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  • 标题:Les gestionnaires de l'ombre: les directeurs de cabinets ministeriels quebecois.
  • 作者:Maltais, Daniel ; Harvey, Marie-Eve
  • 期刊名称:Canadian Public Administration
  • 印刷版ISSN:0008-4840
  • 出版年度:2007
  • 期号:March
  • 出版社:Institute of Public Administration of Canada

Les gestionnaires de l'ombre: les directeurs de cabinets ministeriels quebecois.


Maltais, Daniel ; Harvey, Marie-Eve


Le mystere entourant les cabinets ministeriels

Les cabinets ministeriels regroupent le personnel qui travaille dans l'environnement immediat des ministres. (2) Leurs fonctions multiples peuvent se resumer a appuyer le ministre dans ses nombreuses taches de ministreet de depute representant un comte.

L'affirmation que les cabinets ministeriels existent pour appuyer les ministres devrait soulever l'interet de quiconque s'interesse au travail de ces derniers, aux mecanismes des decisions ministerielles, a l'interface entre les decideurs politiques (les ministres) et l'appareil administratif qu'incarnent les sous-ministres. Pourtant, le fonctionnement des cabinets ministeriels a ete peu etudie. En effet, depuis que l'Americain Woodrow Wilson (3) s'est fait l'avocat du principe de la separation entre le pouvoir politique et l'administration--un principe encore largement promu dans les regimes politiques democratiques occidentaux--on a davantage analyse les appareils administratifs, negligeant du coup les relations entre ces derniers et leurs responsables politiques, les ministres. Cette lacune peut aussi s'expliquer par les opinions souvent peu flatteuses vehiculees au sujet du personnel de cabinets ministeriels : un personnel souvent jeune, peu experimente et dont les contacts partisans, davantage que leurs competences, leur vaudraient d'etre en poste. En outre, on leur reproche souvent d'etre imbus d'un pouvoir emprunte, pretentieux et hostiles a l'endroit de la << machine >> administrative. (4) Bref, il semble toujours exister un certain mystere sur les roles joues par les personnels des cabinets ministeriels et sur leur facon d'exercer ces roles.

Nous avons choisi d'etudier les roles des directeurs et directrices des cabinets ministeriels qui occupent une position privilegiee pour influencer leur ministre et les gestionnaires des echelons superieurs d'un ministere. Leurs roles ont ete discutes avec eux sous quatre angles : celui de leurs relations avec leur ministre, celui de la gestion du personnel du cabinet, celui de l'interface avec l'administration du ministere, et enfin les contacts qu'ils peuvent devoir etablir ou entretenir avec des personnes ou organismes exterieurs au ministere. L'analyse de ces discussions s'est appuyee sur le modele d'Henry Mintzberg sur les roles des gestionnaires.

La presente etude n'est pas la premiere a s'interesser aux cabinets ministeriels tels qu'on les retrouve dans le systeme politique canadien, en particulier au sein du gouvernement federal et du gouvernement du Quebec. De maniere generale, les auteurs considerent que les cabinets ministeriels constituent un maillon essentiel de l'interface entre le ministre et le sousministre, entre les spheres administrative et politique, et qu'une faiblesse dans cette interface peut hypothequer le fonctionnement du systeme. (5) Obsbaldeston (6) precise pour sa part que les << bonnes >> decisions d'un gouvernement tiennent en partie a la qualite de cette interface; decisions qui doivent s'appuyer sur les analyses produites par l'administration mais egalement sur des analyses politiques, partisanes ou non, qui sont du ressort des cabinets ministeriels.

Le partage des fonctions ou roles entre l'administration et les cabinets des ministres ne fait apparemment pas consensus. Ceci peut s'expliquer par le fait que les roles des cabinets ministeriels et de leurs personnels ne sont pas precises ni reconnus formellement et que leur influence tient au controle qu'ils exercent au chapitre de l'acces aux ministres et a la possibilite de parler en leur nom. (7) Ainsi pour Flemming (1997), (8) les fonctions de ces personnes qui << travaillent dans le secteur public [et] sont remunerees a meme les deniers publics >> se limitent a << assister les elus dans leur roles de politiciens et non celui de legislateurs, d'administrateurs et d'elaborateurs de politiques' >> (p. 70).

Par ailleurs, Plasse (9) qui fait figure de precurseur dans l'analyse plus approfondie des cabinets ministeriels, reconnait trois fonctions aux directeurs de cabinet, les fonctions technique, administrative et politique. Les fonctions a caractere technique referent a la gestion du personnel et des affaires quotidiennes du cabinet; les fonctions a caractere administratif comprennent l'etablissement et l'entretien de liens entre le ministre, les fonctionnaires du ministere et autres organismes du gouvernement, le suivi des dossiers et des taches administratives du ministre; quant aux fonctions a caractere politique, elles sont diverses et comprennent la reception des visiteurs, l'accompagnement du ministre dans ses deplacements, la prise de contacts avec les << clienteles >> du ministere et les conseils et avis au ministre. Ce dernier role exige des contacts frequents avec le sous-ministre pour transmettre et recueillir de l'information sur les differents dossiers. (10) Bien que ces trois fonctions soient reprises par Bernard (11) et meme Flemming, elles demeurent ambigues, notamment au chapitre du role d'un cabinet ministeriel et en particulier de son directeur quant aux politiques et grandes orientations ministerielles.

Ce genre d'ambiguites peut s'expliquer par l'entree en jeu de plusieurs variables. Ainsi, plusieurs auteurs reconnaissent que l'organisation et les fonctions des cabinets ministeriels varient selon la personnalite du ministre, la nature des activites du ministere et certaines conditions de l'environnement politique. A titre d'exemple, Bourgault et Caroll (12) rappellent que la mefiance du gouvernement conservateur de Brian Mulroney, elu en 1984, a l'endroit de l'administration publique en place, peut expliquer le renforcement et l'elargissement des roles des directeurs de cabinet ministeriel, notamment dans l'elaboration de politiques et dans l'evaluation des recommandations et des analyses des fonctionnaires. Quoi qu'il en soit, si les responsabilites des directeurs de cabinet peuvent varier, on semble s'accorder sur l'importance qu'ils soient de bons gestionnaires. << They must be good managers, politically adept, able to 'put out fires', deal on a crisis management basis, and possess good human resource skills. >> (13)

Un autre aspect lie aux cabinets et a ceux qui les dirigent a trait aux relations qu'entretient ou doit entretenir le << menage a trois >> constitue du ministre, de son sous-ministre et de son directeur de cabinet. Le role joue par le personnel politique est l'element determinant dans les relations entre le ministre et le sous-ministre. A cet egard, on ne sera pas surpris d'apprendre qu'un climat de respect et de transparence facilite les relations et que toute tension entre un sous-ministre et un directeur de cabinet ne pourra que desservir leur patron, le ministre.

Certains ont souligne la concurrence que peuvent se livrer les sous-ministres et les directeurs de cabinets ministeriels pour influencer le ministre. C'est dans cette perspective que Baccigalupo (14) a elabore une typologie qui permet de distinguer trois types de relations entretenues entre l'appareil administratif et l'appareil politique. Une relation de superiorite s'installe lorsque le cabinet scrute systematiquement tous les avis fournis par les fonctionnaires (cabinet << ecran >>) ou agit comme principal conseiller au ministre (cabinet << brain trust >>). Une relation d'egalite s'etablit lorsque le cabinet percoit son role a l'egard de l'administration comme en etant un de contrepoids a ce qui est soumis par l'administration au ministre. Enfin, une relation d'inferiorite ne confere au cabinet qu'un role marginal de << boite aux lettres >> transmettant simplement les avis de l'administration au ministre. Dans ce dernier cas, le cabinet se concentre sur le travail parlementaire et la representation du ministre a l'exterieur. L'auteur semble privilegier le second type de relation qui permet au cabinet de faire contrepoids aux forces technocratiques, ce qui permettrait de contribuer au fonctionnement harmonieux du systeme politique.

