Legault, Guy R. Cette ville que l'on a batie (Trente ans au service de l'urbanisme et de l'habitation de Montreal, 1956-1986).

Poitras, Claire

Legault, Guy R. Cette ville que l'on a batie (Trente ans au service de l'urbanisme et de l'habitation de Montreal, 1956-1986). Montreal: Liber, 2002. 264 p. ISBN 2-89578-018-8 $25.00 CAD

Beaudet, Gerard. Le pays reel sacrifie (La mise en tutelle de l'urbanisme au Quebec) Montreal: Les Editions Nota bene, 2000 362 p. ISBN 2-89518-053-9 $17.95 CAD

Ascher, Francois. Les nouveaux prineipes de l'urbanisme (La fin des villes n'est pas a l'ordre du jour) La Tour d'Aigues: Editions de l'Aube, 2001. 103 p. ISBN 2-87678-665-6 $12.50 EUR (pbk.)

Ces trois ouvrages portent un regard different sur l'urbanisme contemporain que nous pouvons qualifier de retrospectif, critique et prospectif. Le premier ouvrage est redige par un urbaniste retraite qui a ete actif au sein du service de l'urbanisme de la Ville de Montreal entre 1956 et 1986, soit au cours d'une periode marquee par de grandes transformations metropolitaines. Le temoignage livre par Guy R. Legault est tres instructif quant aux conflits internes propres aux grandes organisations, de meme qu'aux rapports tendus qui ont prevalu entre le pouvoir politique et technocratique. Sa principale force est de faire le bilan des differents programmes de renovation urbaine et des politiques de logement elabores a Montreal a partir de 1967. L'auteur precise a juste titre que << l'effort soutenu pour la restauration des logements et des quartiers anciens, depuis maintenant trente ans, est bien mal connu des Montrealais >> (p. 228). Certes, les experiences de renovation urbaine et de restauration des vieux logements n'ont pas toutes ete reussies. Il n'en reste pas moins que, par rapport a de nombreuses villes nord-americaines de taille comparable, Montreal a su preserver un cadre bati residentiel ancien--voire unique, avec ces fameux duplex et triplex. Aujourd'hui, celui-ci fait le bonheur de nombreux citadins qui en apprecient la localisation centrale et la grande capacite d'adaptation.

A plusieurs occasions, l'auteur s'est trouve au centre de conflits et de luttes urbaines par rapport au logement. Son regard de fonctionnaire apporte un eclairage nouveau sur la question. Il aborde aussi les grandes interventions urbanistiques montrealaises qui ont anime le maire Jean Drapeau (construction du metro et du reseau autoroutier, Expo 67, plan d'urbanisme Horizon 2000, Jeux Olympiques). En depit du desinteret du maire Drapeau pour la qualite de vie dans les quartiers--ce dernier etant preoccupe par de grands projets urbains-, cet ouvrage nous apprend que plusieurs fonctionnaires municipaux ont reussi a mettre a l'ordre du jour la question du logement. En mettant en lumiere le travail realise par ceux-ci, l'auteur nous rappelle que ce ne sont pas seulement les politiciens qui font les villes.

L'ouvrage-manifeste de Gerard Beaudet et de ses collaborateurs est une critique des pratiques contemporaines de l'urbanisme quebecois. Puisant dans l'actualite urbanistique qui a marque le Quebec depuis une vingtaine d'annees, l'auteur depeint un portrait peu rejouissant des choix et des controverses auxquels ont ete soumis plusieurs interventions et projets d'amenagement, tant publics que prives : amenagement d'une route dans un paysage sensible, construction d'un nouveau stade de baseball au centreville de Montreal, deploiement des magasins a grandes surfaces, implantation d'une ligne de distribution d'electricite, prolongement d'une ligne de metro, etablissement d'un mega-hopital universitaire, pratiques de mise en valeur du patrimoine, etc. Selon les analyses proposees par Beaudet, le gouvernement du Quebec et la Ville de Montreal sont les principaux responsables des echecs de l'urbanisme et de la planification urbaine. La these mise de l'avant est que les pouvoirs publics ont demissionne de leurs fonctions en ce qui a trait au controle des interventions urbanistiques et amenagistes avec pour consequence une nette deterioration de la qualite de l'environnement construit et naturel. Cette << mise en tutelle >> de l'urbanisme quebecois est le resultat, d'une part, du virage neo-liberal pris par l'Etat et, d'autre part, d'un manque flagrant de culture en matiere d'amenagement du territoire. La critique est severe et les recriminations a l'endroit des pouvoirs publics sont nombreuses. Au-dela du ton denonciateur de l'ouvrage, quelques pistes de solution nous sont proposees notamment une planification regionale--Beaudet rejoint ici Legault--pour une metropole en mal d'amenagement, une prise en charge reelle de la protection du patrimoine et une veritable democratisation de l'amenagement.

Pour sa part, Francois Ascher propose une reflexion sur les logiques a l'oeuvre dans la ville contemporaine (la metapolisation, la transformation des systemes urbains de mobilite, la formation d'espaces-temps individuels, la redefinition des relations entre interets individuels, collectifs et generaux, les nouveaux rapports aux risques) et ce qu'ils impliquent en termes de redefinition des pratiques de l'urbanisme et pour l'amenagement. L'auteur met de l'avant une serie de nouveaux concepts (metapolitain, troisieme modernite, systeme bip ou systeme des mobilites) pour nous aider a comprendre les changements sociaux. Selon Ascher, depuis environ une trentaine d'annees, nous serions entrts dans une troisieme modernite dont les principales caracteristiques sont une societe plus rationnelle, individualiste, differenciee et presentant une multiplicite d'appartenances sociales. A partir de ce portrait dessine a grands traits, Ascher suggere dix nouveaux principes de l'urbanisme a meme de repondre aux defis poses par la nouvelle societe metapolitaine. L'interet de ce court texte est de montrer que la ville a change et que tant les chercheurs que les praticiens ne peuvent plus se cantonner dans une representation de la ville traditionnelle avec un centre fort entouree d'une couronne suburbaine residentielle. Les outils dont disposent ces derniers pour analyser et planifier la ville doivent etre renouveles. A l'instar des deux autres ouvrages, on ne trouve pas dans ce livre une analyse tres fine des enjeux urbains contemporains. Lus d'une maniere complementaire, ces ouvrages nous fournissent des regards differencies sur la pratique de l'urbanisme. Ils nous aident a mieux comprendre les changements qu'ont connus les villes depuis une trentaine d'annees et comment ceux-ci ont ete porteurs d'une nouvelle conception de la pratique urbanistique. Il nous reste cependant a debattre si les changements recents doivent etre associes au progres ou a un recul par rapport a la capacite des societes contemporaines a amenager et a planifier des espaces de qualite, respectueux du pluralisme socioculturel.

Claire Poitras

INRS-Urbanisation, Culture et Societe