premiers diplomes en hygiene publique de la Faculte de
medecine de l'Universite Laval (62). Engage par la Ville en 1912,
il avait mis sur pied le Service de l'inspection medicale. II
amorce la refonte du Bureau de sante en reunissant sous une direction
centrale tous les services qui se rapportent a I'hygiene et qui,
jusque-la, avaient fonctionne plus ou moins independamment les uns des
autres. ll faut dire que dans les annees 1910,la Ville avait commence a
mettre en place une classification de ses fonctionnaires. La Commission
administrative entend s'inspirer de I'organisation municipale
new-yorkaise. On engage finalement la societe Arthur Young & Co pour
elaborer une premiere grille de classification des emplois (63). Des
manuels renfermant les instructions pour 1'accomplissement des
fonctions des differentes categories d'employes sont elabores.
Parallelement, on reorganise les services municipaux en cinq grands
services (64). Le Service de sante est alors organise en huit divisions
dirigees chacune par un chef, mais soumises a une direction centrale
renforcee. Le nouveau directeur, qui se plaint que certains d'entre
eux soient recrutes sans qualification, favorise les candidats qui ont
fait des etudes speciales et qui possedent un diplome ou certificat
specialise. Anisi, un rapport publie en 1920 nous informe sur les taches
que l'ingenieur sanitaire devra accomplir et les qualifications
qu'il devra posseder. Ces fonctions devraient I'amener:
[...] to examine plans and specifications of proposed construction
to insure conformance with municipal sanitary and plumbing
regulations; to be jointly responsible for the inspection of
sanitary and plumbing installation; to prepare by-laws and
regulations affecting plumbing and sanitation; to give advice to
municipal officials, contractors and private parties in regard to
sanitary conditions; to be responsible for the examination and
treatment of sewage and to perform the related work as required (65).
Par ailleurs, le candidat au poste d'ingenieur sanitaire devra
posseder une:
[...] education equivalent to graduation in sanitary engineering
from a university of recognized standing; three years of experience
in municipal sanitation work, one year of which shall have been in a
position of responsibility; knowledge of municipal bylaws and
regulation relating to sanitation and plumbing; ability to speak and
write both French and English; supervisory ability (66).
La reorganisation du Bureau de sante de la Ville de Montreal (67)
va permettre I'embauche d'un nombre important d'experts
qualifies. En effet, son personnel passe alors de 45 employes en 1901 a
157 en 1914. Nombre d'entre eux sont affectes a la Division de la
salubrite, dont l'ingenieur sanitaire Aime Cousineau. Diplome de
I'Ecole Polytechnique en 1909, il n'a donc suivi aucun cours
en genie sanitaire dans cette institution. ll est engage cependant comme
ingenieur sanitaire au Bureau de sante de la Ville de Montreal en 1914
apres avoir travaille comme hydraulicien pour le gouvernement federal
(68). Peu de temps apres son embauche, la Ville lui octroie une bourse de perfectionnement, ll va alors se specialiser au MIT et a I'Ecole
d'hygiene publique de I'Universite Harvard. ll obtient son
diplome en genie sanitaire en 1916 de ces deux institutions. Cette
bourse deviendra, pour le Bureau de sante, un moyen prise pour
s'assurer d'un personnel d'ingenieurs sanitaires rompus
aux plus recentes techniques en matiere d'hygiene publique et de
genie sanitaire. Cousineau jouera un role de premier plan au sein de la
Division de salubrite dont il devient le chef en 1929. Par la suite,
d'autres ingenieurs sanitaires joindront les rangs des
professionnels du Bureau de sante de la Ville de Montreal. C'est le
cas de Leo-Paul Cabana (69) diplome de la promotion de 1931 de
Polytechnique, qui, apres avoir travaille une annee dans un bureau
d'ingenieurs consultants, devient adjoint a la Division de la
salubrite. En 1935, Cabana obtiendra, tout comme Cousineau, une bourse
d'etude de la Ville de Montreal et ira se specialiser en hygiene
publique a Harvard, A son retour en 1936, il sera promu assistant
surintendant de la Division de la salubrite, poste qu'il occupera
jusqu'en 1944, au moment de sa nomination au poste de surintendant
et ingenieur sanitaire a la Division de la salubrite (70). ll finira sa
carriere comme ingenieur surintendant de la Division de la voie publique
du Service des travaux publics (71). Romeo Mondello est un autre diplome
de Polytechnique qui, apres avoir suivi quelques cours en genie
sanitaire, ceuvrera au sein du Bureau de sante. ll a tout d'abord
exerce sa profession au ministere de la Sante, anciennement le CHPQ,
pendant la Seconde Guerre mondiale pour finalement trouver un emploi, en
1945, a la Ville de Montreal. Mondello est un autre recipiendaire de la
bourse de perfectionnement de la Ville. Comme les autres avant lui, il
s'inscrit a l'Ecole d'hygiene de I'Universite
Harvard, d'ou il obtient, en 1948, le degre de "Master of
Sciences " en genie sanitaire (72). ll succedera a Cabana au poste
de surintendant de la Division de la salubrite de la Ville de Montreal
en 1951. Comme on peut le voir, la Division de la salubrite est
l'un des lieux privilegies de I'exercice de la profession
d'ingenieur sanitaire.
