首页    期刊浏览 2025年02月24日 星期一
登录注册

文章基本信息

  • 标题:L'ajustement mutuel dans le fonctionnement organique du systeme multiorganisationnel d'aide et de services aux sans-abri de Montreal.
  • 作者:Dupuis, Alain ; Farinas, Luc
  • 期刊名称:Canadian Public Administration
  • 印刷版ISSN:0008-4840
  • 出版年度:2009
  • 期号:March
  • 出版社:Institute of Public Administration of Canada

L'ajustement mutuel dans le fonctionnement organique du systeme multiorganisationnel d'aide et de services aux sans-abri de Montreal.


Dupuis, Alain ; Farinas, Luc


Introduction

Les reseaux, les collaborations, la gouvernance, la gestion horizontale ou encore les partenariats sont au coeur de l'action publique actuelle (Bourgault 2002; Mandell et Steelman 2003; Vangen et Huxham 2005; McGuire 2006; Provan et Kenis 2007). Ils permettraient, entre autres, une mise en commun de competences, de connaissances et d'actions necessaires a la solution de problemes et d'enjeux complexes (Mandell et Steelman 2003; Vangen et Huxham 2005). Ces arrangements interorganisationnels constituent des systemes multiorganisationnels qui n'operent pas necessairement comme une organisation hierarchique. Ils ont un mode de fonctionnement particulier qu'il faut comprendre car ils peuvent, d'un cote, derouter le gestionnaire public habitue au monde bureaucratique (Mandell et Steelman 2003; Vangen et Huxham 2005; Provan et Kenis 2007). De l'autre cote, ce fonctionnement peut aussi etre une source d'inspiration et d'innovation dans l'organisation des services offerts par un secteur public en changement.

L'itinerance constitue justement une de ces problematiques complexes necessitant une action multiorganisationnelle et multisectorielle (Damon 2002; Roche 2004). Signe d'un phenomene social particulierement complexe, les chercheurs et les praticiens du secteur public et communautaire ne s'entendent ni sur les definitions, ni sur le nombre, ni sur les causes, ni sur les philosophies d'action et les interventions a adopter en ce qui concerne l'itinerance (Damon 2002; Roche 2004; Roy et al. 2006). Pourtant, ces praticiens s'entendent sur la necessite d'agir. Uorganisation du secteur de l'aide et des services aux sans-abri a Montreal Centre va a l'encontre des idees recues et illustre un modele organisationnel non orthodoxe aux qualites meconnues. Cette organisation n'est pas geree, dirigee, planifiee et coordonnee dans son ensemble, du moins pas au sens habituel. Elle n'est pas chapeautee par une direction et une hierarchie integrees et << imputables >>, un centre de coordination, un plan d'ensemble << optimise >>, ou une << entente de gestion et d'imputabilite >> globale. A partir d'une telle constatation, le sens commun administratif tire souvent la conclusion qu'il y a mauvaise coordination, duplications couteuses, fragmentation nuisible, chevauchements inutiles, lacunes sur le plan de la << continuite des soins >>, du controle, de la reddition de compte, de la coherence et de l'efficience. Toutes les reorganisations et les reformes structurelles des services de sante et des services sociaux entreprises au cours des dernieres decennies reposent sur une telle interpretation.

Nos representations courantes et nos modeles mentaux associent la << bonne >> organisation et les capacites collectives a la hierarchie, au controle et a l'organisation concue de facon raisonnee sous la forme d'une machine simple aux processus clairs, lineaires, formalises et optimises (Mintzberg 1989; Morgan 2006). Pourtant, depuis une cinquantaine d'annees, les sciences de l'organisation remettent en question ce cadre d'interpretation et d'organisation. Elles nous suggerent entre autres que lorsqu'il y a incertitude, flou et ambiguite dans les buts vises, dans les << technologies >> utilisees et dans les resultats obtenus, les mecanismes << classiques >> de la bureaucratie, de l'autorite hierarchique, des regles formelles, de la planification et du controle deviennent insuffisants, voire carrement inappropries, pour assurer la valeur des services offerts. Les techniques de gestion a la mode fondees sur la normalisation des resultats a base d'indicateurs quantifiables et de cibles mesurables sont relativement impuissantes et inadequates dans ce contexte faiblement structure par nos connaissances et nos valeurs (Mintzberg 1989, ch. 9). D'autres mecanismes doivent entrer en jeu pour composer avec cette << complexite >> caracteristique du travail de la plupart des organisations de services humains (Hasenfeld 1983; Glisson 1992), et plus particulierement de l'aide aux sans-abri (Dupuis, 2007a, b). L'organisation d'ensemble du secteur des sans-abri nous renvoie justement a l'image, encore peu familiere dans notre imaginaire administratif, d'un systeme multiorganisationnel non centralise et auto-organise qui emerge des multiples actions et interactions entretenues par les personnes et les organisations intervenantes (Chisholm 1989; Landau 1991).

Comment un tel systeme organisationnel peut-il fonctionner ? Le sens commun administratif est mal prepare a comprendre les organisations complexes peu formalisees, peu centralisees, peu hierarchisees et a base d'ajustement mutuel qu'on qualifie habituellement d' << organiques >>. Or, ce type d'organisation s'avere, en general, apte a composer avec les problemes changeants, incertains, flous, complexes et ambigus (Landau 1991; Donaldson 2001; Grandori 2001; Scott 2003). Pour cette raison, il est souhaitable d'en mieux comprendre les modes de fonctionnement et les capacites, de facon a enrichir notre imaginaire administratif de modeles organisationnels avantageux mais encore peu assimiles par le sens commun. Nous avons tout a gagner a mieux comprendre le fonctionnement reel des systemes multiorganisationnels faiblement formalises des services de sante et des services sociaux. Notre etude contribue a cette comprehension.

Les structures organisationnelles << organiques >>

Scott (2003) decrit comme suit ce type de structure organisationnelle << organique >>, c'est-a-dire faiblement formalisee :

[...] natural system theorists, who stress the advantages of informal structures, particularly in the face of task uncertainty and rapid change. These alternative approaches, which have received much recent attention, rely primarily on enlarged roles, internalized and peer controls, and informal structures to confront high levels of uncertainty and complexity. Rather than augmenting hierarchies, they minimize vertical distinctions and flatten hierarchies, and rather than creating new, specialized lateral roles and relations, they encourage more direct, open, face-to-face communications among any or all participants as required. Decision-making becomes more decentralized, and organizational roles less formalized. Several bodies of theory and research emphasize the value of informal structures in work organization(Scott, 2003: 251).

Comme l'explique Weick (1993), si les structures organisationnelles << organiques >> riches en interactions et en ajustements mutuels sont adaptees a l'incertitude et a l'ambiguite, c'est parce qu'elles reportent une partie importante du travail sur les cadres d'interpretation et d'intervention qui permettent de comprendre et d'intervenir dans la realite. Les personnes qui font le travail se questionnent individuellement et collectivement sur leur role, sur leur comprehension de la situation, sur les methodes employees, sur les resultats vises. Elles font un travail d'interpretation et de decision fonde sur des valeurs, et portant sur ces valeurs. Les structures nettement organiques permettent, entre autres, les interactions de nature collegiale, de facon a elaborer et a raffiner une culture et un systeme de valeurs aptes a composer avec les dilemmes et les autres complications de l'aide aux sansabri (Weick et McDaniel 1989: 341). Une belle etude de Racine (2000a, 2000b) illustre et approfondit notre comprehension du fonctionnement << organique >> decrit par Weick et McDaniel (1989) dans des organismes qui viennent en aide aux femmes sans-abri. Dans cette etude, nous decouvrons comment les echanges et les relations avec des pairs permettent aux intervenantes de construire et de perfectionner leur identite professionnelle, leur cadre d'interpretation et d'intervention, et leurs competences.

Burns et Stalker (1994) ont ete parmi les premiers theoriciens de l'organisation a decrire le fonctionnement d'une organisation a structure << organique >>. Selon ces auteurs, les participants a une organisation << reseau >> auto-organisee ont une vue d'ensemble des taches a accomplir et se sentent ciresponsables de la realisation de sa mission (alors qu'a l'inverse, les responsabilites sont tres fragmentees dans une bureaucratie).

