Louise Bienvenue, Ollivier Hubert, Christine Hudon, Le college classique pour garcons. Etudes historiques sur une institution quebecoise disparue.
Murray, Jocelyne
Louise Bienvenue, Ollivier Hubert, Christine Hudon, Le college
classique pour garcons. Etudes historiques sur une institution
quebecoise disparue. Montreal, Fides, 2014, 416 p.
Le college classique pour garcons--jadis un fleuron de
l'enseignement secondaire au Quebec--est ici revisite sous
l'angle de la masculinite. Les etudes historiques de ces trois
auteurs proviennent pour la plupart d'articles publies
anterieurement pour former, dans un tout coherent, <<une histoire
sociale du collegial>>.
Afin de couvrir 300 ans d'histoire, les chercheurs ont puise
dans les archives de cinq colleges du Quebec dont la fondation
s'echelonne de 1773 a 1857 (1). Guy Laperriere a contribue au seul
chapitre faisant place aux femmes puisque des communautes religieuses
feminines ont assure l'intendance quotidienne de ces
etablissements. D'autres documents, brochures, journaux intimes
d'etudiants, romans et autobiographies d'anciens collegiens
permettent d'approfondir <<ces fabriques
d'hommes>>. Enfin, une serie d'illustrations de
collegiens a differentes epoques agramente le texte. L'ouvrage se
divise en quatre parties d'autant de chapitres.
A quelques reprises et pour mieux s'en distinguen les auteurs
font reference au travail de Claude Galarneau (1978) et d'autres
chercheurs qui ont etudie ces colleges fondes pour susciter la vocation
sacerdotale ou la preparation a l'universite en vue d'une
profession liberale.
Une analyse des programmes educatifs sert d'assise a la
premiere partie de l'ouvrage. A l'origine, l'enseignement
industriei, commercial ou agricole precedait les humanites, ce qui
temoigne de la multiplicite des atientes et la pluralite de l'offre
educative. Une etude fine des inscriptions au College de Montreal au
XIXe siecle illustre ces propos.
Un tournant majeur se dessine dans les annees 1920 confrontant les
colleges classiques aux ecoles dirigees par les freres enseignants.
Grace au developpement de l'instruction publique et aux initiatives
de ces demiers, ils peuvent offrir aux jeunes gens moins bien nantis une
formation scientifique, industrielle et commerciale. A la suite
d'un debat virulent entre les tenants de la culture populaire et
ceux de la culture elitaire, les colleges classiques reorientent leur
offre d'enseignement. Ils optent alors pour les humanites
classiques ou le latin cimente ce <<bastion de la bourgeoisie
dominante>> francophone sous le quasi-monopole de l'Eglise
catholique. Cette section se termine par une reflexion menee par
Ollivier Hubert qui apprehende le college comme site privilegie de
production des inegalites.
Les trois parties suivantes s'interessent aux individus qui
evoluent dans ces colleges, chacune sous un angle specifique de la
sociabilite. Il y a d'abord cet espace physique qui oblige a une
reglementation de la vie des pensionnaires. Elle etait concue pour
favoriser l'etude et la concentration ainsi que la reussite
scolaire. C'est a une relecture de la portee de ces reglements que
nous invite Hubert. <<Il faut penser l'interne comme un elu
avant de le theoriser comme un bagnard>> (p. 162). En
contrepartie, il y avait une sociabilite collegienne faite de fetes, de
sorties, d'activites sportives sans oublier les tentatives des
jeunes gens pour tromper la vigilance des surveillants.
Pour encadrer les collegiens, il y a le maitre. Christine Hudon et
Louise Bienvenue exposent les liens qui unissent les enseignants a leurs
eleves, mais aussi les aleas de ce metier. Non moins captifs que leurs
pupilles, certains professeurs s'epanouissent plus que
d'autres a cette tache parfois ingrate et mal remuneree.
D'autres font figure de substitution du pere durant l'annee
scolaire, c'est dire l'appreciation des jeunes gens envers
leur mentor.
Le seul element feminin dans ce monde d'hommes est constitue
de religieuses affectees au travail domestique. Louise Bienvenue et Guy
Laperriere nous font decouvrir le labeur incessant des petites soeurs de
la Sainte-Famille. Actives de l'aube jusqu'au debut de la
soiree, ces religieuses s'impliquent d'abord par engagement
spirituel. Ces taches ingrates ne suscitent que peu de temoignages de
reconnaissance.
La construction du masculin en troisieme partie se presente comme
le noyau de ces recherches. La socialisation des adolescents comporte de
nombreux aspects lies a la <<consolidation de l'identite
sexuee>> ou <<les eleves accomplissent en partie leur
education sentimentale>>. Les modeles identitaires vehicules par
les pretres ne rejoignent pas tous les collegiens qui ont besoin
d'amitie entre pairs. En filigrane, il y a <<un espace
trouble ou l'obsession pour la maitrise des pulsions et la peur de
l'homosexualite brident la camaraderie [...] [et] ou le feminin,
genre inferieur, sert de repoussoir>> (p. 281).
L'evolution de la societe rejoint l'univers collegial
dans ses rapports avec les femmes et la sexualite. A partir des annees
1930, on sent la necessite d'adapter le discours clerical face a
une jeunesse qui s'affirme davantage.
<< Eduquer plutot que fuir devient le maitre mot du clerge
reformiste >>(p. 291). Les sports et l'activite physique
contribuent egalement a la transformation de la vie des collegiens au
tournant du XXe siecle dans une perspective de mieux-etre. Cette
permeabilite aux influences exterieures se double de spiritualite ou
<<la vigueur et la sante du corps masculin sont percues comme le
reflet de l'ame>>, de souligner Hudon.
La quatrieme partie s'interesse a l'univers representatif
de ces maisons d'enseignement. Il s'est construit <<un
my the du college classique>> au fil des ans. Les auteurs
analysent le phenomene a l'aide de prospectus, de documents sur le
premier conventum au XIXe et de trois romans mettant en scene des
collegiens en quete d'iden ti te. Ces ceuvres de fiction se
concluent pareillement: <<c'est le renoncement a la femme qui
fait l'homme>> (p. 388).
Enfin, un epilogue plutot qu'une conclusion s'avere fort
pertinent puisqu'on y discute de la perennite des colleges
classiques dans l'imaginaire quebecois. Disparas depuis 50 ans, ils
servent toujours de reference en matiere d'education. Le debat
pedagogique n'arrive pas a s'en defaire comme si la
democratisation de l'enseignement et la fin de l'inegalite des
classes face aux etudes superieures importaient peu. Pourtant, dans les
annees 1940, l'universite s'ouvrait enfin aux non-latinistes.
Ces etudes ainsi reunies sont captivantes a plus d'un point de
vue. L'histoire de l'education s'en trouve enrichie de
meme que l'histoire sociale. Cette analyse de la masculinite,
ferment d'une elite dominante et jalouse de ses pouvoirs, apporte
un element nouveau quant a l'origine des luttes feministes.
Certains anciens ne se reconnaitront pas dans cette lecture intimiste du
college. Pourtant un tel regard sur un monde passe, mais non oublie,
nous parait fondamental. De nouvelles perspectives dans la comprehension
de la societe quebecoise et de son systeme d'education nous sont
offertes dans cet ouvrage qui interessera de nombreux chercheurs.
Jocelyne Murray
Chercheuse autonome
(1.) Ces colleges sont ceux de Nicolet (1803), Montreal, les
sulpiciens (1773), Saint-Hyacinthe (1811), Sainte-Anne-de-la-Pocatiere
(1829), Sherbrooke (1857).