Pourtant, plusieurs observent que certains membres de cabinets n'ont pas les connaissances necessaires pour remplir leurs fonctions, notamment au chapitre du fonctionnement de l'appareil et de lelaboration des strategies. Ainsi Brissette (15) est d'avis que l'experience technique, l'experience de la fonction publique en general, l'experience au sein du ministere et la connaissance des activites et des clienteles des ministeres sont des criteres qui devraient jouer un role plus important dans le processus de selection des directeurs de cabinet et ce, meme si la confiance du ministre demeure l'element crucial.

Enfin, il est interessant de constater que des changements au fonctionnement des cabinets ministeriels ont ete souhaites par quelques auteurs. Ainsi, deja en 1967, Mallory deplorait que les efforts de reforme de l'administration publique n'aient pas touche ce pan essentiel au bon fonctionnement du systeme alors que, 15 ans plus tard, Savoie (16) reitere la necessite de proceder a des changements majeurs a cet egard. Selon cet auteur, l'expertise et les competences necessaires pour appuyer le ministre dans l'exercice de son role et son influence sur la vision, les objectifs et les activites de son ministere sont peu presentes dans les cabinets ministeriels, notamment quant a l'elaboration de politiques publiques. Il va meme jusqu'a proposer le developpement de competences externes (privees et academiques) pour donner des avis plus objectifs sur les propositions qui emanent du ministere. Johnson et Daigneault formulent le meme constat quant aux cabinets ministeriels quebecois.

Meme si la litterature sur le sujet qui nous interesse n'est pas tres abondante, elle a le merite de rappeler l'importance des cabinets ministeriels comme garde rapprochee des ministres ainsi qu'au chapitre des relations entre ce dernier et son administration. On aura par ailleurs remarque que beaucoup d'auteurs referes traitent des cabinets ministeriels en occultant certaines fonctions particulieres des directeurs de cabinets--par exemple celle de gestionnaire du personnel du cabinet ou encore dans les relations qu'ils entretiennent avec des organismes ou personnes exterieurs au ministere (le bureau du premier ministre, les autres directeurs de cabinet, des groupes d'interet, etc.). Rares sont les informations detaillees du travail reellement accompli par les directeurs de cabinet. C'est ce que notre etude propose d'explorer plus en profondeur.

Methodologie

Le peu d'informations existantes sur le travail des cabinets ministeriels quebecois explique le caractere exploratoire de la recherche : nous ne cherchons pas ici a verifier une hypothese ni a etablir des relations probabilistes entre variables, mais a mieux comprendre ce que font et comment fonctionnent les directeurs de cabinets ministeriels principalement par le biais d'entrevues semi-structurees. Ces entrevues orientent les echanges a partir d'un canevas convenu en permettant au fur et a mesure de traiter des aspects imprevus souleves dans le cadre des discussions. La Figure 1 esquisse le canevas d'entrevue utilise. Les questions << ouvertes >>, c'est-adire n'imposant aucun choix de reponses, soumises a la trentaine de directeurs de cabinet sollicites au depart, se sont appuyees sur ce canevas illustrant les differents types de relations que pouvaient entretenir les directeurs de cabinet dans le cadre de leur travail.

[FIGURE 1 OMITTED]

Ainsi, la Figure 1 montre les quatre types de relations a partir desquels les roles des directeurs de cabinet ont ete discutes. Un premier type comprend les relations entre le directeur de cabinet et son ministre. Une deuxieme serie de relations refere aux relations entre le directeur de cabinet et le personnel de cabinet (les conseillers politiques, etc.). On notera que ces deux categories de relations sont illustrees par des lignes pleines ce qui souligne leur caractere hierarchique reconnu : formellement, le directeur de cabinet repond de ses faits et gestes au ministre qui peut le demettre sans autre forme de proces. Par ailleurs, le titre meme de << directeur >> de cabinet prend son sens dans la responsabilite qu'il a d'encadrer et d'organiser le travail du personnel du cabinet du ministre.

En troisieme lieu, sont illustrees les relations entre le directeur de cabinet et l'administration du ministere, en particulier le sous-ministre. Enfin, sont presentees les relations qu'entretient le directeur de cabinet avec des organismes ou groupes externes au ministere auquel il appartient. Des lignes pointillees soulignent le caractere informel et non hierarchique de ces relations. En effet, aucun pouvoir formel n'est confere, par la loi ou en vertu de quelque directive que ce soit, aux directeurs de cabinet a l'endroit du personnel du ministere, encore moins a l'endroit des personnes et groupes qui n'en font pas partie.

Une lettre d'invitation a participer a l'etude et deux documents furent expedies a une trentaine de directeurs de cabinet en exercice au printemps 2001. La lettre expliquait brievement les objectifs de la recherche et leur demandait de rencontrer l'un des deux chercheurs. Un des deux documents annexes a la lettre comprenait le schema de la Figure 1 montrant les quatre types de relations que nous voulions explorer ainsi que les questions qui seraient abordees pour chacune des dimensions. Une seule personne refusa formellement de participer a l'etude. Par ailleurs, comme beaucoup de directeurs tardaient a repondre a l'invitation, ils furent contactes par telephone quelques semaines apres l'envoi de la lettre pour leur reiterer notre demande. Dix-sept (17) directeurs de cabinet accepterent d'etre interviewes. La duree des entrevues variait entre 60 et 90 minutes. Chacune des entrevues fut enregistree, retranscrite et completee au besoin par les notes de l'intervieweur. Chaque retranscription fut ensuite analysee avec le logiciel << Atlas >>.

Quinze directeurs de cabinet ministeriel ont egalement complete un questionnaire qui visait a tracer un portrait des directeurs et directrices de cabinet ministeriel quebecois au printemps 2001. Par ce questionnaire, nous avons cherche a savoir combien de femmes et d'hommes occupaient ces postes, leur age, leur degre de scolarite, qui les avait nommes a leur poste, leurs aspirations a une carriere politique, le nombre d'annees d'experience a titre de directeur de cabinet ou a un autre titre au sein d'un cabinet ministeriel, leurs autres experiences de travail, le volume de temps consacre a l'exercice de leurs roles de directeur de cabinet et le partage de ce temps entre leurs differents roles. Il est impossible de pretendre que les reponses recues refletent fidelement les caracteristiques de l'ensemble des directeurs et directrices contactes. L'anonymat des repondants ne permet pas non plus d'affirmer que les quinze personnes sont parmi les dix-sept directeurs qui ont accepte d'etre rencontres en entrevue.

Les chercheurs qui evoluent dans le champ de l'administration publique ont choisi d'approfondir une des quatre categories de relations, soit celle entre les directeurs de cabinet et les sous-ministres, en interviewant dix de ces derniers lors d'entrevues semi-structurees du meme type que celles qui ont ete conduites avec les directeurs de cabinet. Nous avons cherche a rencontrer des sous-ministres, avec des experiences variees, qui avaient servi sous plusieurs gouvernements et qui avaient connu plusieurs directeurs de cabinets politiques. Notre echantillon respecte cet objectif et comptait meme un sous-ministre qui avait agi par le passea titre de directeur de cabinet.

Comme toute recherche, celle-ci comporte des limites. La principale limite a trait a l'interpretation toujours delicate de donnees qualitatives et la representativite partielle des personnes interviewees au regard de l'ensemble des directeurs de cabinets en poste au moment de la recherche.

Le cadre theorique retenu : le directeur de cabinet, un gestionnaire

Les propositions theoriques concernant ce que font ou devraient faire les gestionnaires comprennent les propositions normatives d'auteurs classiques (17) dont Henri Fayol et Luther Gulick; et celle d'Henry Mintzberg, essentiellement descriptive, selon laquelle les gestionnaires exercent une dizaine de << roles >> informationnels, interpersonnels et decisionnels. Plus recemment, Mintzberg (18) proposa d'integrer ces roles dans un modele (illustre a la Figure 2) dont nous nous inspirons pour analyser les informations colligees aupres des directeurs de cabinet. Au cour de ce modele, se situe le gestionnaire anime de valeurs et riche d'une experience, de competences et de connaissances dont l'utilisation au quotidien reflete ses schemas mentaux ou son << interpretation du monde >>. Outre sa personnalite, le but que veut poursuivre le gestionnaire avec son unite, son approche globale de la gestion de l'unite et les positionnements de cette derniere sur certaines questions sont trois elements qui delimitent le travail a faire (the frame of the job) et influencent sa conception du travail a accomplir.