Les relations entre les participants prennent l'allure de consultation et de collaboration plutot que d'instruction et de commandement. L'autorite qui importe dans la prise de decision et la resolution de problemes est moins l'autorite formelle liee aux postes officiels, que l'autorite intellectuelle des participants liee a leur experience et a leur competence a resoudre le type de problemes rencontres. Cette forme d'organisation implique une certaine indetermination structurelle (Weick 1985). Sa capacite d'automodification repose entre autres sur le fait que les roles, fonctions et taches de chacun ne sont pas definis par un plan d'ensemble et une autorite superieure, ou un organigramme, mais plutot par des relations d'ajustement mutuel au cours du travail et en fonction des particularites de la tache a accomplir. Landau (1991) fait la meme analyse pour les systemes multiorganisationnels faiblement couples :

A loosely coupled organization lies on the other end of the scale. Roles and definitions of tasks are set not by any single authority but by the components themselves. Interaction and communication occur not as a consequence of instruction or command, but on the basis of need. Roles are continuously adjusted on the basis of experience, and tasks are generally established by negotiation. Parties to the bargain are determined by the character of an issue, not by the organization chart(Landau 1991: 7).

Les << reseaux >> sont souvent des systemes multiorganisationnels gouvernes par des mecanismes organisationnels << organiques >> peu formalises et des relations d'ajustement mutuel (Jones, Hestley et Borgatti 1997 : 913). C'est le cas des reseaux que Provan et Kenis (2007) qualifient de decentralises et de collectivement autogouvernes. Mais un systeme multiorganisationnel ne se limite pas a un reseau de relations dyadiques, c'est-a-dire bilaterales. Lindblom (1965, 1990) nous aide a comprendre pourquoi, en mettant en lumiere l'ensemble des formes de mecanismes d'ajustement mutuel. Lindblom (1990: 240) divise ces mecanismes en deux categories : conjoints et disjoints (joined et disjoined). Lorsque, dans le choix d'une action, les acteurs prennent simplement en compte ce que les autres font ou ne font pas, on a affaire a un mecanisme d'ajustement mutuel adaptatif, disjoint et unilateral. On est en situation de couplage faible dans un systeme mulfiorganisationnel. Une organisation du secteur public ou communautaire qui prend en compte les services disponibles avant de decider quels services elle va offrir fait de l'ajustement adaptatif disjoint. En prenant en compte la situation existante, un acteur doit en fait coordonner ses decisions avec les decisions prises anterieurement par l'ensemble des acteurs. Comme Lindblom (1965) le souligne, il s'agit d'un mecanisme adaptatif fondamental de Faction humaine. Ce mecanisme realise un enorme travail collectif de coordination non centralise et reparti sur l'ensemble des acteurs d'un systeme multiorganisationnel. Lorsque ce mecanisme d'ajustement mutuel est suffisant pour les acteurs, ils ont tendance a s'en tenir a lui. C'est aussi parfois le seul mecanisme possible entre des acteurs aux demarches conflictuelles, ce qui est tout a fait vraisemblable dans un systeme multiorganisationnel oeuvrant dans un domaine qui presente des fins et des valeurs variees, plus ou moins divergentes, voire opposees. Lorsqu'un probleme de coordination n'est pas regle par ajustement mutuel adaptatif disjoint, cela cree toutefois un besoin, une demande pour un moyen de coordination plus exigeant en travail relationnel et faisant appel a l'ajustement mutuel conjoint bilateral ou multilateral.

Dans un ajustement mutuel conjoint, les acteurs ne se contentent plus de s'adapter les uns aux autres. Ils s'informent et s'influencent mutuellement pour agir sur les interpretations et les decisions des uns et des autres. Les moyens de l'ajustement mutuel conjoint sont, entre autres, la discussion et l'argumentation, l'echange, la negociation, le marchandage et la compensation. Il s'agit de moyens relativement couteux, et l'ajustement mutuel conjoint est de portee plus limitee que l'ajustement mutuel adaptatif disjoint : il est difficile de discuter, de negocier et d'en arriver a un accord avec un grand nombre d'acteurs aux perspectives differentes.

Selon Jones, Hesterly et Borgatti (1997), il existe quatre types de mecanismes sociaux d'ajustement mutuel qui gouvernent les relations interorganisationnelles bilaterales dans un reseau decentralise et autogouverne : 1) la selectivite des relations (on ne fait pas affaire avec tout le monde) ; 2) la reputation ; 3) les sanctions collectives et, finalement 4) une << macroculture >> (memoire sociale et processus culturels transorganisationnels).

Dans un reseau suffisamment redondant, on choisit avec qui on traite, avec qui on entretient des relations bilaterales. On evite les << partenaires >> qui ne sont pas a la hauteur, qui ne sont pas honnetes et fiables, ou qui ne partagent pas la meme << philosophie >>. Le fait de n'avoir que quelques partenaires reguliers augmente la densite des relations entretenues avec ces derniers, ce qui permet de mieux les connaitre et de s'identifier a eux, d'augmenter le niveau d'engagement reciproque (en mettant en jeu la norme de reciprocite), d'eviter les comportements opportunistes (le << dumping >> cavalier envers un partenaire). Dans ce contexte de selectivite, la reputation devient importante car c'est elle qui vehicule les informations et l'evaluation concernant les differents partenaires. Un reseau de relations bilaterales qui fonctionne bien doit non seulement etre selectif, compter sur un systeme de reputations, mais il doit aussi pouvoir imposer certaines sanctions (par ajustement mutuel). Il doit y avoir un cout a etre un << mauvais >> partenaire, a transmettre de mauvaises informations, a se decharger de ses problemes en les refilant unilateralement et sans menagement a ses partenaires. Ce << cout >> peut se payer, par exemple, en << reputation >> et en exclusion du reseau d'echanges de services (par la selectivite dans le choix des partenaires).

Les reseaux interorganisationnels decentralises et autogouvernes qui fonctionnent sont aussi des phenomenes culturels associes a une combinaison de cultures et de << communautes >> civiques (Putnam, 1993), professionnelles, sectorielles, occupationnelles et de pratique. Ce sont les cultures transorganisationnelles qui permettent ou facilitent le fonctionnement des mecanismes et processus sociaux au fondement des reseaux de collaboration bilaterale (Jones, Hesterly et Borgatti, 1997). Ces ensembles culturels transorganisationnels sont le lieu des identites professionnelles, sectorielles et occupationnelles qui transcendent le cadre de chaque organisation et qui les font appartenir a un meme univers de valeurs, de connaissances et de pratiques. Les interactions dans les reseaux contribuent a la creation et a l'entretien des cultures transorganisationnelles. Celles-ci puisent aussi leurs ressources dans les institutions et la culture de la societe dans lesquelles elles emergent (les communautes civiques de Putnam, 1993,par exemple). La circulation des personnes entre les organisations d'un reseau joue un role important dans la diffusion des normes, des valeurs et des attentes. Chisholm (1989: 126) souligne l'importance de ce phenomene pour la coordination interorganisationnelle : << Personnel movement among organizations serve to facilitate the development of informal channels, knowledge of other organizations, and similarity of decision premises among comparable types of organizations, all of which serve to promote interorganization coordination directly or to lay a foundation for such coordination >>.

Les cultures transorganisationnelles se constituent au fil des ans et des decennies dans un contexte de proximite geographique. Ces dernieres et les reseaux reposent sur des mecanismes de socialisation et d'echange, sur les mouvements des personnes et de personnels, sur la formation des professions et sur le compagnonnage, sur les associations et les regroupements sectoriels ou occupationnels, sur les publications et les periodiques associes aux domaines de competence du secteur, et sur les colloques, ateliers et autres occasions de rencontres propres au secteur (Jones, Hesterly et Borgatti, 1997 : 930).

Nous pensons qu'il faut considerer le systeme multiorganisationnel de l'aide aux sans-abri a Montreal en tant que processus d'ajustements mutuels disjoints et conjoints, creant une structure << organique >> a base de relations faiblement formalisees, de normes sociales et de mecanismes sociaux particuliers. Il est compose non seulement de relations bilaterales de collaboration, mais aussi de relations unilaterales disjointes, et de relations conjointes multilaterales qu'on pourrait probablement qualifier de relations de gouvernance.

