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文章基本信息

  • 标题:Sorry, I Don't Speak French.
  • 作者:Bernier, Luc
  • 期刊名称:Canadian Public Administration
  • 印刷版ISSN:0008-4840
  • 出版年度:2007
  • 期号:December
  • 出版社:Institute of Public Administration of Canada

Sorry, I Don't Speak French.


Bernier, Luc


Sorry, I Don't Speak French De Graham Fraser. Toronto: McClelland and Stewart. 2006. Pp. 340.

Ce livre ne devait pas etre au depart un livre d'administration publique, quoique son but soit de comprendre comment le gouvernement federal a essaye de combler le fosse entre les deux communautes francophone et anglophone au Canada. Le titre du livre vient de la phrase si souvent repondue par les anglophones polis a une question posee en francais. Le sous-titre du livre en anglais est << Confronting the Canadian Crisis that won't go away >>. Cette crise durable depasse, et de loin, le fonctionnement des organisations chargees de mettre en oeuvre les politiques publiques. En meme temps, le coeur de la politique linguistique federale a ete de permettre aux Canadiens de recevoir des services gouvernementaux dans leur propre langue.

Le livre prend une tout autre importance du fait de la nomination de son auteur au poste de Commissaire aux langues officielles. On a souvent en campagne electorale le programme qu'un parti politique voudrait mettre en place s'il est elu. Mais il est tres exceptionnel d'avoir le point de vue d'un haut-fonctionnaire avant sa nomination et surtout dans un poste aussi sous les feux de la rampe que celui-ci. Tous les fonctionnaires federaux auraient avantage a lire ce livre et a reflechir sur ses conclusions et ce, desormais, dans la langue de leur choix puisqu'il est maintenant paru aussi en francais. Ce livre est, independamment de la carriere de son auteur, un des livres importants a lire pour comprendre le fonctionnement de la fonction publique federale en particulier et pour comprendre, plus generalement, un enjeu et une politique publique fondamentale dans l'histoire du Canada, surtout depuis 1960.

Le livre n'a pas ete ecrit par un futur Commissaire aux langues officielles mais par un journaliste chevronne qui a travaille en particulier a la Gazette, au Globe and Mail et au Toronto Star. Il s'agit de son cinquieme livre qui a fini d'etre redige en novembre 2005. Ceux qui ont ete interviewes pour le livre mentionne en couverture, PQ : Rene Levesque and the Parti quebecois in Power, se souviennent d'un journaliste qui ne citait pas une information sans avoir au moins deux sources afin de ne pas mettre celles-ci dans l'embarras. Ceux qui ont lu Playingfor Keeps peuvent avoir garde en memoire un auteur qui conserva son objectivite tout au long du livre autour de l'election de 1988, qui portait sur l'Accord de libre-echange, sujet qui souleva les passions. Dans les deux cas, on peut se souvenir aussi de la qualite d'analyse de l'auteur. Pour chacun de ces livres et tout autant pour celui-ci, la recherche a ete rigoureusement menee. Par exemple, les journaux qu'ont tenu Andre Laurendeau et Frank Scott pendant la commission ont ete fouilles methodiquement. Ce qu'on risque plus de retenir de Sorry, I Don't Speak French est l'exasperation de Graham Fraser envers la lenteur de l'evolution du dossier linguistique qui a failli, selon lui et de nombreux observateurs, briser le Canada. Le ton du livre est plus personnel que celui de ses livres precedents. On comprend a sa lecture a quel point le sujet est au coeur des preoccupations de l'auteur. Ses anciens collegues journalistes, les fonctionnaires, les politiciens, les universites n'echappent guere a sa mauvaise humeur et a son cri du coeur. Les Canadiens ont envoye leurs enfants dans des programmes d'immersion, des fonctionnaires ont ete payes pendant des annees pour apprendre le francais, etc., et tout ce qui a vraiment pris de l'ampleur c'est le deni de la realite que le bilinguisme n'a guere progresse. Et 40 ans apres la commission Laurendeau-Dunton, les deux derniers gouvernements federaux ont gouverne avec tres peu de sieges au Parlement en provenance du Quebec, ce qui, pour Frascr, est un symptome du mal linguistique. Le livre est divise en trois parties qui regroupent onze chapitres. Dans la premiere partie qui comprend cinq chapitres, il y a d'abord un developpement historique qui nous mene a travers la commission Laurendeau-Dunton, a l'adoption de la Loi sur les langues officielles et aux efforts d'apprentissage du francais du gouvernement federal.