Des ingenieurs sanitaires au Conseil d'hygiene de la province
de Quebec
Le Conseil d'hygiene de la province de Quebec (CHPQ), cree en
1887, a pour mandat de repondre aux besoins d'organisation
sanitaire de la province, d'encourager la formation de bureaux
sanitaires municipaux, de surveiller l'application des lois
d'hygiene, de favoriser la prevention des maladies infectieuses et
d'assurer la distribution des vaccins et des serums (73). Orientant
surtout leurs efforts vers la prevention des maladies infectieuses, les
membres du CHPQ souhaitent ainsi promouvoir une medecine preventive
largement interventionniste. Un tel projet implique, entre autres, la
creation d'un service d'ingenierie sanitaire pour tout ce qui
a trait a l'adduction d'eau, les egouts et l'ebouage des
municipalites. ll faut cependant attendre 1909 quand une epidemie de
fievre typhoide d'origine hydrique frappe Montreal pour que la
Division du genie sanitaire soit creee au CHPQ. Le personnel de cette
division comprend six ingenieurs au siege principal de la division et
deux ingenieurs regionaux. La direction de ce service est alors confiee
a un ingenieur hygieniste americain, James O. Meadows, diplome de
I'Universite du Wisconsin en genie sanitaire. L'assistant
ingenieur sanitaire est nul autre que Theodore-Joseph Lafreniere, le
professeur de genie sanitaire a I'Ecole Polytechnique de Montreal.
ll assurera la direction de ce service a partir de 1914. Comme le
rappelle le Dr J.-A. Beaudry, inspecteur-general du CHPQ, en 1918:
[...] il y a a peu pres une dizaine d'annees, entraine par l'exemple
des Etats-Unis ou plusieurs "State Boards " employment les services
d'ingenieurs dits sanitaires pour surveiller certains travaux
d'aqueduc et d'egout, le Conseil d'hygiene s'assura les services d'un
specialiste en la matiere, M. Meadows, gradue de I'Universite du
Wisconsin. Apres M. Meadows, le Conseil superieur d'hygiene envoya
notre ingenieur-sanitaire actuel, qui venait de terminer ses etudes
a l'Ecole Polytechnique de Montreal, suivre un cours special au
Massachussetts Institute of Technology, a Boston. Apres deux ans
d'etude, M. Lafreniere nous revint avec ses diplomes et il s'occupe
depuis ce temps de tout ce qui regarde la partie technique des
aqueducs et des egouts (74).
Comme onpeut le voir, le MIT et l'Universite Harvard, dans le
premier quart du [XIX.sup.e] siecle, ont constitue probablement les
principales filieres de formation des premiers ingenieurs sanitaires
francophones. Le cours de genie sanitaire de Polytechnique a plutot
initie les etudiants en genie civil aux rudiments d'une specialite
en emergence au Quebec. Apres avoir pris connaissance des grands
principes du genie sanitaire, ils ont du quitter le sol quebecois pour
completer leur formation. Le MIT et I'Ecole d'hygiene de
Harvard semblent avoir ete les institutions privilegiees.
Des sa creation, le CHPQ s'etait surtout attele a la lutte
contre les maladies infectieuses, les problemes generalement relies au
genie sanitaire n'avaient pas beaucoup attire l'attention de
l'organisme. C'est done un peu plus tard que le genie
sanitaire en est devenu une composante importante. Le premier rapport de
l'ingenieur sanitaire nous permet de connaitre les divers champs
d'intervention de cette nouvelle division (75). Tout d'abord,
elle va s'attaquer a l'inspection des lacs et des rivieres qui
alimentent en eau les municipalites. Meadows propose de commencer le
travail par les rivieres, en amont des points de contamination, et de
continuer a descendre les cours d'eau en prenant des echantillons
pres des centres importants de contamination. ll veut ainsi recueillir
des donnees precises sur la pollution des eaux et sur la capacite de
purification des cours d'eau. ll veut egalement colliger des
donnees sur tout ce qui concerne les maladies infectieuses transmises
par l'eau, les systemes d'aqueduc et d'egouts. Les
inspections vont s'effectuer a differentes saisons de l'annee
car, les maladies infectieuses, comme c'est le cas de la fievre
typhoide, se declarent au printemps ou a l'automne. Les
echantillons sont ensuite envoyes au laboratoire de bacteriologie qui
va, par la suite, remettre les resultats des analyses a l'ingenieur
sanitaire. Ce dernier, par ses connaissances en bacteriologie, est alors
en mesure de les interpreter. Ensuite, comme des usines de filtration
des eaux ont deja ete installees au Quebec et comme le fonctionnement
d'un appareil de filtrage est crucial pour s'assurer une eau
potable, les ingenieurs sanitaires CPHQ visitent les differentes usines
de filtrage de la province et aident les municipalites a obtenir de
meilleurs resultats avec le type d'appareil qu'elles ont
acquis. Outre ces visites, le travail de ces ingenieurs sanitaires
consiste a faire des analyses chimiques et bacteriologiques de
l'eau afin d'en determiner le degre de purification. lls
examinent aussi l'installation mecanique des procedes de filtration
et tous les changements juges necessaires sont proposes aux autorites
municipales. En ce qui concerne les reseaux d'egouts, la plupart
des systemes en usage dans la province sont inspectes et des corrections
sont exigees s'il y a lieu. Les experts techniques font aussi
l'inspection de toutes les sources ou les municipalites se
proposent de puiser l'eau. Le lac, la riviere ou la nappe phreatique projete fait l'objet d'un examen tant au point de
vue de la qualite de l'eau que de la quantite pouvant y etre
puisee. Pour determiner la qualite de l'eau, ils ont recours aux
analyses chimiques et bacteriologiques. Pour la quantite, s'il
n'est pas evident qu'elle est suffisante, on demande
d'effectuer des calculs. Le service examinera les plans des
nouveaux systemes d'egouts ou d'agrandissement des systemes en
place. Les lois de la province ne peuvent rien contre les systemes
d'egouts deja en fonction, a moins qu'ils ne soient devenus
des nuisances publiques. Comme plusieurs reseaux souillent les prises
d'eau potable des municipalites, l'ingenieur sanitaire espere,
a l'aide de donnees sur l'etendue de la contamination, obtenir
une legislation pour empecher ces municipalites de contaminer l'eau
pres des zones de captation du systeme d'adduction. Finalement,
chaque fois que ce service est informe que la fievre typhoide s'est
declaree quelque part, la municipalite est visitee et les ingenieurs
sanitaires recoltent des informations sur l'epidemie pour en
connaitre la cause. Des moyens sont alors pris pour enrayer ce fleau,
comme c'est le cas pour l'epidemie de fievre typhoide qui
s'abat sur Montreal en 1927. Comme on le voit, la division du genie
sanitaire a du pain sur la planche en ce debut du [XIX.sup.e] siecle.