Notre recherche

Notre equipe de recherche a tente d'etablir comment fonctionne le systeme multiorganisationnel de production de l'aide et des services aux itinerants a Montreal Centre. Entre mars 2003 et mars 2004, nous nous sommes entretenus avec 27 personnes travaillant dans dix organisations, trois du secteur public et sept organismes dits communautaires. Dans chacune de ces organisations nous avons interviewe un gestionnaire et au moins un intervenant pour un total de 17 intervenants et de 10 gestionnaires. La grille d'entretien portait sur quatre themes : (1) le mandat organisationnel ; (2) le travail effectue ; (3) les relations entretenues avec d'autres organisations ; (4) la conception du secteur de l'aide aux sans-abri (entre autres, ses forces et ses faiblesses). De tels themes permettaient, selon nous, une exploration du travail et des rapports que ces praticiens entretenaient afin de realiser une tache complexe les placant en situation d'interdependance. Ces entrevues semistructurees ont dure en moyenne une heure et ont ete enregistrees puis transcrites. Nous avons selectionne les personnes et les organisations de notre echantillon selon la logique de la chaine de reference : nous demandions a nos interlocuteurs de nous dire : 1) avec qui ils faisaient affaire, et 2) qui ils nous recommandaient de rencontrer. Cette methode comporte le risque de n'avoir acces qu'a des cercles fermes de praticiens, ainsi que l'avantage d'avoir un acces plus facile et une saturation des donnees plus complete (elle constitue en elle-meme une forme de triangulation). Nous avons demarre la chaine avec deux personnes tres actives dans le secteur. Deux des organisations frequemment evoquees par nos informateurs ont par ailleurs refuse de participer a la recherche. Voici la liste des organisations qui ont participe a nos entrevues : Tableau 1.

Parmi les quatre themes discutes en entrevues, deux etaient particulierement importants pour les resultats presentes ici. Nous avons demande a nos informateurs de decrire leur travail et les interactions qu'ils entretiennent dans le cadre de ce travail. Nous leur avons demande de nous dire a qui ils avaient affaire dans leur travail, avec quelles personnes et quelles organisations ils etaient en contact dans l'accomplissement de leurs taches. Notre analyse des donnees s'est deroulee comme suit : nous avons cherche dans les 812 pages (220 000 mots) de la transcription des entretiens tous les passages 1) ou il etait question de relations avec d'autres personnes ou d'autres organisations; 2) qui nous renseignaient sur la nature des interactions en jeu; 3) qui nous fournissaient des indications sur la nature et les caracteristiques du travail accompli, des problemes a resoudre et des methodes employees; 4) qui mettaient en lumiere les formes d'organisation collective a l'oeuvre; 5) qui nous revelaient comment le secteur s'est constitue au fil des ans et des decennies. Bien entendu, pour respecter la confidentialite des propos et garantir l'anonymat de nos repondants, nous avons cache leurs noms et leurs postes tant dans l'analyse que dans la presentation des resultats. Le Schema 1 combine les reponses de nos informateurs au sujet de leurs contacts et relations. Il presente une image qui sous-estime probablement le nombre d'acteurs et leurs relations dans le secteur car nous n'avons conduit d'entrevues que dans 10 organisations et nous avons fait appel a la memoire des personnes interviewees.

Neanmoins, le schema presente plus de 73 organisations et 125 connexions. Le Schema 1 nous revele donc l'existence d'un systeme multiorganisationnel complexe comportant un grand nombre de relations entre les organisations. Nous analysons ci-dessous le fonctionnement de ce systeme.

Nos informateurs ont evoque divers mecanismes interorganisationnels a l'oeuvre dans le secteur de l'aide aux sans-abri. Dans les sections qui suivent, nous allons montrer en nous appuyant sur leurs propos que les services aux sans-abri a Montreal Centre sont fournis par un systeme multiorganisationnel << organique >> qui fait appel a divers mecanismes de coordination. En d'autres termes, la coordination des services a Montreal Centre est surtout accomplie par des praticiens (intervenants et gestionnaires) dans le cadre de leur travail quotidien. Cette coordination interorganisationnelle repose essentiellement sur les relations entretenues par les

[ILLUSTRATION OMITTED]

intervenants lors de leurs interventions aupres des sans-abri. Les gestionnaires jouent alors davantage un role d'avocat, de << tampon >> et de facilitateur : ils representent leurs organisations au sein de structures formalisees de facon a soutenir les efforts de leurs equipes d'intervenants (en ayant acces a des informations strategiques, des ressources financieres, etc.) ; ils tentent d' << absorber >> certaines influences pouvant nuire aux interventions et d'offrir des conditions permettant la realisation du travail (entre autres, offrir un horaire plus flexible ou un soutien clinique et/ou administratif). Les diverses relations tissees entre les organisations par ces praticiens mettent en oeuvre trois types de mecanismes de coordination, presentes au Tableau 2.

Le Tableau 2 met en relation le type de coordination avec le type de travail relationnel qu'il implique. C'est ce travail relationnel accompli par les praticiens qui << realise >> la coordination. Il assure un lien entre ces differents acteurs par le moyen de la discussion et de l'argumentation, de l'echange, de la negociation ou du marchandage (Strauss 1993). Notons qu'il existe une complexite et des couts croissants (en temps, energie et efforts investis) dans le travail relationnel et l'usage de mecanismes de coordination lorsque l'on passe du travail unilateral au travail multilateral. A l'instar de Lindblom (1965), nous posons l'hypothese que, lors de l'accomplissement des taches, ces divers types de travail relationnel et de mecanismes de coordination sont lies par une relation de << compensation >>. Bien qu'ils puissent se combiner selon les projets d'intervention et les decisions, nos donnees nous laissent a penser que le travail multilateral peut compenser certaines faiblesses du travail bilateral (par exemple, la necessite de participation d'un plus grand nombre d'acteurs), et le travail bilateral celles du travail unilateral (par exemple, la necessite de la cooperation d'un autre acteur).

Ce tableau esquisse trois types de mecanisme de coordination. Tout d'abord des mecanismes d'ajustement mutuel disjoint, par lesquels les acteurs s'adaptent unilateralement aux sans-abri et aux actions des autres acteurs du secteur. Dans la prochaine section, nous presentons tres brievement un cas important d'ajustement unilateral qui nous a ete rapporte. On repere ensuite des mecanismes d'ajustement mutuel conjoint fondes sur des relations bilaterales entre deux organisations que nous analysons dans la section suivante. Nos informateurs ont aussi evoque l'existence de mecanismes d'ajustement mutuel conjoint multilateraux, c'est-a-dire qui impliquent plus de deux organisations simultanement. Certains de ces mecanismes multilateraux ont une existence relativement formalisee, comme le RAPSIM et les comites interorganisationnels, qui definissent des regles formelles (impersonnelles) d'appartenance et de fonctionnement. D'autres mecanismes multilateraux sont plus spontanes, comme le groupe de discussion dont nous allons parler un peu plus loin.

L'ajustement disjoint unilateral

Dans les annees 1970, un important organisme religieux d'aide aux sans-abri a vecu un moment charniere. Il s'est transforme et adapte pour composer avec la realite changeante des sans-abri, par ajustement disjoint unilateral. En effet, selon l'informateur 11, cet organisme s'est adapte de lui-meme aux changements de situation des sans-abri, apres avoir compris l'action des autres acteurs du secteur. Il a effectue des changements importants dans son offre de services et dans son fonctionnement pour tenir compte des besoins d'aide aux sans-abri et aussi des services offerts par les etablissements publics de services sociaux et de soins de sante. Le fait de s'adapter unilateralement permet une economie importante de coordination car on evite de devoir s'entendre globalement avec des dizaines d'autres acteurs au fonctionnement, au point de vue et aux interets differents voire divergents.

Des relations bilaterales peu formalisees encadrees par des normes sociales

L'ajustement mutuel bilateral conjoint repose sur des relations bilaterales. Selon nos informateurs, dans le secteur des services aux sans-abri, ces relations bilaterales sont peu formalisees et mettent en jeu l'echange social et les normes sociales de l'honnetete et de la reciprocite. Les competences organisationnelles reposent sur toute la richesse et la complexite de l'organisation sociale, sur tout le capital social des groupes humains (Putnam, 1993). Les mecanismes de l'organisation faiblement formalisee constituent des actifs importants de ce capital social, de son accumulation et de son deploiement. Nos informateurs temoignent du caractere peu formalise des relations et des ententes bilaterales qui se tissent dans le systeme d'aide aux sans-abri (voir l'auteur 2007a pour une presentation et une analyse detaillees des entrevues). Ils nous disent en particulier compter sur des ententes << informelles >> non ecrites et directes entre intervenants parce que << c'est plus efficace >> que les ententes ecrites entre gestionnaires qui ne << descendent >> pas sur le terrain. C'est ce phenomene des ententes non ecrites qu'illustre le temoignage suivant :

Extrait 1 : ORGANISATION PUBLIQUE (INFORMATEUR 6)

Q. Quelle sorte d'entente vous avez avec les organismes ou vous avez les cliniques ?

R. C'est informel. On a besoin de ces gens-la. Je veux dire, on a besoin de ces gens-la, on ne peut pas, nos clients sont dans le vide quand on fait des soins. Ils n'ont pas encore d'adresse. On a un lien privilegie avec les organismes pour nous aider. C'est un peu comme ca que je voyais ca. ca fait que non, il n'y a rien d'ecrit, c'est comme ca que ca s'est developpe, puis cela a continue comme ca. [...] C'est tout informel partout. [...] Il faut que ce soit les gens qui recoivent les clients [...] a un moment donne il y a eu une espece de mode, soit les cadres ou les medecins avec qui on travaillait qui disaient : << On va organiser une rencontre, on va rencontrer le docteur untel, le chef de la psychiatrie de ci, puis Madame une telle qui est la responsable des TS, puis ci, pins ca >>. Ca n'a jamais rien donne, je ne sais pas ou ca va, mais ca ne donne pas grand chose tandis que quand on va a l'hopital, on entre dans le poste des infirmieres puis on parle [...] C'est pour ca que je suis adepte de l'informel, je trouve ca plus efficace.

