Aline Charles, Quand devient-on vieille ? Femmes, age et travail au Quebec, 1940-1980.
Murray, Jocelyne
Aline Charles, Quand devient-on vieille? Femmes, age et travail au
Quebec, 1940-1980, Quebec, Les Presses de l'Universite Lavai, 2007,
391 p. 305
<< Quand devient-on vieille ? >> Pour repondre a cette
question, Aline Charles prend a temoin des femmes de plus de 50 ans
ayant travaille dans le secteur hospitalier entre 1940 et 1980. En fait,
elle analyse les incidences du vieillissement pour trois types de
travailleuses : les employees remunerees, les religieuses et les
benevoles. Par voie de consequence, elle s'interesse aux effets de
la mise a la retraite obligatoire a 65 ans a compter de 1966, evenement
phare de cette recherche (Cette obligation sera abolie par le
gouvernement du Quebec en 1982). Jusque-la, l'age n'etait pas
un critere universel de fin d'emploi tandis que jamais une telle
mesure n'a touche les benevoles. La chercheuse etudie cette etape
incontournable de la vie -- il faut bien un jour quitter son emploi ou
son benevolat- et examine les conditions entourant la retraite des
femmes. La retraite, que l'on aborde souvent avec des accents
masculins, se conjugue pourtant au feminin et A. Charles nous propose
enfin une analyse tine de ce que signifie atteindre 65 ans pour des
travailleuses quebecoises. A la retraite obligatoire ou pas, son
corollaire : l'avenir economique et social des retraitees.
Cette recherche a pour cadre deux hopitaux montrealais :
Sainte-Justine et l'Hotel-Dieu de Montreal, ou la tres grande
majorite des employes sont des femmes. Toutes accomplissent une tache
reconnue par l'institution, contre salaire ou pas, et ou pourtant
<< employees, religieuses et benevoles ne vieillissent ni tout a
fait au meme rythme ni selon les memes modalites >> (p. 165).
Trois periodes chronologiques permettent d'illustrer une evolution
sans pareille dans le monde du travail : la premiere englobe les annees
19401950, la deuxieme couvre les annees 1960, et la derniere nous emmene
au seuil des annees 1980. Precisons que cette etude est fondee, entre
autres, sur des fonds conserves dans les archives de ces deux hopitaux,
dans celles des Hospitalieres de Saint-Joseph et dans celles des Filies
de la Sagesse. Au total, 27 000 dossiers d'hommes, de femmes,
d'employes, religieux et de benevoles ont ete analyses.
A propos de ce decoupage chronologique en trois phases, rappelons
que les annees 1940 et 1950 servent a mettre en lumiere l'impact
qu'aura l'uniformisation des conditions de travail consecutive
a l'etatisation des hopitaux. Les principes de gestion du
personnel, qui pronaient jusque-la le maintien des employees ou des
benevoles vieillissantes aussi longtemps que leur travail etait
satisfaisant, ainsi que plusieurs autres pratiques administratives
deviendront alors obsoletes. D'ailleurs, entre 1940 et 1980, les
nouvelles mesures s'enchainent. Pensons seulement aux modifications
apportees au fonds de pension du gouvernement federal, a la creation du
Regime des rentes du Quebec, aux fonds de retraite instaures par les
employeurs, aux conventions collectives et a la naissance de
l'Etat-providence. Tout ceci contribue a la construction sociale de
la vieillesse.
Ce livre se divise en deux parties, chacune etant composee de trois
chapitres. Dans la premiere partie, la chercheuse pose les premisses de
sa problematique et dresse un etat detaille de la question du <<
devenir vieux >> dans le monde occidental, particulierement dans
un Quebec marque par cette evolution du secteur hospitalier. Elle y
rappelle le role essentiel joue par les religieuses jusqu'a leur
retrait des hopitaux. Cette section comporte une analyse quantitative
illustrant differentes situations : demographie de la population de 65
ans et plus au Quebec, effectifs dans les hopitaux etudies, anciennete
des trois groupes a l'oeuvre a differents moments.
L'auteure dresse une cartographie du travail feminin apres
1950 ora infirmieres et commis de bureau cotoient une multitude
d'ouvrieres necessaires a la bonne marche des etablissements. Les
religieuses, quant a elles, sont considerees par l'auteure comme
des benevoles car elles ne signent aucune entente individuelle,
travaillent pour la communaute et leur affectation depend de la
superieure. Avant les annees 1970, aucune ne signe de contrat
individuel, ne connait la duree de son emploi, ni ne retire de benefice pecuniaire pour son travail. Malgre tout, apres les annees soixante, les
religieuses, du moins les infirmieres parmi elles, doivent se plier aux
exigences gouvernementales : elles deviennent des travailleuses
syndiquees contribuant a un fonds de retraite. Les communautes sont
permeables aux changements sociaux, de nous rappeler A. Charles. Quant
aux benevoles, leur apport est diversifie. De la presidente de
l'hopital Sainte-Justine a la couturiere, en passant par
l'auxiliaire de laboratoire, elles accomplissent mille metiers dans
la gratuite. L'age butoir de la retraite ne les atteint presque
pas, si ce n'est par une mutation en raison de leurs capacites
physiques. Cependant, a partir de la fin des annees 1950, un Service des
benevoles mis en place par les administrations hospitalieres encadre et
restreint leur champ d'action.
Dans la deuxieme partie, A. Charles presente, a l'aide de ses
sources, les consequences particulieres de l'avancee en age pour
toutes ces travailleuses. Trois chapitres explorant autant de periodes
demontrent comment l'administration et les futures retraitees
vivent ce passage. Devant une detresse economique apprehendee par
certaines, les hopitaux distribuent quelques privileges au cas par cas.
Apres l'etatisation ces pratiques seront abolies, elles qui
demontrent neanmoins l'interet que portaient les etablissements a
leurs tres anciennes travailleuses ou benevoles. Les retraitees, laiques
et religieuses gardent souvent un lien avec l'institution grace au
benevolat qui permet une forme d'engagement ou le devouement ne
s'epuise pas.
Ces trois formes d'activites feminines permettent
d'illustrer les nombreuses metamorphoses que connaissent le monde
du travail et celui du benevolat des annees 1940 a la findes annees
1970. Cet ouvrage d'une ecriture elegante et bien illustre devrait
interesser une grande variete de lecteurs. Certains elements des
conditions des travailleuses ou des religieuses etaient deja connus, la
bibliographie exhaustive le demontre; mais l'originalite de cette
recherche tient a l'analyse que fait l'auteure de la situation
de travailleuses agees, remunerees ou pas, au seuil de leur retraite.
Cette recherche devrait inspirer des etudes portant sur d'autres
secteurs ou les travailleuses agees ont affronte des problemes
semblables. Ce travail innovateur d'Aline Charles enrichit
l'histoire des femmes, la'fques comme religieuses, mais
egalement celle du vieillissement, encore peu abordee au Quebec.
Jocelyne Murray
Historienne
Quebec