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  • 标题:La betise a l'oeuvre: > dans Madame Bovary.
  • 作者:Chen, Wei-ling
  • 期刊名称:Fu Jen Studies: literature & linguistics
  • 印刷版ISSN:1015-0021
  • 出版年度:2009
  • 期号:January
  • 出版社:Fu Jen University, College of Foreign Languages & Literatures (Fu Jen Ta Hsueh)

La betise a l'oeuvre: > dans Madame Bovary.


Chen, Wei-ling


<<Voila la vraie immoralite: l'ignorance et la betise!>>

--Flaubert

Introduction

Madame Bovary est considere aujourd'hui comme un des plus grands classiques de la litterature. Comme son sous-titre l'indique, moeurs de province, c'est un roman de moeurs dans le sillage des Scenes de la vie de province de Balzac. Flaubert y decrit la vie quotidienne d'une bourgade normande sous la monarchie de Juillet, inserant ses personnages dans une geographie minutieusement detaillee. Mais la chronique est vite depassee par une veritable fresque sociale qui embrasse sur huit annees toute une societe provinciale, decrivant ses milieux et transformations. Yonville, a l'image de la France, rurale de l'epoque, est un microcosme ou se cotoient petite bourgeoisie, paysans et exclus. Mais, a la difference de Victor Hugo ou de George Sand, le temoignage sociologique n'est pas ici au service d'un requisitoire social ou d'un projet politique. Le romantisme social est mort avec l'echec de la revolution de 1848. Celui-ci se nourrissait d'une foi en l'homme et d'un optimisme revolutionnaire etrangers a Flaubert. Le realisme de Madame Bovary s'inspire au contraire d'un pessimisme radical a l'egard de l'humanite, dont l'ecrivain traque le derisoire, le grotesque et le neant. Partageant le desenchantement d'une generation impregnee d'ideaux romantiques et brisee par l'Histoire, Flaubert redige d'abord un livre rageur et ironique sur la betise. Mais le mot ici designe bien davantage qu'un banal defaut d'intelligence individuel ou collectif. Sa portee est moins satirique qu'ontologique. C'est l'expression d'une vision du monde envisagee << du point de vue d'une blague superieure >> (Amossy 55), le mot caracterise l'existence humaine dans sa double dimension grotesque et derisoire. La peinture d'Yonville, du pharmacien Homais, superbe specimen de pseudo-savant de chef-lieu de canton, la description des comices agricoles, sont egalement bien connues pour la derision jetee par Flaubert sur la societe de son temps et la betise humaine. Dans le roman, Flaubert critique les exces et les ridicules de la bourgeoisie qui rend les gens malheureux et betes. Embleme d'une societe videe de tout ideal et rongee par l'ennui, la betise recouvre tout ce qui deshumanise l'homme en le poussant a reproduire mecaniquement les facons d'etre, de sentir et de penser d'une epoque, le depouillant de toute vie interieure et personnelle. La betise, c'est <<l'inhumain en l'homme, la mecanique plaque sur du vivant>> (Correspondance 154). Le roman repose sur la presentation au lecteur d'individus a l'intelligence extraordinairement moyenne, depourvus de tout interet ; il s'agit d'ecrire un <<roman sur rien>> resume Flaubert, en parlant de son roman.

Madame Bovary est un roman extremement riche et instructif. Il decrit parfaitement la maniere de vivre et de penser des gens de cette epoque. Dans ce roman, chaque personnage est introduit par un discours qui porte prealablement sur une foule de sujets inutiles et peu interessants servant uniquement a faire connaitre son degre d'intelligence. Flaubert est, de tous les ecrivains qui ont traite de la betise, l'un de ceux qui ont reflechi le plus profondement sur cette question. Cette lucidite de la betise provoque chez Flaubert une profonde tristesse; tristesse qui vient de la certitude que la betise ne nous est plus exterieure: << Peut-etre est-ce l'origine de la melancolie qui pese sur les plus belles figures de l'homme : le pressentiment d'une hideur propre au visage humain, d'une montee de la betise, d'une deformation dans le mal, d'une reflexion dans la folie >> (Breut 52). Il semble que pour Flaubert, tristesse et colere soient liees. Il se sent depossede de son etre par la betise et la colere nait de ce sentiment de depossession. La betise est <<ce quelque chose d'infini qui vous separe de votre propre personne et vous rive au non-etre,>> dit Flaubert. Ce quelque chose d'infini s'insinue en soi et c'est alors qu'on s'echappe de son etre, qu'on se perd. Ainsi Flaubert experimente-t-il la betise comme fascination. Nietzsche parlerait, a propos du meme sujet, de <<pesanteur>> et de <<lourdeur.>> De meme a-t-on pu parler de <<cloaque, de boue, d'ocean>> chez Flaubert et Renan (Ader 90). << Il est difficile de decrire ce fond, et a la fois la terreur et l'attrait qu'il suscite. Remuer ce fond est l'occupation la plus dangereuse, mais aussi la plus tentante dans les moments de stupeur d'une volonte obtuse, >> dit Deleuze (39). La Correspondance de Flaubert aborde ce mouvement de fascination et de repulsion suscitees par la betise : <<nous ne souffrons que d'une chose: la betise. Mais elle est formidable et universelle >> (1855, Malgor).

Dans Madame Bovary, la betise est le fait de tous les personnages, notamment d'Emma, depourvue de tout esprit critique (devant les propos de Rodolphe ou de Lheureux). Mais c'est surtout Homais qui semble une veritable allegorie de la betise: <<Au dessus de lui flotte quelque chose d'oraculaire, de delphique; il est le porte-parole. Et c'est pourquoi il finit par donner le vertige, pourquoi Flaubert se laisse halluciner par sa betise, par toutes les betises >> (Adam 66).

Le triomphe de la matiere et de l'animalite

Dans Madame Bovary, la betise est avant tout cette presence obsedante des objets dans l'univers flaubertien, signes d'un monde envahi par les choses, incarnations materielles de la laideur du reel, comme la casquette de Charles Bovary. Chez Flaubert, l'objet peut donner a voir et a comprendre autre chose que lui-meme, il peut notamment annoncer ou commenter l'evolution des personnages et de l'action dans un recit. La casquette de << Charbovary >> est decrite en meme temps qu'apparait le protagoniste. Cette fameuse casquette n'est pas un objet reel percu et decrit par un ancien collegien, temoin oculaire qui se serait contente de dire en evoquant ce vieux souvenir que la coiffure de Charles etait ridicule et ne ressemblait en rien a celles que portaient les collegiens de l'epoque. Cette casquette est bien plutot un objet invente par le narrateur omniscient, au moment meme ou il decrit Charles Bovary avec tant de complaisance, s'efforcant de le rendre aussi expressif que possible, au point d'en faire un symbole de la betise humaine : << C'etait une coiffure d'ordre composite, ou l'on retrouve les elements du bonnet a poil, du chapska, du chapeau rond, de la casquette de loutre et du bonnet de coton, une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des profondeurs d'expression comme le visage d'un imbecile. >> L'etude de ce procede de style met au jour les indices de personnification (Frolich 144). On constate que la casquette echappe au simple statut d'objet. L'objet est traite comme un veritable sujet. Francois Brun compare le portrait de Charles et la description de la casquette et il montre leur complementarite : ce qui est mis en evidence dans le portrait, c'est l'accoutrement et l'embarras du personnage, mais nous ne voyons pas vraiment son visage ; la casquette au contraire est minutieusement decrite, c'est elle qui attire les regards, qui provoque les reactions de l'assistance par son aspect grotesque et ridicule, en bref, c'est elle qui parle pour Charles, qui lui donne le visage qu'il n'a pas.

Proust ecrit dans un article a propos du style de Flaubert: <<Ce qui jusqu'a Flaubert etait action devient impression. Les choses ont autant de vie que les hommes >> (Proust 51). Leon, le clerc amoureux, fait, le soir, chez M. Homais, une cour muette a la femme du medecin. Il regarde la robe d'Emma, trainant a terre autour de son siege. Et l'auteur ajoute : <<Quand Leon, parfois, sentait la semelle de sa botte se poser dessus, il s'ecartait, comme s'il eut marche sur quelqu'un >> (92). La robe d'Emma vit pour son amoureux. (1) L'originalite de Flaubert consiste dans la participation pleine des objets a l'elaboration du projet romanesque. La societe bourgeoise est une societe tres materialiste. Les objets ont donc une importance presque metaphysique. Emma eprouve cette sensation : un simple porte-cigare devient le symbole d'une vie differente.