[FIGURE 2 OMITTED]

Mintzberg distingue quatre modes (19) de conception du travail a faire. Un mode passif conjugue une imprecision des intentions et le peu de prise sur ce qui delimite le travail. A l'oppose, un mode determine se caracterise par une clarte des intentions et une capacite de delimiter le travail a faire. Le gestionnaire adoptant un mode opportuniste est en mesure d'influencer la delimitation de son travail mais sans pour autant poursuivre des visees tres precises. Enfin, un mode oriente (driven style) est attribue au gestionnaire qui ne peut influencer les elements delimitant le travail, bien que ce qu'il compte accomplir soit precis.

En plus de concevoir le travail a faire, le gestionnaire doit programmer, c'est-a-dire preciser les activites plus specifiques a mener. Cette responsabilite comprend l'identification des problematiques courantes qui retiennent davantage son attention et l'allocation de son temps a differentes requetes, ces deux activites menant a l'etablissement de priorites. A ces deux roles plus << cerebraux >> que sont la conception et la programmation du travail a accomplir, s'ajoutent des roies plus concrets, plus facilement observables lorsque le gestionnaire agit soit via l'information qu'il recueille ou dissemine, soit via d'autres personnes, ou en intervenant directement. (20)

Si pour Mintzberg toutes ces activites du gestionnaire peuvent etre distinguees << en theorie >>, dans les faits, elles se fondent litteralement dans le comportement des gestionnaires.

Resultats

Dans cette section, nous proposons d'examiner ces fonctions a la lumiere de certaines composantes du modele de Mintzberg, dont les quatre modes de conception et d'organisation du travail ainsi que les diverses facons d'exercer les roles de gestion.

Le style des directeurs de cabinets en fonction des << contextes >>

L'analyse des reponses que nous ont fait parvenir, par questionnaire, quinze directeurs ou directrices de cabinets ministeriels quebecois permet d'avancer quelques propositions les concernant. Premierement, la tres grande majorite possedait une experience au sein d'un cabinet politique avant d'en diriger un. Deuxiemement, plusieurs avaient deja travaille, au moment de leur entree en fonction; dans le secteur prive ou, dans une moindre mesure, dans le secteur public. Ces deux premieres observations remettent en question l'opinion selon laquelle les directeurs de cabinet seraient des personnes sans experience professionnelle qui devraient leur poste a leurs seuls contacts politiques. Cependant, ceci ne signifie pas que les repondants aient eu une connaissance intime des activites du ministere au moment de leur nomination, ce que souhaite Brissette (1983). (21)

Les directeurs de cabinet ministeriel rencontres ont tous insiste sur un certain nombre de caracteristiques generales de notre systeme politico-administratif qui conditionnent le travail des ministres et par consequent le leur. (22)

Une premiere caracteristique rappelle qu'un ministre n'est pas elu mais nomme et, le cas echeant, denomme selon le bon vouloir du premier ministre. Ceci a un impact direct sur le personnel de cabinet et sur son directeur, dont les perspectives professionnelles sont intimement liees a la carriere de leur ministre.

Une seconde caracteristique tient au fait que, tres souvent, un ministre se retrouve a la tete d'un ministere qu'il n'aurait pas choisi lui-meme ou que rien ne le prepare a diriger. Dans ce cas, le ministre et son cabinet doivent apprendre vite et bien, a defaut de quoi ils risquent d'etre a la remorque de << la machine administrative >>.

Une troisieme caracteristique tient aux nombreuses taches d'un ministre et aux nombreuses sollicitations dont il est l'objet. Il doit donc faire des choix qui, dans la plupart des cas, lui sont suggeres par son cabinet. Rappelons qu'en plus d'etre depute, un ministre est appele a participer au fonctionnement d'un ou plusieurs comites ministeriels, a des commissions parlementaires, ou peut se voir confier plus d'un portefeuille.

Enfin, une quatrieme caracteristique rappelle que les ministres sont tres exposes publiquement. Leur comprehension des dossiers de l'heure, leur capacite de communiquer simplement et de maniere convaincante a l'Assemblee nationale ou via les medias sont des habiletes qu'il leur faut maitriser avec l'aide du personnel de leur cabinet.

Un directeur de cabinet qui en est a son troisieme ministere, mais toujours au service du meme ministre, resume comment le degre de mediatisation des affaires d'un ministere peut conditionner son travail:

[Dans mon premier ministere], les dossiers etaient assez peu mediatises. [Dans le second], on etait generalement en mesure de prevoir et de regler tous les cas avant qu'ils soient mediatises. [Dans le ministere ou j'oeuvre actuellement], c'est le domaine des inquietudes et de l'image du gouvernement vis-a-vis du public. On doit chercher a anticiper la veille ce qui pourrait bien se passer le lendemain mais anticiper n'est pas toujours possible.

Cette mediatisation, que plusieurs voient comme un phenomene de plus en plus determinant, compte pour beaucoup dans l'organisation des priorites et des situations urgentes que doit gerer un directeur de cabinet. A ce sujet, plus d'un directeur insistera sur la difference entre ceux qui oeuvrent pres du politique et ceux qui travaillent dans l'administration.

Le temps est ephemere pour le politique; l'administratif a egalement son agenda mais n'est pas guide par les memes stimuli. Il est difficile de faire bouger l'administration. C'est comme une force d'inertie. Quand on a trop d'idees, on les derange, quand on n'en a pas, ils peuvent faire ce qu'ils veulent. Vraiment complique. On a un probleme de democratie qui est devenue une bureaucratie.

Le contexte peu previsible dans le cadre duquel ils doivent exercer leurs fonctions, les nombreuses heures que doivent consacrer les directeurs de cabinet a leur travail et l'incertitude quant a leur duree d'emploi soulevent la question de ce qui les motive essentiellement a occuper un tel poste.

L'une des reponses obtenues des personnes interviewees est leurs convictions politiques: << Le directeur de cabinet est un conseiller qui n'est pas neutre; il conseille en fonction des intentions du gouvernement, du ministere, du ministre ... C'est un engagement, on est a l'interieur d'un parti >>.

Rappelons que les directeurs interviewes oeuvraient au sein d'un gouvernement du Parti quebecois, dont l'objectif ultime est l'independance politique du Quebec et qu'ils considerent qu'ils occupent un poste qui leur permet de contribuer a sa realisation.

Une autre motivation tient a l'interet particulier que plusieurs portent a certains secteurs d'intervention du gouvernement. << Je conseille le ministre avec le modele d'organisation de la societe dans lequel je crois. Moi je suis venu faire ce travail, momentanement, pour faire avancer des choses, au profit de la societe. Avec une conception de l'organisation de [ce type de] services qui repond a des imperatifs de population ... On croit a ce que l'on fait, on veut contribuer aux avancees sociales plus directement. >>

En resume, ce qui expliquerait essentiellement la motivation des directeurs de cabinet a faire ce << metier >> serait leurs convictions ideologiques, en lien avec les orientations politiques du gouvernement de l'heure ou la mission du ministere auquel ils sont rattaches. Paradoxalement, lorsqu'on leur demande s'ils envisagent une carriere politique--ce a quoi les preparent les fonctions qu'ils occupent--un seul des dix-sept repondants avouera considerer serieusement cette possibilite. Le principal argument decourageant les directeurs de cabinet d'embrasser la carriere de depute pour eventuellement devenir ministre est le caractere trop ingrat de la fonction et les sacrifices enormes qu'elle implique, notamment sur le plan familial.

L'experience anterieure acquise a titre de conseiller politique dans un ou plusieurs cabinets, leur expertise au regard de certains dossiers, leur con naissance et leur acces a des acteurs politiques et des leaders d'opinion sont parmi les elements qui preparent les directeurs de cabinet (DC) a exercer leurs roles avec competence.

Avoir ete conseiller politique--ce qui fut le cas de tous les directeurs de Cabinet rencontres--a contribue a affiner leur sensibilite aux perceptions et aux aspirations de la population en general et de groupes d'interets, leur sens de l'organisation pour realiser des mandats souvent pressants et leur connaissance fine des dossiers a traiter. De plus, cette experience leur a permis d'apprendre a faire preuve de polyvalence, de disponibilite, d'une' grande capacite de travail et du sens de l'equipe.