Des liens privilegies et peu formalises se developpent entre les personnes avec le temps et le travail de collaboration, et ils favorisent un esprit cooperatif et de bonne volonte. Ils presentent differents aspects particuliers que nous allons maintenant examiner. Il s'agit d'elements qui nous semblent propres au fonctionnement organique des systemes multiorganisationnels.

La prise en compte des interdependances

Selon nos informateurs, les relations bilaterales dans le secteur de l'aide et des services aux sans-abri permettent clairement la prise en compte d'interdependances entre les organisations et les services. Un exemple, parmi d'autres, d'interdependance fonctionnelle bien prise en compte sont les soins medicaux et l'hebergement supervise necessaires a l'accomplissement de ces soins, qui sont sous la responsabilite d'organisations distinctes, sans que cela n'empeche la combinaison de leurs services.

Extrait 2 : ORGANISATION PUBLIQUE (INFORMATEUR 7)

Il arrive une dame ici qui est en detresse, qui n'est vraiment pas bien et tout ca. On peut faire une approche, on peut meme lui donner une medication mais on va telephoner au Chainon pour demander de la garder. Pas simplement de la garder le soir, mais peut-etre de la faire monter au troisieme, quatrieme etage pour qu'on ait le temps de faire un plan de soins. On peut faire la meme chose avec OBM femmes, on peut faire la meme chose avec la Maison du Pere.

Trois methodes organisationnelles reposant sur des relations bilaterales contribuent a la prise en compte de certaines interdependances, soit l'aiguillage, l'intermediation et l'interpenetration des frontieres organisationnelles.

Les flux de services interdependants sont organises entre autres par l'aiguillage, ce que les intervenants appellent la << reference >>. Les intervenants font circuler les personnes a aider dans le systeme multiorganisationnel en les aiguillant vers les services et les organisations complementaires dont elles ont besoin. Chaque << noeud >> (intervenant ou organisation) du reseau est a la fois un lieu de service et un point d'aiguillage. Tous les noeuds contribuent donc a la coordination des services interdependants.

L'intermediation pousse encore plus loin la logique de l'aiguillage. Les intervenants accompagnent alors les sans-abri pour les aider a obtenir les services dont ils ont besoin dans les autres organisations. Un membre de l'une des organisations du secteur (pas toujours la meme) va mettre en relation la personne a aider avec chacune des autres organisations dont les seryices peuvent etre necessaires.

Etant donne que toutes les organisations publiques et communautaires dans le systeme multiorganisationnel font cet aiguillage et que plusieurs font cette intermediation, les portes d'entree aux services sont multiples pour les sans-abri. Cela augmente la probabilite que les personnes tres << desorganisees >> puissent etre reperees et introduites dans le systeme de services.

Dans l'interpenetration des frontieres organisationnelles, deux organisations se lient intimement dans leurs processus. C'est le cas, par exemple, des cliniques medicales hebdomadaires tenues dans les refuges par un CLSC, ou de l'acces privilegie qu'aura un organisme communautaire de soutien psychosocial aux services medicaux d'un CLSC.

Extrait 3 : ORGANISATION COMMUNAUTAIRE (INFORMATEUR 15) equipe itinerance vient ici a chaque mardi comme si elle etait une equipe qui etait integree dans l'equipe ici, puis quand on se presente, on sent un peu la meme chose, on peut se presenter avec un client la-bas pareil, comme si on etait d'une equipe externe qui ramene quelqu'un a l'interne.

La connaissance mutuelle

Dans un systeme organisationnel non hierarchique et peu formalise, la connaissance mutuelle du travail des acteurs du systeme joue un role important dans la prise en compte des interdependances. Elle est utile aussi bien pour les ajustements disjoints que conjoints. Cette connaissance mutuelle est creee et entretenue de plusieurs facons. La circulation des intervenants entre les organisations, sous la forme de visites, par exemple, y contribue. Les visites et les contacts peuvent resulter en un repertoire des autres organisations du systeme organisationnel. La connaissance mutuelle lorsqu'elle est developpee devient une connaissance des personnes, les intervenants des differentes organisations finissent par se connaitre personnellement.

L'ajustement mutuel et les normes sociales dans les relations d'echange

Dans le systeme multiorganisationnel illustre au Schema 1, il y a des relations bilaterales qui servent de moyens d'influence. L'influence sert par exemple a l'ajustement dans la comprehension de problemes partiellement communs a deux organisations aux philosophies de pratique differentes ; celle pour qui ces problemes sont au centre de l'attention influencant celle pour qui ils sont en peripherie. C'est le cas, par exemple, lorsque les intervenants d'un organisme communautaire rencontrent les agents d'un centre local d'emploi, afin d'expliquer la realite des jeunes de la rue a qui ils doivent remettre les cheques de securite du revenu.

L'influence par manipulation est proscrite dans les echanges (2). Comme l'explique l'informateur 2, dans les relations non hierarchiques, la legitimite d'une influence s'ancre dans les besoins des sans-abri. La volonte de persuasion est une qualite, mais elle est gouvernee par des normes de pertinence et d'honnetete dans les echanges de service et il y a une sanction, un prix a payer, si on transgresse ces normes.

Extrait 4 : ORGANISATION PUBLIQUE (INFORMATEUR 2)

Autant le mielleux que celui qui pousse trop les portes, ca ne marche pas mais si tu fais valoir d'abord le droit du client [...] La seule porte que tu peux jouer, c'est le besoin du client. Donc, bien connaitre l'autre ressource avec qui tu fais affaire mais accepter que ce sont eux autres les boss de cette ressource-la. Tu peux avoir une volonte de persuasion, ce n'est qu'une qualite parmi d'autres, mais si tu n'es pas honnete, ca ne marche pas.

La norme de la reciprocite, souvent formulee sous la forme de la regle du << donnant-donnant >> par nos informateurs, organise les echanges sociaux bilateraux dans le systeme d'aide aux sans-abri. Cette norme prescrit d'aider un intervenant d'une autre organisation en s'attendant a etre aide en retour par cette personne. La norme de la reciprocite dans les echanges de services a ete exprimee de la meme facon dans les organisations publiques et dans les organisations communautaires comme l'illustrent les deux extraits suivants :

Extrait 5 : ORGANISATION COMMUNAUTAIRE (INFORMATEUR 10)

Je refere les personnes la et eux, me referent. ca fait qu'on se donne des ... On se fait de l'echange de services, ca c'est quelque chose avec lequel je suis tres a l'aise parce qu'il y a du donnant-donnant.

Extrait 6 : ORGANISATION PUBLIQUE (INFORMATEUR 2)

C'est du donnant-donnant la aussi, un partenariat ne se fait jamais pour les beaux yeux, que ce soit avec le psychiatre ou autrement. C'est que nous avons besoin d'eux et ils ont besoin de nous.

Le respect mutuel en tant que condition de possibilite des relations bilaterales

Les relations entre intervenants des diverses organisations etant largement volontaires, elles doivent, idealement, avoir un caractere egalitaire et s'appuyer sur le respect mutuel, qui necessite entre autres que les uns et les autres se jugent credibles et utiles. La credibilite et l'utilite peuvent se juger par la reputation, et resultent en partie de la competence et de la capacite qu'on percoit chez les partenaires a composer avec les problemes a resoudre.

La proximite geographique et fonctionnelle

La centralite des problemes associes a l'itinerance determine la connaissance que les membres d'une organisation ont du systeme d'aide aux sans-abri et l'intensite des relations entretenues avec les autres organisations de ce systeme. Les sans-abri se concentrent dans un petit secteur de Montreal, le << centre-sud >>. Les organisations de ce secteur doivent composer regulierement avec le phenomene des sans-abri. Selon leur proximite du centre-sud et la centralite de l'itinerance dans leur offre de services, les organisations sont plus ou moins familieres avec les organisations ayant pour mission premiere les services aux sans-abri.

