Le fil conducteur, la vie montrealaise et la Commission des services electriques de Montreal 1914 a 1933.
Poitras, Claire
<<Le fil conducteur, la vie montrealaise et la Commission des
services electriques de Montreal 1914 a 1933>>
<<Wired. City Life and Montreal's Commission des
services electriques, 1914 to 1933>>
Exposition temporaire, Centre d'histoire de Montreal, du 30
septembre au 3 avril 2005
Dans la grande region de Montreal, la tempete de verglas de janvier
1998, qui a plonge dans le noir des centaines de milliers de personnes
pendant plusieurs jours, nous a fait prendre conscience de la fragilite
du reseau aerien de distribution d'electricite. Cet evenement a
egalement relance la discussion sur l'enfouissement des lignes
electriques de distribution. En plus des avantages techniques propres a
la pratique d'enfouissement, l'amenagement de quartiers sans
fil serait, selon ses defenseurs, visuellement plus agreable et pourrait
aussi contribuer a augmenter les valeurs foncieres des proprietes
s'y trouvant. Bref, les environnements sans fil donneraient du
prestige aux quartiers urbains et aux lotissements residentiels.
Certaines municipalites particulierement soucieuses de la qualite de
leur environnement bati et paysager ont, depuis plusieurs decennies, mis
en oeuvre des programmes d'enfouissement des fils ou encore
preconise l'implantation des infrastructures dans les ruelles, a
l'abri du regard.
Les controverses entourant l'omnipresence des poteaux et des
fils necessaires a la distribution de l'electricite et a la
transmission des communications telephoniques filaires dans le paysage
urbain ne sont pas recentes. Des le tournant du XXe siecle,
l'expansion des services offerts en reseau--notamment
l'electricite et le telephone--alimente un debat sur cet enjeu dans
les villes canadiennes. En plus de porter sur des considerations
esthetiques rattachees au mouvement urbanistique d'embellissement
civique, le litige opposant les entreprises privees distribuant les
services et les autorites municipales souleve le probleme du controle de
l'espace public de la rue. Pour mettre de l'ordre dans
l'enchevetrement de fils et de poteaux vus comme des nuisances
publiques, la Ville de Montreal a innove en juin 1910 en creant la
Commission des services electriques. Peut-etre unique en Amerique du
Nord, cette institution est responsable de la planification, de la
construction et de la gestion d'un reseau municipal de conduits
souterrains devant accueillir les reseaux cables.
Un des objectifs de l'exposition est de nous faire connaitre
l'histoire des activites de la Commission des services electriques
en puisant dans un <<patrimoine photographique>> largement
inedit tire de la collection de la Section des archives de la Direction
du Greffe de la Ville de Montreal. Les cliches presentes ont ete
commandes a W. S. Keith et au studio S. J. Hayward afin d'illustrer
les transformations dans le paysage urbain encourues par les travaux
d'enfouissement des fils. IIs temoignent notamment des visees
d'amelioration du paysage urbain de Montreal au debut du XXe siecle
qui devient de plus en plus chaotique a une epoque ou la ville se
developpe en lien avec la mise en forme de la societe de consommation de
masse--comme l'atteste la publicite envahissante--,
l'introduction des nouvelles technologies comme l'automobile
et le camion--et la disparition graduelle de la traction animale--et la
specialisation accrue du centre des affaires ou se concentrent les
commerces. Comme le rappellent les concepteurs de l'exposition, il
s'agit d'abord et avant tout de documenter ces changements et
non pas de preconiser un traitement esthetique ou artistique des images
utilisees. Les photographies servent aussi de pretexte pour nous faire
entrer dans la vie quotidienne des gens qui deambulent dans les rues de
Montreal. De plus, quelques outils employes par les travailleurs pour
ouvrir les rues et enfouir les fils completent les documents visuels.
Occupant deux salles, cette petite exposition est structuree en
fonction de quatre themes. La premiere salle qui introduit le visiteur a
l'objet de l'exposition presente la Commission des services
electriques de Montreal a partir de reproductions de coupures de presse
tirees des grands quotidiens montrealais. On y annonce la disparition
des fils et des poteaux du paysage montrealais. Des 1890,
l'entreprise de telephone Bell demande a la Ville de Montreal la
permission pour enfouir ses fils. Quelques annees plus tard, afin
d'harmoniser la gestion du sous-sol urbain, l'administration
municipale met en place son propre reseau de conduits souterrains. Gere
par la Commission des services electriques de Montreal, ce reseau a
d'abord ete developpe dans les parties centrales de la ville pour
ensuite s'etendre aux quartiers peripheriques. Entre 1921 et 1931,
90 kilometres de conduits souterrains ont ete installes par la
Commission, ce qui a permis de supprimer 70 kilometres de poteaux. Au
debut du XXe siecle, les conduits sont surtout localises le long des
grands axes routiers et sous certaines rues residentielles des quartiers
qui accueillent des menages de la classe moyenne superieure.
L'autre salle regroupant les photographies et les artefacts
traite des trois autres themes, a savoir les Montrealais et les
Montrealaises, la vie urbaine et l'affichage. Les photographies
commandees se revelent des scenes de rue croquees sur le vif par des
photographes a qui les representants de la Commission des services
electriques de Montreal avaient demande d'exposer les
transformations du paysage urbain avant, pendant et apres les travaux
d'enfouissement des fils. Plusieurs photographies agrandies font le
foyer sur certains details a partir desquels le visiteur est mis en
contact avec certains aspects de l'histoire de Montreal au debut du
XXe siecle: l'arrivee de nouveaux produits de consommation de masse
et des grandes marques de commerce, l'histoire des entreprises
locales, l'apport de certains groupes ethniques au developpement de
la ville, le fonctionnement des objets du mobilier urbain comme les
bornes fontaines, le telegraphe d'alarme et les rails de tramways.
Concue par Josee Lefebvre, Stephanie Mondor, Mario Robert avec la
collaboration de Jean-Francois Leclerc, cette exposition leve le voile sur une institution municipale et un objet technique dont les
ramifications multiples nous incitent a mieux comprendre les rapports
entre la modernisation du paysage urbain et les usages et usagers des
rues de Montreal. Par contre, en se concentrant sur les aspects visuels,
l'exposition ne nous fournit pas beaucoup d'information sur
les modalites de gestion de la Commission des services electriques et
sur les liens qu'elle entretient avec les entreprises de services
publics. De plus, il aurait ete interessant d'en apprendre
davantage sur la specificite du modele montrealais en le comparant, par
exemple, a ce qui prevaut dans d'autres grandes villes canadiennes.
Claire Poitras
INRS-Urbanisation, Culture et Societe