Par son attachement fascine aux objets, son exhausitivite maniaque, la description chez Flaubert rend l'objet monstrueux, detruit son unite en la dissolvant dans le detail et ruine sa signification humaine et sociale. Bien plus, elle tend a se substituer aux personnages qui apparaissent comme recouverts par les choses ou les vetements qu'ils arborent. Ainsi, dans l'evocation des convives de la Vaubyessard, seuls les objets vivent et s'animent: << les eventails peints s'agitaient, les bouquets cachaient a demi le sourire des visages, et les flacons d'or tournaient dans des mains entr'ouvertes dont les gants blancs marquaient la forme des ongles et serraient la chair au poignet>> (48). Non seulement l'humain ici se recule derriere le signe materiel, mais il est morcele, pulverise en visages, mains, poignets, chevelures, etc. La mediocrite se traduit notamment ainsi par la modification du rapport entre les hommes et les choses. Cette chosification des etres est particulierement nette dans les portraits, ou le personnage semble a chaque fois prisonnier d'un vetement ou d'un objet qui le contraint a une attitude ou des postures mecaniques et ridicules. Ainsi en est-il de Charles Bovary dans le premier chapitre : << quoiqu'il ne fut pas large d'epaules, son habit-veste de drap vert a boutons noirs devait le gener aux entournures et laissait voir par la fente des parements, des poignets rouges habitues a etre nus. Ses jambes, en bas bleus, sortaient d'un pantalon jaunatre tres tire par les bretelles >> (42). Citons egalement l'apparition de Binet : (2) << vetu d'une redingote bleue, tombant droit d'elle-meme tout autour de son corps maigre, et sa casquette de cuir... laissait voir, sous la visiere relevee, un front chauve qu'avait deprime l'habitude du casque. >> Les vetements prennent ainsi le pas sur le corps humain. Ces objets ont parfois valeur emblematique et ils se repondent, ironiquement ou tragiquement. Ils sont dans l'ensemble grotesques, inutiles et souvent delabres, poussiereux, guettes par la pourriture comme l'eglise ou le banc de la tonnelle. La putrefaction des choses guette aussi les humains : gangrene d'Hippolyte, maladie de l'aveugle, cadavre d'Emma. (3) Les objets deviennent autant d'emblemes epiques de la nullite des personnages et la casquette est a Charles Bovary ce que le bouclier est a Achille ; mais les signes se sont ici inverses : ce n'est plus a la gloire mais a la derision que renvoie l'attribut du personnage.

Le theme de la mort domine le roman, non seulement la mort des etres, mais la perte meme du souvenir : le pere Rouault a oublie son deuil; (4) Charles ne parvient pas a << retenir >> l'image d'Emma. La mort est presentee comme disparition totale : << elle n'existait plus >> (195). La seule survie possible est la dissolution dans la matiere : << elle se perdait confusement dans l'entourage des choses, dans le silence, dans la nuit, dans le vent qui passait, dans les senteurs humides qui montaient, >> la matiere n'etant qu'un immense melange : << des tourbillons de vapeur bleuatre se confondaient au bord de la croisee avec le brouillard qui entrait >> (208). Ces notations sont a rapprocher de la fin de La tentation de Saint-Antoine, dans laquelle l'ermite affirme son desir d'echapper a l'humain pour acceder a une qualite superieure de l'existence, celle de la matiere : <<Je voudrais avoir des ailes, une carapace, une ecorce... me diviser partout, m'emaner avec les odeurs, me developper comme les plantes... penetrer chaque atome, descendre jusqu'au fond de la matiere, etre la matiere >> (Flaubert, La tentation 87). Dans cette perspective, les images de decomposition perdent le sens sinistre qu'on est tente de leur donner, pour << signifier la recomposition, l'integration au Tout,>> selon l'expression d'Anne Marie Ozanam (55).

La betise, c'est encore cette presence obsedante de l'animalite qui rode aux lisieres du roman, comme une sorte de contrepoint ironique a l'univers humain d'Yonville. Pendant la ceremonie des comices, le beuglement des betes forme une sorte de basse continue qui accompagne les discours de Lieuvain et le dialogue entre Emma et Rodolphe : << malgre le silence la voix de Lieuvain se perdait dans l'air (...) puis on entendait tout a coup par derriere soi un long mugissement de boeuf ou bien les belements des agneaux >> (67). Ce rapprochement de l'humain et de l'animal va jusqu'a la resorption du premier dans le second, comme avec le personnage de Catherine Leroux dont Flaubert ecrit : << dans la frequentation des animaux, elle avait pris leur mutisme et leur placidite. >> Une animalite sourde envahit l'onomastique des personnages: resonances bovines qui minent le nom de Charles ou de la Vaubyessard, references encore plus explicites chez Tuvache, le maire, maitre Hareng ou Leocadie Leboeuf, la fiancee de Leon. Par une ironie cruelle, Emma, en quete d'un nom distingue pour sa fille, choisit Berthe, qui rappelle la ferme paternelle des Bertaux; tandis qu'Emma ne voit Charles qui l'idolatre que comme un animal ou un objet: << elle faisait bien des confidences a sa levrette. Elle en eut fait aux buches de la cheminee et au balancier de la pendule >> (69). Le choix des noms propres produit ce meme effet grotesque. Ils sont ridicules : MM. Leherisse et Cullembourg, Me Hareng; ils cachent souvent un calembour : l'Hirondelle conduite par Hiver; Boulanger habite la Huchette ; Hippolyte soigne les chevaux ; ils ont un sens ironique : Lieuvain, Lheureux ; de l'aveu meme de son createur, Homais est a rapprocher de Homo (l'homme). Le roman est jusque dans ses plus petits details ce que Flaubert veut qu'il soit, << un livre tout en calcul et en ruses de style, une chose voulue, factice >> (Lettre a Louise Colet, 21-22 mai 1853). Yonville, concentre d'humanite, est un bestiaire grotesque.

Les insuffisances de la parole

La betise, c'est egalement celle qui pousse les personnages, a leur insu, a reproduire sans distance les cliches de leur milieu, de leur profession, ou de l'epoque. Le Dictionnaire des idees recues, (5) dont le projet remonte a 1850, constitue un precieux fichier ou puise le romancier. Cette parole impersonnelle et morte qui parle en chacun des personnages temoigne d'une veritable destruction de la subjectivite, envahie par ce << on >> qui la reduit a se faire le porte-parole mecanique des stereotypes ambiants. La betise de Charles reside dans son conformisme et son ecoeurante banalite : << La conversation de Charles etait plate comme un trottoir de rue, et les idees de tout le monde y defilaient dans leur costume ordinaire sans exciter d'emotion, de rire ou de reverie >> (41). Charles prononce a la fin <<un grand mot, le seul qu'il ait jamais dit :--C'est la faute de la fatalite!>> (242). Or meme cette formule ne lui appartient pas ; il l'a lue dans la lettre de Rodolphe : << Non, non, n'en accusez que la fatalite ! -- Voila un mot qui fait toujours de l'effet, se dit-il >> (103).

Charles est un homme honnete et respectable, mais d'un naturel tres naif et reste un peu << le fils a sa maman. >> Il est faible : domine par sa mere, puis par ses deux femmes, il est incapable de prendre la parole, que ce soit pour dire son nom ou formuler sa demande en mariage. Charles n'ose pas se declarer et c'est le fermier, le pere d'Emma, qui finit par la lui proposer en mariage. Relegue dans l'ombre, Charles est devenu symbole de mediocrite. Il est influencable, (6) credule, et desempare des qu'il faut prendre une decision. Travailleur, mais obtus et incapable de concentration, Charles manque de penetration psychologique. Son defaut de finesse est rendu encore plus sensible par la robustesse de son corps. C'est un <<lourdaud>> que meprisent ceux qui l'approchent--et surtout Emma. Charles venere sa jeune epouse et l'aime tendrement. La bonte naive et l'amour qu'il a pour Emma sont ses seules qualites. Il n'arrive pas a comprendre les desirs et les fantaisies de sa femme. Il ne se rend aucunement compte de ce qui se passe en elle, de sa melancolie qui devient maladive. Cet homme si modeste et sans grand interet ne se rend pas compte que sa tendre epouse n'eprouve plus grand chose envers lui. Il est persuade de la bonte de sa femme et l'aime profondement. Il ne comprend pas ses attitudes, mais tellement fier d'elle, il lui pardonne facilement toutes ses petites folies. C'est ainsi que peu a peu, Emma reussit a duper et domestiquer son mari par de nombreuses astuces. De temps a autre, elle simule une petite depression nerveuse afin que son mari s'affole de son etat, ait pitie d'elle et cede a ses caprices. Apres la mort d'Emma, Charles trouvera le portrait de Rodolphe, trouvera ses lettres et celles de Leon, lira les lettres d'une femme deux fois adultere. Le mari beat sent croitre son amour en apprenant les infidelites de sa femme.

La betise reside dans ce renoncement a toute pensee personnelle au profit de l'idee recue, figee dans une formule et que chacun ressasse. Des lors, ce n'est plus l'individu que l'on entend mais la collectivite professionnelle, politique, sociale qui parle a travers lui. Cet effet de troupeau engendre par l'idee recue dispense de l'inquietude de vivre, <<elle offre le confort d'une verite admise et la securite du conformisme.>> Lieuvain, le conseiller qui prononce le discours de cloture des comices, incarne la langue de bois officielle : periphrases emphatiques, metaphores eculees, personnifications se succedent dans une parodie devastatrice. L'hommage lyrique a la poule en temoigne: <<modeste animal, ornement de nos basses-cours, qui fournit un oreiller moelleux pour nos couches.>> La denonciation virulente du conformisme se double ici d'un pessimisme a l'egard du langage. (7) Envahi par le cliche, celui-ci ne nous condamne-t-il pas a repeter inexorablement une parole anonyme? <<Je>> peut-il etre autre chose que ce lieu vide, ce <<lieu vain>> ou circulent les mots des autres? Modernite de Madame Bovary, qui temoigne d'une veritable crise du langage, theme recurrent de l'oeuvre de Mallarme, et, plus proche de nous, de Beckett : <<Je suis en mots, je suis fait de mots, des mots des autres,>> ecrira ce dernier dans L'Innommable.

