Restructurer peu, restructurer mieux : lecons d'experiences ministerielles recentes au Canada.
Bernier, Luc ; Gagnon, Stephanie
Luc Bernier est professeur titulaire et auteur de correspondance a l'Ecole nationale d'administration publique de Quebec (Quebec) et Codirecteur du Centre de recherche sur la gouvernance des entreprises publiques et l'interet general a l'ENAP de Montreal et Quebec. Stephanie Gagnon est professeure a l'ENAP de Montreal.
Les restructurations sont vecues dans plusieurs organisations publiques, les ministeres en particulier, comme un remede dont il faut s'accommoder. La prestation de services a la population est negligee pour organiser ces transformations, des cultures organisationnelles tissees au fil du temps se trouvent perturbees, des demenagements compliques derangent les employes, etc. alors que les gains obtenus semblent souvent minces, s'ils existent. Notre hypothese de depart etait qu'il serait preferable de moins restructurer. On pourrait a l'avenir eviter de nombreux problemes aux administrations publiques en leur epargnant des transformations inutiles si on avait un portrait de la faible utilite des restructurations passees. Certes, les arrangements organisationnels sont importants, mais egalement difficiles a comprendre et souvent peu expliques par ceux qui les font (Davis et al. 1999). La recherche empirique nous pousse a un portrait plus nuance. Il peut y avoir de << bonnes >> raisons de restructurer et il y a des domaines difficiles d'intervention gouvernementale oh la << bonne >> solution n'est pas encore trouvee. Neanmoins, notre hypothese de depart est confirmee une fois ces exceptions expliquees. C'est ce que nous explorons dans cet article.
Nous nous interessons aux ministeres fonctionnels et aux restructurations (1) qui les concernent. L'interet du sujet des restructurations est double. Premierement, ce n'est pas un phenomene mineur, les reformes et les reorganisations de leurs structures administratives sont parmi les activites les plus courantes des gouvernements contemporains (Peters 1992; OCDE 2005). Certains affirment que c'est parce que les structures se modifient plus aisement que les comportements humains individuels et collectifs (Nadler et Tushman 1997). Deuxiemement, parallelement a la frequence des reorganisations, on observe que leurs resultats sont rarement ceux escomptes et de surcroit, il est difficile d'evaluer adequatement les reorganisations ou d'en connaitre les objectifs (Thomas 1993). March et Olsen (1983) ou Salamon (1981) ont par exemple etudie les grandes restructurations de l'Etat americain depuis le debut du 20e siecle sans arriver a des conclusions probantes. Salamon a meme ecrit que les restructurations sont << a substitute for action >>. Le temps et l'energie passes a restructurer ne sont pas consacres a mettre en oeuvre des politiques ou des programmes. Par ailleurs, selon l'avis de Peters (1988 : 9), << the organizational analyst in government must understand, however that the successful implementation of any proposal is likely to engender new problems that are likely to be exactly the opposite of those that spawned the original reorganization >>.
Le but du present article consiste justement a comprendre pourquoi les gouvernements menent autant de restructurations, alors que les effets de celles-ci sont decevants, difficiles a mesurer ou negatifs lorsqu'evalues, ce qui a rarement ete le cas. En effet, les travaux scientifiques sur le sujet sont rares. Nous examinons ici les raisons sous-jacentes a ces restructurations, et ce, d'un point de vue comparatif entre certaines provinces canadiennes. Nous croyons que de cette etude peuvent ressortir des conclusions aptes a guider les gouvernements lors de futures restructurations. A cette fin, nous presentons d'abord les raisons connues pour restructurer dans l'administration publique. Ensuite, nous faisons etat des consequences des restructurations et nous proposons que celles-ci sont multiples et parfois fort differentes des propos invoques en amont des restructurations.
Pourquoi restructurer?