Rapidement, la Division du genie sanitaire s'attaque au
probleme de la purification de l'eau de la metropole canadienne. On
oblige les autorites montrealaises et la Montreal Water and Power a
installer des appareils de chloration de l'eau pour les deux
aqueducs qui alimentent la plupart des villes de l'ile de Montreal.
C'est chose faite en 1910. C'est la premiere fois au Canada
que de tels systemes sont installes, alors que l'on utilise deja ce
traitement aux Etats-Unis depuis a peine deux ans (76). En 1910, il
n'existe que quatre usines de filtration des eaux dans la province
de Quebec. Celles-ci fonctionnent sous pression, mode de filtration
plutot desuet et d'une faible efficacite. L'emploi de filtres
commence a se repandre aux Etats-Unis ce qui ameliore le rendement des
usines de traitement. Avant la creation de la Division du genie
sanitaire au Conseil d'hygiene de la province de Quebec, les
municipalites utilisaient en grande partie les rivieres pour puiser leur
eau destinee a la consommation et aucun traitement in'etait
utilise. On sait maintenant que les reseaux d'aqueduc ont ete la
cause de nombreuses epidemies de fievre typhoide. Les taux moyens de
deces causes par cette maladie etaient de 35 par 100 000 habitants avant
1910, soit avant que l'on traite l'eau (77). Avec la
bacteriologie, la necessite de mettre en place des mesures pour
minimiser le risque de contamination s'est imposee. Les usines de
filtration se sont multipliees et les appareils de chloration ont ete
installes en nombre accru. Des 1935, 66 usines de filtration desservent
deja 98 municipalites ou vivent 1 500 000 habitants. Par ailleurs, la
Loi sur l'hygiene publique du Quebec confie a la Division du genie
sanitaire le controle de l'etablissement et de l'exploitation
des usines de pasteurisation du lait. Le procede fait ainsi des progres
rapides au Quebec. En 1935, on compte 135 usines de pasteurisation ayant
une capacite de 125 000 gallons par jour et 80 pour cent de la
population urbaine consomme maintenant du lait pasteurise (78).
Le traitement des eaux usees est une autre des preoccupations de
l'ingenieur sanitaire au debut du [XIX.sup.e] siecle. Dans les
grandes villes, chaque habitation est desormais branchee au reseau
d'egouts. Or, le developpement des grandes villes entraine des
problemes de pollution directement relies au rejet des eaux usees.
Celles-ci contiennent, en effet, des matieres en suspension et en
solution. Une partie de ces matieres est organique et l'autre
minerale. Les eaux usees renferment aussi un grand nombre de bacteries
de toutes sortes et en particulier des germes qui peuvent causer des
epidemies d'origine hydrique. Comme le rappelle Lafreniere,
l'augmentation de la population dans une region entraine la
necessite de traiter ces eaux avant leur rejet dans les cours d'eau
(79). Les differents procedes employes pour epurer les eaux usees
peuvent etre divises en deux groupes: le premier enleve les matieres en
suspension et le second transforme la matiere organique de maniere a
l'empecher de se putrefier. Le but des differents modes de
traitement est, soit d'enlever une partie des matieres putrescibles
ou de diriger la decomposition de ces matieres de maniere a ce
qu'elle soit toujours accomplie par les aerobies, c'est-a-dire
des germes qui se developpent grace a l'oxygene. Les procedes de
traitement sont nombreux (80). C'est pourquoi l'ingenieur
sanitaire est l'un des seuls experts a pouvoir determiner, par
exemple, si on utilise la desinfection ou la sterilisation. Le procede
qu'il convient d'adopter ne peut etre choisi qu'apres une
etude serieuse du probleme et la solution depend necessairement des
conditions locales. Dans ses rapports annuels pour le CHPQ, Lafreniere
dresse la liste de toutes les municipalites visitees par les ingenieurs
et decrit le travail qu'ils ont effectue. Selon Lafreniere, le
travail accompli par ces experts entre 1910 et 1945 place la province de
Quebec au meme rang que les provinces canadiennes et les etats
americains les plus avances en matiere d'hygiene publique (81). Le
traitement des eaux usees au Quebec a certes constitue un champ
d'exercice important de la profession d'ingenieur sanitaire
dans la premiere moitie du [XX.sup.e]siecle.
Finalement, il est important d'ajouter que les ingenieurs
sanitaires ne se retrouvent pas tous dans les grands organismes que sont
le Bureau de sante de la Ville de Montreal ou a la Division du genie
sanitaire du CHPQ. Plusieurs ingenieurs formes a Polytechnique ou a
McGill, qui ont recu une certaine expertise en genie sanitaire, ont du
exercer egalement leur profession dans les petites et moyennes
agglomerations du Quebec. Plusieurs ingenieurs municipaux ont pu ainsi
utiliser leur savoir en genie sanitaire, si minime soit-il, dans
certaines de leurs taches. La profession d'ingenieur ayant une
reconnaissance juridique--au Quebec, le titre d'ingenieur civil est
protege depuis 1898 et l'exercice de la profession le sera a partir
de 1920-contrairement a celle l'ingenieur sanitaire, il est bien
difficile de savoir si un ingenieur civil a plutot exerce sa profession
dans un domaine relie au genie sanitaire. Des ingenieurs municipaux qui
dressent les plans des aqueducs ou reseaux d'egouts et qui
soumettent les devis pour un systeme de traitement des eaux ont surement
considere les quelques heures de cours suivis en genie sanitaire
suffisantes pour se pretendre aptes a enfiler les habits de
l'ingenieur sanitaire. Quant aux grandes villes, les ingenieurs
sanitaires y occupent des postes qui ne laissent aucun doute sur leur
identite. Ces ingenieurs municipaux, specialises en genie sanitaire,
cooperent d'ailleurs avec leurs homologues du CHPQ qui approuvent
ces plans ou devis. Encore la, plusieurs d'entre eux sont issus de
la Polytechnique. C'est le cas, par exemple, de Rene Cyr qui entre
a la Division du genie sanitaire du CHPQ en 1924 apres avoir recu son
diplome de l'ecole d'ingenieurs francophone l'annee
precedente. ll y commence sa carriere comme ingenieur-hygie-niste (82).