Le cure Bournisien debite mecaniquement les formules d'une foi desertee. Quant a Homais, il parle comme un pharmacien; il emet des opinions definitives sur le fanatisme des cures ou les bienfaits innombrables de la Science. Homais reproduit le catechisme positiviste, empreint d'anticlericalisme et de scientisme. Il est bien pour le romancier un personnage grotesque, (8) mais beaucoup moins pour le fond de ses opinions que pour sa facon <<sommaire, dejetee et prudhommesque>> de les exprimer, selon le mot de Paul Souday. Dans Madame Bovary, l'introduction du vocabulaire technique, celui de la medecine, a pour effet de conduire au rire. Homais l'utilise dans le but d'etaler son erudition en citant <<pele-mele les cantharides, l'upas, le mancenillier, la vipere.>> Homais est <<partisan du progres>> et Flaubert s'en moque comme il se moquera plus tard de cette volonte de savoir de Bouvard et Pecuchet. C'est bien un autre point de vue sur le social, les hommes, et le bonheur que presente Flaubert qui ne s'inscrit point dans la tradition realiste. La distinction entre les romanciers du XIXe siecle, qui inserent dans le texte du vocabulaire de specialite, et ceux qui, soit s'en moquent comme Flaubert, soit ne s'y interessent pas comme Stendhal, revele une preoccupation differente quant au statut de ce que doivent etre l'ecrivain et le roman. Les premiers, successeurs des Lumieres, se sentent investis d'une mission sociale. Pour eux, le roman est un outil qui doit servir a transformer la societe grace au savoir scientifique qu'il apporte, le savoir est la verite ; pour les autres le roman est un moyen d'investigation de la nature humaine. D'une part un roman ideologique, de l'autre un roman psychologique. Le savoir, pour Balzac comme pour Hugo et plus tard pour Zola, deplace dans le roman, donne a ce dernier sa valeur. Le roman devient alors un savoir. Le deplacement chez Flaubert invalide, au contraire, le savoir scientifique, il est incongru et donc comique : Bouvard et Pecuchet, a lire tous les traites, a s'essayer a toutes les disciplines, a vouloir rationaliser, perdent tout contact avec la realite. Un temps emerveille, Pecuchet explique Hegel a Bouvard : << Tout ce qui est rationnel est reel. Il n'y a meme de reel que l'idee. Les lois de l'esprit sont les lois de l'univers, la raison de l'homme est identique a celle de Dieu,>> proposition qui peut seduire Balzac et Hugo, mais qui conduit Bouvard et Pecuchet pres du suicide.

Le langage peut fausser volontairement la pensee, et c'est la lettre mensongere ecrite par Rodolphe : les mensonges de l'ecriture. La lettre de rupture est a rapprocher de celle qu'Emma a recue de son pere: malgre <<les fautes d'orthographe,>> il faut <<poursuivre la pensee douce qui caquetait tout au travers, comme une poule a demi-cachee dans une haie d'epines.>> Le langage est vu alors comme un obstacle: <<une haie d'epines,>> que la pensee arrive peniblement a surmonter. Rodolphe, lui, maitrise parfaitement les mots: <<Voila un mot qui fait toujours de l'effet. >> Chaque phrase est choisie avec soin, de maniere, non a dire, mais a dissimuler; la dissonance la plus significative est causee par l'emploi du cachet amor nel cor pour clore cette lettre, ecrite par un coeur sans amour. Il est fort significatif que ce soit sous une <<tete de cerf faisant trophee >> que Rodolphe passe en revue ses trophees amoureux. Dans un developpement que l'on pourrait rapprocher du celebre Air du catalogue de Don Giovanni, Flaubert evoque les restes des amours defuntes : << ce tas de papiers et de choses. >> Il insiste sur les cheveux, les traces les plus sensuelles et les plus fragiles: <<quelques-uns meme, s'accrochant a la ferrure de la boite, se cassaient quand on l'ouvrait. >> Or cette abondance cache une profonde misere affective--la misere de celui qui s'est contente de conquerir sans aimer: <<Il ne se rappelait rien>>; <<les plaisirs avaient tellement pietine son coeur que rien de vert n'y poussait.>> Flaubert, qui avait reve d'ecrire <<une nuit de Don Juan,>> souligne un element majeur du donjuanisme, la lassitude: <<Il s'amusa pendant quelques minutes (...) Enfin, ennuye, assoupi. Quel tas de blagues ! >> Dans les deux cas, et pour des raisons differentes, on voit donc le profond decalage qui separe la pensee de l'ecriture. Reflet peut-etre de l'angoisse de l'auteur, luttant avec les mots, les trouvant toujours insuffisants et decevants: <<Oh mon Dieu! Si j'ecrivais le style dont j'ai l'idee, quel ecrivain je serais>> (Lettre a Louise Colet, 16 janvier 1852). Flaubert voit toujours l'ecriture courir le risque de l'improbable, n'y placant jamais toute la confiance qu'il aurait souhaite. Quand Flaubert ecrit a Louise Colet que l'ecriture est la moins mensongere de toutes les choses mensongeres, la formulation n'est pas << la marque d'une coquetterie de pessimiste poseur. Elle exprime ce qui en fait aux yeux de Flaubert l'ambiguite fondamentale >> (Ader 77).

D'autre part, le langage peut fausser inconsciemment la pensee : le premier entretien d'Emma et de Leon a Rouen est place sous le signe du mensonge. Le jeune homme, qui a suivi les Bovary, pretend avoir ete guide vers l'hotel <<au hasard, par un instinct,>> puis avoir cherche Emma <<successivement dans tous les hotels de la ville.>> Les confidences que se font les jeunes gens sur leur grand amour sont fausses: <<Elle ne confessa point sa passion pour un autre; il ne dit pas qu'il l'avait oubliee.>> Or, contrairement aux mensonges de Rodolphe, qui font partie de la strategie du seducteur, ces mensonges sont presque inconscients ; le menteur s'abuse ici lui-meme: <<Peut-etre ne se rappelait-il plus ses soupers (...) et elle ne se souvenait pas sans doute des rendez-vous d'autrefois.>> L'homme fabule par necessite, pour prendre sa revanche sur le reel: <<C'est ainsi qu'ils auraient voulu avoir ete, l'un et l'autre se faisant un ideal sur lequel ils ajustaient a present leur vie passee.>> Le texte souligne la fonction essentielle du langage dans cette recreation du reel. Leon et Emma parlent d'amour plus qu'ils n'en ressentent veritablement, car la parole est <<un laminoir qui allonge toujours les sentiments.>> Lorsque Flaubert laisse ses personnages parler d'amour, le roman offre systematiquement l'image pitoyable d'une farce.

Le decalage entre pensee et expression est irreductible: au moment meme ou Emma croit vivre un grand roman d'amour, elle ne s'apercoit pas que son amant << se tient en arriere.>> Flaubert souligne a ce propos l'extreme fragilite du langage: <<Personne jamais, ne peut donner l'exacte mesure de ses besoins, ni de ses conceptions, ni de ses douleurs. La parole humaine est comme un chaudron fele ou nous battons des melodies a faire danser les ours quand on voudrait attendrir les etoiles. >> (9) Incapable d'aimer, de faire, de dire, le << heros >> flaubertien est voue a l'echec. Cet echec n'a meme pas la grandeur tragique : quand les personnages prononcent le mot << fatalite, >> c'est dans un contexte grotesque et lamentable. << Voila un mot (fatalite) qui fait toujours de l'effet ! >> declare Rodolphe ; quand Charles emploie ce << grand mot, >> il ne fait que reprendre la lettre de son rival. Le roman presente donc la parodie grincante d'une tragedi - la mediocrite remplacant la fatalite classique comme force de destruction.

Chez Flaubert, le langage est le lieu ou s'epanouit la betise. L'ironie mine tout le discours, notamment par l'emploi du cliche, ou s'inscrivent la mort du sens et la betise, ou tout se voit du point de vue d'une << blague superieure. >> Chez Flaubert, la betise se manifeste par la facilite avec laquelle on s'approprie et presente comme siennes les paroles des autres, car c'est cela, la betise : exprimer des lieux communs avec la conviction d'avoir une intuition formidable ; croire a sa valeur, a son originalite, en disant les pires banalites. Le livre de Flaubert fourmille de ces mots rapportes, idees recues et autres expressions usurpees. Les paroles d'Homais, de Charles Bovary, de Rodolphe - ainsi que la betise, la suffisance dont elles sont porteuses - se trouvent alors mises sur le meme plan que les choses. La betise du discours des personnages se mele au reste, et, de proche en proche, contamine tout le roman. Flaubert, le premier, s'apercoit que le langage n'a pas d'innocence, ni de certitude. Rien ne le fonde que lui-meme, rien ne le garantit. Et personne ne s'adresse a personne, sinon l'oeuvre a elle-meme.

