Building Gotham: Civic Culture and Public Policy in New York City, 1898-1938.
Dagenais, Michele
Revell, Keith D. Building Gotham: Civic Culture and Public Policy
in New York City, 1898-1938. Baltimore: Johns Hopkins University Press,
2003, Pp. x, 327. Illustrations, index. US 42,75$.
En 1898, la creation du Greater New York, issu de la fusion des 96
municipalites entourant la <<ville-centre>>, engendre des
problemes d'une ampleur inegalee. La constitution de cette premiere
agglomeration metropolitaine, alors consideree comme la deuxieme ville
la plus populeuse et etendue au monde, va susciter la recherche de
nouvelles approches pour gerer ces problemes. L'ouvrage de Keith D.
Revell porte sur cette periode charniere au cours de laquelle
s'elabore une conception inedite de New York, de ses besoins et des
solutions avancees pour tenter d'y repondre. Plus que les
politiciens municipaux ou les elites locales traditionnelles, affirme
Revell, les experts sont les veritables artisans d'une conception
tout comme d'un mode de gestion nouveaux, envisages de maniere
regionale. Au dela de la quete de l'efficacite generalement accolee
aux experts, c'est l'elaboration de cette conception inedite
de l'action publique, rendue necessaire dans un contexte ou la
vision traditionnelle de la communaute apparait de plus en plus obsolete
et inadequate, qui constitue le moteur des actions de ces technocrates
et fonde la base sur laquelle ils construisent leur legitimite.
Mais en quoi cette nouvelle vision consiste-t-elle? L'auteur
l'identifie comme une culture civique de l'expertise, nee de
la crise de legitimite qui ebranle les elites economiques (banquiers,
proprietaires et promoteurs fonciers), les politiciens locaux et
certains hauts fonctionnaires elus incapables de s'ajuster au
nouveau contexte, parce qu'encore marques par la culture du
<<privatism>> caracteristique du 19e siecle. Fondee sur le
volontarisme plutot que l'engagement envers le bien-etre public, la
culture traditionnelle, aussi marquee par un esprit de clocher, promeut
les droits individuels plutot que collectifs et a une vision etriquee
des problemes politiques. En lieu et place de cette conception depassee,
la culture civique emergente, portee par les experts issus tout a la
fois du secteur des affaires, du gouvernement, de l'enseignement
superieur, de la philanthropie, se caracterise par son penchant pour une
gestion pensee dans ses multiples ramifications et sa capacite a etablir
des liens entre les problemes et leurs solutions. Le volontarisme,
l'individualisme et le localisme cedent ainsi le pas aux principes
de centralisation, d'interdependance et a une vision regionale des
problemes urbains. En phase avec son epoque, cette culture civique de
l'expertise repose sur la conviction que la nouvelle realite,
regionale ou metropolitaine. appelle des solutions a cette echelle. Mais
cette transition ne parvient pas toujours a se traduire sur le plan
concret, dans la mesure ou elle exige, notamment, d'importants
changements institutionnels.
Building Gotham s'inscrit dans le courant des etudes recentes
qui reexaminent l'histoire des villes en adoptant une echelle
metropolitaine ou regionale, estimee plus susceptible d'eclairer
les dynamiques du developpement urbain que les travaux se limitant a
analyser les villes definies en fonction de leurs limites administratives. C'est le premier merite de Keith D. Revell.
specialiste d'administration publique. Le second est d'avoir
choisi de multiplier les points de vue pour mener son enquete sur les
transformations que connait New York durant les quatre premieres
decennies du XXe siecle, de maniere a suivre au plus pres les debats et
les actions entreprises par des ingenieurs, des avocats, des economistes
ou encore des urbanistes autant rattaches aux secteurs public que prive.
Cependant, dans son souci ou son desir de bien demontrer la contribution
de ces technocrates, l'auteur a trop souvent tendance a les
presenter comme etant les seuls dotes d'une juste vision de la
situation et capables d'embrasser une conception regionale de la
gestion de New York, les politiciens etant, pour leur part, enferres
dans leur comprehension locale et parcellaire des problemes a resoudre.