Tout comme certains ingenieurs sanitaires que nous avons rencontres, il
fait des etudes superieures a l'Universite Harvard grace a une
bourse de perfectionnement du ministere de la Sante, anciennement le
CHPQ. En 1939, il devient ingenieur en chef adjoint de la Division du
genie sanitaire. En 1946, il enseigne a l'Ecole d'hygiene
sociale appliquee de l'Universite de Montreal et, a partir de 1956,
a la Polytechnique ou il donne le cours sur l'epuration des eaux
d'egouts et des eaux industrielles, faisant partager ses
connaissances a une nouvelle generation d'ingenieurs sanitaires.
D'autres ingenieurs sanitaires comme Sarto Plamondon et Emilien
Langevin vont avoir le meme profil de carriere. lls sont diplomes de
Polytechnique et travaillent, quant a eux, a la Division de
l'hygiene industrielle du ministere de la Sante.
Conclusion
Dans cet article, nous avons tente de dresser une premiere esquisse
d'un groupe d'experts plutot meconnus des historiens des
professions tout comme des specialistes de la sante publique au Quebec.
Plusieurs questions restent en suspens avant d'arriver a mieux
comprendre tous les enjeux lies au developpement particulier de cette
profession hybride qui n'a jamais su s'incarner dans un ordre
professionel. L'immense pouvoir social des medecins et le travail
de regroupement des ingenieurs qui s'echelonne entre 1887 et 1920
ont-ils consititue des freins a un processus d'autonomisation de la
profession? Le fait que la plupart des ingenieurs sanitaires
appartenaient deja a un ordre professionnel n'explique-t-il pas
leur peu d'empressemest a s'organiser en profession autonome?
Voila quelques pistes qui meritent d'etre explorees. Pour notre
part, en retracant les conditions socio-economiques de l'emergence
de cette formation specifique et en analysant l'itineraire de
carriere de quelques-uns de ces nouveaux experts, nous croyons avoir
contribue a cerner certaines etapes du developpement d'une
profession nee dans la foulee du developpement accelere des villes,
surtout a Montreal, et de la prise de conscience des effets nefastes de
ce developpement sur leur environnement. Comme ailleurs, on en est venu
a recourir aux services d'un nouvel acteur sur le front de
l'assainissement des villes, l'ingenieur sanitaire. Celui-ci
s'est retrouve des le debut du [XX.sup.e] siecle au sein des
principaux organismes publics lies a la sante publique.
Parallelement, les institutions d'enseignement superieur ne
sont pas restees insensibles a cette demande d'une expertise
engenie sanitaire. Des cours et des programmes ont vu le jour a
I'Universite McGill et a la Polytechnique. En effet, compte tenu de
la complexite des enjeux de sante publique, notamment en matiere
d'hygiene de I'habitation et de traitement des eaux, une
formation specialisee etait necessaire pour les medecins et surtout les
ingenieurs, confrontes a ces problemes environnementaux engendres par le
developpement urbain et montes en epingle par les
"environnementalistes moraux" dont les hygie-nistes et les
ingenieurs sanitaires ont ete les principaux herauts. Par ailleurs,
notre analyse revele que la formation en genie sanitaire dispensee dans
les universites montrealaises n'etait peut-etre pas suffisante.
Plusieurs ingenieurs de Polytechnique, par exemple, qui ont fait
carriere comme ingenieur sanitaire, ont du parfaire leur formation aux
Etats-Unis. Neanmoins les itineraires de carrieres des ingenieurs
sanitaires au Quebec montrent qu'ils ont joue un role non
negligeable dans le developpement de plusieurs infrastructures au coeur
des politiques de sante publique au debut du [XX.sup.e] siecle.
En fait, au Quebec, le genie sanitaire n'a jamais reussi a
s'autonomiser pour constituer une formation qui mene a un diplome
donnant acces a un titre protege ou l'exercice exclusif de
certaines taches. Cette formation est toujours restee une
sous-specialite du genie civil ou de la medecine. Aucune ecole
specialisee ou faculte universitaire n'a ete creee au Quebec qui se
serait consacree uniquement a la formation de ce specialiste des
infrastructures liees a la sante publique et qui aurait pu constituer le
point d'ancrage d'un processus d'autonomisation de la
profession. En 1958, a la faveur d'une reforme de son curriculum,
la Polytechnique reconnaitra un peu plus le genie sanitaire en le
hissant au rang de division au sein du departement de genie civil, Dix
ans plus tard, la specialisation en genie sanitaire apparaitra dans le
programme de maitrise de genie civil. En 1971, cette specialisation,
tout en restant la meme, se dotera d'une nouvelle appellation,
"genie de I'environnement", qui, croit-on, evoque mieux
les nouvelles preoccupations de l'epoque. Le titre meme
d'ingenieur sanitaire est relegue aux oubliettes.
L'analyse sociologique des groupes qui, pour reprendre
l'ex-pression de Luc Boltanski, ont reussi, au sens ou ils sont
parvenus a assurer leur survie en se dotant d'institutions et de
systemes de representations qui les ont "objectives"
socialement (83), n'est deja pas aisee a realiser bien que
sociologues et historiens peuvent compter sur la memoire
institutionnelle que n'ont pas manque de preserver les membres de
ces groupes. S'interesser aux groupes qui n'y ont pas reussi
est une tache beaucoup plus difficile. Ceux-ci demeurent toujours des
identites floues, comme en perpetuelle gestation, promis a un avenir
jamais realise. Nous croyons cependant que, a l'instar de
l'analyse des echecs de precedes ou d'inventions qui nous
eclaire sur les facteurs menant au progres technique, l'etude des
professions non accomplies jette un peu de lumiere sur le processus
complexe de la formation des groupes sociaux.