Les dialogues creux

Flaubert concoit les dialogues d'une maniere tres originale ; contrairement a la plupart de ses contemporains, il ne pretend pas reproduire les paroles telles qu'elles ont pu effectivement etre dites, mais les recompose: <<Un dialogue dans un roman ne represente pas plus la verite vraie (absolue) que tout le reste ; il faut choisir et y mettre des plans successifs, des gradations et des demi-teintes, comme dans une description>> (Lettre a Ernest Feydeau, decembre 1858). Assez rares dans le recit, les dialogues prennent d'autant plus d'importance. L'effet recherche est souvent grotesque; les repliques sont creuses et revelent, derriere les belles formules, la vacuite des etres. Les dialogues de Madame Bovary presentent une difficulte particuliere; en effet, Flaubert se sent pris entre deux imperatifs qui lui paraissent contradictoires: il veut rediger les dialogues dans un style qui soit a la fois <<bien ecrit,>> <<vif, precis et toujours distingue>> et <<pittoresque.>> Bref, <<il faut imiter le langage vulgaire en lui gardant son aspect, sa coupe, ses mots meme>> mais <<dans un style profondement litteraire>> (Dufour 214).

Flaubert ne juge jamais, laisse parler ses personnages, se livrant dans les dialogues a une constante parodie des lieux communs de son epoque. Lors du premier diner a Yonville, Emma et Leon (10) echangent des propos romantiques et fades. Ce <<faire des phrases>> assez sec dans le <<ils ne manquerent pas a faire des phrases>> de la scene du lac entre Emma et Leon est surtout la marque d'un profond mepris pour le mimetisme interchangeable des conversations amoureuses. (11) De la meme maniere que le discours de Homais est un salmigondis de pseudo-science et d'informations journalistiques, de meme la conversation qui suit, entre Leon et Emma, est un entrelacs de cliches pseudo-poetiques: <<Avez-vous, du moins, quelques promenades dans les environs ? continuait Mme Bovary parlant au jeune homme. Oh! fort peu, repondit-il. Il y a un endroit que l'on nomme la Pature, sur le haut de la cote, a la lisiere de la foret. Quelquefois, le dimanche, je vais la, et j'y reste avec un livre, a regarder le soleil couchant. Je ne trouve rien d'admirable comme les soleils couchants, reprit-elle, mais au bord de la mer surtout. Oh ! j'adore la mer, dit M. Leon. Et puis ne vous semble-t-il pas, repliqua Mme Bovary, que l'esprit vogue plus librement sur cette etendue sans limites, dont la contemplation vous eleve l'ame et donne des idees d'infini, d'ideal ? Il en est de meme des paysages de montagne, reprit Leon >> (90). Il est tres important de noter que le couple Leon-Emma est aussi conventionnel, aussi plat, aussi niais, dans ses emotions pseudoartistiques, que le pompeux et fondamentalement ignorant Homais l'est dans le domaine scientifique. Faux art et fausse science se rencontrent ici. Dans une lettre a sa maitresse (9 octobre 1852), Flaubert indique la subtile intention de cette scene : << Je suis a faire une conversation d'un jeune homme et d'une jeune dame sur la litterature, la mer, la musique, tous les sujets poetiques enfin - on pourrait la prendre au serieux et elle est d'une grande intention de grotesque>> (Correspondance 19). Ce sera, je crois, la premiere fois que l'on verra un livre qui se moque de sa jeune premiere et de son jeune premier. L'ironie n'enleve rien au pathetique. La vacuite de la plupart des propos echanges a quelque chose de tragique ; elle souligne l'absence d'une veritable communication, prefigurant ainsi le theatre moderne, les pieces d'Ionesco par exemple.

Il y a tres peu de dialogues dans le livre. L'emploi du paroles rapportees est lie pour Flaubert a un probleme de structure romanesque ; le dialogue au style direct ne doit pas, selon lui, etre employe trop souvent. Il n'est acceptable que <<lorsqu'il est important de fond, c'est-a-dire lorsqu'il caracterise bien les personnages>> (Mansour 45). Les dialogues etant beaucoup moins frequents dans Madame Bovary que dans la plupart des romans de l'epoque, ils prennent donc une importance particuliere. Prenons l'entretien d'Emma avec l'abbe Bournisien et les comices agricoles comme exemples: la scene entre Emma et l'abbe Bournisien est le second episode dialogue du roman. Ici, le dialogue est fait d'une suite de malentendus et de quiproquos: <<Je souffre. - Eh bien! moi aussi, reprit l'ecclesiastique. Ces premieres chaleurs, n'est-ce pas - Vous soulagez toutes les miseres. - Ah! ne m'en parlez pas, madame Bovary! Ce matin meme, il a fallu que j'aille dans les Bas-Diauville pour une vache.>> Emma evoque avec nostalgie le couvent de son enfance. Elle cherche du reconfort aupres de l'abbe Bournisien. Mais quand elle lui declare qu'elle <<souffre,>> le cure donne a ce mot un sens purement physique. La conversation n'est qu'une suite de quiproquos, Bournisien ramenant tout aux problemes materiels. Le bon cure, uniquement preoccupe des polissons du catechisme qui font de la gymnastique a travers les stalles et les chaises de l'eglise, repond avec candeur : <<Puisque vous etes malade, madame, et puisque M. Bovary est medecin, pourquoi n'allez-vous pas trouver votre mari?>> (188). Ce decalage est grincant. Quelle est la femme qui, devant cette insuffisance du cure, n'irait pas, folle amnistiee, plonger sa tete dans les eaux tourbillonnantes de l'adultere ? Le cure Bournisien se montre trop rustre pour reconforter Emma. Dans le roman, Flaubert souligne la mediocrite du clerge, le manque de psychologie et de spiritualite: le cure Bournisien est un pretre a peu pres aussi grotesque que le pharmacien, ne croyant qu'aux souffrances physiques, jamais aux souffrances morales; il est quasi materialiste. Quant aux couvents, ils sont le lieu d'une exaltation malsaine : Emma a ete elevee dans un couvent, dans une atmosphere malsaine, ou la devotion nourrit de troubles emois. Elle a fait en cachette de nombreuses lectures romantiques qui ont corrompu sa sensibilite. A la mort de sa mere, elle a cru mourir de douleur, mais n'a eprouve en fait aucun sentiment veritable. Cette education (12) a fait d'elle une personne artificielle et desenchantee.

Loin d'etre le lieu de la communication, le dialogue souligne au contraire la solitude et l'impossibilite de communiquer entre les deux personnages. Le texte fustige la mediocrite du pretre, preoccupe de problemes de digestion, au moment meme ou il se presente pompeusement comme le <<medecin des ames.>> Mais l'egoisme d'Emma transparait egalement: <<Qu'importe?>> dit-elle, quand le pretre evoque la misere de certaines femmes. Quant au chapitre des comices agricoles, il occupe la place centrale du roman et c'est l'un des plus longs de l'oeuvre; la composition en est particulierement soignee, Flaubert ayant voulu <<poser a la fois, dans la meme conversation, cinq ou six personnages qui parlent, plusieurs autres dont on parle, le lieu ou l'on est, tout le pays, en faisant des descriptions physiques de gens et d'objets, et montrer, au milieu de tout cela, un monsieur et une dame qui commencent - par sympathie de gouts - a s'eprendre un peu l'un de l'autre>> (Lettre a Louise Colet, 19 septembre 1852). Tout l'art du chapitre reside donc dans la multiplicite des motifs qui se melent, a la maniere de themes musicaux: << Si jamais les effets d'une symphonie ont ete reportes dans un livre, ce sera la ! >> (Lettre a Louise Colet, 12 octobre 1853). Le melange des motifs vise a produire un effet comique. Ainsi l'alternance entre les discours officiels et les paroles tendres de Rodolphe tient-elle de la farce, surtout au moment ou les repliques s'enchainent sans transition: <<je suis reste. - Fumiers>> (89); ou: <<je serai quelque chose dans votre pensee, dans votre vie? - Race porcine, prix ex aequo a MM. Leherisse et Cullembourg >> (89). La juxtaposition du banal, voire du trivial et des declarations de Rodolphe denonce la faussete du discours romantique. Deux longs textes sont integres a ce chapitre: un discours prononce par le conseiller Lieuvain, dont le nom suggere la vanite, le creux, et un article de journal - l'oeuvre d'Homais - dont la rhetorique est toujours artificielle et creuse. Ces deux textes, de meme que les declarations mensongeres de Rodolphe, sont ridicules, par le decalage constant entre la trivialite des sujets et la pretention de la forme : << Que ces comices soient pour vous comme des arenes pacifiques. >> (13)

