Benoit Lacroix (1915-2016).
Laperriere, Guy
Le dominicain Benoit Lacroix est decede le 2 mars 2016, des suites
d'une pneumonie qu'on n'a pas pu soigner. Son depart est
ressenti comme une perte enorme. Il etait en pleine activite et venait
de remettre a son editeur un manuscrit sur Les nombres ... De fait, il
n'a jamais arrete d'ecrire et de publier: a 100 ans,
paraissait son si beau Rumeurs a l'aube (2015). Dans cette revue,
il convient de signaler surtout son apport a l'histoire religieuse
du Quebec et du Canada francais. Ceux et cedes qui ne le connaissent pas
trouveront une belle presentation de son parcours et de sa personnalite
dans la courte mais substantielle biographie publiee sur le site
Internet Dominicains du Canada.
Sur le plan professionnel, il fut d'abord un medieviste. Forme
au Pontifical Institute of Mediaeval Studies de Toronto, ou il rencontre
ses maitres Etienne Gilson et Henri-Irenee Marrou, il obtient en 1951 le
premier doctorat es sciences medievales decerne par cet institut. Il
sera professeur a Tlnstitut d'etudes medievales de
l'Universite de Montreal de 1945 a 1980. Comme medieviste, il
s'interessait aux historiens du Moyen Age, d'ou ses deux
contributions principales: Orose et ses idees (1965) et L'historien
au moyen age (1971). On retiendra aussi Pourquoi aimer le Moyen Age ?,
un vibrant plaidoyer publie d'abord dans la Revue dominicaine
(1949) et dont on trouvera l'equivalent plus recent dans une
entrevue de 1995 a la revue Cap-aux-Diamants: <<Le Quebec, un
arbre aux racines medievales>>.
Mais Benoit Lacroix n'etait pas l'homme d'une seule
discipline. Tres tot, il s'interesse a la litterature, a ce
qu'on appelait alors les lettres canadiennes, dont il se fait un
ardent promoteur. Ami de Robert Elie et de Jean Le Moyne, il est conduit
par eux a Hector de Saint-Denys Garneau, dont il publiera les (Euvres,
en edition critique, avec son ami le poete Jacques Brault. Le monde des
arts lui est tout aussi familier, de Louis Muhlstock a Rene Derouin,
avec qui il entretient des relations de tendre amitie.
Arrivons a ce qui l'a fait le plus connaitre dans le monde
universitaire quebecois: la religion populaire. Ici, il devient
entrepreneur, et entrepreneur efficace. Le projet prend forme en 1967:
dix colloques, en dix universites differentes, avec dix publications,
pour lancer ce nouveau champ et faire le tour du sujet. C'est ce
qui se realise, de 1970 a 1982, sans oublier les innombrables entrevues
qu'il mene autour de ce theme, privilegiant ainsi la tradition
orale. II est l'animateur de ce mouvement, qu'il serait
interessant de situer par rapport a tout l'elan des etudes de
folklore et a la montee du mouvement independantiste quebecois pendant
les annees 1970. Son amitie avec Luc Lacourciere lui est tout aussi
precieuse.
Et voila qu'en 1980, il prend sa retraite de l'Universite
de Montreal, a laquelle il est toujours reste tres attache. Voila 35 ans
qu'il y a passes: s'ouvre alors, sans qu'il puisse le
savoir, evidemment, une autre periode de 35 ans qu'il consacrera
... laissons-le nous l'expliquer lui-meme: <<A 65 ans, je
quittais volontairement l'universite, tel que prevu dans les
reglements officiels. Je l'ai fait a regret. A la meme occasion, je
rejoignais, a temps complet cette fois et comme pretre, cette universite
elargie que j'appelle maintenant l'universite des ames et des
cceurs, ce qui inclut mon Eglise, les autres Eglises mais aussi,
j'aliais dire, surtout ceux qui cherchent autrement et
ailleurs.>> (1990). Temoignage queje cueille (p. 29), comme bien
d'autres, dans la somme monumentale rassemblee et editee par sa
grande collaboratrice Giselle Huot, a l'occasion de ses 80 ans:
Dits et gestes de Benoit Lacroix (1995). Cette periode n'est pas
moins active ni fructueuse du point de vue des publications. Il
rassemble d'abord ses differentes etudes et conferences sur la
religion populaire qu'il publie sous le titre La religion de mon
pere (1986). Puis, vient un ouvrage plus elabore, <<largement
alimente a la tradition orale >>, une synthese qui veut<<
donner la parole au peuple d'ici>> et presenter <<le
phenomene religieux quebecois tel que nous l'avons vecu >>:
Lafoi de ma mere (1999). C'est ici qu'on trouve, au mieux, sa
maniere: une methode quasi-ethnographique, un melange de mise en valeur
de la nature et du terreau de Bellechasse, d'un grand attachement a
la foi simple et aux traditions religieuses de ses parents et de leur
village, et d'une certaine liberte, pour ne pas dire aimable
detachement, vis-a-vis les normes trop rigides ... L'essentiel de
ces deux ouvrages sera ensuite repris en un seul, qui combine les memes
deux titres (2002), une somme a laquelle peuvent recourir ceux qui
veulent retrouver la substance de la religion populaire au Quebec, dans
son expression la plus spontanee.
En meme temps, il poursuit son activite autour du poete de
Saint-Denys Garneau et y ajoute un nouveau projet d'edition
critique, celui des oeuvres de Lionel Groulx, qu'il a bien connu et
admire. Il encourage les equipes qui se mettent sur pied et lance meme
Les Cahiers d'histoire du Quebec au XXe siecle, rattaches au Centre
de recherche Lionel-Groulx, dont il sera le directeur et qui publieront
dix numeros entre 1994 et 2000, grace a l'activite debordante de
son redacteur en chef Stephane Stapinsky.
Ceux et celles qui Font connu garderont de cet homme de foi une
image encore plus profonde que tout ce qu'on vient d'evoquer:
son ouverture a tous, son esprit de liberte, sa fidelite et, surtout, F
amour, qu'il a cultive et pratique sans limites: <<Aimer,
c'est toute ma vie depuis toujours.>> Son souvenir reste
grave dans nos memoires; sa pleine adhesion a la vie nous sert
d'inspiration.
Guy Laperriere
Paques, 27 mars 2016