La connaissance mutuelle s'entretient dans les relations bilaterales et multilaterales. Lorsque la necessite pour deux organisations d'entretenir des relations entre elles est faible, leur connaissance mutuelle est limitee. D'une facon presque automatique, les organisations tendent a ajuster leur niveau de connaissance du systeme d'aide et des problemes associes aux sans-abri, de meme que leur niveau de participation a ce systeme, en fonction des besoins qu'ils decouvrent dans l'accomplissement de leur travail. C'est un mecanisme auto-organisationnel de division et de differentiation des connaissances et des capacites pour composer avec la complexite dans un systeme multiorganisationnel. La proximite geographique et physique apporte egalement un avantage en soi dans le fonctionnement du systeme d'aide aux sans-abri parce qu'elle favorise la circulation des personnes d'une organisation a l'autre et les contacts personnels dans les relations bilaterales.

Une organisation du travail peu formalisee

Les ressources, les connaissances et les competences sont largement reparties parmi l'ensemble des participants du systeme multiorganisationnel. Lorsque le systeme fonctionne bien, l'autorite et les communications se concentrent de facon ad hoc sur les differents points du reseau qui ont les connaissances, les competences et les ressources pour regler les problemes du moment. Il faut faire un certain travail d'ajustement mutuel pour etablir qui fait quoi, tout n'est pas fixe d'avance et il faut interpreter chaque cas pour etablir qui sera mieux place pour agir.

Dans ce type de fonctionnement, il n'y a pas de division fixe et rigide du travail. Les roles de chacun se definissent et se redefinissent par ajustement unilateral disjoint, ou par ajustement mutuel conjoint dans leur travail quotidien. Leurs interactions sont alors souvent gouvernees, entre autres, par une norme sociale de reciprocite. Les intervenants doivent regulierement tenter de decouvrir quel devrait etre leur role, ce qu'ils devraient faire et avec qui ils devraient collaborer. Il demeure toujours une certaine indetermination dans les roles et les taches respectifs de chaque organisation publique ou communautaire. On observe des elements de ce mode de fonctionnement et d'organisation dans le systeme de l'aide aux sans-abri a Montreal et dans la facon dont il s'est constitue.

Extrait 7 : ORGANISATION PUBLIQUE (INFORMATEUR 1)

Au debut, quand je suis arrivee en 1997, je faisais du travail de rue, il y avait un collegue et moi qui faisions du travail de rue comme tel, on a fait plusieurs phases exploratoires du travail de rue. Il y a eu tout un debat autour de ca, a savoir est-ce que le [nom d'un etablissement], qui est un centre de deuxieme ligne, devait faire du travail de premiere ligne.

Cette indetermination chronique est necessaire et essentielle pour assurer la souplesse et l'adaptabilite propre a ce type d'organisation. Weick et McDaniel (1989: 347) expliquent pourquoi : << organic systems can be restless organizations where there is a continuous search for definition, information, and meaning. If everyone is slightly uncertain most of the time, then attentiveness and discussion increase, which means that more is known >>. Uindetermination formelle ouvre la porte a l'adaptation continue, mais elle n'est pas sans couts ni sans inconvenients. Il n'y a pas de mecanismes organisationnels gratuits et << parfaits >> (Grandori 2001). Cette indetermination n'est pas toujours tres confortable pour les intervenants et les gestionnaires. Il y a aussi des inconvenients a compter sur des rapports entre personnes plutot que sur des mecanismes formels (des contrats, des procedures ecrites qui definissent qui fait quoi, etc.) Notre informateur 1, par exemple, en vient a se demander s'il ne serait pas avantageux d'avoir un << plan concerte >> pour etablir les roles de chacun de facon plus formelle que par une entente verbale entre deux gestionnaires ou deux intervenants. Des que les personnes quittent leur fonction, tout est a recommencer, nous dit cet informateur :

Extrait 8 : ORGANISATION PUBLIQUE (INFORMATEUR 1)

Ca fait que si j'avais un plan concerte, puis dire mon role c'est ca, moi je te donne ca puis toi tu me donnes ca, la pointe de tarte, t'as pas a refaire, a redessiner a chaque fois que l'acteur change. Tant que France Lebel va etre la, ca va etre bien, le jour qu'elle n'est plus la, on va avoir un probleme. Je vais avoir a refaire mes devoirs puis c'est dans ce sens-la que je trouve qu'il faut qu'il y ait un plan plus concerte en termes de reseautage a faire. [...] Quand l'entente, le partenariat repose sur l'individu qui est en face de toi, c'est fragile, c'est precaire, c'est pour ca que je me dis << est-ce que le domaine de l'itinerance ne serait pas gagnant a Montreal si on avait un plan d'action? >>

Un tel << plan d'action >> ne serait pas dans l'esprit d'une organisation au fonctionnement << organique >> s'il devenait formalise. Il introduirait une dose de rigidite dans un systeme fonde sur l'initiative des personnes et l'ajustement mutuel.

Les systemes organisationnels peu formalises sont naturellement marques par les personnes qui les animent et par leurs initiatives entrepreneuriales. Les intervenants ne sont pas anonymes dans un tel systeme, qui cree des reputations et compte sur la generation de << visions >> inspirantes dans la construction et la transformation des interpretations de la realite. Ces visions sont generalement etroitement associees a Faction, compte tenu de la difficulte de separer la pensee et Faction (comme on tend a le faire dans une organisation hierarchique) en situation de complexite des connaissances et des valeurs. Au cours de notre enquete, nous avons recu des temoignages sur l'importance des personnes et de leurs initiatives interpretatives et entrepreneuriales dans la constitution du systeme montrealais de l'aide aux sans-abri. Les personnes dont il est question dans ces temoignages ont fait carriere dans les etablissements publics de sante et de services sociaux, ce qui temoigne de la contribution de ces derniers a la genese du systeme organique d'aide aux sans-abri.

Les liens entre les organisations sont donc largement associes aux personnes. Cela peut signifier que certaines personnes ne se parlent pas parce qu'elles ne voient pas les choses de la meme facon. Une nouvelle personne a la direction d'un organisme peut changer le portrait des relations entre organisations. Il y a des solutions << organiques >> permettant d'attenuer les effets negatifs de compter sur des relations inter-personnelles plutot que sur des mecanismes formels. Il faut une certaine dose de redondance dans le reseau, et a chaque point du reseau, pour eviter des ruptures fonctionnelles trop importantes dans les relations et les echanges. La chasse aux redondances et aux duplications est assez peu avisee dans ce contexte. Des mecanismes de mise en relation sont necessaires a la fois pour preparer la releve et pour assurer les interactions indispensables au fonctionnement normal du systeme multiorganisationnel.

Le role de la communaute des sans-abri

Il existe des relations importantes pour la coordination des services qui n'apparaissent pas dans le Schema 1. Ce sont les relations entre les sans-abri eux-memes. Les appels a l'integration des services mettent l'accent sur l'incapacite qu'auraient les sans-abri a se retrouver dans les dedales d'un systeme organisationnel fragmente. Suite au temoignage de l'un de nos informateurs, nous voudrions soumettre une autre hypothese, a savoir que les itinerants forment une communaute qui diffuse des informations sur les services disponibles, et qui joue de ce fait un role non negligeable dans la << coordination des services >>.

Une equipe bi-organisationnelle

Il existe au moins une equipe bi-organisationnelle qui a une existence formelle, soit la clinique de troisieme ligne Cormier-Lafontaine, creee en 2001 par le Centre Dollard-Cormier et l'Hopital Louis-H. Lafontaine pour traiter conjointement les problemes de toxicomanie et de sante mentale. Le cadre formel de cette equipe fournit un contexte pour les interactions non formelles qui caracterisent le travail d'equipe a base d'ajustement mutuel.

Pourquoi un cadre formel dans ce cas-ci et non dans les autres cas de collaboration interorganisationnelle? Le traitement simultane des graves problemes de sante mentale et de toxicomanie est difficile parce que les services de psychiatrie et de toxicomanie sont traditionnellement incompatibles, comme le souligne l'un de nos informateurs qui nous parle de la clinique Cormier-Lafontaine :

Extrait 9 : ORGANISATION PUBUQUE (INFORMATEUR 1)

Avant, on avait un grand probleme, c'etait << vas regler ton probleme de sante mentale, puis on va te prendre en toxico >>, puis en sante mentale << vas d'abord regler ton probleme de toxico, ensuite on va te prendre en sante mentale >>. C'etait toujours l'oeuf ou la poule.

