Abbe Roger Ducharme, Servir et non etre servi : un Fransaskois se raconte.
Laperriere, Guy
Abbe Roger Ducharme, Servir et non etre servi : un Fransaskois se
raconte, Regina, La nouvelle plume, 2005, viii-208 p. 19$
C'est au kiosque du Regroupement des editeurs
canadiens-francais (RECF) du Salon du livre de Montreal que j'ai
decouvert Les Editions de la nouvelle plume, de la Saskatchewan, et les
memoires de l'abbe Roger Ducharme, un << recit tout bonnement
redige >>, au dire meme de l'auteur, avec des citations
bibliques et spirituelles qui ponctuent chacune des sections. Le livre
vaut le detour, car il nous renseigne sur la vie catholique et francaise
de la region sud de la Saskatchewan, dans le diocese de Gravelbourg.
Nous disposons de peu d'ecrits sur l'histoire religieuse de
cette region; signalons tout de meme une Histoire du diocese de
Gravelbourg, 1930-1980, redigee par un confrere de l'abbe Ducharme,
Adrien Chabot.
Les parents de Roger Ducharme sont venus de la region de
Lanaudiere, au Quebec (Saint-Cleophas de Brandon et Saint-Gabriel de
Brandon), s'etablir comme cultivateurs a Saint-Victor, pres de
Willow Bunch, en 1907 et 1908. lis se marient l'annee suivante et
auront huit enfants dont deux deviendront pretres, et deux religieuses.
On sait la richesse du diocese de Joliette comme << terre a
pretres >> : cela s'est poursuivi en Saskatchewan. Ne en
1919, Roger frequente le College Mathieu, a Gravelbourg, tenu par les
Oblats (de 1920 a 1977) pour son cours classique, entre ensuite au grand
seminaire et est ordonne pretre en 1944. Cent details interessants sont
releves sur ces premieres annees: signalons, le soir de
l'ordination, la projection <<d'une seance de vue de
circonstance, le divin sacrifice>>. Dans la meme veine, le jeune
vicaire de Willow Bunch -- ce fut sa premiere assignation -- etablit un
circuit de distribution de films en francais, avec projection d'un
film par mois, dans toutes les paroisses francaises qui en desiraient.
Car l'abbe Roger Ducharme sera avant tout un defenseur de
<< la Cause >> catholique et francaise en Saskatchewan. Son
principal travail, de 1952 a 1962, sera d'etre visiteur des ecoles
francaises du sud de la Saskatchewan et organisateur de
l'Association catholique franco-canadienne de la Saskatchewan
(ACFC), fondee en 1912. Un grand evenement sera l'ouverture de la
radio francaise en 1952, a la suite des demarches de Mgr Baudoux:
Ducharme en est tout enthousiaste. Reprenant les fiches qu'il a
redigees lors de ses visites de 1953, le visiteur nous fait parcourir
une a une les quelque 25 petites paroisses francaises et note pour
chacune le nombre d'eleves et combien d'entre eux suivent les
cours de l'ACFC. Pour un lecteur qui n'est pas du lieu,
l'auteur ne donne cependant pas assez de details sur le
fonctionnement du systeme scolaire en Saskatchewan pour qu'on
comprenne vraiment le contexte. On saisit que l'enseignement du
catechisme devait se donner apres les classes (loi Anderson), que le
francais ne pouvait etre enseigne plus d'une heure par jour, que
les plus gros couvents des religieuses etaient le plus souvent des
ecoles publiques, que le visiteur avait besoin d'une autorisation
des commissaires d'ecoles pour penetrer dans une ecole, qu'il
y avait une Division scolaire francophone, mais l'ensemble du
systeme nous echappe ... Ainsi, on nous parle d'un Comite permanent
de l'enseignement du francais, << que le ministere public
ignorait totalement >>. Ce qui est sur, c'est que le visiteur
avait surtout une mission d'encouragement, de stimulation, et
qu'il y parvenait par la chanson, le Festival de la chanson
francaise notamment, les concours oratoires et les examens de francais
de fin d'annee. En filigrane, on lit aussi le drame de ces petites
paroisses : la depopulation rurale qui amena la fermeture de plusieurs
petites ecoles.
L'abbe Ducharme occupa ensuite d'autres fonctions : de
1962 a 1966, il fut professeur au College Mathieu, tache qu'il
n'a pas beaucoup appreciee. Ce qui lui plaisait le plus;
c'etait d'etre cure. Il le fut notamment a Ferland, un village
de 60 familles, de 1966 a 1983, alors meme qu'il etait directeur
diocesain de la catechese et de la liturgie, dans la foulee de Vatican
II. A chacune de ses cures, il dut aussi s'occuper de deux
missions, ce qui l'amena a beaucoup voyager, dans des circonstances
souvent perilleuses. L'un des recits les plus emouvants est celui
du bapteme d'un Sioux de 81 ans, Jimmy Woundedhorse, en 1975, dans
la reserve de Wood Mountain que desservait aussi le cure.
Roger Ducharme ne fut pas cantonne toute sa vie au sud de la
Saskatchewan. Apres son ordination, il se rendit au Quebec visiter le
pays de ses ancetres. En 1958, on lui offrit une bourse pour qu'il
puisse assister au centenaire des apparitions a Lourdes; en 1969, pour
son 25e anniversaire de pretrise, il fait un voyage en Palestine et en
1984, lors d'une annee sabbatique qui a suivi une periode
d'epuisement, il sejourne durant trois mois a Rome avec un groupe
de pretres, grace a l'appui de l'archeveque de Montreal, Mgr
Gregoire. Il passe sous silence la suppression du diocese de Gravelbourg
en 1998. L'annee suivante, il est victime d'une hemorragie
cerebrale qui l'amene a prendre sa retraite : c'est alors
qu'il ecrit ses memoires.
Plusieurs traits apparaissent dans ce recit. Les plus marquants
touchent les voyages en automobile : on se demande quel conducteur
pouvait etre cet abbe! Il assure que c'est son ange gardien qui
l'a protege dans ses nombreuses embardees. Quoi qu'il en soit,
la couverture de l'ouvrage montre en gros plan une grosse Chevrolet
mauve, avec l'abbe (en beaucoup plus petit!) derriere qui surplombe
un Village (la photo n'est malheureusement pas identifiee). Le
titre de l'ouvrage est tire de l'evangile de Marc (10:45) et
l'ouvrage est tres bien edite : je n'y ai vu aucune coquille (si on pouvait en dire autant de nos << grands >> editeurs
!). De tels recits permettent de toucher du doigt la realite historique.
L'historien peut aller plus loin, mais le vecu, s'il est
raconte comme ici sans fard et sans pretention, apporte une pierre
precieuse a l'edifice.
Guy Laperriere
Departement d'histoire
Universite de Sherbrooke