Si les travaux de recherche abondent sur les reformes administratives de toutes sortes, ils sont moins nombreux sur le sujet plus specifique des restructurations. Meme des livres comme celui de Lindquist (2000) qui comportent dans leur titre l'idee de restructuration abordent finalement assez peu le sujet. Selon la litterature, toutes categorisations confondues, il existe six raisons expliquant les restructurations dans l'administration publique (Peters 1992; OCDE 2004) (2). D'abord, pour certains, les restructurations se font a la suite de l'emergence de nouveaux discours (la rhetorique) en vogue (Davis, Diekmann et Tinsley 1994) et de tendances sociales, ou les deux (OCDE 2004). A cet egard, au Canada, on a vu au fil du temps que certaines structures administratives conviennent a des epoques et a des preoccupations particulieres. Par exemple, les gouvernements du Nouveau-Brunswick, du Quebec et du Canada ont cree recemment des organismes apparentes : Services Nouveau-Brunswick, Services Quebec et Service Canada, pour porter la volonte gouvernementale d'ameliorer la prestation de services. Ensuite, d'autres sont d'avis que les restructurations s'averent necessaires compte tenu de changements d'envergure dans les environnements economique et social, lesquels amenent de nouvelles priorites (OCDE 2004). Puis, certains auteurs proposent que les restructurations sont menees a cause de changement dans les dispositions des coalitions plaidantes (Chackerian et Mavima 2000). D'autres sont d'avis que des restructurations sont realisees pour des raisons politiques (3). Egalement, d'autres suggerent que les restructurations servent tout simplement a tenter de faire mieux (Gow 2001), soit par l'amelioration des processus ou de la culture de gestion (Davis et al. 1999). Certaines situations de restructurations sont liees a une recherche d'efficacite et d'efficience (par exemple, les reformes sous Mike Harris et Lucien Bouchard cherchaient toutes deux a reduire les deficits, mais selon des discours differents. Le recent Plan de modernisation 2004-2007 du gouvernement du Quebec est de cet ordre avec la volonte de lier directement l'allegement des structures gouvernementales et l'amelioration de la qualite des services). Finalement, il est question de volonte politique (OCDE 2004), c'est-a-dire de signifier, par le biais d'une restructuration que l'on accordera plus d'importance a un enjeu particulier. A cet egard, Davis et al. (1999) considerent que l'architecture des ministeres est le reflet de priorites gouvernementales. Au Quebec, par exemple, les grandes reformes de l'Etat avaient ete confiees a trois organismes : Services Quebec, l'agence des partenariats public-prive et le Centre de services partages du Quebec.
Ainsi, l'art de gouverner et de structurer les organisations publiques tient compte d'une diversite de considerations. De la sorte, il est interessant de s'attarder aux restructurations menees dans differents ministeres afin de comprendre leur raison d'etre et leur frequence. Nous savons deja que le cycle electoral amene son lot de modifications structurelles puisqu'apres une election, une des taches du nouveau premier ministre est de former son conseil des ministres. Michelmann & Steeves (1985: 15) affirment d'ailleurs que << during a transition period, a new government has the opportunity to effect change both in structure and personnel. This is a critical point. Senior public servants and officials expect and are prepared to accept organizational change in the first days of a new government >>. Ce que nous savons de cet exercice tient essentiellement a deux sources : les rares memoires de ceux qui les ont ecrites et les reconstructions logiques a posteriori. Dans ses memoires, Rene Levesque (1986) a intitule le chapitre sur le sujet << La tapisserie de Penelope >>. Il y decrit, avec humour, que d'un remaniement a l'autre et avec les restructurations qui suivent, cette operation lui est apparue comme << un vrai chatiment du ciel >>. II s'agit d'un jeu d'equilibrisme complexe. Un fonctionnaire de la Saskatchewan nous expliquait que le jeu est encore plus complexe lorsque le gouvernement n'a qu'un siege de majorite en chambre, comme ce fut le cas avant la derniere election generale. Les ministres en profitent alors pour negocier plus durement leur affectation et les organismes qu'ils dirigent. Mais, peut-on aller plus loin pour comprendre le phenomene plus general des restructurations? Peut-on, en suivant certains cas, mieux comprendre si les premiers ministres devraient se contenter de nommer des ministres sans changer les structures des organisations qu'ils vont mener?