Orgueil proche de la betise

Chez Flaubert, la betise se manifeste egalement par une assurance inconsideree, une estime de soi sans faille. Penetrant, fanatique, Homais fait preuve d'opportunisme. Ayant une assurance deplacee, il manifeste le gout de refaire le monde. Cet etre grotesque est le type du demi-savant qui, croyant tout connaitre, s'imagine capable de tout expliquer, et dont la suffisance ne peut cacher la sottise pretentieuse qu'aux naifs. Volontiers meprisant, il nie ce qu'il ne comprend pas, et affecte un anticlericalisme dont il sait a l'occasion tirer profit : Homais utilise les reseaux anticlericaux comme des instruments de promotion. Aux dernieres pages du roman, on le voit recompense par le ruban rouge des services politiques qu'il a pu rendre. Homais sait que dans les campagnes les malades vont d'abord demander conseil au pharmacien, et qu'en consequence le medecin a besoin d'entretenir avec celui-ci de bons rapports. Pour flatter Charles Bovary et trouver ainsi l'occasion d'envoyer au <<Fanal de Rouen, >> dont il est le correspondant, un article relatant cet exploit chirurgical, il pousse l'officier de sante a tenter une operation sur le pied bot du petit valet d'ecurie du Lion d'or, Hippolyte. Et lorsque la gangrene obligera quelques semaines plus tard le Docteur Canivet, mande en consultation, a amputer le pauvre estropie, Homais, inconscient du mal qu'il a fait, demeurera insensible aux consequences de sa stupidite. Dans les oeuvres de fiction, des accidents de la pratique medicale sont parfois epingles, fustigeant la routine, la negligence, mais aussi l'orgueil, l'entetement, l'ignorance et l'appat du gain. Homais s'empare d'un discours relativement repandu pour asseoir son autorite. A travers le discours, c'est surtout le statut d'homme pensant, d'intellectuel, qu'il recherche. C'est un homme de progres, qui va de l'avant. Homais est l'incarnation du positivisme phillistin, celui qui croit a la science. Il n'est pas entierement antipathique et ne dit pas que des betises. Mais il assene ses opinions comme des certitudes, c'est la que commence la betise. (14) <<Les paroles les plus solennelles, les plus decisives s'echapperont des bouches les plus sottes,>> dit Baudelaire (60).

Quant a Emma, une provinciale peu cultivee et d'une fraicheur desarmante, elle a une facon hautaine de traverser la vie, dans cette consideration de soi qui prend toute la place, dans la peur d'etre prisonniere de la mediocrite, sociale et affective. N'ayant pas les moyens de ses ambitions, Emma, prisonniere des passions de son ame, ne peut que rever: tableau des moeurs de province, Madame Bovary depeint avec tant d'efficacite la dynamique de la frustration que le melange d'ennui profond, d'apathie et d'exaltation romanesque qui caracterise son heroine a donne naissance au terme de <<bovarysme.>> Quelles que soient les tentatives d'evasion, le bovarysme triomphe. Dans le portrait de cette petite bourgeoise normande, Flaubert a pousse l'ecriture objective neutralite indispensable afin de se fondre dans les personnages - au point de rendre si vivantes les aspirations d'Emma que le roman lui valut un proces. Romanesque, coquette et tres reveuse, Emma est trop fiere pour accepter son sort avec Charles Bovary. Son orgueil est source de souffrance. (15) Flaubert condamne ferocement cet orgueil proche de la betise: <<Elle confondait, dans son desir, les sensualites du luxe avec les joies du coeur, l'elegance des habitudes et les delicatesses du sentiment.>> Elle aspire a des etreintes sur le balcon des grands chateaux (Hermine 77). Les reves romantiques d'Emma, reves naifs et convenus, font l'objet d'un traitement ironique.

Flaubert court-circuite sans cesse les aspirations romantiques d'Emma. A ses mouvements spontanes, et attachants par leur spontaneite meme, il ajoute toujours les travers du romantisme. Quand elle dit a Rodolphe: <<Mais, moi, je t'aurais tout donne,>> s'ensuit une longue litanie aux accents dramatiques qui agace celui auquel elle parle. A sa mort meme, durant cette scene capitale et qui devrait retenir toute l'attention du lecteur, Flaubert fait intervenir le personnage du grand docteur Lariviere, objet de l'admiration generale. Il lui consacre un long paragraphe qui inspire le respect, Homais l'invite a diner. Flaubert et le lecteur les suivent, laissant Emma a son agonie. (16) Les dernieres pages du roman sont comme guidees par un mouvement de degout. Ce long epilogue n'est pas une quelconque denonciation de la betise, de l'hypocrisie, de la disparition de tout ideal. C'est encore moins un couplet de critique sociale. Flaubert n'a jamais commis l'erreur d'etre revolutionnaire. Madame Bovary est une immense machine, meticuleusement elaboree, qui vise a la description du vide. Il y a comme un vacillement de l'oeuvre, une inadequation grotesque entre les outils et la matiere qu'ils travaillent. Cette <<croix d'honneur>> qui conclut le roman fait alors l'effet d'un bouchon, d'un minuscule bouchon dont il n'y a meme pas a s'indigner, surnageant parmi les flots demontes (Breut 39).

Le theme du roman est bien un de ces incidents dont la vie est pleine : la deception qui suit l'idealisation. Aux yeux d'Emma, Charles se metamorphose rapidement de mari ideal en etre terne et mediocre. Bientot, ses deux amants suivront le meme chemin. Emma est impuissante a faire de sa vie un destin, par mollesse. Elle est le jouet de sa propre existence. On presente souvent l'imaginaire comme un foyer d'illusion ou l'homme se perd. Chacun se souvient d'Emma Bovary se gargarisant de romans a l'eau de rose (17) --Emma baigne dans les lectures de Bernardin de Saint-Pierre, de Balzac et de Sue--et envisageant ensuite ce qui lui arrive a travers un prisme d'images qui la detournent de la realite. La cause semble donc etre entendue : l'imaginaire tourne le dos au reel. Destinee a une vie honnete et calme, sans passions, sans aventures, Emma s'imagine, sous l'influence des idees romantiques, que le bonheur est le reve exalte, l'amour fougueux, la transgression. (18) Son personnage a une dimension imaginaire plus que reelle. Perdue dans ses ideaux, Emma est completement detachee de la realite. Elle fait l'amour beaucoup plus souvent en esprit qu'en realite. Elle est entierement virtuelle. (19) Son imagination, qui domine sa perception, veut tout incorporer dans une sorte de roman dont elle est elle-meme l'heroine et la beaute principale. Du fait de cette image prestigieuse et obsessionnelle, elle est incapable de distinguer le vrai d'avec le faux. Emma Bovary est surtout victime des illusions qu'elle nourrit sur elle-meme et d'aspirations qui ne s'accordent nullement avec sa situation de petite bourgeoise sentimentale. Satire du romantisme feminin, sans doute, liee a l'epoque ou se situe le roman ; mais, plus generalement, il s'agit d'un travers profondement humain que Flaubert avait etudie sur lui-meme: <<Mme Bovary, c'est moi>> (Correspondance 56). Quand il ecrit: <<Ma pauvre Bovary souffre et pleure dans vingt villages de France>> ( Correspondance 56), il sent qu'en observant un cas individuel il a fait de son heroine un type universel. Cette tendance des hommes a se croire tels qu'ils voudraient etre et a rever de bonheurs illusoires qui leur sont inaccessibles, Flaubert la denoncera dans la plupart de ses romans comme la source principale de leurs maux. Cette redoutable faculte d'illusion a recu le nom, desormais traditionnel, de bovarysme. Le bovarysme est un concept forge par le philosophe Jules de Gaultier, a la fin du siecle dernier, a partir du personnage d'Emma Bovary. Selon lui, c'est justement cette tendance que nous avons tous a nous rever autres que nous sommes, sans nous donner les moyens d'accomplir nos desirs, au mepris meme des contingences materielles, de nos aptitudes reelles, de la realite. Presque tous les personnages de Flaubert, le Frederic de l'Education sentimentale aussi bien que les bonshommes de Bouvard et Pecuchet, sont atteints du meme mal ; mais ils guerissent, reconnaissent leur erreur, finissent par revenir a la vie normale. Emma seule meurt victime de son illusion.

