Chantal Gauthier et France Lord, Engagees et solidaires. Les Soeurs du Bon-Conseil a Cuba 1948-1998.
Foisy, Catherine
Chantal Gauthier et France Lord, Engagees et solidaires. Les Soeurs
du Bon-Conseil a Cuba 1948-1998, Outremont : Editions Carte blanche,
2013, 183 p.
Cette monographie est l'aboutissement du mandat confie en 2010
par l'Institut des Soeurs du Bon-Conseil de Montreal (SBC) aux
historiennes Chantal Gauthier et France Lord, de faire << revivre
>> la mission SBC a Cuba. Les auteures poursuivent ainsi le devoir
de memoire entame avec la publication de Femmes sans frontieres :
l'histoire des Sceurs Missionnaires de l'Immaculee-Conception
(2008). En moins de deux cents pages, Gauthier et Lord relevent ce defi,
mettant au service d'une plume alerte, un travail archivistique
methodique dont rendent compte autant le texte que les cliches
selectionnes pour illustrer l'experience de ces femmes.
Lorsque Marie-Gerin Lajoie accepte la demande de Mgr Edgar
Larochelle, superieur de la Societe des Missions-Etrangeres du Quebec
(SME) de s'installer a Cuba, elle engage l'institut de taille
modeste qu'elle a fonde en 1923 a Montreal dans une voie
inattendue. Les quatre premieres SBC arrivent le 13 octobre 1948, elles
s'engagent d'abord en education, prenant la direction de
l'ecole paroissiale fondee par les PME a Santa Cruz del Norte, puis
celle des ecoles de la Boca de Jaruco et de Jibacoa. A partir de la
deuxieme moitie des annees 1950, elles dispenseront le cours commercial
au college de Santa Cruz. Confrontees a la situation de pauvrete de la
majorite, les SBC s'inspirent du travail realise dans leurs centres
de service social du Quebec pour mettre en place des activites qui
visent a appuyer les familles cubaines dans une perspective globale
favorisant l'acces a l'emploi et aux loisirs. Ainsi, au fil de
la decennie 1950, les SBC visitent regulierement les familles, elles
multiplient les loisirs pour jeunes filles et garcons, puis elles
initient et dirigent des groupes mixtes de jeunes adultes travailleurs
dans l'esprit de l'Action catholique qui contribuent a
l'amelioration des conditions de vie de la population locale.
L'arrivee des SBC est marquee par leur contact avec une
realite catholique aux antipodes de celle du Quebec d'alors: les
Cubains sont majoritairement baptises, mais la pratique des divers
sacrements est reduite au minimum. La presence protestante,
principalement methodiste, cree une difficulte additionnelle dont
temoignent plusieurs extraits de lettres. Qu'a cela ne tienne, les
SBC se retroussent les manches et, en moins de dix ans de presence sur
l'ile, elles rejoignent plus de 1000 enfants a travers les six
centres de catechisme fondes dans les alentours de Santa Cruz. Elles
forment egalement, a Santa Cruz et a Jibacoa, des catechistes au sein de
l'Ecole normale catechistique que fondent les PME en 1956. Les SBC
comme les PME encouragent les manifestations populaires, colorees et
extravagantes, de la foi qu'apprecient particulierement les
Cubains. Hormis quelques manieres de faire qui tiennent compte de cette
expressivite toute cubaine, les religieuses quebecoises contribuent, en
quelque sorte, a la reproduction de l'Eglise quebecoise en sol
cubain, bien qu'elles aient favorise, des les annees 1950, la
formation de laics, ce qui deviendra d'ailleurs le pilier de leur
travail des quatre prochaines decennies.
Le 1er mai 1961, toutes les ecoles confessionnelles de Cuba sont
saisies. Les dirigeantes SBC de Cuba dressent la liste des six
religieuses qui partiront le 16 mal sur le vol mis a la disposition des
ressortissants canadiens par l'ambassade h Cuba. Ayant refuse
l'offre du gouvernement castriste d'enseigner dans les
colleges publics, les cinq SBC demeurees au pays se consacrent plutot au
travail de pastorale aupres des jeunes et des adultes. La fin des
oeuvres d'enseignement impliquant aussi une perte de revenus, les
conditions de vie des SBC se modifient radicalement et elles acceptent
de partager le couvent de Santa Cruz avec les Soeurs servantes des
Saints Coeurs de Jesus et de Marie (SSCM), une cohabitation qui durera
plus de vingt ans! Les soeurs contournent les privations alimentaires en
installant un poulailler, en amenageant un potager, puis un clapier.
Elles comptent aussi sur leur communaute et les membres de leurs
familles qui leur envoient toutes sortes de denrees, jusqu'a la fin
des annees 1960, alors que se durcissent les controles administratifs a
l'egard des colis arrivant de l'etranger. Pour tous les
aspects de la vie materielle, les soeurs font comme les Cubains: elles
apprennent a se debrouiller avec peu et elles recyclent pratiquement
tout. D'ailleurs, les changements intervenus avec le concile
Vatican II soulagent les SBC de Cuba, tant au niveau de la confection
des habits que de l'amenagement de leurs horaires respectifs.
Compte tenu des relations tendues entre l'Eglise et
l'Etat cubain, de la difficulte de poursuivre un travail
apostolique suscitant la suspicion des autorites, les religieuses font
de leur couvent le lieu de vie et d'echanges pour les catholiques
de la region. Rapidement, elles ne se limitent pas a Santa Cruz : elles
renovent la chapelle de Playa Jibacoa qui devient, des 1975, un lieu de
formation des laics et de repos pour les religieuses. Dans l'esprit
de decloisonnement qu'insuffle Vatican II a la mission, elles
poursuivent desormais leur oeuvre d'evangelisation a travers divers
engagements comme infirmieres, animatrices sociales et techniciennes en
audio-visuel. Certaines d'entre elles assument le travail pastoral
habituellement delegue au cure au sein de communautes paroissiales
eloignees comme a Arcos de Canasi dans le diocese voisin de Matanzas ol)
est nommee soeur Gisele Piche. Elles preparent les croyants aux divers
sacrements, forment des leaders laics, administrent meme le bapteme et
prononcent l'homelie, en l'absence d'un pretre. Bien que
la fin des annees 1980 voient se detendre les relations Eglise-Etat et
que les missionnaires assistent a un renouveau de la foi catholique a
Cuba, l'Institut SBC ne peut maintenir sa presence au-dela de 1998,
n'arrivant pas a contenir l'effritement et le vieillissement
de ses effectifs ni a susciter des vocations cubaines en nombre
suffisant pour ouvrir un noviciat sur l'ile.
Enfin, cette monographie ne renouvelle pas le genre et demeure
principalement descriptive, faisant notamment l'impasse sur les
divergences de vue qui ont pu naitre au sein du groupe de missionnaires.
Elle conserve toutefois son interet et il est multiple. Du point de vue
du patrimoine religieux immateriel quebecois, en retracant cette
experience inedite pour l'Institut SBC, cet ouvrage permet de
redeployer le sens des valeurs vecues et incarnees par ces femmes pour
aujourd'hui. Par sa riche contextualisation ecclesiale et
sociopolitique de l'effort missionnaire des SBC a Cuba, un pays
incontournable geopolitiquement, il y a tout lieu d'esperer que
cette contribution stimule les chercheurs interesses par la question
missionnaire quebecoise a poursuivre un travail si bien amorce.
Catherine Foisy
Departement de sciences des religions
Universite du Quebec a Montreal