Notre recherche est basee tout d'abord sur une serie d'entrevues semidirigees realisees en 2006. Nous avons rencontre au Quebec un ancien president du Conseil du Tresor, deux anciens chefs de cabinet d'anciens premiers ministres du Quebec, un ancien secretaire general du gouvernement, monsieur Louis Bernard, et neuf autres hauts fonctionnaires quebecois, dont trois sous-ministres ainsi que deux consultants lies a la revision des organismes gouvernementaux au Quebec depuis 1995. Dans ces entrevues, nous avons demande aux personnes rencontrees de nous identifier quels cas de restructuration leur semblaient les plus importants. A cet effet, nous optons pour une etude instrumentale de cas, c'est-a-dire que des cas particuliers << are examined mainly to provide insight into an issue >> (Stake 2000 : 437). Autrement dit, nous faisons des etudes de cas pour developper des propositions theoriques sur les restructurations (Eckstein 1975; Babbie 1983). C'est ainsi que nous avons retenu les cas presentes dans cet article. Les cas problematiques au Quebec se sont averes etre les memes qu'en Ontario : les regions et l'industrie-commerce. D'autres cas auraient sans doute pu etre choisis. Par exemple, un sous-ministre quebecois nous a souligne la restructuration entre le travail et l'emploi qui depend de la conception qu'on se fait de la formation de la main-d'oeuvre : est-ce une question economique ou sociale, une question d'employabilite ou de securite du revenu? Mais ce cas n'a pas ete retenu par d'autres interlocuteurs et nous voulions pouvoir trianguler l'information obtenue par entrevues.
Nous avons ensuite voulu verifier si ce qu'on nous avait dit etait applicable a d'autres administrations publiques au Canada. Est-ce que par exemple les memes domaines d'activite gouvernementale posent probleme d'une province a l'autre? Nous avons donc interroge un fonctionnaire et deux chercheurs en Nouvelle-Ecosse, deux sous-ministres en Saskatchewan, quatre hauts fonctionnaires en Colombie-Britannique et sept hauts fonctionnaires en Ontario, dont trois sous-ministres et un chercheur. Ces provinces ont ete choisies parce que leurs administrations ont connu des transformations importantes (4). La methode de recherche par entrevues gagne a etre corroboree pour assurer la fiabilite des donnees. C'est dans cet esprit que nous avon mene une recherche dans les medias ecrits relativement aux cas qui revenaient, ainsi qu'une recension des ecrits scientifiques sur le sujet. Les entrevues donnent souvent un portrait biaise (Bordeleau 1997) de ce qui a ete fait, d'ou la necessite d'autres sources. Au sujet du gouvernement federal et des autres administrations publiques, la recherche est documentaire caril s'agit d'une recherche exploratoire. Il est certain que nous aurions prefere nous baser sur des etudes scientifiques mais le sujet est encore mal couvert au Canada, comme notre recension des ecrits nous a permis de le constater. Nous voulons ici presenter une exploration qui pourra etre poursuivie et validee par des recherches futures. A cet egard, il s'agit bien d'une recherche qualitative qui met l'accent sur la signification plutot que sur la frequence du phenomene et qui, par consequent, implique l'interpretation (Kirk et Miller 1986).
Le cas du Quebec
Le ministere des Finances, de l'Economie et de la Recherche
La creation du ministere des Finances, de l'Economie et de la Recherche, annoncee en septembre 2002, a fait couler beaucoup d'encre. Le journaliste Denis Lessard de La Presse, considerait que c'etait pour satisfaire la ministre Pauline Marois qu'on creait une structure aussi imposante :
La structure du gouvernement du Quebec devra encore une fois s'ajuster en fonction de l'appetit des ministres. Dans ce qui semble etre un point final a la longue guerre entre les ministeres des Finances et de l'Industrie, le ministere de Pauline Marois va carrement avaler l'ancien portefeuille de l'Industrie. [...] Le ministere des Finances, qui depuis des annees concentre toute l'expertise economique du gouvernement, fait main basse sur l'Industrie devenue une organisation exsangue. Au passage, Mme Marois avale aussi la Recherche et la Technologie (Lessard 2002 : A9).