La betise est predominante dans Mme Bovary. Si Emma croit a ce qu'elle lit, c'est a cause de sa betise, si elle croit ne pas etre une paysanne, c'est pour la meme raison. La betise la fait se penser autre qu'elle n'est en realite. En effet, la voila tantot prenant pour un heros de Walter Scott une espece de monsieur - je dirais meme un gentilhomme campagnard - vetu de gilets de chasse et de toilettes contrastes, tantot amoureuse d'un petit clerc de notaire qui n'ose meme pas commettre une action dangereuse pour sa maitresse. Emma Bovary est <<incapable, du reste, de comprendre ce qu'elle n'eprouve pas, comme de croire a tout ce qui ne se manifestait point par des formes convenues>> (Bouchart 145). La facon dont Emma se voit la rend completement vulnerable; elle accepte facilement les autres comme ils se presentent a elle. Rodolphe Boulanger saura profiter de ce manque de resistance lorsque plus tard, il voudra lui vendre des phrases toutes faites. <<La conscience d'Emma est un musee d'ideaux empruntes. L'identite qu'elle veut realiser est composee de rebuts et ne peut que la rendre incapable de s'orienter dans la vie>> (Dumesnil 19). Emma est deja, dans le couvent, ce qu'elle restera pendant toute sa vie ; elle est consommatrice d'images et d'histoires qui flattent sa conception d'elle-meme. Incapable de travail continu et de reflexion impartiale, Emma cherchera toujours a faire correspondre les evenements et les personnages de sa vie avec des images puisees dans ses lectures et dans ses reves enfantins. A l'origine de tous les maux, il y a le besoin de concevoir et d'apprecier les choses de la vie selon son moi ideal (Hamras 87). Flaubert veut que la femme dedaigneuse du reel soit folle et meprisable. (20) Le romancier ne condamne pas ses aspirations poetiques et romanesques, qu'il partage-- <<Madame Bovary, c'est moi>>--mais seulement leur deformation dans son esprit et la piteuse facon qu'elle a de les realiser. C'est la une des vues maitresses et profondes de Flaubert, et la clef de son pretendu pessimisme. Oui, il a dit: <<Nous ne souffrons que d'un seul mal, la betise.>> Oui, presque toute son oeuvre etale impitoyablement cette vertigineuse et presque universelle infirmite. Mais s'il constate tantot avec colere, tantot avec pitie, cette impuissance de la majorite des hommes, et cet aspect de niaiserie que leur pauvre cervelle et leur langage disgracie impriment aux plus nobles idees, il continue pourtant de croire a ces idees memes, d'en proclamer l'inappreciable valeur, et de considerer qu'elles suffisent a justifier le monde comme les dix justes auraient suffi a sauver Sodome.

Enfin, c'est par le biais de sa quete de la solidite que Flaubert en vient a la betise. Les personnages n'existe que parce qu'ils agacent, les choses que parce qu'elles demeurent dans un vide insignifiant, les personnages posant un regard morne sur elles sans que rien ne puisse naitre de cette confrontation. L'impassibilite de la mere Rollet est d'autant plus frappante qu'elle est mise en parallele avec l'effondrement d'Emma : <<elle sanglotait. La mere Rollet la couvrit d'un jupon et resta debout pres d'elle. Puis, comme elle ne repondait pas, la bonne femme s'eloigna, prit son rouet et se mit a filer du lin. - Oh! finissez! murmura-t-elle, croyant entendre le tour de Binet. - Qui la gene? se demandait la nourrice. Pourquoi vient-elle ici?>> Cette solidite du personnage est indissociable de son caractere borne, revenant a son rouet, cette chose qui fait du bruit en tournant en rond. C'est une forme d'ataraxie devant laquelle Flaubert reste fascine. Les personnages ont pleinement compris cet ordre, sauf Emma qui, pour cette raison, en sera evacuee. Mais ses moments de lucidite la rendent emouvante. A la lumiere de la mort, Emma distingue la faussete de sa vie: <<Elle en avait fini avec toutes les trahisons>> ; au <<souvenir de ses adulteres,>> elle <<detourna la tete, comme au degout d'un autre poison plus fort qui lui remontait a la bouche.>> Elle reconnait la verite de l'amour de Charles: <<Il la regardait avec des yeux d'une tendresse comme elle n'en avait jamais vu,>> <<Tu es bon, toi!>> dit-elle et pour la premiere fois se tourne vers son enfant. Apres Emma, imperturbable, l'ordre continue, sa fille est envoyee a la filature de coton. Le roman se referme sur un retour a la repetition mecanique. De meme qu'Emma aura ete broyee par l'ordre sans que celui-ci ait meme semble percevoir sa presence, de meme le livre continue apres sa mort en se retournant vers un autre personnage, Homais. L'ecriture apparait alors comme la reproduction de cette mecanique, faisant pleinement corps avec la solidite aveugle des choses (Mitterand 15).

Conclusion

Au fond, pour Flaubert, l'homme ne se caracterise nullement par son intelligence. Selon lui, l'homme est un etre bete qui a des lueurs d'intelligence, et non l'inverse. Chaque ecrivain apporte sa musique, que les lecteurs delicats entendent parfaitement resonner, de la premiere a la derniere page d'un livre. La musique de Gustave Flaubert est une sorte de basse continue, sur laquelle chantent, comme un sifflement aigu de petite flute, des gammes soudaines de notes nerveuses. Un realiste, soit ! mais un realiste qui tire du reel d'etranges concerts. Chez lui, tout s'anime d'une vie particuliere. D'un mot il fait vivre un arbre, une maison, un bout de ciel. Il met dans un simple rire de ses personnages des profondeurs incroyables de betise ou d'esprit. Betise et bourgeoisie vont de paire--Flaubert ne fletrit du nom de bourgeois que ceux qui <<pensent bassement,>> c'est-a-dire se complaisent dans l'ignorance, ne cherchent que l'argent ou le plaisir vulgaire, se detournent des grandes oeuvres et meprisent l'effort de la pensee--et n'apprecie guere les revolutionnaires. Dans Madame Bovary, (21) la realite ambiante, maison, ville, campagne, voisins, amis, tout est ecoeurant de betise. Le monde depeint n'est qu'une vaste farce.

On ne peut pas comprendre la litterature du XXe siecle--et l'art au XXe siecle en general--si l'on ne saisit pas l'importance capitale qu'y joue Flaubert. Madame Bovary, roman culte de la litterature francaise, est en realite une <<oeuvre de transition,>> selon l'expression de Paul Yocom (Genette 223). Elle represente presque le debut du XXe siecle de la litterature francaise, car Flaubert a ete le premier a ecrire scientifiquement et surtout a etudier la vie quotidienne; il explore le quotidien. <<Avec Madame Bovary, les bases et les lois des romans modernes sont ecrits>> (Dufour 60), dit Zola. Selon Gerard Genette (239), Flaubert etouffe de choses a dire. Mais il a forme ce projet de ne rien dire, ce refus de l'expression qui inaugure l'experience litteraire moderne. (22) Plus que les oeuvres des geants de la litterature comme Balzac, Maupassant et Stendhal, Madame Bovary (23) a marque son temps et l'evolution litteraire. Avec ce livre, Flaubert a voulu creer une oeuvre sur le rien: c'est l'histoire d'un romancier qui combat ses pulsions lyriques et part d'un fait divers insignifiant pour batir un roman! <<Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c'est un livre sur rien, un livre sans attache exterieure, qui se tiendrait de lui-meme par la force interne de son style, >> ecrit Flaubert a Louise Colet (16 janvier 1852). Et l'Education sentimentale poursuit ce projet: le livre s'ouvre sur Frederic Moreau, prototype de l'antiheros voue a l'echec; il se cloture sur un passage explicite et ravageur ou l'expedition dans une maison close - expedition avortee d'ailleurs, qui ne s'est meme pas realisee - est consideree comme ce qu'ils (Frederic et son ancien camarade) ont vecu de meilleur. Le texte s'acheve alors par la negation de tout ce qui precede. Dans cet autre <<livre sur rien,>> le lecteur a rarement l'impression d'avoir parcouru un itineraire. Nous emmenant de deceptions en defaites, d'attentes en lassitudes, le roman nous abandonne face a une histoire ou il semble ne rien se passer. Le livre est place dans une attitude d'attente, qui fait penser au heros du Desert des tartares de Dino Buzzati; le lecteur et les personnages ne semblent guere evoluer. C'est bien ici le <<rien>> qui triomphe, au coeur meme de l'ecriture.

En ecrivant un livre base sur le rien dramatique, Flaubert se trouve confronte a la vacuite de son sujet. Le roman court sans cesse le risque de l'insignifiance, surtout dans les dialogues, relevant la plupart du temps de la simple accumulation de banalites. Or la betise qui est l'assise des personnages ne peut pas etre celle de l'ecriture. Tout le genie de Flaubert tient dans sa capacite a rendre cette betise par une phrase qui, a proprement parler, n'est jamais au-dessus de la betise, mais qui parvient a la rendre comme un donne, comme un visage du monde dont elle s'attache a rendre le contour. D'ou une certaine sensualite du style de Flaubert. (24) Jean Prevost voit dans son style <<la plus singuliere fontaine petrifiante de notre litterature>> (Proust 50); Malraux parle de ses <<beaux romans paralyses>> (Proust 48): ces images traduisent bien ce qui reste l'effet le plus saisissant de son ecriture et de sa vision. Le <<livre sur rien,>> il ne l'a pas ecrit, mais il a jete sur tous les sujets dont foisonne son oeuvre geniale cette lourde epaisseur de langage petrifie.

Dans le roman, le quotidien tranche sur l'extraordinaire, et ceci a proportion qu'il est gris et monotone. L'attrait general du roman pour la mediocrite est nouveau a l'epoque. Il correspond a une omnipresence de l'extraordinaire qui rend le quotidien le plus banal, alors oublie, digne du plus grand interet.