D'autres competences sont plus specifiques au directeur de cabinet. Le jugement ou ce que certains nomment le << gros bon sens >> fait l'unanimite. Lorsqu'invites a preciser le sens de cette expression, leurs reponses sont variees:

[C'est la] capacite a discerner l'important dans un dossier, a evaluer la situation dans son ensemble ... [C'est] presenter les affaires au bon moment ... [C'est] ce que tu peux et dois dire au ministre ... [C'est] avoir un sens de l'Etat, ce qui permet d'assurer une cohesion des actions gouvernementales et un respect de l'appareil ... [C'est etre] capable de prevoir les dangers, de voir venir les choses. [C'est] ne jamais mettre en danger le ministre et savoir garder ses distances par rapport aux lobbys ... Ca s'apprend mais ca se fait tres vite, t'as pas des semaines pour reflechir.

Parmi les autres competences souvent evoquees, il y a la capacite de gerer des crises ou des urgences, reelles ou apparentes:

Il faut etre capable de vivre le stress et gerer des crises, il ne faut pas accentuer le sentiment de panique [...] Savoir ce que c'est une urgence. Ce n'est pas vrai que tout est urgent. Il faut savoir etablir des priorites. Si le cabinet ne peut pas prioriser les urgences, le ministere ne fournit plus, il n'est plus capable. C'est un des roles principaux d'un DC. Car il arrive que la tension monte dans le cabinet, et comme DC, tu dois etre capable de la faire baisser.

Enfin, plusieurs competences facilitent la gestion de l'equipe des conseillers et autres personnels.

L'une des qualites d'un bon DC, c'est sa gestion humaine du personnel [...] S'ils ne sont pas heureux, ils partiront [...] Il faut donc les encourager, les motiver, etre a leur ecoute [...] Etre ouvert a leurs idees et propositions [...] Etre equitable dans le partage des dossiers [...] Etre capable de les faire travailler pour nous [...] Susciter le respect sans etre autoritaire.

A ces differents elements s'ajoutent deux facteurs plus personnels et juges cruciaux par les directeurs de cabinet: il s'agit de la confiance que doit temoigner un ministre a l'endroit de son directeur de cabinet et du style personnel du ministre. La confiance d'un ministre a l'endroit de son directeur de cabinet est d'autant plus critique que ce dernier n'a pas, a proprement parler, de pouvoirs formels. Il n'a comme pouvoirs que ceux que lui permet d'exercer son ministre (comme celui de choisir certains employes du cabinet). Il s'agit donc pour l'essentiel de pouvoir d'influence aupres des decideurs (le ministre ou le sous-ministre), dont l'etendue repose en grande partie sur la confiance que lui accorde le ministre. Evidemment, cette confiance est dans la plupart des cas le fruit d'une frequentation assez longue: la plupart des directeurs de cabinet rencontres ont ete au service de leur ministre a d'autres titres avant d'en diriger le cabinet, ce qui fait d'ailleurs dire a l'une des personnes interviewees: << Moi je ne suis pas du tout sur que je ferais cette job-la avec un autre ministre. >> Cette confiance permet aussi au directeur de cabinet de dire tout ce qu'il juge important a son patron: << Quand il m'a appele pour le job, je lui ai dit: oui mais a condition d'avoir carte blanche--de me faire totalement confiance! Ca signifie qu'il doit ecouter ce que j'ai a lui dire--meme si ce n'est pas ce qu'il veut entendre--mon role c'est de lui donner l'heure juste. >> Quant au style du ministre, le directeur de cabinet n'a pas d'autre choix que de s'y ajuster: << La facon de travailler du ministre influence la facon de travailler. Par exemple, mon ministre, ce qu'il aime c'est de faire du terrain. Il lit moins que d'autres. [J'en connais un autre] qui lit tout. Dans ce dernier cas, le DC doit aussi tout lire. >>

La programmation ou comment gerer << son >> temps

Le tableau suivant donne un apercu des activites differentes que les DC accomplissent de meme que du temps qu'ils y consacrent. Il s'agit d'un travail exigeant: tous disent travailler au moins 50 heures hebdomadairement, onze des quinze repondants y consacrant plus de 60 heures par semaine.

Comme on peut le constater, les trois activites auxquelles les repondants disent consacrer le moins d'heures par semaine sont les communications avec les instances du parti, avec les deputes et avec le bureau du premier ministre. Treize des quinze repondants disent consacrer entre six et quinze heures par semaine a la gestion du personnel du cabinet. Un seul dit consacrer davantage de temps a cette activite. Onze repondants consacrent a peu pres le meme nombre d'heures hebdomadaires (entre 6 et 15) a l'analyse et au suivi de dossiers thematiques, a conseiller leur ministre et a communiquer avec le ministere.

Si ces informations permettent de mieux comprendre a quoi les directeurs de cabinet consacrent leur temps, elles doivent etre interpretees avec prudence pour juger de la nature critique des taches du directeur de cabinet. Ainsi, meme si plus de 80% des repondants disent consacrer moins de cinq heures par semaine aux communications avec le cabinet du premier ministre, cet aspect revet une importance primordiale.

La conception qu'ont les directeurs de cabinet du travail qu'ils doivent accomplir s'articule essentiellement autour de deux fonctions: conseiller leur ministre et le proteger de tout ce qui pourrait porter atteinte a sa renommee. Si le cabinet d'un ministre compte plusieurs conseillers politiques qui se partagent les dossiers d'interets pour le ministre, le directeur de cabinet demeure son principal conseiller. A ce titre, il est le confident du ministre qui lui demandera des avis sur les questions les plus delicates. Ceci explique que plusieurs directeurs attachent une importance particuliere a certains dossiers: << Je conserve certains dossiers thematiques. Par exemple, les memoires du Conseil du Tresor ou les projets de decrets du Conseil des ministres deposes par le ministere. Sur les projets de loi prepares par la << machine >>, j'accorde une attention particuliere aux discours du ministre. >>

Pour ce faire, le directeur cherchera a obtenir l'information utile, la fera valider et la presentera au ministre en temps opportun. Comme l'illustrent les temoignages suivants, ceci se traduit par un nombre varie de taches:

On a une job a faire pour developper notre connaissance des dossiers, pour developper une pensee, qu'elle soit articulee, comprendre la situation sous l'angle de l'interlocuteur ce qui n'est pas necessairement l'angle du ministere [...] Faire en sorte que les informations pertinentes soient disponibles au ministre. Preparer le ministre pour les travaux parlementaires, pour la periode de questions, pour les entrevues avec les journalistes. M'assurer avec l'ensemble du personnel, le ministere, avec d'autres cabinets, d'une zone de confort, controler les zones problematiques pour le ministre.

Ces extraits peuvent laisser entendre que les directeurs de cabinets sont essentiellement reactifs et qu'ils ne jouent pas de role important au regard des grandes decisions ou des politiques ministerielles. Or, questionnes sur ce point, ils jugent au contraire jouer un role-conseil determinant a cet egard.

C'est un fait qu'on se fait gober par le quotidien, par l'intendance, par des changements d'agendas mais au-dela de ca, y a du travail de reflexion ... Ca peut arriver que la machine, les << penseurs >>, aient quelque chose a vendre [mais] ce ne sont pas les << penseurs >> qui debarquent a l'Assemblee nationale [...] Quand on dit que c'est la machine qui decide, dans certains cas, oui! Mais ce n'est pas une regle generale [...] On joue un grand role au niveau des politiques, des grandes orientations. C'est clair. Moi, je discute avec le ministre des dossiers de fond, des orientations, des irritants. On porte un regard critique sur les dossiers, sur les personnes ... [A partir d'] une vision plus a long terme, politique ...

On peut deduire de ce qui precede que le role des directeurs de cabinet ministeriel en matiere de politiques publiques porte moins sur leur formulation que sur leur analyse en terme d'opportunite politique pour le ministre d'en faire la promotion sous la forme proposee, a un moment donne. En d'autres termes, c'est le ministre, le plus souvent conseille en ce sens par son directeur de cabinet, qui decidera s'il officialise ou pas une proposition de politique ministerielle, habituellement preparee par l'administration.