Cette idee selon laquelle ce ministere aurait ete cree pour des raisons << politiques >> semble etre corroboree par le moment choisi pour realiser la fusion. De l'avis de deux anciens chefs de cabinet de premiers ministres quebecois, si ce choix avait ete celui de Bernard Landry, il aurait fusionne les Finances, le ministere de l'Industrie et du Commerce (MIC) et le ministere de la Recherche, de la Science et de la Technologie (MRST) des qu'il a ete nomme premier ministre, en mars 2001. Or, loin de fusionner le MIC et les Finances, il a fait en sorte, au contraire, que ces deux entites ne relevent plus du meme ministre, confiant le MIC a Gilles Baril et les Finances a Pauline Marois :
Rappelons-nous que quand Bernard Landry a fait son premier gouvernement, Industrie Commerce etait a part, il l'avait sorti de la [des mains de la meme personne]. Je pense que si Gilles Baril n'avait pas eu des difficultes, je suis loin d'etre convaincu(e) qu'il aurait renvoye Industrie Commerce avec Finances.
Ces personnes ajoutent que le regroupement des Finances, du MIC et du MRST est attribuable, non pas a la vision de Bernard Landry, mais plutot au poids politique, et aux ambitions, de Pauline Marois : << Ce nouveau ministere-la [le ministere des Finances, de l'Economie et de la Recherche], elle l'a voulu, elle l'a souhaite, elle l'a fait, a mon sens, avec les hauts fonctionnaires des Finances. C'est sur que monsieur Landry n'etait pas contre ca, parce qu'il ne l'aurait pas accepte, mais je pense que c'est parce qu'elle avait atteint ce poids-la [politique] que ca s'est fait >>.
Uancien sous-ministre au ministere de la Recherche, de la Science et de la Technologie (MRST), Camille Limoges (http://www.sciencepourtous.qc.ca, << Quel avenir pour le MRST? >> Le Bulletin de la Toile scientifique, No 77, 25 septembre 2002), affirme, pour sa part, qu'il voit d'un mauvais ceil ce regroupement. Il dit craindre que la fusion des trois ministeres ne constitue un recul qui conduirait a negliger plusieurs aspects de la politique scientifique, tels que la culture scientifique. Partageant le meme avis, le milieu universitaire se demande, dit-il, comment un mega-ministere, aux nombreuses priorites, pourra reellement et entierement se dedier a mettre en oeuvre une politique scientifique. Il tolere mal, egalement, que Pauline Marois parle de cette fusion comme celle de trois ministeres a vocation economique, dont le rapprochement permettra de mieux repondre aux besoins des entreprises (Harmalian 2002 : A9).
Maurice Jannard (Jannard 2002 : A14) soutient etre preoccupe par le sort du ministere de l'Industrie et du Commerce (MIC) qui, selon lui, a change de statut cinq fois au cours des dernieres annees. Il pretend egalement que la creation du ministere des Finances, de l'Economie et de la Recherche est injustifiee. Non seulement les raisons invoquees pour en expliquer la mise sur pied nele convainquent pas, mais il trouve egalement inquietant que cette nouvelle structure soit creee par un gouvernement en fin de mandat, a quelques mois d'elections generales :
Dans moins d'un an, un autre gouvernement sera elu, et, s'il y a un nouveau parti au pouvoir, il voudra apporter sa propre vision et changer encore une fois l'appareil administratif. Compte tenu des dossiers majeurs a venir, tels la negociation avec Ottawa sur la perequation, la poursuite du budget equilibre et le financement des services de sante, le responsable des Finances a du travail amplement pour se concentrer uniquement sur ces enjeux. Il y a assez de vrais problemes au Quebec actuellement sans qu'il ne soit necessaire d'en ajouter de nouveaux. Encore moins d'inventer un autre casse-tete, a caractere bureaucratique par surcroit.