La mise en scene de la mediocrite, de la betise, voire de la nullite existentielle, convient donc a la generation abrutie par l'irrealite des fictions (Mitterand 21). Le roman flaubertien se doit d'obeir a deux disciplines corollaires: l'observation scientifique et l'impassibilite de l'observateur. Cette impassibilite cede souvent le pas, pourtant, a une ironie feroce, tant a l'egard des personnages excessivement romanesques, comme Emma Bovary ou Frederic Moreau, qu'aux opportunistes sans scrupules, comme le pharmacien Homais. Se moquant de tout, Flaubert est l'ecrivain du derisoire, le chroniqueur du <<rien.>> C'est pourquoi il affirme dans sa Correspondance (90) que ses romans ne valent que par le style, qui donne sens et grandeur a l'oeuvre, et qui est a lui seul une maniere absolue de voir les choses !

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Note

(1) Selon Emile Zola, << C'est la une de ces notations de la vie nerveuse qui constituent un des traits les plus remarquables sans doute du talent de Gustave Flaubert >> (Dufour 67). Tout l'art moderne, si secoue, si curieux de physiologie, est dans cette ligne.

(2) Binet offre a Flaubert l'occasion, avant Bouvard et Pecuchet, de faire une satire des employes: Binet est d'une ponctualite scrupuleuse, il n'a jamais rien a dire; son visage reflete son manque de fantaisie: <<pas un poil ne depassait la ligne.>> De plus, Binet a quelque chose d'inhumain. Il est silencieux, insensible, il a le visage <<terne,>> une regularite d'automate: <<Six heures sonnerent. Binet entra.>> Il semble une allegorie du destin: sa principale distraction est d'actionner un tour dont le mouvement evoque celui de l'orgue de Barbarie et aussi celui du fuseau des Parques. Quand Emma sera attiree par le suicide, elle entendra <<le ronflement du tour (...) comme une voix furieuse qui l'appelait.>> Le jour de sa mort, elle lui rendra une visite, dont Flaubert ne revele pas le contenu: il note seulement le bruit des deux roues qui <<tournaient, ronflaient>> et les gestes de supplication d'Emma qui va mourir et semble supplier vainement le destin.

(3) La decomposition est une des obsessions majeures de Flaubert.

(4) Apres la mort de la femme de Charles Bovary, Heloise, le pere Rouault revoit Charles et l'invite a revenir aux Bertaux, en lui disant que l'oubli est plus fort que la mort.

(5) Les bourdes et les cliches que lui assenent ses interlocuteurs sont pieusement recueillis dans Le Dictionnaire des idees recues. Ce dictionnaire nait a partir d'une constatation de genie: le propre des gens betes est de craindre par-dessus tout de paraitre tels.

(6) Depuis le debut du roman, Charles est celui qui obeit : a sa mere, a sa premiere epouse, puis a Emma. Il manque donc de cette energie et de cet esprit d'initiative qui poussent le heros balzacien a prendre en main sa destinee.

(7) Rares sont, dans Madame Bovary, les phrases tres courtes ; l'ecriture de Flaubert est rarement nerveuse, presque jamais hachee et il laisse les mouvements capricants a ceux qui n'ont pas le temps de lisser les phrases. Si, dans la vie, il n'hesite devant aucune brutalite de la parole, quand il ecrit Madame Bovary il peche, eventuellement, par le defaut oppose: il est l'homme des points-virgules. Une grande exception, la mort d'Emma: <<Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s'approcherent. Elle n'existait plus. Les memes saccades des marches des funerailles, a l'epoque ou l'on portait les bieres a l'epaule, sur des routes non asphaltees. Elle n'existait plus.>> Au royaume de la litterature, Flaubert rend la parole esclave de sa lucidite et de son pessimisme.

(8) Grotesque, Rodolphe Boulanger de la Huchette ne l'est pas moins.

(9) Cette solitude irreductible est particulierement sensible quand Flaubert presente, en deux tableaux symetriques, les reves de Charles et ceux d'Emma. Encadres par deux evocations du berceau de Berthe, les deux textes sont au discours indirect libre (d'ou une grande ressemblance formelle) ; dans les deux cas, ils evoquent des projets qui ne se realiseront pas; ils presentent tous deux un avenir percu comme eternel: <<Il la rendrait heureuse; cela durerait toujours>> ; <<Les jours, tous magnifiques, se ressemblaient comme des flots, et cela se balancait a l'horizon infini.>> Mais le reve de Charles est realiste : il pense a <<une petite ferme,>> a <<la caisse d'epargne>> alors qu'Emma n'a nul souci des contingences materielles. Il tend a la stabilite: <<maison,>> <<lampe,>> <<pantoufles,>> tandis qu'Emma voit un univers en mouvement: <<Au galop de quatre chevaux elle etait emportee (...) Ils allaient, ils allaient.>> La reverie de Charles ne l'eloigne pas du monde connu: <<aux environs>>; celle d'Emma est nourrie d'exotisme. Pour bien marquer cette difference, le texte montre Charles qui <<s'assoupissait,>> tandis qu'Emma <<se reveillait en d'autres reves.>> Enfin chacun des reves tend a detruire l'autre: Charles voit son epouse pres de lui, alors que le reve d'Emma ne se construit, precisement, que dans le depart loin du mari.

(10) Avec le jeune Leon, c'est Emma qui mene la barque, c'est lui qui est la maitresse d'Emma ou si vous voulez, c'est elle qui le maitrise. Comme Emma, Leon Dupuis reve de l'<<ailleurs>> (mer, montagnes suisses, Paris) et fuit dans les livres ou dans la musique son insatisfaction: <<c'est une chose si maussade que de vivre cloue aux memes endroits.>> C'est un adolescent timide, qui regarde <<silencieusement>> la nouvelle venue (Emma Bovary) et qui se trouve attire par elle <<sans qu'il s'en apercut>>: cette timidite et cette passivite se retrouveront chez Frederic Moreau, dans L'Education sentimentale. C'est a dessein que Flaubert en a fait un juriste: il avait garde lui-meme un tres mauvais souvenir des etudes de droit qu'il avait entreprises pour obeir a son pere. Le roman montre l'enlisement progressif d'un personnage idealiste dans le jeu social : Leon va sacrifier sans hesiter ses pretendus gouts artistiques pour devenir premier clerc, puis notaire a Yvetot; car <<chaque notaire porte en soi les debris d'un poete.>>

(11) Les reves d'Emma et de Leon sont plats, qui se repaissent de tous les cliches romantiques. Jusque dans l'intimite de la reverie, au plus profond du moi, Emma vehicule les cliches sentimentaux du romantisme: <<au galop de quatre chevaux, elle etait emportee depuis huit jours vers un

pays nouveau, d'ou ils ne reviendraient pas. Ils allaient, ils allaient enlaces sans parler.>>

(12) Charles et Emma recoivent tous deux une education superieure a leur condition sociale. Mais dans les deux cas, le resultat est un echec: Emma garde <<toujours a l'ame quelque chose de la callosite des mains paternelles>>; quant a Charles, il ne parvient pas a s'integrer a la classe, societe bourgeoise en miniature; il n'a pas le genre. Contrairement au monde balzacien dans lequel les hommes de genie peuvent renverser tous les obstacles, la societe flaubertienne est un moule pesant que nul ne peut briser; au chateau de la Vaubyessard, malgre la ressemblance des vetements, les differences sociales restent tres marquees (Ozanam 100). On peut donc parler d'une veritable fatalite sociale; chacun porte en soi, comme une maladie incurable, ses origines et son rang.

(13) La parole de ces bourgeois s'empare du travail des humbles, elle le confisque: <<Croyez-vous qu'il faille, pour etre agronome, avoir soi-meme laboure la terre?>> A leurs grands mots s'oppose le silence de la servante : << dans la frequentation des animaux, elle avait pris leur mutisme et leur placidite.>> Face aux <<bourgeois epanouis,>> elle a <<une rigidite monacale>>; tandis que <<mollement, sans effort,>> les doigts d'Emma et de Rodolphe se confondent, elle a les mains d'une orante, <<entr'ouvertes, comme pour presenter d'elles-memes l'humble temoignage de tant de souffrances subies.>>

(14) Selon Pascal Engel, la betise d'Homais, qui tient a une faiblesse de l'entendement par rapport a un objet particulier, (c'est de loin la plus dangereuse), peut meme etre un signe d'intelligence.

(15) Emma Bovary s'empoisonne, meurt couverte de dettes et dans d'atroces souffrances. Nous savons bien tous qu'aucune fatalite, aucun determinisme, aucune loi d'aucune sorte ne conduit obligatoirement les femmes adulteres, ni du temps de Flaubert ni du notre, a finir ainsi. Nous savons, et d'ailleurs Flaubert savait bien cela lui-meme, et ce n'etait pas cela qui l'interessait lorsqu'il a ecrit Madame Bovary, nous savons qu'Emma eut bien pu, comme tant d'autres femmes qui ont abondamment trompe leur mari, mourir tranquillement de vieillesse, riche, comblee, adulee et tres heureuse.

(16) Pour decrire la mort d'Emma Bovary, Flaubert avait etudie dans des ouvrages de medecine les symptomes de l'empoisonnement par l'arsenic. On sera plus sensible a la technique de l'ecrivain realiste si, avant d'aborder ce recit, on relit l'evocation de la mort d'Atala, heroine romantique, qui perit elle aussi empoisonnee.