Notes
(1.) C'est une augmentation importance, en particulier pendant
la decennie 1880, alors que le taux annuel moyen de croissance atteint
4,41 pour cent. Grace a 1'annexion des municipalites de banlieue,
le territoire montrealais s'agrandit. Ainsi, la population passe de
126 000 habitants en 1871 a 324 880 en 1901. Les taux de croissance de
Montreal sont nettement plus eleves que ceux de l'ensemble du
Quebec. Paul-Andre Linteau, Histoire de Montreal depuis la Confederation (Montreal: Boreal, 2000), 38-41.
(2.) Ibid., 42.
(3.) En moyenne, un logement coute, a la fin du [XIX.sup.e];
sicole, 1,75$ par mois par piece pour un total de 8,75$ par mois. Dans
les annees 1880, un journalier recoit entre 6$ et 9$ par semaine et un
ouvrier qualifie peut obtenir, dans de bonnes conditions, le double de
cette somme. L'ouvrier moyen consacre de 55 a 65 pour cent de son
budget a la nourriture et de 15 a 25 pour cent au loyer. De plus, les
ernployeurs peuvent maintenir les salaires a un bas niveau, car la
main-d'oeuvre est abondante. ll est facile de remplacer un employe,
surtout s'il occupe un emploi n'exigeant pas de
qualifications. Rares sont les ravailleurs qui peuvent compter sur un
revenu reguiler toute l'annee. Il existe un important chomage
saisonnier, qui frappe surtout en hiver, quand le port est ferme et que
les activites de construction sont presque arretees. Quant au secteur
industriel, il arrive que les entrepreneurs ferment leurs usines pour
une certaine periode quand la demande baisse. Ainsi, le bas revenu des
families ouvrieres les oblige a se contenter d'un logement de
moindre qualite, souvent insalubre. Terry Copp, Classe ouvriere et
pauvrete: Les conditions de vie des travailleurs montrealais, 1897-1929
(Montreal: Boreal Express, 1978), 82.
(4.) John Ostell, Report of the City Surveyor Presented to the
Corporation of Montreal for the Year 1842, 1843, 17-21, Fonds de la
Commission de la voirie (VM36), Archives de la Ville de Montreal (AVM).
(5.) Ces deux medecins s'additionnent aux deux medecins
vaccinateurs deja remuneres par le Bureau de sante. "Service de
Sante; Organisation. 1796-1933. Notes sur l'organisation du Service
de la Sante de Montreal", 3, Fonds du Comite de la sante VM45, AVM.
(6.) Benoit Gaumer, Georges Desrosiers, et Othmar Keel, Histoire du
service de sante de la ville de Montreal (Sainte-Foy: Les Editions de
I'lQRC, 2002), 47-48.
(7.) Ibid.
(8.) Peter Keating et Othmar Keel, sous la dir., Sante et Societe
au Quebec [XIX.sup.e]-[XX.sup.e] siecle (Montreal: Boreal, 1995), 19.
(9.) Voir a ce sujet Michele Dagenais et Caroline Durand,
"Cleansing, Draining and Sanitizing the City: Conceptions and Uses
of Water in the Montreal Region", Canadian Historical Review 83,
n[degrees]7(2006): 621-651.
(10.) Dany Fougeres, " Le public et le prive dans la gestion
de l'eau potable a Montreal depuis le [XIX.sup.e] siecle",
dans L'eau, l'hygiene publique et les infrastrutures, sous la
dir. de Louise Pothier (Montrealm: Groupe PGV, 1996), 53.
(11.) Joel A. Tarr, James McCurley lll, Francis C. McMichael, et
Terry Yosie, "Water and Wastes: A Retrospective Assessment of
Wastewater Technology in the United States, 1800-1932", Technology
and Culture 25, n[degrees] 2 (avril 1984): 226-263.
(12.) Ostell, John, Report of the City Surveyor Presented to the
Corporation of Montreal for the Year 1842, 17, Fonds de la Commission de
la voirie, 1843, VM36, AVM. C'est nous qui traduisons.
(13.) Robert Gagnon, Questions d'egouts: Sante publique,
infrastructures et urbanisation a Montreal au [XIX.sup.e] siecle
(Montreal: Boreal, 2006).
(14.) Helene Harter, Les ingenieurs des travaux publics et la
transformation des metropoles americaines, 1870-1910 (Paris:
Publications de la Sorbonne, 2001), 111-112.
(15.) Joanne A. Goldman, Building New York's Sewers:
Developing Mechanisms of Urban Management (West Lafayette: Purdue
University Press, 1997).
(16.) Catherine Brace, "Public Works in the Canadian City: The
Provision of Sewers in Toronto 1870-1913", Urban History
Review/Revue d'histoire urbaine 23, n[degrees] 2 (1995): 33-43.
(17.) Voir notamment Rodney J. Millard, The Master Spirit of the
Age: Canadian Engineers and the Politics of Professionalism (Toronto:
University of Toronto Press, 1988).
(18.) Robert Gagnon, " Les discours sur l'enseignement
pratique au Canada francais 1850-1900", dans Sciences et medecine
au Quebec, sous la dir. de Marcel Fournier, Yves Gingras, et Othmar
Keel, 19-39 (Sainte-Foy: Les Editions de l'lQRC, 1987).
(19.) Le Department of Practical and Applied Science prend place a
l'interieur de la Faculte des Arts de l'Universite McGill. ll
sera hisse au rang de Faculte en 1878, il devient alors la Faculty of
Applied Science. En 1931, cette faculte prend le nom de Faculty of
Engineering, Voir S. B. Frost, McGill University: For the Advancement of
Learning,vol. 1, 1801-1895 (Montreal et Kingston: McGill-Queen's
University Press, 1980).
(20.) Pour une histoire exhaustive de l'Ecole Polytechnique de
Montreal, voir Robert Gagnon, Historie de l'Ecole Polytechnique de
Montreal: La montee des ingenieurs francophones (Montreal: Boreal,
1991). En 1876, le gouvernement quebecois, par trois arrets en conseil,
transforme ce cours specialise en une institution prodiguant un
enseignement universitaire, habilitee a decerner le titre
d'ingenieur et dotee d'un nom prestigieux: l'Ecole
Polytechinique de Montreal. Toutefois, la Polytechnique sera sous le
controle de la Commission des Ecoles catholiques de Montreal
jusqu'en 1887, annee ou effe devient une ecole affiliee de
I'Universite Laval a Montreal. II est important de souligner que
McGill profite d'um marche beaucoup plus large que celui de la
Polytechnique. Plus de la moitie des ingenieurs formes a McGill ne sont
pas originaires du Quebec et un tiers seulement vont oeuvrer dans la
province. A la Polytechnique. les diplomes proviennent presque tous du
Quebec et y travaillent.