Cela dit, des fonctionnaires suggerent qu'il s'agissait aussi de la vision economique du premier ministre de l'epoque, Bernard Landry, qui considerait les Finances comme etant le centre de toute une serie d'institutions, comprenant des ministeres comme celui de l'Industrie et du Commerce. Dans une demarche inspiree partiellement du modele francais, l'ancien ministre des Finances aurait demande a ses equipes de preparer une loi qui creerait un nouveau ministere, et qui deviendrait le futur ministere des Finances, de l'Economie et de la Recherche. Questionnee au sujet du role qu'aurait pu jouer Pauline Marois dans ce processus, une des personnes que nous avons rencontrees est categorique : << C'etait le scheme de Monsieur Landry, pas de Madame Marois >>.
Ainsi, selon les arguments presentes pour expliciter la creation du ministere des Finances, de l'Economie et de la Recherche, il semble que deux raisons repertoriees dans la litterature s'appliquent a ce cas, a savoir des considerations politiques, liees a la legitimite du detenteur du ministere et l'idee de rhetorique et de mode par rapport a un modele referentiel particulier, dans le cas present, le cas francais. Meme si la loi qui devait mener a la creation legale du ministere des Finances, de l'Economie et de la Recherche n'a jamais ete adoptee, il n'en demeure pas moins que la fusion administrative du ministere des Finances, du MIC et du MRST s'est effectuee. Entre septembre 2002 et avril 2003, sept mois se sont ecoules, qui ont ete mis a profit pour faire le regroupement, voulu et annonce par le gouvernement. Ainsi, inevitablement, des employes ont eu a demenager leurs boites et a accepter une nouvelle orientation, ce qui a ete << traumatisant >> pour les employes du MIC et du MRST, selon un haut fonctionnaire rencontre :
[Ce mega regroupement], a ete traumatisant pour Recherche, Science et Technologie, aussi pour Industrie et Commerce, pour des raisons qui se recoupent et qui sont diversifiees. Recherche, Science et Technologie, c'etait un ministere qui coordonnait toutes les activites scientifiques, de recherche et d'innovation du gouvernement, et qui venait juste de s'affirmer. Ils ont mis beaucoup d'energie a definir leur mission, a se mettre en relation avec les autres, a se donner des instruments pour coordonner l'ensemble des activites du gouvernement. [...] Puis, un moment donne, [les employes se sont fait dire] << vous devenez une section d'un autre ministere >>. Pour eux autres, c'est le gros du traumatisme. Une perte d'autonomie, une perte de visibilite. Il faut faire attention, les gens prennent ca a cceur, c'est comme si on niait un peu, au moins en partie, le travail qu'ils avaient fait. [...] Pour les gens du MIC, c'etait un peu different. Ayant perdu, dans leur esprit, au profit des Finances, leur levier financier [la Societe de developpement industriel du Quebec (5)], eux voyaient d'un bon oeil que ca revienne ensemble, mais pas sous l'egide des Finances. Eux voyaient ca comme devant etre reintegre avec eux, sous une autorite completement dediee au developpement economique, pas aux finances. En plus, le processus de fusion a heurte beaucoup de personnes sur le plan individuel, a cause des choix du nouveau ministere--quand il s'agit de retenir un chef de service sur trois ou sur quatre par exemple--qui se sont surtout portes sur des fonctionnaires des Finances.
En fait, ce cas illustre les couts administratifs, humains et budgetaires engendres par les restructurations. De plus, il ajoute aux consequences denoncees par l'OCDE quant aux preoccupations des employes alors que ceux-ci s'interrogent sur l'orientation de leur ministere et la place qu'il occupe dans l'appareil gouvernemental. Enfin, les difficultes vecues par le personnel sont precisees au niveau de l'insecurite liee aux pertes d'emplois.