(17) Madame Bovary est un roman qui met paradoxalement en garde contre la lecture des romans. Lectrice sans esprit critique, Emma ressemble fort a Don Quichotte, un des personnages favoris de Flaubert ; comme lui, elle est victime de sa foi dans les romans, elle refuse le reel et reve obstinement d'un absolu qui ne se trouve pour les deux personnages que dans la mort. La satire du romantisme et du romanesque est d'autant plus violente que, dans son adolescence, Flaubert fut, comme la plupart de ses contemporains, tres sensible a l'influence de Walter Scott et de ses disciples. En ecrivant Madame Bovary, il tente de renoncer a un lyrisme et a un gout pour l'exotisme qui ne cessent, pourtant, de le fasciner (Ozanam 27). Il est fort symbolique de voir Emma, qui s'est <<nourrie>> de litterature, mourir avec dans la bouche <<un affreux gout d'encre>>, comme pour denoncer les malefices de la lecture. On connait de la representation de la lectrice - notamment dans la litterature - une image peu flatteuse : lascive, dangereuse, ridicule, passive. Dans la plupart des critiques adressees aux lectrices, que ce soit dans les manuels edifiants ou pedagogiques, les biographies, les romans, on retrouve pourtant ce trait commun, peu apercu jusqu'alors, qui considere la lectrice comme un etre malade. Malade d'une pathologie toute specifique : la lectrice est malade de lectures ; elle devore trop de romans, avale trop de pages ineptes ou dangereuses pour sa constitution. Une maladie que l'on pourrait appeler aujourd'hui par metaphore boulimie. On etudie <<scientifiquement>> la pathologie dont souffre la lectrice. Le savoir acquis dans les romans est presque toujours lie au sujet sentimental du roman: il engendre aussitot la peur que la lectrice n'en tire des idees immorales ou perverses, comme le font Emma ou Francesca da Rimini dans l'Enfer de Dante. D'autre part, la lectrice, avec ses lunettes sur le nez, sa frequentation des bibliotheques, milieu masculin, ses aspirations nouvelles, serait menacee d'un <<devenir-homme>> au point que les hommes autour d'elle en perdent toute virilite: que ce soit Leon dans Madame Bovary ou Julien Sorel face a Mathilde dans Le Rouge et le Noir (Orr 122). Malgre tout son zele, le romancier n'a pas pu ne pas infuser un sang viril dans les veines de sa creature et Emma Bovary, pour ce qu'il y a en elle de plus energique et de plus ambitieux, et aussi de plus reveur, est restee un homme. Comme la Pallas armee, sortie du cerveau de Zeus, ce bizarre androgyne a garde toutes les seductions d'une ame virile dans un charmant corps feminin. Madame Bovary est presque male. L'auteur l'a ornee - inconsciemment peut-etre - de toutes les qualites viriles. Qu'on examine attentivement: (1) L'imagination, faculte supreme et tyrannique, substituee au coeur, ou a ce qu'on appelle le coeur, d'ou le raisonnement est d'ordinaire exclu, et qui domine generalement dans la femme comme dans l'animal. (2) Energie soudaine d'action, rapidite de decision, fusion mystique du raisonnement et de la passion, qui caracterise les hommes crees pour agir. (3) Gout immodere de la seduction, de la domination et meme de tous les moyens vulgaires de seduction, descendant jusqu'au charlatanisme du costume, des parfums et de la pommade, - le tout se resumant en deux mots : dandysme, amour exclusif de la domination (Baudelaire 11).

(18) Si la morale reprouve souvent l'adultere, le roman en a fait l'un de ses themes de predilection. La litterature serait-elle le chantre de l'infidelite amoureuse ? L'amour en litterature ne serait-il seduisant que dans l'infidelite ? Imaginez une Madame Bovary sans amants : sa vie ennuyeuse nous interesserait-elle ? Et si Mme de Renal, l'heroine de Le Rouge et le Noir de Stendhal, n'avait pas succombe au charme de Julien Sorel, que serait-il advenu d'un roman qui analyse si bien les caprices de l'amour ? Y aurait-il eu un quelconque interet a lire les Liaisons dangereuses, si la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont n'avaient pas joue avec le coeur et le desir de Madame de Tourvel ou avec la vertu de Cecile de Volanges ? Si les amours illicites font recette chez les lecteurs, ils sont pourtant rarement recompenses par le bonheur des femmes : Madame de Cleves avoue a son mari l'amour qu'elle eprouve pour le duc de Nemours; mais meme veuve, rongee par le remords, elle ne consommera jamais cette passion partagee. Madame Bovary ne survit pas aux trahisons de ses amants, et, en mourant du poison qu'elle a absorbe, decouvre que personne ne l'a aimee autant que son mari! Madame de Mortsauf en mourant, echappe a sa passion pour le jeune Felix. Madame de Tourvel, folle de desir et d'amour pour le Vicomte de Valmont, s'enferme au couvent ou elle pleure <<l'homme de sa vie>> tue en duel. Hormis La Princesse de Cleves, ecrit par Mme de Lafayette, tous ces romans ont des auteurs masculins. Sous leurs airs licencieux, ils defendent souvent une morale conventionnelle du couple, meme s'ils en reconnaissent les limites: les hommes vivent librement leurs amours; les femmes, qui ne resistent jamais a l'appel de l'infidelite, le paient de leur vie ou de leur deshonneur. Il faut attendre les premisses du feminisme pour qu'enfin les roles s'inversent: de Colette a Anais Nin, de Simone de Beauvoir a Marguerite Duras, les femmes aiment, y compris dans l'adultere, et n'en meurent plus! Le bonheur dans l'infidelite n'est plus reserve aux hommes! Rappelons-nous le succes obtenu par L'Amant de Marguerite Duras, ecrivain jusqu'alors confidentiel, et qui recut le prix Goncourt pour son apologie du libertinage feminin! (Hermine 99).

(19) Madame Bovary, c'est le roman du virtuel. Et quand on lit Madame Bovary, comme n'importe quel autre livre, on est aussi dans le virtuel. Alors que ce mot semble cree par les nouvelles technologies, il est ne avec Aristote. Le modernisme du terme n'est qu'apparent.

(20) Raymond Jean a ecrit Mademoiselle Bovary. Il s'agit de l'histoire de la fille d'Emma Bovary, Berthe. Dans ce roman, Berthe, contrairement a sa mere, ne souffre pas de sa vie mediocre. Elle l'accepte sans aspirer a une condition autre que la sienne. Il n'y a pas en elle comme en sa mere d'inadequation entre ce qu'elle est et ce qu'elle voudrait etre. Elle ne reve pas d'un ailleurs luxueux et passionne, ne cherche pas a echapper a la mediocrite de sa situation.

(21) Presque toute la critique universitaire, avant et depuis la mort de Flaubert, lui a ete hostile. Parmi ses representants, un des plus favorables, malgre la legende, aura ete J.-J.Weiss, dont le fameux essai sur la Litterature brutale apporte nombre d'objections, mais aussi de grandes louanges, et qui presente d'ailleurs Madame Bovary comme <<l'oeuvre maitresse de la seconde partie du XIXe siecle>> (Buisine, 69). Mais c'est le seul ouvrage de Flaubert qui compte pour Faguet, lequel dans son volume de la collection des Grands Ecrivains declare ensuite tous les autres fastidieux et manques; Leon Daudet, reprenant le mot de Melchior de Vogue a Maurice Barres sur Stendhal, appelle Flaubert <<mauvais maitre.>> Henri Vaugeois le traitait simplement d'<<imbecile.>> Et pareillement pour Brunetiere, qui va d'autre part jusqu'a ecrire: <<Cette grande haine de la betise humaine, cette haine qui l'a si bien servi dans Madame Bovary, mais si mal, en revanche, dans l'Education sentimentale, n'etait rien de plus que la projection de sa propre sottise, a lui, sur les choses qu'il ne pouvait comprendre.... >>

(22) Ce rien, qui ne serait que le style, c'est cette utopie du reel a laquelle reve Flaubert, utopie a faire advenir le desir pur, sans deplacement, sans masque, utopie d'une pure forme a laquelle reveront aussi Rimbaud et Mallarme et, bien plus tot, Guillaume IX d'Aquitaine (1071-1127) qui commence ainsi un de ses poemes : Farai un vers de dreyt nien/Je ferai un vers sur le pur neant. Ce <<pur neant>> qu'est-ce sinon cette purete, de desir absolu qui s'exprimerait sans avoir a s'inscrire dans un jeu de deplacement, un jeu d'ecriture. La est bien le reve, l'utopie de l'ecrivain, car la jouissance s'exprime dans la mecanique, dans le jeu de deplacement lui-meme.

(23) L'Education sentimentale a exerce egalement une influence considerable sur les ecrivains du XXe siecle.

(24) Flaubert accorde une immense attention a la forme. Le roman est, doit etre, une oeuvre d'art. Chez lui, la phrase en prose est aussi precise, rythmique et inchangeable que si elle etait en vers. La reside le secret de son succes. La devise de Flaubert est que la beaute de la phrase est la garantie de la verite.
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