Gregory Baum, Fernand Dumont. Un sociologue sefait theologien.
Desautels, Eric
Gregory Baum, Fernand Dumont. Un sociologue sefait theologien,
Montreal, Novalis, 2014, 203 p.
Fernand Dumont represente une figure de proue de la sociologie
quebecoise. Sa pensee hermeneutique a marque l'evolution de cette
discipline au Quebec, malgre qu'elle soit toujours restee en marge
du positivisme et du marxisme en vogue dans les annees 1960 et 1970. Or,
l'originalite de son ceuvre reside non seulement dans son approche
philosophique et sociologique, mais egalement dans son engagement social
ainsi que dans son rapport a la foi et a la culture quebecoise.
C'est principalement sur son rapport a la foi que le
theologien Gregory Baum s'attarde dans Fernand Dumont. Un
sociologue se fait theologien (2014). Etant lui-meme un theologien avec
une feuille de route impressionnante, Baum eclaire sous un angle inedit
l'oeuvre de Dumont, en particulier son essai L'Institution de
la theologie. Essai sur la situation du theologien, these de Dumont
parue en livre en 1987. Baum va meme jusqu'a decrire cet essai
comme un <<ouvrage capital>>, dont il recense des affinites
avec la theologie de Karl Adam Moller et surtout celle de John Henry
Newman sur la doctrine de l'Eglise au XIXe siecle. On constate des
les premiers mots de l'auteur toute l'admiration qu'il a
developpee pour la pensee theologique de Dumont.
Dans le premier chapitre, Baum decrit d'abord
l'importance de la trajectoire de vie de Dumont pour bien saisir sa
pensee sociologique, philosophique et theologique. En fait, certains
elements constitutifs de sa theorie sociologique innuencent directement
sa theologie: la distinction entre la culture primaire et la culture
secondaire, la forme du << croire >> qui se trouve autant a
la base de la science que de la theologie, la dialectique de
l'experience, de l'expression et de la norme ainsi que
l'importance de l'imagination qui pousse les individus a se
surpasser. En fait, tout au long de F ouvrage, Baum revient sur ces
dimensions contenues autant dans sa sociologie que dans
L'Institution de la theologie. Pour Dumont, le theologien est
<< un penseur critique au sein de la communaute croyante >>:
la foi de ce dernier l'ancre dans ladite communaute (p. 35). Il
s'agit d'un croyant qui utilise sa foi pour porter un regard
sur l'Eglise catholique, ses origines, son evolution et sa place
dans la societe.
Le second chapitre revient d'ailleurs sur ce rapport du
theologien a la communaute de croyants. Il decrit des lors un aspect
primordial du role du theologien: il doit etre mediateur,
c'est-a-dire a l'ecoute des experiences religieuses au sein de
la communaute, en particulier les experiences qui ne correspondent plus
au discours dominant de l'Eglise. Il se doit de reprendre ces
experiences et les soumettre a l'Evangile afin de leur donner sens.
L'objectif du theologien est de <<susciter un catholicisme
qui correspondrait a l'experience de foi du peuple
quebecois>> (p. 46). Trois experiences religieuses distinctes se
trouvent a la base de la communaute contemporaine de croyants, selon
Dumont: 1) L'appel a la coresponsabilite historique, le croyant se
situant historiquement et culturellement dans une communaute; 2) La
conversion a l'immanence redemptrice de Dieu, phenomene que
l'auteur associe a un panentheisme qui renvoie aune vierecelant
d'une << Transcendance sans nom>> (p. 55-56); 3) La
reconciliation avec le pluralisme religieux qui permet une experience
solidaire de Dieu.
Les chapitres subsequents approfondissent les rapports du
theologien au magistere, a la tradition et a la culture. Le rapport du
theologien au magistere revele encore une fois son role mediateur et
critique. Ce role est d'autant plus amplifie que les differences
entre la communaute de croyants et le magistere ecclesiastique
n'ont fait qu'augmenter depuis le concile Vatican II. Dumont
relate une << crise de l'orthodoxie >> due a une
conception de la religion basee sur le devoir et la soumission a
Fautorite, a un systeme de Verite divine ancre dans les doctrines de
l'Eglise et a la mise en valeur de l'aspect peccamineux du
doute. Comment contrer cette <<crise>> qui touche les
croyants? Fernand Dumont soulignait qu'il y avait trois manieres
distinctes de faire partie de la communaute: Fappartenance,
l'integration et la reference. Or, le magistere se doit de miser
sur la reference, c'est-a-dire sur Fidentification symbolique a la
communaute, afin de mieux repondre aux problemes actueis des croyants,
en comparant notamment leurs experiences aux grandes figures bibliques.