Le livre debute par un compte rendu personnel de Fraser, qui explique comment il a appris le francais a 19 ans en 1965 et son experience de ne pouvoir initialement communiquer a son gout en francais dans son propre pays, dans un contexte alors politiquement explosif. Le premier chapitre a nature historique resume deux cent ans de relations linguistiques, de l'Acte de Quebec en passant par le Rapport Durham, jusqu'a l'arrivee de Pearson au pouvoir. Les premiers debats dans le Hansard sur la confederation en 1865 l'ont ete sur l'usage du francais au Parlement. Le second chapitre campe la situation au debut des annees 1960, alors que Diefenbaker est remplace par Pearson; l'opposition aux liberaux au Quebec est celle des creditistes qui sont souvent unilingues francophones et forcent les liberaux a se redefinir sur la question linguistique; et comment la commission sur le bilinguisme et le biculturalisme est nee. Le chapitre trois decrit comment les deux personnes intellectuellement dominantes de la Commission ont ete Andre Laurendeau et Frank Scott et le travail itinerant de la Commission dans le but de mieux eclairer la suite du livre. Le chapitre quatre est intitule << Deux amis, deux visions >>. Il debute sur l'amitie entre Pierre Elliott Trudeau et Camille Laurin et illustre comment la politique quebecoise s'est divisee en deux camps sur la question nationale, et donc, sur la question linguistique qui lui est intrinsequement liee; comment sur plusieurs questions dont la charte des droits, ce sont des Quebecois qui ont impose au reste du Canada des debats dont il n'est pas certain qu'il avait besoin. Ce chapitre est interessant pour la relecture qu'il offre de la position de Trudeau sur le bilinguisme (qui ne peut etre reprise ici faute d'espace), mais qui est plus subtile que le portrait qui en reste habituellement. Fraser reprend egalement dans ce chapitre l'idee qu'il avait developpee dans son ouvrage precedent sur le Quebec, selon laquelle en reussissant beaucoup des reformes avant l'independance, le Parti quebecois au pouvoir a eu tendance a demontrer que celle-ci n'etait pas forcement aussi necessaire qu'on le souhaitait. Beaucoup de changements pouvaient avoir lieu dans le systeme politique canadien sans en sortir. Le cinquieme et dernier chapitre de cette premiere partie est intitule << Ottawa essaie d'apprendre le francais >>. Les difficultes habituelles bien connues des francophones, comme le fait de tenir une reunion en anglais parce qu'il y a un unilingue anglophone dans le groupe, sont expliquees ainsi que l'inquietude montante de ces unilingues dont les traditions sont bousculees. On y apprend aussi comment sous Trudeau, Gerard Pelletier a pilote la Loi sur les langues officielles et les reactions qu'elle provoqua jusqu'a la crise des gens de l'air en 1975-76 et l'election du Parti quebecois en 1976, alors que malgre les couts croissants, le bilinguisme de la fonction publique avait fort peu progresse.

La seconde section du livre porte sur ce qui a progresse. Le chapitre six souligne la francisation de Montreal depuis les annees 1960 et, encore une fois, les reactions a cette evolution, dont celle de Mordecai Richler qui a recu assez de publicite. Il porte surtout sur cette valse tres montrealaise entre les deux langues dans les endroits publics et sur letiquette pour ce faire dans une ville francisee. Il documente egalement la bilinguisation de la communaute anglophone montrealaise quoi qu'en meme temps, les deux communautes continuent a coexister chacune dans sa bulle. Le chapitre sept nous ramene dans l'Ottawa contemporain, celui de l'epoque de David Levine et du debat autour de la fermeture de l'hopital Montfort. Autant Montreal a change, autant le visage d'Ottawa est celui d'une ville anglophone o la tension linguistique est vive et o les francophones s'anglicisent. Le chapitre huit porte d'abord sur la qualite du francais parle.par les anglophones. Fraser constate que les cours d'immersion sont parfois offerts par des non-francophones, ce qui conduit a une langue parlee comprehensible surtout par d'autres etudiants de classes d'immersion. Alors que les accents regionaux s'estompent au Quebec, un nouveau patois a ete invente, le francais des classes d'immersion parle par 300 000 eleves. C'est deja mieux que la formation universitaire o l'obligation de la langue seconde a disparu depuis les annees 1960. Uexemple cite est celui de l'Universite Queen's o la School of Public Policy ne sait pas si ses etudiants comprennent le francais. La formule des classes d'immersion est perfectible et risquee mais est un pas dans la bonne direction.

Dans la troisieme section, le chapitre neuf traite des organisations dans lesquelles il est possible dans certaines limites de parler sa langue maternelle : les forces armees, les associations professionnelles comme celles des journalistes, sportives ou culturelles. Fraser conclue qu'il y a au Canada un paradoxe: alors que les politiciens federaux ont travaille a devenir bilingues, beaucoup des journalistes appeles a les couvrir sont demeures unilingues ! Le chapitre dix porte sur le bilinguisme dans la fonction publique, les tests linguistiques et la difficile application des regles. Il y a la aussi deux solitudes. Pour les anglophones, il s'agit d'obtenir un certificat. Pour les francophones, il s'agit de pouvoir travailler dans leur propre langue. Une autre constatation est l'inefficacite d'une politique vieille de trente-cinq ans d'essayer de rendre bilingues des gestionnaires publics en mi-carriere. Cette politique a coute une somme exasperante suivant les successifs Commissaires aux langues officielles en plus des frustrations qu'elle a engendrees. Selon Fraser, les resultats sont mitiges. Au chapitre onze, il passe aux politiciens. Uexemple qui demarre le chapitre est celui de John Crosbie qui a rate sa chance de devenir chef du parti conservateur en 1983 avec une seule phrase. Pearson a ete le dernier premier ministre unilingue. Tous depuis peuvent fonctionner dans les deux langues officielles. Un chef de parti qui veut gouverner doit etre comprehensible et credible dans les deux langues.