Au chapitre de la << protection >> de 'leur ministre, les directeurs rappellent les nombreuses sollicitations dont est l'objet un ministre. Ceci necessite que les directeurs de cabinet << gerent le trafic >>, c'est-a-dire liberent leur ministre d'un maximum de travail qu'eux-memes peuvent accomplir.

Tout le monde veut parler au ministre ... [Les dossiers], je ne les amene pas en meme temps au ministre [...] J'ai une connaissance horizontale d'a peu pres tous les dossiers, tous les problemes, tous les DC sont de meme ... Il y a de l'information qui arrive, que je ne lui transmets pas tout de suite. Des fois ce n'est pas le moment. Je controle le goulot ... Les mauvaises nouvelles [a annoncer], c'est moi. Quand il y a des cas problematiques, [ou qu'il n'y a pas] de milage politique a faire, ca va s'arreter a moi. [Il faut] limiter les preoccupations du ministre. Il faut que tu les regles a sa place. Si ca se regle avant d'aller au ministre, c'est tant mieux. Si ca va au ministre et que ca ne se regle pas, c'est le pire scenario [...] On est la pour que les problemes n'existent pas. Faut pas qu'il y en ait. Plus il y en a, moins tu fais ta job.

Pour d'autres, proteger le ministre passe par l'importance qu'ils accordent a l'harmonie et a la solidarite au sein du cabinet, a defaut de quoi << le ministere le sent et peut l'utiliser pour le destabiliser davantage et denigrer le ministre >>. Ce role de protection du ministre ne concerne pas que le ministere. Le danger peut tout aussi bien venir d'ailleurs:

[Je me definis] comme un << eclaireur >> du ministre, un << pare-balles >>. Il faut que je puisse voir a sa place les elements sur lesquels [le ministre] pourrait buter ... Je suis le buffer de mon ministre et j'ai toujours le souci qu'il paraisse bien aux yeux de tous ... Quand tu te fais appeler par le chef du cabinet du premier ministre, c'est parce que ca va mal! Il faut tout faire pour que ca n'arrive pas ... Le directeur de cabinet a un role de mediateur: il doit etablir des relations de confiance << avec tout ce monde-la >>, [fonctionnaires, haute gestion] et ne pas les trahir.

Tout en sachant que la programmation des activites du ministre peut etre revisee a tout moment, les directeurs de cabinet ont la responsabilite d'en etablir une pour assurer une coordination et une concertation des efforts des employes du cabinet et de l'administration. Ainsi, les directeurs tiennent systematiquement des rencontres regulieres, hebdomadaires, souvent en debut de semaine, avec le ministre, les membres du cabinet et le sous-ministre pour convenir de ce qui est prioritaire et de ce qui doit etre fait au cours de la semaine ou des semaines suivantes.

Le travail a accomplir avec un pouvoir << emprunte >>

D'entree de jeu, precisons qu'a la lumiere des informations obtenues aupres des directeurs de cabinet et des sous-ministres, il n'est pas possible d'identifier un seul mode dominant chez les directeurs de cabinet rencontres ou encore, d'exclure l'un ou l'autre. Il n'est pas non plus possible d'etre prescriptif en suggerant qu'un mode est preferable a d'autres. Par ailleurs, on peut emettre quelques hypotheses sur les circonstances qui peuvent favoriser l'adoption d'un mode parmi les quatre suggeres.

L'entree en fonction recente d'un directeur de cabinet peu experimente au sein d'un ministere dont le titulaire, le ministre, vient de prendre ses fonctions dans un secteur qui lui est inconnu pourra expliquer l'adoption d'un mode passif. En effet, tant que le ministre nouvellement entre en fonction ne sera pas en mesure de preciser ses priorites et de convenir d'un modus operandi avec l'administration du ministere, il sera difficile pour un directeur de cabinet d'organiser son propre travail et celui du cabinet. Par ailleurs, l'entree en fonction d'un directeur de cabinet experimente, profitant d'une complicite etablie avec son ministre, pourra se montrer opportuniste en attendant que les priorites du ministre se precisent. Il pourra par exemple en profiter pour commencer a recruter des conseillers politiques en qui il a confiance. Le mode oriente sied bien a un directeur de cabinet qui possede une bonne experience a ce titre ainsi qu'une bonne connaissance du ministere qu'on vient de confier a un nouveau ministre sans experience, situation vecue par l'un des directeurs de cabinet interviewes. Ainsi fut-il en mesure de jouer un role important au chapitre de la determination des orientations ministerielles a privilegier par le ministre sans que le nouveau ministre--auquel le bureau du premier ministre l'avait couple--en prenne ombrage. Le mode determine permet de delimiter le travail en fonction d'intentions claires. On peut imaginer que la maitrise des dossiers par un ministre en poste depuis un certain temps, un alignement harmonieux entre les intentions du ministre et celles d'autres parties interessees, sont des elements qui permettent a un directeur de cabinet de plus facilement orienter ses efforts. Ainsi, il sera plus aise de partager le travail entre le personnel du cabinet et d'etablir des echeanciers et des plans de travail avec l'administration du ministere, meme s'il n'a pas de prise directe et formelle sur cette derniere.

La gestion par l'information

La collecte de l'information, son analyse et sa diffusion occupent une grande partie du temps d'un directeur de cabinet. Ainsi, comme nous l'avons rapporte, a peu pres tous les directeurs de cabinet commencent leur journee tot en prenant connaissance des nouvelles mediatisees, a l'affut de celles qui sont susceptibles d'interpeller leur ministre. Le cas echeant, ils en discuteront avec l'attache de presse, le sous-ministre, et enfin le ministre pour convenir de la strategie de communication a adopter. Par ailleurs, des discussions frequentes avec le ministre, jusqu'a une dizaine de fois par jour pour certains, permettront de faire le point sur les attentes et les preoccupations de ce dernier, ainsi que sur tout sujet sur lequel le directeur de cabinet juge que le ministre doive etre informe.

Les communications avec le ministre? Au telephone et des rencontres pas tres longues, sauf quand on fait le tour d'une question. Quand il sort du Conseil des ministres, s'il rencontre le premier ministre ou le president du Conseil du Tresor, apres un caucus des deputes, meme le soir, il m'appelle toujours.

Si la collecte d'informations passe par des canaux informels, elle est aussi en bonne partie structuree. Ainsi, le ministre, son sous-ministre et son directeur de cabinet se rencontrent de maniere statutaire, habituellement une fois par semaine. De plus, les directeurs de cabinet sont souvent invites a participer aux rencontres hebdomadaires du comite de gestion reunissant les cadres superieurs du ministere. De cette maniere, les directeurs de cabinet sont au fait de l'agenda administratif et sont en mesure de connaitre l'evolution de certains dossiers chers au ministre. Comme les sous-ministres l'ont rappele, la formalisation des echanges entre un directeur de cabinet, son personnel et l'administration, peut aussi etre observee dans la maniere dont l'information administrative peut etre obtenue.

L'analyse de l'information qui transite par le cabinet met a contribution dans la plupart des cas les conseillers politiques affectes aux differents dossiers thematiques. Ces analyses pointues sont cependant systematiquement discutees avec le directeur de cabinet qui pourra, s'il le juge a propos, emettre un avis divergent au ministre. Ceci, on le devine, suppose que le directeur de cabinet prenne connaissance de l'evolution de tous les dossiers susceptibles d'interesser le ministre et qu'au besoin, il se fasse sa propre idee qu'il discutera avec ce dernier: << Quand on prepare le ministre avant une reunion, on va lui dire: voici l'etat de la situation, les problemes qui se posent, les solutions possibles mais il est clair que je vais lui dire 'voila moi comment je ferais ca' >>.