(21.) Comme I'ecrit I'historien Arthur J. Viseltar:
" following these courses, the students were taught the rudiments
of chemistry and biology, since sanitary engineers were to an extent
also chemists in order that they (should know how to) plan and interpret
sanitary analyses. Similarly, the sanitary engineer nificance of
bacteriology and the laws which (governed) the causation of disease
". Arthur J. Viseltear, " The Emergence of Pioneering Public
Health Education Programmes in the United States ", dans A History
of Education in Public Health, sous la dir. de Elizabeth Fee et Roy M.
Acheson (Oxford: Oxford University Press, 1991), 131.
(22.) II fut decide, lors de cette rencontre, que la sante publique
devait inclure a la fis la medecine, qui s'interesse principalement
aux maladies et a l'education sanitaire aupres d'individus, et
la science sanitaire, qui s'interesse a l'assainissement des
villes par la mise en place d'aqueduc, d'egouts, a la
ventilation, au nettoyage des rues et a l'enlevement des ordures.
Ces elements appartiennent au domaine du genie sanitaire.
(23.) Elizabeth Fee, " Designing Schools of Public Health for
the United States ". dans Fee et Acheson, 186.
(24.) William Macdonald a lui seul versera plus de 11$ millions.
Pour une analyse des conditions socio-ecomiques du developpement de
l'enseignement du genie a Montreal, voir Yves Gingras et Robert
Gangnon, " Engineering Education and Research in Montreal: Social
Constraints and Opportunities ". Minerva 26, n 1 (1988): 53-65.
(25.) Graduates' Bulletin and List of Graduates in the Faculty
of Applied Science 7 (June 1912), McGill University.
(26.) A ce propos, Milivoj Petrik, L'enseignement du genie
sanitaire: Les ecoles et les programmes en Europe et aux Etats-Unis
d'Amerique (Geneve: Organisation mondiale de la Sante, 1958).
(27.) McGill University Calendar, 1882-1883, 72.
(28.) McGill University Annual Report, 1889, 8.
(29.) McGill University Calendar, 1890-1891, 78. Precisons
qu'au cours de l'annee scolaire 1921-1922, un cours de
sanitary science est ajoute au curriculum des cours du programme de
genie civi a la troisieme annee d'etude.
(30.) McGill University Calendar, 1899-1900, 282.
(31.) Une entente entre Johnston et Laberge va ainsi permettre aux
etudiants de faire un stage de six mois sous la supervision du medecin
officier de sante. Proces-verbaux. 9 mars 1900, 42, Fonds de la
Commission de sante (VM45), AVM.
(32.) McGill University Calendar, 1909-1910, 309-310.
(33.) Gagnon, Histoire de l'Ecole Polytechnique, 104.
(34.) En effet, si l'on compare le contenu des cours offerts
par les deux institutions d'enseignement, on remarque des
ressemblances notables, notamment en ce qui concerne
l'approvisionnement en eau et le traitement des eaux usees. De
plus, la duree des cours magistraux et en laboratoire est la meme
qu'au MIT. A cet effet, voir les informations contenues dans
l'ouvrage Petrik, L'enseignement du genie sanitaire.
Toutefois, aucum document nous permet d'attester que Lafreniere a
importe une partie du programme du MIT.
(35.) A partir de 1911, la Faculte de medecine de l'Universite
Laval a Montreal (Universite de Montreal a partir de 1919) met en place,
en effet, son premier programme specialise en hygiene qui s'adresse
aux medecins afin de leur donner une formation specialisee. Ce
programme, qui comporte quelques elements de genie sanitaire, sera connu
sous differente appellation au cours des annees subsequentes, dont Ecole
d'hygiene publique en 1927, decrite comme une annexe de la Faculte
de medecine. Entre 1911 et 1940, annee de sa disparition il produira 27
diplomes, tous des medecins trancophones et masculins. Voir Benoit
Gaumer et Georges Desrosiers (avec la collaboration de Jean-Claude
Dionne), Enseignement et recherche en sante publique: L'exemple de
la Faculte de medecine et de l'Ecole d'hygiene de
l'Universite de Montreal (1911-2006) (Montreal: Les Presses de
l'Universite de Montreal, 2007), 15-17.
(36.) Programme du cours d'hygiene pour les eleves de
l'Ecole Polytechnique, Dossier du D Joseph-Albert Baudouin Archives
de l'Ecole Polytechinque de Montral.
(37.) La medecine preventive se caracterise par la mise sur pied de
mesures de prevention contre les maladies, notamment par la vaccination
et l'education aupres des populations. Ces mesures sont surtout
eleborees par les medecins.
(38.) Anne Hardy, " Public Health and the Expert: The London
Medical Officers of Health, 1856-1900", dans Government and
Expertise: Specialists, Administrators and Professionals, 1860-1919,
sous la dir, de Roy MacLeod (Cambridge: Cambridge University Press,
1988). 128.
(39.) Parmi ces praticiens oeuvrant dans le secteur de la medecine
preventive, nous retrouvons entre autres les medecins, les ingenieurs,
les ingenieurs sanitaires, les infirmieres, les bacteriologistes et les
inspecteurs sanitaires.
(40.) Voir M. Jeannot, " Le role de l'ingenieur sanitaire
dans la direction et le fonctionnement des bureaux municipaux
d'hygiene ", Congres d'assainissement et de salubrite:
Compte rendu des travaux (Paris: Baudry 1897), 246-254. La loi favorise
egalement la mise en place d'infrastructures urbaines. En effet,
les enquetes precedentes, dont celle de 1892, ont revele le
sous-equipement des communes en ce qui concerne l'adduction
d'eau et le rejet des eaux usees. La loi fournit egalement de
nouvelles bases de negociation entre l'Etat et less municipalites.