Les premiers apparaissent porteurs d'une pensee progressiste,
tandis que les seconds ne peuvent que defendre une vision traditionnelle
et limitee.
L'adoption d'un angle dichotomique et un peu caricatural
n'empeche cependant pas l'auteur d'exposer habilement les
tenants et les aboutissants de nombreux developpements dans divers
secteurs de la scene metropolitaine ou s'entremelent les debats et
les actions menees par les acteurs des secteurs prive et public. La
premiere partie de l'ouvrage porte d'abord sur la construction
d'infrastructures (le Holland Tunnel et la Pennsylvania Station) et
de reseaux ferroviaires permettant de circuler dans la ville de New York
et dans la region environnante. Presentes en second lieu, les efforts
menes pour etablir un organisme consacre a la supervision du trafic
portuaire dans et autour de New York ne connaitront cependant pas le
meme succes, a cause de la multiplicite des interets sectoriels en
presence. La seconde partie du livre s'attarde a reconstituer les
conflits et les evenements entourant la mise en place du metro, de
systemes d'aqueduc et de traitement des eaux et d'une nouvelle
fiscalite. La derniere partie traite, en premier lieu, du probleme du
zonage et de l'adoption du reglement de 1916 qui, si il recele la
promesse de permettre un developpement plus ordonne de New York,
s'avere jusqu'a un certain point un echec dans la mesure ou, a
l'usage, il servira davantage a proteger les interets des
proprietaires qu'a la mise en place d'un plan
d'urbanisme. Ainsi en va-t-il aussi des tentatives de planification
regionale au cours desquelles s'opposent les visions
<<localistes>> et les interets sectoriels a celles, plus
larges, inspirees par une comprehension globale de la situation.
Comme le demontre minutieusement l'auteur, ces developpements
se produisent dans un contexte opposant les acteurs partisans de la
propriete privee, de la liberte individuelle, du controle local et du
conservatisme fiscal, d'une part, aux tenants de la mise en place
d'institutions regionales et mus par une logique plus
centralisatrice, fondee sur les trois principes suivants: celui de
l'interventionnisme dans la gestion publique; celui de la
reconnaissance de l'interdependance sur le plan physique et
economique de la ville moderne concue comme un systeme ou les frontieres
entre ville-centre et banlieue, bien-etre public et propriete privee,
richesse individuelle et ressources collectives s'estompent; celui,
enfin, du principe de la possibilite d'une certaine adequation
entre le bien-etre individuel et collectif. Tout au long de
l'ouvrage. Revell demontre bien que l'adoption de politiques
plus globales n'a pas toujours represente une panacee, les systemes
qui en resultent donnant parfois lieu a de nouveaux conflits emergeant
de l'existence de cette nouvelle echelle. Comme il le conclut
lui-meme, si les tenants de la culture civique de l'expertise ont
eu un impact profond sur la structure physique et institutionnelle de la
ville, ils n'ont cependant pas reussi a obtenir la reconnaissance
d'une nouvelle approche de l'interet public tout comme celle de la ville consideree comme un tout. Partant de ce constat, la
conclusion de l'ouvrage cherche a convaincre que, pour difficile
qu'il soit de parvenir a faire emerger une maniere unifiee de
concevoir et de gerer la ville, cela ne devrait pas invalider le fait
qu'il a existe une volonte reelle et sincere d'ameliorer le
bienetre collectif. II n'empeche que, dans cette conclusion comme
dans le reste du livre, Revell ne definit jamais vraiment ce qu'il
entend par interet commun ou bien-etre collectif donnant a penser que
ces donnees existent de maniere objective alors qu'il s'agit
plutot de constructions sociales. S'il s'agit la d'une
question qui pourrait faire l'objet d'une longue discussion,
il n'empeche que l'auteur aurait du la considerer.
Michele Dagenais
Departement d'histoire
Universite de Montreal