Afin de resoudre ces problemes importants d'incompatibilite, il fallait probablement donner un cadre d'existence formel permettant aux personnes travaillant dans des etablissements distincts d'investir de facon importante dans un travail d'equipe multifonctionnelle intense et creatif. Les relations bilaterales faiblement formalisees ne sont pas une solution a tous les problemes d'interdependance entre les organisations d'un systeme multiorganisationnel. Des mecanismes plus formels de collaboration sont parfois necessaires pour permettre un travail d'equipe multiorganisationnel tres dense et de longue duree dans des univers de services qui ne se rejoignent pas ou sont incompatibles.

L'ajustement conjoint multilateral dans l'aide aux sans-abri

La coordination bilaterale que nous avons observee dans les relations d'echanges et que nous avons analysee dans la section precedente comporte des faiblesses, meme lorsqu'elle est bien organisee, et malgre tous ses avantages. Chisholm (1989: 151) explique le contexte de ces faiblesses : << Multiorganization becomes a problem, even when informalities are well developed, when coordination solutions to the prevailing interdependence have certain asymmetries of costs and benefits, or when they require the cooperation of several agencies >>. Uajustement mutuel conjoint et multilateral permet de compenser certaines deficiences des relations essentiellement bilaterales. Il prend place entre autres dans des groupes de discussion, des tables de concertation, et des comites interorganisationnels.

Un groupe de discussion

Deux informateurs nous ont decrit le fonctionnement d'un groupe de discussion peu formalise fort interessant. Il a probablement constitue, lorsqu'il existait, un dispositif de coordination interorganisationnelle multilaterale non negligeable et peu couteux. Une dizaine d'intervenants, de travailleurs sociaux et d'infirmieres de rues appartenant a diverses organisations publiques et communautaires se reunissaient le mardi midi a la Maison du Pere pour manger ensemble et discuter. Ce type de groupe de discussion amical peut jouer un role important d'intensification des relations entre les intervenants du secteur des sans-abri, ce qui favorise et facilite la connaissance mutuelle, les echanges sociaux et les engagements reciproques. Il permet egalement de travailler en commun les cadres d'interpretation de la realite des sansabri dans un contexte agreable, denue de conflits d'interet et de contraintes organisationnelles, ce qui facilite ensuite les echanges et les ajustements bilateraux. Evidemment, un tel groupe de discussion n'est pas sans cout, entre autres pour l'organisation qui offre le repas. Il y a asymetrie des couts, qui sont a la charge d'une seule organisation. Comment dans ce contexte favoriser l'emergence et la persistance d'un tel groupe de discussion? Cela peut tres bien etre le role d'un organisme regional de favoriser l'emergence de divers mecanismes de coordination multilauerale (Chisholm 1989), comme on le voit dans le cas presente au paragraphe suivant. Cet organisme pourrait financer les initiatives multilaterales qui impliquent une asymetrie de couts pour l'initiateur tout en servant l'ensemble des organisations du secteur.

Un comite de liaison

Certains informateurs nous ont parle d'un << comite de liaison >> en itinerance, un dispositif multilateral plus formalise que le groupe de discussion, et qui constitue un lieu dans lequel peut prendre place une coordination peu formalisee par ajustement mutuel multilateral. Il s'agit du Comite de liaison en itinerance de la RRSSS-MC (instance regionale transformee en Agence de la sante et des services sociaux de Montreal dans la derniere reforme structurelle en date). Voici comment Roy et al. (2006 : 33) decrivent ce comite en s'appuyant sur un document interne de la Regie :

Ce comite est constitue par la RRSSS-MC dans le but d'arneliorer l'acces aux services sociaux et de sante pour la << clientele >> itinerante de Montreal, sous la responsabilite conjointe de la RRSSS-MC, de la Ville de Montreal et du RAPSIM. On y poursuit des objectifs de << concertation >> et de << collaboration >> sur la question de l'itinerance a Montreal, de definition des questions prioritaires, de l'identification des pistes de solution a proposer aux instances concernees ou a mettre en place directement.

Ce comite a contribue par exemple a la mise en place du programme federal IPAC de financement de l'aide aux sans-abri (3) et aux mesures d'urgence pour faire face aux debordements des refuges durant l'hiver. Le comite de liaison en itinerance illustre une contribution importante apportee par une instance comme la regie regionale dans un systeme multiorganisationnel qu'elle ne dirige pas ; c'est-a-dire un soutien pour l'organisation de mecanismes d'ajustement mutuel multilateraux qui n'emergent pas toujours spontanement, ou ne peuvent avoir la meme intensite de fonctionnement.

L'un de nos informateurs souligne, pour le deplorer, que ce comite de liaison n'a aucune autorite formelle et que son mandat est plutot de favoriser l'entente entre les acteurs concernes par les sans-abri. Notre informateur semble penser qu'il serait opportun que le comite ait une certaine autorite ou a tout le moins un pouvoir de recommandation formel au sein de l'instance regionale de sante et de services sociaux. Le comite de liaison a connu une position de ce type dans l'implantation a Montreal du programme federal IPAC. Le comite a contribue, non sans effort et dans un processus long et difficile, a la selection des projets finances par le programme. Est-ce qu'une instance representative de ce type est le meilleur moyen d'allouer des ressources dans un systeme multiorganisationnel? En fait, il n'existe pas de mecanisme ou de dispositif ideal pour cette tache. Tout mecanisme a ses forces et ses faiblesses sur le plan de la connaissance et de la cooperation. La force d'un systeme multiorganisationnel reside dans la multiplicite des mecanismes en jeu. A l'inverse, la bureaucratie unifiee est monopolistique et soumise a une gouverne rationalisante qui tend a diminuer la variete des mecanismes. Le projet IPAC en lui-meme a augmente non seulement le financement public destine aux sans-abri, mais il a aussi enrichi le nombre de sources de ce financement public et la variete des methodes et des criteres pour attribuer ce financement. La diversite des demarches et des regards est une strategie importante et necessaire pour composer avec la complexite. Elle decoule tout naturellement du scepticisme qu'il faut entretenir vis-a-vis des cadres d'interpretation et d'intervention monopolistiques. Uun des interets du programme IPAC est le fait qu'il venait en supplement de ce qui se faisait deja, et non en remplacement. C'est ce qui a permis d'ajouter une couche supplementaire d'ajustement mutuel dans le systeme et d'accentuer la portee des dispositifs d'ajustements mutuels existants. Dans cette variete des modes de financement, il faut pouvoir compter sur une part non negligeable de financement souple. Les financements gouvernementaux sont en general assez rigides. Comme nous le souligne l'un de nos informateurs, les organismes charitables et religieux ont joue un role important, a titre de sources de financement souple, dans la genese et l'adaptation du systeme multiorganisationnel au contexte changeant.

Un regroupement d'organismes

La selection des projets finances par IPAC a repose largement sur des mecanismes d'ajustement mutuels conjoints impliquant discussion, argumentation et negociation entre plusieurs des acteurs du secteur de l'aide aux sans-abri de Montreal, entre autres au sein de dispositifs representatifs plus ou moins formalises comme le comite de liaison en itinerance et le RAPSIM. Le RAPSIM constitue un dispositif de coordination interorganisationnelle faisant une place importante aux ajustements mutuels multilateraux dans son fonctionnement propre et dans son action dans la societe. Il contribue a constituer un cadre d'interpretation de la realite des sans-abri et des services qui leur sont destines. Il vehicule ses interpretations a l'exterieur, aupres des gouvernements, et dans la societe en general ou il peut jouer un role dans la construction collective de nos representations du phenomene des sans-abri et de notre evaluation de cette realite. Cette fonction est importante car la resolution des problemes societaux complexes necessite souvent la transformation des representations et des valeurs d'une partie importante de la societe (Lindblom 1990).

Quelques reflexions sur les couts de la coordination par ajustement mutuel

L'adaptation par ajustement mutuel disjoint et unilateral a l'avantage de necessiter relativement peu de travail relationnel, c'est-a-dire peu de discussion, d'echange et de negociation avec les autres acteurs du secteur. Elle mobilise tous les acteurs au service de l'adaptation et de la coordination. Elle necessite une certaine connaissance du secteur de l'aide aux sans-abri et son cout resulte de la construction et de l'entretien de cette connaissance mutuelle des acteurs du systeme. Elle permet un ajustement important de l'action des uns et des autres parce que chacun fait le travail de s'adapter aux autres et aux circonstances. Les 73 organisations que nous avons repertoriees dans notre etude font chacune a leur facon un travail important de coordination et d'adaptation en prenant en compte la situation des sans-abri et l'aide qui leur est destinee.