C'est ce passage presque oblige, par le directeur de cabinet, de toute information susceptible d'etre importante qui illustre le mieux comment il controle cette information, le mettant du coup dans une position privilegiee pour influencer le ministre: << Partons du principe que tout ce qui entre et qui sort du cabinet doit recevoir l'approbation du directeur de cabinet et du ministre. >>

S'il est a l'affut d'un maximum d'informations pouvant servir le ministre et qu'il joue un role critique au chapitre du tamisage de cette information, le directeur de cabinet demeure tres prudent sur la diffusion d'information. Ceci s'explique facilement. Du seul fait qu'il soit le bras droit << politique >> (23) du ministre, une information emanant d'un directeur de cabinet peut etre aisement interpretee comme representant le point de vue du ministre, ce qui n'est pas necessairement le cas. Voila pourquoi la diffusion d'informations sensibles ne peut etre reservee qu'a des interlocuteurs surs et concernes. Le sous-ministre et les conseillers politiques sont ici en tete de liste.

Etant donne ce qui precede, il n'est guere etonnant que certains mecanismes d'echange de l'information soient privilegies. Au premier titre, les rencontres face a face. Bien qu'elles ne soient pas toujours possibles, rien ne saurait remplacer la possibilite qu'elles offrent d'evaluer les reactions non verbales de l'interlocuteur. Si la rencontre demeure le moyen privilegie, le telephone cellulaire est le moyen le plus utilise et ce, meme si plusieurs directeurs interviewes indiquent ne faire confiance qu'au telephone conventionnel pour discuter de sujets sensibles. Le courrier electronique compte aussi parmi les moyens de communications de plus en plus utilises, surtout pour la transmission de dossiers officiels ou d'informations generales (par exemple, les changements apportes a l'agenda du ministre). Peu de directeurs de cabinet lui font cependant confiance pour discuter de sujets sensibles d'autant que ce medium ne permet pas d'apprecier les reactions a chaud des interlocuteurs. (24)

La gestion << via >> les personnes

Chaque ministre se voit confier une enveloppe budgetaire pour couvrir les frais de fonctionnement de son cabinet. C'est au directeur qu'il incombe de la gerer. Or, la plus grande partie de ce budget est affectee a l'engagement d'une equipe principalement constituee du directeur de cabinet, de conseillers, d'agents de liaison et de personnel de soutien administratif. La latitude dont dispose le directeur de cabinet pour gerer le personnel du cabinet est remarquable. Ainsi, la tres grande majorite des directeurs de cabinet rencontres recrutent les conseillers. Il leur appartient d'evaluer leurs competences, le plus souvent sur la base d'une entrevue et de verifications aupres de personnes qui ont connu le postulant, pour proposer ensuite, le cas echeant, leur engagement au ministre qui, sauf exception, avalisera leurs choix.

Le recrutement n'est pas evident compte tenu des conditions de travail et du salaire. La difficulte c'est d'aller chercher de l'expertise, de l'elan, du dynamisme, de la complementarite avec ce que tu as besoin dans ton equipe. Une capacite elevee d'analyse, ca ne court pas les rues [...] On les attire comment? Par l'interet des dossiers, le dynamisme de l'equipe, la facon de travailler. On procede de bouche a oreille, on maraude d'autres cabinets, on recoit des CV [...] Quand le ministre est arrive, il a amene des conseillers, m'a demande de les garder, de les tester. J'ai ete clair avec eux, << si vous ne repondez pas au profil, je ne vous garderai pas >> [...] Je rencontre en entrevue, seul, les candidats interessants. Puis j'en parle au ministre qui des fois veut rencontrer le candidat, pas toujours.

L'arrivee d'un nouveau conseiller, surtout s'il compte peu d'experience, sera souvent supervisee de pres par le directeur de cabinet, faisant de ce dernier un coach en mesure de transmettre son propre savoir-faire. Pour le personnel des cabinets ne disposant pas de securite ni de permanence d'emploi, c'est aussi le directeur de cabinet qui mettra fin a leur emploi: << Oui, j'ai deja eu a remercier un attache politique. Toujours tres delicat. Pour des motifs comme la non resistance au stress, incapable d'ecrire [...] Pour raison d'incompetence ou de mauvaises attitudes ... >>

C'est aussi le directeur de cabinet qui distribue les dossiers dont chaque conseiller sera responsable, en tenant compte bien sur de leurs preferences et de leurs expertises. Il pourra meme a l'occasion orienter un conseiller dans l'analyse qu'il en fera. Enfin, c'est le directeur de cabinet qui evalue le travail des conseillers: << Pas d'evaluation formelle mais une signification des attentes. Je ne dis pas: il a mal performe. Je dis plutot: il s'est passe telle chose, il faut trouver le moyen de corriger [...] Comment on evalue un conseiller politique? Formellement et informellement. Pas de rapport. Pas tres systematique. >>

Les interventions directes du directeur de cabinet

En plus de pouvoir influencer directement son ministre ou le sous-ministre par la communication directe d'informations, ou le personnel de cabinet a titre de directeur, la plupart des directeurs de cabinet se reservent le droit d'intervenir directement sur certaines questions, ainsi qu'aupres de groupes ou personnes externes au ministere.

Comme nous l'avons deja signale, plusieurs DC conservent certains dossiers, soit parce qu'ils les jugent particulierement critiques soit parce qu'ils y portent un interet particulier; ou ils en ont une connaissance approfondie et en se les appropriant, cela permet d'alleger d'autant la tache d'un conseiller. Au chapitre des relations avec certains interlocuteurs externes, il revient au directeur de cabinet de transiger avec ses vis-a-vis, au premier chef, le directeur de cabinet du premier ministre. Les communications avec ce dernier ne sont pas frequentes, le contraire n'etant pas toujours de bonne augure. Elles sont cependant critiques comme on peut le deviner. Elles consisteront pour un directeur de cabinet a prendre bonne note ou a donner suite a une demande expresse du bureau du premier ministre ou encore, a lui communiquer une information requise. Un autre cas souleve est l'intervention d'un directeur de cabinet aupres d'un autre directeur de cabinet alors que les deux ministres concernes ne semblent pas s'entendre sur le traitement d'un dossier, une situation de blocage politique qui a souvent des repercussions sur le traitement administratif dudit dossier.

Enfin, le directeur de cabinet interviendra aupres de personnes qui requierent un acces au ministre, un acces qui est juge peu souhaitable. Dans de tels cas, l'interlocuteur externe se sera montre insatisfait de ses contacts avec l'administration ou avec le conseiller politique responsable du dossier et demandera a rencontrer le ministre. C'est souvent dans ce genre de circonstances que le directeur de cabinet decidera de rencontrer lui-meme la personne en question, soit pour mieux comprendre la demande, soit pour lui indiquer que la position du ministre ne saurait diverger de celle communiquee par l'administration ou le conseiller, ou pour convenir d'un solution a l'amiable : << Les conseillers politiques et moi essayons d'epargner des rencontres au ministre. Je leur dis: rencontrez-la [cette personne], vous allez voir. Et ensuite, on verra si on doit programmer une rencontre avec le ministre. Quand je rencontre des personnes, c'est parce que le ministre me le demande ou parce que je connais les personnes ou que le conseiller me dit qu'il ne peut rien faire. >>

Le directeur de cabinet pourra juger utile de prendre contact directement avec les responsables de certaines organisations, certains groupes d'interets ou groupes de pression pour discuter de leurs positions sur des dossiers d'interet strategique pour le ministre. Enfin, tout cabinet se fait un point d'honneur de repondre aux doleances des deputes; dans certains cas, le directeur de cabinet jugera important d'assurer lui-meme le suivi.

Le point de vue des sous-ministres

La plupart des roles devant etre assumes par une directeur de cabinet et identifies par les sous-ministres ont ete evoques par les directeurs de cabinet eux-memes et relates plus tot dans ce texte. Ainsi, les sous-ministres conviennent que les directeurs de cabinet doivent voir au controle de l'agenda politique du ministre; s'assurer que la dimension publique des fonctions d'un ministre soit bien geree; prendre acte des priorites du ministre et s'assurer que l'appareil administratif y donne suite; gerer le personnel du cabinet; maintenir le contact avec les organismes externes dont les cabinets d'autres ministeres, le bureau du premier ministre et les instances du parti. Les dix sous-ministres interroges reconnaissent d'emblee l'importance critique de ces roles du directeur de cabinet pour le ministre dont il assure la << garde rapprochee >> et ce, dans un contexte ou les pressions'sur les elus ne cessent d'augmenter a la faveur d'une mediatisation quasi-instantanee de la moindre nouvelle qui les concerne. Leurs commentaires portent cependant davantage sur l'interface entre l'administration, dont la responsabilite du bon fonctionnement au quotidien incombe aux sous-ministres, et le pouvoir politique, incarne par le ministre.