Le ministere de la Faune
L'histoire du ministere de la Faune est egalement digne d'interet. Depuis le debut des annees 1990, la Faune a releve successivement du ministere du Loisir, de la Chasse et de la Peche (1981-1994), du ministere de l'Environnement (1994-1999), de la Societe de la faune et des parcs du Quebec (1999-2003) et des Ressources naturelles (2003-).
Autant toutes les personnes rencontrees ont salue l'union de l'Environnement et de la Faune en 1994, autant elles ont toutes ete unanimes sur un point : la Faune n'a pas quitte l'Environnement en 1999 pour que celle-ci puisse mieux remplir sa mission, mais plutot pour des considerations politiques. L'une d'elles affirme que :
Dans certains cas, ca peut s'expliquer [les restructurations] par des logiques fonctionnelles, dans d'autres cas, c'est simplement les resultats d'un jeu politique. A un moment donne, je me rappelle que la Faune et les Parcs, qui relevaient jadis de l'Environnement, aient ete enleves de la et avaient ete annexes a je ne sais quel autre ministere dont Monsieur Chevrette etait le titulaire. Il voulait la Faune et les Parcs! Et certains ministres ont davantage l'oreille du premier ministre que d'autres, et cela peut donner des resultats bizarroides.
La meme idee a ete developpee lors d'une autre entrevue, concernant le demenagement recent de la Faune vers le ministere des Ressources naturelles. << Pour moi, il n'y a pas de raisons structurelles importantes qui envoient la Faune la [au ministere des Ressources naturelles (MRN)]. Meme, si on se place dans une perspective de conservation, de biodiversite, tu n'envoies pas ca [la Faune] aux Ressources naturelles, c'est des gens qui exploitent les ressources naturelles [pas qui les defendent] >>.
Meme son de cloche chez une autre personne rencontree en entrevue. Cette derniere condamne severement les restructurations qui ne sont pas effectuees en fonction de considerations a long terme, c'est-a-dire dans le but d'aider les organisations a mieux remplir leur mission, et ainsi a mieux servir les citoyens.
Les changements de structure, c'est un moyen qui est legitime. En soi, il ne faut pas s'interdire ca. Pour moi, il y a deux sortes de changements de structure. Les premiers etant plus legitimes que les deuxiemes. Les premiers, ils obeissent a des considerations a long terme. Ils veulent amener des facons d'operer pour le gouvernement, qui veut mieux servir le citoyen. Pour moi, la fusion entre Environnement et Faune etait de ce type. [...] Les deuxiemes, les non legitimes, et la il faut etre severe avec ca, ce sont ceux qui sont dictes par des considerations de petite politique, des considerations de personnalite, et qui, dans le fond, changent a toutes les deux semaines ou a tous les deux ans.
Toutefois, il semble que d'autres arguments puissent expliquer les multiples allees et venues de << la Faune >> entre differents ministeres. Un journaliste souligne (Bellemare 2005 : D5) :
Depuis 33 ans que je redige cette chronique sur la chasse et la peche pour Le Soleil, j'ai pu constater que le Quebec n'a jamais su trop quoi faire avec son mandat de gestionnaire de notre patrimoine faunique : sept ministeres se sont succedes pour gerer le... probleme. [...] Selon des renseignements obtenus d'informateurs bien renseignes, tout indique que le secteur faune du gouvernement provincial sera de plus en plus << la cinquieme roue de la barouette >>.
Ce journaliste fait ressortir le peu de progres effectue grace aux diverses restructurations affectant le secteur de la faune. Il souligne meme que le gouvernement Charest est revenu, d'une certaine maniere, a la case depart :
La structure qu'on s'apprete a mettre en place au sein du ministere des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) a deja malheureusement existe dans des ministeres jadis responsables de la gestion de notre patrimoine faunique. Une telle structure, a l'origine de bien des problemes, a ete decriee par tous les citoyens et fonctionnaires concernes, qui ont combattu pour qu'on la modifie. Le monde de la faune a cru voir la lumiere poindre au bout du tunnel, voila quelques annees, lors de la creation de la Societe de la faune et des parcs du Quebec. Mais cette derniere n'a jamais ete la << societe d'Etat >> qu'on nous avait promise, parce qu'elle n'a jamais pu avoir une gestion autonome : tout comme n'importe quelle autre entite ministerielle, elle n'a fait que gerer un budget de depenses, sans pouvoir decider de ses revenus. Il y a fort a parier que, si la structure actuellement proposee au sein du MRNF est mise en place, on recommencera tous les debats qui ont eu cours durant les dernieres decennies.