Les ajustements mutuels bilateraux coutent en general plus cher que les ajustements unilateraux parce qu'ils necessitent d'entretenir une serie de relations avec un nombre plus ou moins grand de partenaires. Les 73 organisations que nous avons repertoriees entretiennent plus de 125 interconnexions, dont beaucoup apparaissent bilaterales, en complement de leur adaptation disjointe. Ces relations bilaterales contribuent a la connaissance mutuelle des acteurs du secteur et donc a la qualite de l'ajustement disjoint.

Tous les mecanismes multilateraux, qui s'ajoutent aux mecanismes bilateraux sans necessairement les remplacer, augmentent aussi les couts de la coordination, comme plusieurs de nos informateurs l'ont fait remarquer. L'un d'entre eux, par exemple, nous a souligne l'ampleur du travail qui a ete necessaire pour etablir le plan communautaire qui a servi a selectionner les projets finances par le programme IPAC. Un autre informateur fait valoir bien clairement l'interet de l'ajustement bilateral par rapport aux << tables de concertation >> multilaterales, et evoque le cout en temps plus eleve de ces dernieres. Dans son esprit, il ne faut donc pas mobiliser un mecanisme multilateral la ou un mecanisme bilateral suffit. C'est un principe de parcimonie. Dans bien des circonstances, en effet, la coordination par ajustements bilateraux coute moins cher que la coordination par ajustements multilateraux. Les couts eleves de la coordination conjointe multilaterale proviennent, entre autres, du travail d'argumentation, de persuasion et de negociation necessaire pour composer avec des perspectives, des valeurs, des points de vue et des interets differents, voire divergents ou opposes. Le cout de la coordination est paye en ressources rares : temps et argent, bonne volonte, << energie nerveuse >> et autres. La surcharge de ce type de mecanisme est facile a atteindre.

Conclusion

Le systeme multiorganisationnel des services aux sans-abri a Montreal Centre compose avec un niveau eleve de complexite des connaissances, des valeurs, des fins et des interets en jeu. Comme dans les services humains, sociaux et medicaux en general, les fins et les moyens sont multiples, problematiques et ambigus (Hasenfeld et English 1974; Hasenfeld 1983). Ils sont egalement un enjeu de societe touchant des conceptions et des interets plus ou moins divergents (Damon 2002). Ils font l'objet de conflits de jugements et d'interets dans la population et chez les experts. Pour que le systeme des services aux sans-abri puisse accomplir son travail, il doit etre organise de facon a pouvoir tenir compte de ces caracteristiques.

Un systeme multiorganisationnel est un mode d'organisation pouvant contribuer a composer avec la complexite caracterisant les services humains et les services aux sans-abri. Il y arrive en faisant appel, comme nous l'avons constate a Montreal Centre, a une multiplicite d'organisations, a des relations peu formalisees entre les organisations, a une organisation du travail flexible, a des processus d'ajustement mutuel disjoints et conjoints, bilateraux et multilateraux, a du financement souple, a des initiatives entrepreneuriales des gens de terrain, a des communautes professionnelles, sectorielles et de praticiens. La contribution de notre etude est de reperer et de mettre en valeur des mecanismes organisationnels << organiques >> a base d'ajustement mutuel dans le fonctionnement d'ensemble du systeme multiorganisationnel de l'aide aux sans-abri a Montreal.

Un aspect important de ces mecanismes organisationnels est qu'ils reposent largement sur le travail des intervenants eux-memes au cours de leurs interventions. Les gestionnaires interviewes nous ont parle de leurs roles d'avocat, de << tampon >> et de facilitateur dans ce contexte organisationnel bien particulier. La coordination interorganisationnelle n'est pas un aspect administratif distinct du travail clinique, il en fait partie integrante. C'est bien sur la vision mecaniste et hierarchiste des organisations qui nous fait percevoir comme un absolu la division verticale entre le travail administratif des gestionnaires et le travail clinique des intervenants. Une partie non negligeable de l'organisation que nous avons etudiee se trouve dans les relations fissees par les differents acteurs de terrain. Notre recherche s'inscrit donc dans un enjeu important de l'administration publique, celui de la nature des arrangements interorganisationnels.

On peut, en effet, reperer deux perspectives dans les recherches en administration publique (en particulier dans le domaine de la sante) concernant les arrangements interorganisationnels. D'un cote, l'approche dominante se concentre sur des objets d'etude de nature formalisee comme les structures de partenariats, de collaboration ou encore de reseaux; on privilegie alors souvent une perspective a distance du terrain qui tente d'integrer ou de coordonner les services dans leur ensemble (Whetten et Rogers 1982; Bolland et Wilson 1994; Alexander 1995; Provan et Milward 1995; Fleury 2006). De l'autre cote, certains chercheurs s'interessent aussi a une coordination moins formalisee prenant place, de facon plus ad hoc, dans les interventions des praticiens (Alexander, 1995) ; certains nomment cette coordination, integration au niveau de la rue (Rowe et al. 1998) ; d'autres, integration au niveau des cliques (Provan et Sebastian 1998); ou encore coordination relationnelle (Gittell 2006). Ces chercheurs s'interessent alors davantage aux interventions et decisions accomplies par les intervenants et, dans une moindre mesure, par les gestionnaires.

Notre recherche renforce et complete ces recherches demontrant que l'integration au niveau de la rue permet d'accomplir une coordination dans et par le travail d'intervention ainsi que par les interactions qu'il met en branle (Rowe et al. 1998). Ces liens etroits dechanges, d'aiguillage et de gestion de cas peuvent etre organises sous forme de << cliques >> entre des organisations qui dispensent des services; cette integration au niveau des cliques est alors plus efficace que l'integration au niveau du systeme dans son ensemble en termes d'amelioration de la condition de vie et de satisfaction des patients (Provan et Sebastian 1998). L'image de la clique met l'accent sur la nature relationnelle de la coordination et de l'organisation des relations interorganisationnelles. La coordination relationnelle de Gittell (2006) met precisement de l'avant cette dimension << interpersonnelle >> de l'integration. Cette chercheuse a etudie la coordination du travail dans le secteur de la sante (Gittell et Weiss 2004; Gittell 2008) et de la gestion des vols dans les aeroports (Gittell, 2006), soit autant de taches impliquant beaucoup d'interdependance, d'incertitude ainsi qu'une certaine urgence. Cette coordination est l'accomplissement des << operateurs >> de premiere ligne qui entretiennent alors des relations marquees par des buts et des savoirs partages ainsi qu'un respect mutuel. Elle peut aussi etre soutenue ou facilitee par les gestionnaires (Gittell et Weiss 2004). Ce type de coordination serait aussi lie positivement a l'efficacite ou a la performance organisationnelle ainsi qu'a la qualite de l'intervention (Gittell et Weiss 2004).

La portee de notre etude est limitee parce qu'elle n'evalue pas systematiquement la contribution de chacun des mecanismes reperes pour les services aux sans-abri ; ni s'il y en a suffisamment, ni si leur proportion est adequate (unilateraux versus bilateraux versus multilateraux). Nous sommes donc incapables de faire un diagnostic precis sur ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas dans l'organisation de l'aide et des services aux sans-abri a Montreal Centre du point de vue de la logique des systemes multiorganisationnels organiques. Nous pouvons toutefois affirmer que les mecanismes organisationnels observes sont en principe tout a fait appropries, legitimes, credibles et pertinents a la lumiere des sciences de l'organisation. Nous pouvons aussi evoquer les principaux moyens organiques qu'on pourrait utiliser pour ameliorer, si necessaire, ce systeme et la valeur des services qu'il produit. Si l'on souhaite respecter cette logique organique, il faut favoriser les mecanismes organisationnels faisant la force de ces systemes, plutot que de pousser vers l'integration formelle et la reduction de la redondance. Ces principes peuvent possiblement etre utiles dans tous les systemes multiorganisationnels de services humains complexes. On peut, par exemple, favoriser la multiplicite, la diversite et l'autonomie des organisations, des projets, et des sources de financement. On peut aussi favoriser la circulation des personnes, les rencontres, les discussions et les echanges entre organisations et intervenants grace, notamment, a des mecanismes interorganisationnels tels que des groupes de discussion, des equipes, des tables rondes et des comites interorganisationnels. Un organisme regional comme l'Agence de la sante et des services sociaux de Montreal a certainement un role a jouer dans un tel systeme multiorganisationnel, en facilitant par exemple l'emergence et le fonctionnement de mecanismes d'ajustement mutuel multilateraux.

Bibliographie

Alexander, Ernest R. 1995. How Organizations Act Together: Interorganizational Coordination in Theory and Practice. Amsterdam: Gordon and Breach Publishers.