Quoi qu'il en soit, tous nos interlocuteurs ont souligne le caractere crucial d'une relation harmonieuse entre eux et les directeurs de cabinet dans le fonctionnement du << triangle >> constitue du sous-ministre, du ministre et du directeur de cabinet. (25) Cette relation, qui doit s'appuyer sur une confiance mutuelle et une transparence des questions qui concernent a la fois l'administration et le pouvoir politique, s'appuie egalement sur un partage entendu des roles :

Sur les grands enjeux politiques, on demande toujours au sous-ministre et aux sousministres adjoints d'y etre sensibles [...] mais sur les enjeux politiques plus fins, plus immediats, c'est le DC qui est en mesure d'apprecier ca, voir si ce qu'on propose est correct. Ce que la machine propose, ca tient compte d'enjeux strategiques, de problematiques sociopolitiques mais ca ne tient pas compte de tous les jeux d'interet qui se passent.

Ce partage des roles s'illustre aussi au chapitre de la << mise en marche >> des decisions ou politiques ministerielles. En effet, si l'implication du directeur de cabinet au regard de l'elaboration d'une politique ministerielle varie souvent selon son interet personnel pour le domaine qu'elle couvre, c'est le cabinet mais en particulier le DC et le ministre qui doivent en assurer la << vente >> : << La livraison d'une politique, son acceptation sociale, c'est la ou le cabinet et le ministre jouent un role tres important [...] Le directeur de cabinet doit faire une bonne lecture des enjeux politiques, avoir une idee de la maniere de faire, du moment opportun et rallier les parties interessees. >> Ce role critique de promotion renforce l'importance d'avoir un directeur de cabinet connecte a des reseaux que l'administration, soucieuse de rester neutre sur le plan partisan, ne peut activer.

Si le directeur de cabinet est identifie comme un personnage cle de l'interface politico-administrative, c'est que, premierement, sans pouvoir remplacer son ministre ou agir en lieu et place de ce dernier, il est plus facilement accessible que le ministre. Alors que le ministre est en tournee ou participe aux travaux de l'Assemblee nationale, le directeur de cabinet peut etre rencontre, plus ou moins informellement, quand le sous-ministre le desire, plusieurs fois par jour. Deuxiemement, des relations harmonieuses avec un directeur de cabinet permettent au sous-ministre de valider ou de transmettre rapidement certaines informations que le directeur de cabinet pourra communiquer a son tour au ministre, avec qui il discute quotidiennement. Troisiemement, parce qu'il participe a plusieurs rencontres de la direction superieure du ministere (comites de direction et de gestion) et parce qu'il connait habituellement assez bien son ministre, le directeur de cabinet est en mesure de donner un premier avis sur la recevabilite politique d'un dossier prepare par l'administration. Aux yeux des sous-ministres, ce role du directeur de cabinet est juge tellement important qu'un sous-ministre indiquera << il n'y a pas 1% des dossiers ou on va directement au ministre. On travaille vraiment avec le directeur de cabinet. >>

Evidemment, tout ce qui precede ne doit pas faire oublier que le directeur de cabinet, meme s'il peut etre mis a profit par l'administration, est avant tout au service d'un ministre et il doit s'assurer que la << machine >> administrative l'est tout autant. a ce chapitre, les sous-ministres signalent l'importance de reconnaitre les differences de perspectives quant a l'horizon temporel et le rythme d'intervention que privilegient l'administration et le cabinet d'un ministre.

Il y a un niveau de pression et de tension qui fait que le directeur de cabinet doit gerer dans l'urgence tout le temps, tout le temps ... Il n'est pas la pour faire dans la dentelle. Il se fie a la machine mais doit repondre aux commandes. Il veut un resultat. On a un horizon plus long qu'eux. Leur parler de projets a mettre en place dans un an ou deux les fera rire ... Notre plan strategique ne les interesse pas toujours parce que c'est sur du moyen et long terme alors qu'ils travaillent sur du court terme. Pour un cabinet, la machine ne va jamais assez vite. Et pour l'administration, les cabinets sont toujours en pleine panique ... Ca ne changera jamais et ca ne peut pas changer parce que le contexte politique est ainsi fait.

Ces differences de perspectives couplees aux responsabilites, politiques dans un cas, administratives dans l'autre, renforcent l'importance pour l'administration de faire preuve de sensibilite, non pas aux positions partisanes et legitimes du gouvernement en place mais a cette demarcation entre le politique et l'administratif. En pratique, ceci donne lieu a des arrangements plus ou moins formalises des canaux d'echanges entre un cabinet et l'administration d'un ministere. a cet effet, deux modeles coexistent aux dires des sous-ministres interroges. Le premier modele, apparemment le plus frequent, impose a toute demande provenant d'un cabinet politique de transiter par le secretariat du ministere qui assure le suivi de la demande. La demande est ensuite transferee a la direction responsable qui produira une reponse qui sera approuvee par les differents paliers hierarchiques--incluant le sous-ministre--pour etre finalement soumise au cabinet du ministre. Un tel fonctionnement ne vise aucunement a censurer des avis qui iraient a l'encontre des opinions du personnel politique, comme le precise un des sous-ministres qui promeut ce mode de fonctionnement. Il est plutot un gage de la qualite des reponses et du suivi fournis. Un autre modele tolere que le personnel du cabinet puisse s'adresser systematiquement et directement a un fonctionnaire pour obtenir de l'information sur un dossier. Ce modele permet de fournir une reponse plus rapide. Il est a preciser que dans de tels cas, l'information donnee sera transmise en parallele via la ligne hierarchique officielle jusqu'au sous-ministre, etant entendu que cette information demeure officieuse tant que le bureau du sous-ministre ne la valide pas. Le choix d'un arrangement plutot qu'un autre tient a plusieurs facteurs (les modes traditionnels de fonctionnement dans un ministere, la complexite des questions a traiter, la frequence a laquelle un ministre est interpelle par l'actualite, etc.). Parmi ces facteurs, on nomme la relation de confiance qu'auront pu etablir le sous-ministre et le directeur de cabinet, une comprehension ainsi qu'un respect mutuel des roles de chacun.

Les sous-ministres, reconnaissant les difficultes a exercer les fonctions de directeur d'un cabinet ministeriel, deplorent, a une exception pres, qu'on ne facilite pas l'accueil au sein de la fonction publique de ceux et celles qui ont occupe cette fonction pendant plusieurs annees. Evidemment, des directeurs de cabinet qui joindront la fonction publique auront toujours a composer avec leur appartenance partisane. C'est pourquoi, pour temperer les reactions negatives a leur insertion, il importe qu'elle se fasse au terme de leur participation a des concours de recrutement rigoureux. Enfin, un souhait partage par tous les sous-ministres est que les directeurs de cabinet, en debut de mandat, puissent profiter d'une formation sur mesure qui leur permettrait notamment de comprendre comment fonctionne l'appareil administratif quebecois. Certains signalent que plusieurs directeurs de cabinets et a fortiori plusieurs membres de cabinets ministeriels, meme apres quelques annees dans leurs fonctions, ont une connaissance tres limitee d'un appareil avec lequel, paradoxalement, ils ont a transiger presque quotidiennement. (26)

Conclusion

Cette recherche exploratoire a voulu lever le voile sur les roles et les pouvoirs qu'exercent les directeurs de cabinet. Ces << gestionnaires de l'ombre >> tous dedies a leurs ministres, evoluent dans un contexte particulierement turbulent et complexe. En plus d'etre les principaux conseillers des ministres, ils ont aussi a gerer une equipe de professionnels-experts et a assurer une collaboration etroite de la part de l'administration du ministere. Cette etude permet egalement de constater que-les directeurs de cabinets ministeriels jouent un role important dans l'interface entre l'administration publique et le politique. Ce qui peut surprendre ici n'est pas tant le fait qu'a la lumiere des taches enumerees, le directeur de cabinet apparaisse comme un veritable gestionnaire mais plutot, comme l'illustrent les extraits rapportes, le caractere peu formalise de l'exercice de ces taches, surtout lorsqu'on le compare a ce qui prevaut dans la fonction publique. Peu de gestionnaires publics peuvent pretendre exercer autant de pouvoir sans devoir se plier a toute une serie de regles, que ce soit en matiere d'embauche, de supervision ou d'evaluation. En fait, la, latitude dont dispose le directeur de cabinet se compare bien davantage a celle dont dispose le gestionnaire d'une petite entreprise, dont les employes a I'expertise pointue evoluent dans un environnement incertain et turbulent, plutot qu'a celle d'une grande entreprise bureaucratique.