C'est ce qui mene Gregory Baum a s'interroger sur le
rapport du theologien a la tradition. Pour le sociologue Dumont, la
tradition est a la base de la memoire qui permet de faire face aux
problemes contemporains et d'entrer dans F avenir avec creativite
en contribuant a de nouveaux rapports a Fhistoricite. Il en est de meme
pour le theologien Dumont face a la Tradition. L'Eglise doit reagir
avec creativite aux Verites divines et a son nouvel environnement, a une
societe en constante evolution. L'auteur souligne que l'avenir
de l'Eglise passe d'ailleurs par une << ouverture
critique a la modernite>> (p. 128).
L'auteur aborde ensuite le role primordial du theologien en
tant que critique de la culture. Deux dimensions ont particulierement
transforme ce rapport: la bureaucratisation rigide de la societe ainsi
que l'individualisme et l'egoisme grandissants. Selon
l'auteur, Fernand Dumont propose des reponses theologiques
originales. D'une part, Dumont mentionne l'importance, pour
l'Eglise, de miser sur une communaute prophetique, ce qui revele
une certaine influence de Johann Baptist Metz et de Jacques
Grand'Maison sur sa pensee theologique. Dans cette perspective, les
institutions ont un role a jouer pour stimuler une culture publique
alternative a une bureaucratisation de venue globale. D'autre part,
Dumont propose de surpasser Findividualisme en recherchant la source de
la transcendance chez les individus. Une societe <<vivante>>
necessite une <<transcendance immanente a sa substance>>
(p.153). Devant la diversite des cultures, il faut toutefois depasser
tout relativisme en se dirigeant vers un consensus ethique issu
d'un dialogue entre les cultures. Il importe de souligner
l'etonnement de Baum face a une <<critique conservative de la
societe>> qui revelerait une certaine vision deterministe dans
L'Institution de la theologie (p. 140).
Enfin, Gregory Baum s'attarde a la question de l'unite de
la theologie. Le theologien agit dans une dynamique specifique, celle
d'une <<rupture dans la continuite >>(p. 165). Dumont
marque une difference entre ce qu'il appelle une theologie premiere
et une theologie seconde. Issue essentiellement de l'experience de
la foi, la theologie premiere precede toute forme de connaissance. Quant
a elle, la theologie seconde releve du dialogue entre la science, la
philosophie et la theologie ainsi qu'entre les theologiens. Pour
Dumont, le role mediateur du theologien n'empeche pas la critique
des idees dominantes. Le croire precedant toujours la connaissance, les
theologiens tentent d'etre des <<sujets epistemiques>>
qui puissent devoiler l'intelligibilite de la foi chretienne (p.
181).
En conclusion, Baum emet certaines critiques, mais on retient
essentiellement trois <<idees brillantes>> de Dumont:
l'entrelacement de la culture profane et de la foi religieuse, la
foi des croyants comme source de vitalite de l'Eglise et les
differentes manieres d'appartenir a la communaute de croyants. La
force de ce court ouvrage de Gregory Baum reside dans le regard
d'un theologien chevronne, venu de l'horizon de la theologie
de la liberation et plus proche des jesuites que des dominicains (Baum
fait partie de l'equipe de Relations, Dumont participa a
Maintenant), sur la theologie complexe d'un intellectuel engage
comme Fernand Dumont. L'auteur saisit toute la complexite
d'une pensee en mouvement, d'une perspective animee par la foi
et par l'evolution de la societe. Il propose un regard engage et
critique avec de fortes references aux orientations du Vatican de Jean
XXIII a Benoit XVI et au contexte social specifique du Quebec, et ce, de
la Revolution tranquille aux manifestations etudiantes de 2012. A
l'instar de Fernand Dumont, Baum propose une analyse dynamique
basee sur sa propre foi, sur ses propres espoirs par rapport a la
tradition et a l'avenir de l'Eglise catholique.
Erie Desautels
Candidat au doctorat
Universite Concordia