Ensuite, meme si l'union entre les Ressources naturelles et la Faune ne semble pas naturelle, elle durera assez longtemps selon l'avis de deux fonctionnaires interroges. Uune d'elles, qui soupconne le personnel du MRN de s'etre empresse d'integrer la Faune a sa structure pour eviter que celle-ci ne retourne a l'Environnement apres son passage peu concluant a la Societe de la faune et des parcs du Quebec, souligne qu'il est difficile, meme si cela peut sembler drole, de << detricoter >> une structure aussi bien integree a une autre. L'autre croit plutot que cette association durera longtemps compte tenu de la force du MRN par rapport a d'autres ministeres, comme celui de l'Environnement. Pour illustrer la faiblesse relative de cette organisation, la fonctionnaire utilise deux exemples etrangers a la Faune, soit ceux des plans de developpement agricole et de l'eau :
Prenons l'exemple, en matiere agricole, des plans de developpement agricole. C'est completement de nature environnementale, mais parce qu'elles [les clienteles] n'aiment pasce que les ministeres de controle fixent comine conditions pour l'obtention des subventions, les ministres se battent pour garder ces programmes-la dans leur cour [les ministres a caractere de developpement economique, comine celui qui gere le MAPAQ]. C'est la meme chose pour la ressource << eau >>. Elle est plus au ministere des Affaires municipales qu'au ministere de l'Environnement. Et, au gre de la popularite ou de la force du ministere de l'Environnement, celui-ci est capable de recuperer certains programmes.
Ainsi, le cas de la Faune permet de faire ressortir une triple logique derriere les restructurations au sein de ce ministere. D'abord, il y aurait eu des raisons politiques, c'est-a-dire que certains changements auraient ete menes pour rehausser le capital politique de politiciens. Ensuite, certaines restructurations representent des occasions d'essais et d'erreurs compte tenu de la complexite du dossier (c'est-a-dire compte tenu de la pluralite d'interpretations possibles au sujet de la place de la Faune au Quebec). Enfin, meme si ce n'est qu'en filigrane, une derniere raison des changements de structures de ce secteur a trait au fait que son importance varie aux yeux des gens au pouvoir et donc, qu'on ne lui accorde pas toujours le meme interet.
Concernant la scission de l'Environnement et de la Faune, un fonctionnaire en entrevue decrit les effets que celle-ci a eu sur le personnel de l'organisation.
[Pour les employes], c'etait assez choquant et assez incomprehensible [la defusion]. Ca ete difficile en termes administratifs, en termes budgetaires et en termes emotifs aussi. [...] Ca ete fait pour Monsieur Chevrette, mais je pense que ca ne servait pas les interets d'un bon programme par rapport a l'Environnement et la Faune, et par rapport aux missions de ces ministeres-la, que je considere plus de protection que de developpement.
Une fonctionnaire rencherit en ces termes : << Pour avoir ete dans la machine, c'est un peu aberrant. Ils [les politiciens] font ca un peu legerement, comme si c'etait rien, alors que les consequences sont importantes ... tu changes de papier a lettre, toute l'energie qui va la-dedans, tu fusionnes, tu defusionnes [...] Tout ca pour satisfaire souvent des egos, parce que tel ministre... >>.
Ce cas renforce l'idee que les consequences se declinent a plus d'un niveau, a savoir des couts administratifs et budgetaires, des preoccupations relatives a la vision et a la mission du ministere ainsi que des impacts au niveau du moral des employes.