Outre l'angle explore du travail des directeurs de cabinet, soit celui de leur gestion, l'etude leve le voile sur leur role au chapitre des politiques publiques dont l'elaboration, la formulation et la mise en oeuvre sont souvent presentees comme l'apanage des administrations (organismes centraux et ministeres). Cette vision confere plus ou moins explicitement un role tres accessoire aux cabinets de ministres et a leurs directeurs. Or, les directeurs de cabinet et les sous-ministres interviewes mettent en lumiere un role beaucoup plus important des cabinets et de leurs directeurs a cet egard : celui d'influencer l'opportunite pour le ministre d'endosser une politique proposee par les fonctionnaires a un moment donne. Il s'agit d'elements de l'interface politico-administrative qui sont souvent mal compris de part et d'autre et qui meriteraient d'etre discutes et clarifies lors de l'arrivee en poste d'un nouveau sous-ministre, ou encore, d'un nouveau ministre et de son directeur de cabinet.

Notes

(1) Dans ce document, lorsque le seul genre masculin est utilise, ce n'est sans aucune discrimination et uniquement dans le but d'alleger le texte.

(2) Le nombre de personnes en faisant partie depend de l'etendue des responsabilites du ministre. Typiquement, le cabinet d'un ministre quebecois comprend un directeur de cabinet, un attache de presse, des conseillers politiques, quelques agents de liaison et du personnel de soutien.

(3) W. Wilson, << The Study of Administration>>, Political Science Quarterly-2, juin 1887, pp. 197-222.

(4) Les auditions de la Commission Gomery au printemps 2005 sur le scandale canadien des commandites n'ont pas contribue a rehausser cette image, le role des membres de certains cabinets ministeriels ayant ete mis en lumiere.

(5) Blair Williams, << The parapolitical bureaucracy in Ottawa >>, dans H.D. Clarke et al. (Eds), Parliament, policy and representation, Methuen, 1980, pp. 215-30; Micheline Plasse, << Les chefs de cabinets ministeriels au Quebec : la transition du gouvernement liberal au gouvernement pequiste (1976-1977) >>, Revue canadienne de sciences politiques 14, 1981, pp. 309-35.

(6) G. F. Obsbaldeston, Raffermir la responsabilite des sous-ministres, Centre national de recherche et developpement en administration, 1988.

(7) J. R. Mallory, << The minister office staff: an unreformed part of the public service >>, CANADIAN PUBLIC ADMINISTRATION, 1967.

(8) J. Flemming, << Le role de l'adjoint executif d'un ministre federal >>, Optimum, la revue de gestion du secteur public-27 (2), 1997, pp. 70-6.

(9) M. Plasse, << Les chefs de cabinet ministeriel du gouvernement federal canadien : role et relation avec la haute fonction publique >>, ADMINISTRATION PUBLIQUE DU CANADA, vol. 35, no 3, 1992, pp. 317-38; << Les cabinets ministeriels federaux : effectif, recrutement et profils des chefs >>, Revue quebecoise de sciences politiques-21 (hiver) 1992b, pp. 97-124; Les chefs de cabinet des ministres du gouvernement federal en 1990 : profils, recrutement et relations avec la haute-fonction publique (Ottawa: Centre canadien de gestion, 1994).

(10) A. F. Johnson et J. Daigneault, << Liberal Chefs de cabinets ministeriels in Quebec: Keeping politics in policy-making >>, CANADIAN PUBLIC ADMINISTRATION, 31-4, 1988, pp. 501-16.

(11) L. Bernard, Reflexions sur l'art de se gouverner : essai d'un praticien (Quebec Amerique, 1987), pp. 116-19.

(12) J. Bourgault et B. Carroll, << La haute fonction publique canadienne : derniers vestiges du modele Whitehall? >> dans Bourgault et al. (editeurs), Administration publique et management public : experiences canadiennes, 1997, pp. 95-106.

(13) L. O'Connor, << Chief of staff >>, Options politiques, avril 1991, pp: 23-6, citation p. 24.

(14) A. Baccigalupo, << Les cabinets ministeriels dans l'administration quebecoise >>, La Revue administrative-20, 1973, pp. 317-28.

(15) R. Brissette, La perception des hauts fonctionnaires en ce qui a trait a l'action des cabinets ministeriels : etude de quatre ministeres quebecois, memoire de maitrise, Universite de Montreal, 1983.

(16) D. Savoie, << The minister's staff: The need for reform >>, ADMINISTRATION PUBLIQUE DU CANADA-26 (hiver 1983), pp. 509-24.

(17) H. Fayol, Administration industrielle et generale, publie dans le Bulletin de la Societe de l'Industrie Minerale, 1916 ; L. Gulick, Papers on the Science of Administration (New York: Institute of Public Administration, 1937), pp. 3-45; H. Mintzberg, The Nature of Managerial Work (Englewood Cliffs, NJ: Prentice-Hall, 1973).

(18) H. Mintzberg, << Rounding out the manager's job >>, Sloan Management Review, automne 1994, pp. 11-26; << Une journee avec un dirigeant >>, Revue francaise de gestion, novembre-decembre 1996, pp. 106-14; H. Mintzberg et J. Bourgault, Manager en public (Toronto : IAPC, 2000).

(19) Dans son article de 1994, Mintzberg utilise le terme anglais << style >> que nous traduisons ici par << mode >> pour distinguer ce que l'auteur lui-meme nomme des << styles >> dans l'ouvrage francais de 2000 (p. 27).

(20) En fait, cette partie du modele reprend en bonne partie les propositions de Mintzberg (1973) au regard des roles des gestionnaires << au quotidien >>.

(21) Dans les faits, il s'agit probablement d'un souhait peu realiste : apres tout, on n'en demande pas tant aux ministres nouvellement nommes.

(22) Outre ces caracteristiques generales, certaines conjonctures (l'approche d'une election, la fin d'un second mandat) peuvent egalement avoir un effet important sur le travail des cabinets.

(23) Le sous-ministre etant plutot le << bras droit >> administratif du ministre.

(24) Depuis la realisation des entrevues, le BlackBerry, qui allie Internet, le courrier electronique et le telephone portable, connait un succes grandissant. Il serait interessant de verifier dans quelle mesure les utilisateurs lui font confiance pour transmettre des informations sensibles.

(25) Un sous-ministre racontera avoir du travailler avec un ministre qui refusait de lui adresser la parole pendant plusieurs semaines. Le directeur de cabinet est alors devenu le seul canal de communication entre le ministre et son sous-ministre. De telles circonstances, somme toute exceptionnelles, montrent a quel point le directeur de cabinet peut jouer un role important dans le fonctionnement d'un ministere.

(26) Il est interessant de noter que plusieurs sous-ministres ont egalement regrette que la plupart des fonctionnaires et gestionnaires publics ne comprennent pas mieux les roles des cabinets ministeriels.

Daniel Maltais est professeur agrege a l'Ecole nationale d'administration publique. Marie-Eve Harvey est candidate au doctorat en gestion de l'ecole des HEC de Montreal. Tableau 1 : Le temps consacre a sept activites par les directeurs de cabinet 0-5 6-10 11-15 16-20 21-25 Activites heures heures heures heures heures Analyse et suivi de 0 4 7 3 1 dossiers thematiques Coordination du 1 9 4 1 0 personnel politique Conseils au ministre 2 7 3 2 1 Communications avec le 12 2 0 0 1 parti politique Communications avec les 12 3 0 0 0 deputes Communications avec le 12 3 0 0 0 bureau du PM Communications avec 1 6 5 1 2 l'administration du ministere
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