Bolland, John M. et Jan V. Wilson 1994. << Three Faces of Integrative Coordination: A Model of Interorganizational Relations in Community-Based Health and Human Services. >> HSR: Health Services Research 29 (3) : 341-366.

Bourgault, Jacques (dir.). 2002. Horizontalite et gestion publique. Quebec: Presses de l'Universite Laval.

Burns, T. et G.M. Stalker. 1994. The Management of Innovation, 3e Ed. (Premiere Edition 1961). Oxford: University Press.

Chisholm, D. 1989. Coordination without Hierarchy. Informal Structures in Multiorganisational Systems. University of California Press.

Dahl, R.A. et B. Stinebrickner. 2003. Modern Political Analysis, 6e Ed. Prentice Hall.

Damon, Julien. 2002. La question SDF. Critique d'une ection publique. Paris: PUF.

Demers., L. et G. Cote. 2004. Le Plan d'action communautaire sur l'itinerance de Quebec. Ses effets sur les outils et les pratiques de collaboration. ecole nationale d'administration publique.

Donaldson, L. 2001. The Contingency Theory of Organizations. Sage Publications.

Dupuis, A. 2007a. La gouvernance non hierarchisee et peu formalisee du systeme multiorganisationnel de l'aide aux sans-abri a Montreal. Cahier du CERGO, 2007-01.

Dupuis, A. 2007b. La complexite des connaissances et des valeurs dans l'organisation des services humains. Le cas de l'aide aux sans-abri. Cahier du CERGO, 2007-05.

Fleury, M.-J. 2006. << Integrated service networks: the Quebec case. >> Health Services Management Research 19 (3): 153-65.

Gittell, Jody Hoffer. 2008. << Relationships and Resilience. Care Provider Responses to Pressures from Managed Care >>, Journal of Applied Behavioral Science 44 (1): 25-47.

Gittell, Jody Hoffer. 2006 << Relational Coordination: Coordinating Work Through Relationships of Shared Goals, Shared Knowledge and Mutual Respect >>, dans O. Kyriakidou et M. Ozbilgin, (ed.) Relational Perspectives in Organizational Studies: A Research Companion. Londres: Edward Elgar : 74-89.

Gittel, Jody Hoffer et Leigh Weiss. 2004. << Coordination networks within and across organizations >> Journal of Management Studies 41 (1) : 127-53.

Glisson, C. 1992 << Structure and Technology in Human Service Organizations. >> dans Yeheskel Hasenfeld, (dir.), Human Services as Complex Organizations. Sage Publications.

Grandori, A. 2001. Organization and Economic Behavior. Londres and New York : Routledge. Hasenfeld, Y. 1983. Human Service Organizations. Englewood Cliffs (New Jersey) : Prentice-Hall.

Huxham, Chris et Sir Vangen. 2005. Managing to collaborate: the theory and practice of collaborative advantage. London, New York : Routledge.

Jones, C.W.S. Hersterly et S.P. Borgatti. 1997. << A General Theory of Network Governance : Exchange Conditions and Social Mechanisms >> The Academy of Management Review 22 (4) : 911-45.

Landau, M. 1991. << On Multiorganizational Systems in Public Administration >>, Journal of Public Administration 1, January : 5-18.

Lindblom, C.E. 1965. The Intelligence of Democracy. Yale University Press.

Lindblom, C.E. 1990. Inquiry and Change. Yale University Press.

Mandell, Myrna P. et Toddi A. Steelman. 2003. << Understanding what can be accomplished through interorganizational innovations. The importance of typologies, context and management strategies >>, Public Management Review 5 (2) : 197-224.

Mintzberg, H. 1989. Mintzberg on Management. Inside Our Strange World of Organizations. Free Press.

Mcguire, Michael. 2006. << Collaborative Public Management : Assessing What We Know and How We Know It >>, Public Administration Review 66 (s1) : 33-43 (Symposium on Collaborative Public Management).

Morgan, G. 2006. Images of organizations, updated edition. Sage publications.

Provan, Keith G. et P. Kennis. 2007. << Modes of Network Governance : Structure, Management, and Effectiveness >>, Journal of Public Administration Research and Theory.

Provan, Keith G. et Juliann G. Sebastian. 1998. << Networks within networks : service link overlap, organizational cliques, and network effectiveness >>, Academy of Management Journal 41 (4) : 453-63.

Provan, Keith G. et H.Brinton Milward. 1995. << A Preliminary Theory of Interorganizational Network Effectiveness : A Comparative Study of Four Community Mental Health Systems >>, Administrative Science Quarterly 40 (1) : 1-33.

Putnam, R. 1993. Making Democracy Work. Civic Traditions in Modern Italy. Princeton University Press.

Racine, G. 2000a. << La construction de savoirs d'experience chez des intervenantes d'organismes communautaires pour femmes sans-abri : un processus participatif, collectif et non planifie >>, Nouvelles pratiques sociales 13 (1) : 69-84.

Racine, Guylaine. 2000b. Production de savoirs d'experience chez les intervenants sociaux. Paris : L'Harmattan.

Roche, Martin. 2004. << Complicated Problems, Complicated Solutions? Homelessness and Joined-up Policy Responses >>, Social Policy and Administration 38 (7) : 758-74.

Rogers, David L. et David A. Whetten. (dir.). 1982. Interorganizational Coordination: Theory, Research, and Implementation. Ames : Iowa State University Press.

Rowe, Michael, Michael A. Hoge et Deborah Fisk. 1998. << Services for mentally ill homeless persons : Street-level integration >>, American journal of orthopsychiatry 68 (3) : 490-96.

Roy, S., D. Morin, F. Lemetayer et C. Grimard. 2006. Itinerance et acces aux services: problemes et enjeux. Collectif de recherche sur l'itinerance, la pauvrete et l'exclusion sociale.

Scott, W.R. 2003. Organizations, Rational, Natural, and Open Systems, 5e edition. Prentice Hall.

Strauss, Anselm. 1993. Continual Permutations of Action. New York : Aldine de Gruyter.

Weick, K. 1985. << Sources of Order in Underorganized Systems >>, dans Karl Weick. 2001. Making Sense of the Organization. Blackwell Publishers : 32-56.

Weick, K. 1993. << Organizational Redesign as Improvisation. >>, dans K. Weick. 2001. Making Sense of the Organization. Blackwell Publishers : 57-91.

Weick, K. et R.R. McDaniel JR. 1989. << How Professional Organizations Work: Implications for School Organization and Management >>, Dans Sergiovanni, T.J. et J.H. Moore, Schooling for Tomorrow. Allyn and Bacon : 330-55.

Alain Dupuis (Ph.D.) est professeur de management a Teluq (UQAM) ; Luc Farinas est candidat au doctorat a l'ENAP et chercheur au Centre de recherche sur la gouvernance (Cergo).

Notes

(1) Definitions des acronymes utilises : Centre local d'emploi (CLE), services d'aide sociale et d'Emploi-Quebec; Federation des O.S.B.L. d'habitation de Montreal (FOHM); Le Groupe d'Entraide a l'Intention des Personnes Seropositives, Itinerantes et toxicomanes (GEIPSI); Regie regionale de la sante et des services sociaux de Montreal (RRSSS); Regroupement intersectoriel des organismes communautaires de Montreal (RIOCM); Reseau alternatif et communautaire des organismes en sante mentale du Montreal metropolitain (RACOR); Reseau d'aide aux personnes seules et itinerantes (RAPSIM).

(2) Dahl et Stinebrickner (2003: 41) decrivent de la facon suivante ce type d'influence : << In contrast to persuasion, manipulation occurs when A influences B by communication in which A intentionally distorts, falsifies, or misleadingly omits aspects of truth known to A that, if communicated to B, would affect B's thinking or acting'.

(3) Sur le programme IPAC, voir Demers et Cote. 2004. Tableau 1. Les organisations participant a la recherche Organisations participantes Secteur public Secteur communautaire Centre Dollard-Cormier Accueil Bonneau Equipe Itinerance L'Anonyme (CLSC-Les Faubourgs) Hopital Saint-Luc Auberge Madeleine Dans La Rue Maison du Pere RAPSIM (Reseau d'aide aux personnes seules et itinerantes de Montreal) Refuge des Jeunes Tableau 2. Types de mecanismes d'ajustement mutuel Type de coordination Type de travail relationnel necessaire pour realiser la coordination 1. Ajustement mutuel disjoint unilateral 2. Ajustement mutuel conjoint bilateral 3. Ajustement mutuel conjoint multilateral
联系我们|关于我们|网站声明
国家哲学社会科学文献中心版权所有