En conclusion, Fraser s'etonne de l'absence de volonte collective pour lier les deux solitudes tout en remarquant les progres ponctuels. Selon lui, il reste beaucoup a accomplir mais beaucoup de chemin a ete franchi. Le ton de la conclusion est assez morose sur la question linguistique et l'avenir si un second souffle n'est pas trouve pour animer l'enjeu linguistique. Il termine en reprenant la question de la Commission Laurendeau-Dunton : << Est-ce que les Canadiens anglophones et francophones peuvent vivre ensemble et est-ce qu'ils veulent le faire ? >>

Graham Fraser est parfaitement bilingue, et << parfaitement >> est le mot juste. Il a aussi vecu l'evolution des relations entre les communautes linguistiques par son travail. Ceci lui a permis de rencontrer des fonctionnaires, autant francophones qu'anglophones, et diverses personnes preoccupees par la question linguistique des deux cotes. Curieusement, selon ma perspective, c'est surtout la frustration des anglophones a qui on demande d'apprendre le francais qui ressort du livre. Il est vrai qu'il fut d'abord ecrit pour les anglophones. On n'y retrouve pas la frustration des fonctionnaires francophones a qui on demande d'assumer des taches supplementaires pendant que leur patron anglophone est parti apprendre le francais et qui, au retour de celui-ci, continuent a echanger avec lui en anglais parce que c'etait le modele etabli de relations entre eux. Pour les francophones qui liront ce livre, la presentation de la communaute anglophone permet d'avoir une perspective de l'autre solitude. Dans le meme ordre d'idee, Frank Scott qui a tant influence Pierre Trudeau et passe pour un auteur important dans les universites anglo-montrealaises, n'est connu que de tres rares specialistes francophones qui ont parfois etudie a McGill, comme le politologue Guy Laforest. Ce livre est une interessante introduction a son oeuvre et donne le gout de mieux le connaitre.

Une des constatations de Fraser sur l'absurdite de l'etat actuel des choses est que dans le systeme scolaire canadien, un anglophone arrive au meilleur de sa formation en francais a la fin des etudes secondaires. Comme les universites traitent l'enseignement du francais sur le meme pied que l'enseignement du serbo-croate ou du latin, ce qui avait ete gagne dans la comprehension de l'autre langue a 17 ou 18 ans est ensuite perdu dans un programme de baccalaureat a cause du manque de pratique. Si ensuite un etudiant decide de faire une maitrise en administration publique, aucun des programmes reconnus n'estime necessaire de faire apprendre a ses etudiants la langue de l'autresolitude. En bref, un nouveau professionnel debarquant a Ottawa a une base de bilinguisme qui a subi un hiatus de trois ou quatre ans.

Pour ma generation qui a grandi avec la politique linguistique quebecoise comme trame de fond depuis la Loi 63, la Loi 22, la Loi 101 et les amendements qui ont suivi, il est utile d'avoir la vue d'ensemble de la question offerte par ce livre. Cette vue d'ensemble est aussi interessante parce qu'elle vient d'une autre perspective. Ce livre commente beaucoup la qualite du francais appris par les anglophones. Mais Fraser est beaucoup plus circonspect au sujet de la formation en anglais pour les francophones. Une des constatations de ce livre est qu'il y a au Quebec quatre millions de francophones unilingues. Si le Quebec francais devenait une province autonome, ce serait la deuxieme province la plus populeuse du Canada. Quelle est la qualite de la formation en anglais qu'on leur offre ? Je me souviens que mon passage a l'ecole francophone ne permettait guere de devenir fonctionnel en anglais, fait qui a ete ameliore depuis.

Ce livre doit etre lu pour mieux comprendre comment la fonction publique federale a evolue sur le plan linguistique. Suite a la lecture de ce livre, je serais curieux de poursuivre la discussion avec Graham Fraser, au fur et a mesure qu'il apprivoise sa nouvelle fonction. Je ne suis pas certain que la politique linguistique est un echec. Une analyse couts/benefices conclurait sans doute que oui. Dans un contexte o les positions extremes etaient et demeurent irreconciliables, il est fort possible que ce soit un des domaines o l'action de l'Etat s'attaque a des problemes impossibles a resoudre, o on peut obtenir des victoires partielles mais pas de triomphe. Il s'agit peut-etre d'un de ces domaines confies a l'Etat o il n'existe pas de solution satisfaisante, juste une lente evolution et un apprentissage des limites des instruments utilises.

Luc Bernier, Ecole nationale d'administration publique.
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