Par ailleurs, les decouvertes bacteriologiques, qui ont fait
l'objet de longues disputes entre les specialistes, s'imposent
definitivement et les laboratoires de bacteriologie voient leur nombre
augmenter progressivement allant de 30 laboratoires d'analyses
francais en 1908, a 58 en 1919, puis a 62 en 1938. Finalement, au debut
du XX siecle, la France assiste a une croissance des activites
economiques liees au developpement de l'hygiene publique. Voir,
notamment, Lion Murard et Patrick Zylberman, L'hygiene dans la
Republique: La sante publique en France, ou l'utopie contrariee,
1879-1918 (Paris: Fayard, 1996). 109-110. Finalement. Viviane Claude
nous assure que l'equipement sanitaire--tuyaux, compteurs
d'eau, pompes, systemes de desinfection et autres appareils - a
pris de l'ampleur grace au developpement des fonderies, de la
chimie appliquee et de la bacteriologie. Viviane Claude, "
Technique sanitaire et reforme sanitaire: l'Association generale
des hygienistes et techniciens municipaux, 1905-1920 " dans
Laboratoires du nouveau siecle: La nebuleuse reformatrice et ses reseaux
en France, 1880-1914, sous la dir. de Christian Topalov. (Paris:
Editions de l'EHESS, 1999).
(41.) Viviane Claude, " Sanitary Engineering as a Path to Town
Planning: The Singular Role of the Association generale des hygienistes
et techniciens municipaux in France and the French-Speaking Countries
", Planning Perspectives 4 (1989): 155.
(42.) Stanley K. Schutz, Constructing Urban Culture (Philadelphie:
Temple University Press, 1989).
(43.) lbid., 146.
(44.) Pour comprendre comment cet environnementalisme moral a
contribue a construire une veritable culture urbaine, voir Schultz,
Consturcting Urban Culture.
(45.) A.B. Larocque, [Rapport des medecins officiers de sante]. 13
janvier 1869, AVM, VM21, Fonds de la Commission d'hygiene,
121-13-2-00, dossier the-matique "Organisation IV", rapport
62, p. 4.
(46.) Rapport de l'etat sanitaire pour la Cite de Montreal
pour l'annee 1880, 1881, 15, Fonds de la Commission d'hygiene
(VM21), AVM.
(47.) Rapport de l'etat sanitare pour la Cite de Montreal pour
l'annee 1881, 1882, 6, Fonds de la Commission d'hygiene
(VM21,) AVM.
(48.) Requete no 15, Lettre de A.B. Larocque a George D. Ansley, 18
Janvier 1882, Fonds de la commission de la voirie (VM36), AVM.
(49.) Report from the Road Committee to Transfer the Inspectorship
of Private Drains to the Health Department, 26 novembre 1888, Fonds de
la Commission de la voirie (VM36), AVM.
(50.) Dr Elzear Pelletier,"Reformes et preceptes
sanitaires", Journal d'hygiene populaire 5, n[degrees] 8
(decembre 1888): 144. Meme apres l'embauche d'un ingenieur
sanitaire au Bureau de sante de la Ville de Montreal, le Dr Pelletier
maintiendra qu'il faut "donner libre essor, en les
encourageant vivement, aux arts mecaniques (genie sanitaire) qui visent
l'assainissement, la salubrite, le confort, et la beaute des cites
et des "villes" "Sanitation (art et science
sanitaire)", Journal d'hygiene populaire 10, n[degrees] 12
(avril 1894): 370.
(51.) Dr J. I. Desroches, "Hygiene municipale". Journal
d'hygiene populaire 5 (juillet 1888): 46.
(52.) Report of the Sanitary State of the City of Montreal for the
Year 1888, 1889, 10, Fonds de la Commission d'hygiene (VM21), AVM.
(53.) Report from the Board of Health in re Appointment of a
Sanitary Engineer, 25 avril 1892, 4, Fonds de la Commission
d'hygiene (VM21), AVM.
(54.) Lettre de D. H. Fergusson au maire de Montreal, 22 aout 1892,
Fonds de la Commission d'hygiene (VM21), AVM.
(55.) Petition de J. Alcide Chausse pour etre nomme ingenieur
sanitaire, 25 juillet 1892, Fonds de la Commission d'hygiene
(VM.21), AVM.
(56.) Proces-verbaux, 20 juin 1892, 198, Fonds de la Commission
d'hygiene (VM21). AVM.
(57.) Aucun document ne nous permet de comprendre les raisons qui
ont entraine la nomination de Dore a ce poste. ll faut souligner
toutefois que cette nomination fut vivement contestee. En effet, dans
une lettre adressee, dix ans apres la nomination de Dpre, aux membres de
la Commission d'hygiene, M. Lemire, ingenieur civil, exige
qu'une enquete soit menee sur les faits qui ont accompagne la
nomination de M. J.-E. Dore au poste d'ingenieur sanitaire de la
ville. ll precise dans cette lettre que deux echevins lui ont declare
formellement que M. Dore etait tout a fait incompetent pour remplir la
charge d'ingonicr sanitaire. Les membresdu Comite de sante ont
replique a ces critiques en signalant que leur tache se limite a
inspector les dossiers de candidature et a recommander une de celles-ci.
Lenquete n'a toutefois jamais eu lieu. Dans une autre lettre de M.
Lemire, datee du 15 decembre 1902, nous apprenons que la Commisions des
finances ne pouvait acquiescer a sa demande, ne pouvant trouver dans le
coffre municipal la somme de 200$, mordant requis pour couvrir les frais
d'une telle enquete. M. Lemire propose meme de defrayer les couts
de cette enquete afin de prouver que M. Dore a eu recours a certaines
influences politiques. L'affaire fut finalement etouffe et M. Dore
conservera sa position au poste d'ingenieur sanitaire jusqu's
son deces en 1912. Dossiers administratifs, 15 decembre 1902, Fonds
Commission d'hygiene (VM21), AVM.
(58.) Voir a ce propos les statistiques sur les secteurs
d'emplois des ingenieurs francophones et anglophones dans Gagnon,
Histoire de l'Ecole Poiyiechnique.
(59.) Gagnon, Question d'egouts.
(60.) Martin Tetreault, 'Letat de sante des Montrealais,
1880-1914' (memoire de M.A., Universite de Montreal, 1979), 122.
(61.) Letty Anderson, "L'approvisionnemenl en eau",
dans Batir un pays: Histoire des travaux publics au Canada, sous la dir.
de Norman Ball (Montreal: Boreal, 1988), 227.
(62.) Gaumer, Desrosiers, et Keel, Histoire du service de sante,
109.
(63.) Les huit divisions sont les suivantes; la Division des
maladies contagieuses dirigee par le D' J.-E. Laberge; la Division
de l'hygiene de l'enfance menee le Dr E. Gagnon; la Division
de ['inspection des aliments sous la gouverne du Dr A. J. Hood; la
Division de l'assistance municipale avec a sa tete M. A. Chevalier;
la Division du controle medical dont le chef est le Dr E.-P. Chagnon; la
Division des recreations publiques dirigee par le Dr J.-P. Gadbois; la
Division des.laboratoires dont la direction est assuree par le Dr H.
Saint-Georges; la Division des statistiques que dirige le Dr M. Ward; la
Division de la salubrite dirigee Conjointement par M. J.-E. Durocher et
M. A. Cousineau, ingenieur sanitaire. Le secretaire du Service de sante
est le Dr F. Pelletier. Bulletin d'hygiene 4, n[degrees] 3 (1918):
12.
(64.) Michele Dagenais, Des pouvoirs et des hommes (Montreal et
Kingston: McGill-Queen's University Press, 2000), 49.
(65.) "Sanitary Engineers", Classification des
fonctionnaires: Attributions et salaires, Expertise par Arthur Young,
1920, Fonds du Conseil de Ville (VM1), AVM.
(66.) Ibid.
(67.) Au debut du [XIX.sup.e] siecle, le Bureau de sante de la
Ville de Montreal change de nom a deux reprises. En 1916, il devient le
Bureau municipal d'hygiene et de statistiques de Montreal et, en
1918 au moment de sa reorganisation, le Service de sante de la ville de
Montreal. Afin d'eviter toute confusion, nous conserverons
I'appellation Bureau de sante. A ce sujet, voir Gaumer, Desrosiers,
et Keel, Histoire du Service de sante.
(68.) Bulletin d'hygiene 28, n[degrees] 6 (1942): 3-4.
(69.) Bulletin d'hygiene 30, n[degrees] 4 (1944): 8-9.
(70.) Ibid., 8-9.
(71.) Bulletin d'hygiene 37, n[degrees] 3 (1951): 25.
(72.) Ibid., 18-19.
(73.) Denis Goulet, Gilles Lemire, et Denis Gauvreau, "Des
bureaux d'hygiene municipaux aux unites sanitaires: Le Conseil
d'hygiene de la province de Quebec et la structuration d'un
systeme de sante publique" Revue d'histoire de I'Amerique
francaise 49, n[degrees] n[degrees] (1996): 495.
(74.) Dr J.-A. Beaudry, "L'hygiene publique dans la
province de Quebec", Compte rendu de la [7.sub.e] Convention
annuelle des services sanitaires de la province de Quebec tenu a Quebec
du 26 au 28 juillet 1918, Bulletin sanitaire 18 (fevrier-decembre 1918):
29.
(75.) Rapport annuel de l'ingenieur saritaire, Conseil
d'hygiene de la province de Quebec, 1910-1911, 112-117.
(76.) Conseil d'hygiene de la province de Quebec, Rapport
annuel de I'ingenieur sanitaire.. 1944-1945, 84-85.
(77.) Ibid., 86.
(78.) Ibid., 89.
(79.) Theodore-Joseph Lafreniere, "Le traitement des eaux
usees", Canadian Chemistry and Metallurgy 22 (1928): 26.
(80.) On peut en mentionner quelques-uns. Les chambres a detritus sont employees pour enlever les matieres minerales lourdes non sujettes
a la decomposition. Les tamis servent, quant a eux, a enlever les
matieres en suspension. Les bassins de sedimentation, grandes chambres
dans lesquelles on reduit la vitesse d'ecoulement de l'eau,
sont utilises pour favoriser le depot de la plus grande partie des
solides en suspension dans l'eau. Les solides retenus dans ces
bassins sont enterres ou desseches pour servir ensuite au remplissage
des terrains vagues. Une panoplie de procedes, dits d'oxydation,
sont employes pour transformer la matiere organique demaniere a eviter
la putrefaction: l'epandage qui consiste a repandre les eau"e
les eaux a la surface du sol de maniere a utiliser la matiere organique
comme engrais, la filtration intermittente qui n'est applicable que
dans les endroits pres de terrains sablonneux; les lits de contact ou
les lits percolateurs qui sont constitues generalement par de la pierre
coneassee. Finalement, un dernier procede pour l'oxydation des eaux
est designe sous le nom de boues actives. Dans ce procede, la membrane
biologique, au lieu d'etre fixee aux elements qui constituent le
milieu filtrant, est maintenue en suspension dans les eaux sous une
forme floconneuse par l'admission d'air sous pression par le
fond des bassins. Cette methode a l'avantage d'enlever de 90 a
95 pour cent des germes contenus dans les eaux d'egouts.
Lafreniere, "Letraitement des eaux usees". 26-27.
(81.) Conseil d'hygiene de la province de Quebec rapport
annuel de l'ingenieur sanitaire, 1944-1945, 90.
(82.) Rene Cyr. "Disposition des eaux residuaires des
industries alimentaires" Revue Trimestrielle Canadienne 42,
n[degrees] 168 (1956): 25-30.
(83.) Luc Boltanski, Les cadres (Paris: Editions de Minuit, 1982).
Robert Gagnon et Natasha Zwarich