Les Regions
Le cas des Regions est egalement un exemple interessant de restructurations multiples. Amene a commenter sur le remaniement ministeriel du 18 fevrier 2005, le journaliste Gilbert Leduc (2005 : A16) du Soleil conclut que << le ballottement administratif [...] fait partie des us et coutumes de certains secteurs de l'activite gouvernementale >>, comine les Regions. Rappelant l'evolution de ce ministere depuis sa creation au debut des annees 1980 par le gouvernement du Parti Quebecois, Leduc fait ressortir combien le destin de cette organisation est etroitement lie au parti politique qui prend le pouvoir, ainsi qu'aux remaniements ministeriels.
Sous les pequistes, au debut des annees 1980, il y a eu le ministere de l'Amenagement et du Developpement regional. Les liberaux l'ont remplace par le ministere de l'Agriculture, des Pecheries, de l'Alimentation et du Developpement regional. De retour aux affaires, les pequistes, en 1998, accouchent du ministere des Regions. A leur tour, les liberaux brassent les cartes et forment, en 2003, le ministere du Developpement economique et regional et de la Recherche. Faites place, maintenant, au ministere des Affaires municipales et des Regions.
Se rememorant le parcours des Regions depuis la creation du ministere de l'Amenagement et du Developpement regional en 1982, un autre haut fonctionnaire propose une explication a ces nombreux changements de structure : une des difficultes d'un dossier comine le developpement regional est de savoir si l'accent doit etre mis sur le developpement economique ou la decentralisation. La valeur politique de la question est rehaussee au Quebec par le fait que ce sont les regions qui font et defont les gouvernements. Rappelant que les regions du Quebec ont des besoins auxquels tous les gouvernements--qu'ils soient formes par le Parti Quebecois ou par le Parti Liberal--parviennent difficilement a repondre, il conclut que ces multiples restructurations s'expliquent par un besoin incessant de trouver une formule plus apte a venir en aide aux regions, et a les developper.
J'ai l'impression que les Regions, c'est un peu complexe. Les Regions, c'est un peu a contrecourant des tendances des trente dernieres annees. On ne s'en va plus dans les regions, on s'en va dans les villes. [...] C'est difficile dans les regions du Quebec, c'est difficile partout, dans tous les pays qui ont vecu un peu les memes genres de changements demographiques. [...] J'ai l'impression que la reponse des structures pour les regions, c'est qu'elles n'ont pas arrete de changer, parce que, justement, il n'y en a jamais eu une qui repond vraiment aux besoins des regions. On n'a pas vu beaucoup de gouvernements se fixer des objectifs en termes de developpement regional et les atteindre. C'est bien difficile. Et meme en mettant beaucoup d'energie et beaucoup d'argent, on voit aussi que cela a beaucoup de limites. [...] On ne trouve pas la bonne solution, on en cherche toujours des nouvelles, j'ai l'impression qu'on est toujours un peu dans cette logique-la. Et peut-etre que si on changeait un peu moins, ce serait plus facile.
De surcroit, l'on n'y accorde pas necessairement la meme attention, selon les gouvernements en place. Un ancien chef de cabinet commente :
C'etait un ministere [les Regions] a part entiere. C'est un ministere qui, pour des raisons politiques, avait recu beaucoup d'attention, et aussi beaucoup de moyens. Des moyens que les Finances et le MIC lui enviaient. [...] Eux [les employes des Regions], se voir reintegrer dans un ministere, ils ne s'attendaient pas a cela. Ca ete d'autant plus traumatisant pour eux que le nouveau ministere s'est retrouve avec deux series de directions regionales, deux reseaux, et il fallait fusionner cela en un seul reseau. [...] Mais ce ministere [le ministere du Developpement economique et regional et de la Recherche] n'a pas dure deux ans. Au bout de deux ans, ce meme gouvernement qui l'avait cree a retire la fonction Regions, plus particulierement la fonction << gestion du territoire >>, pour l'envoyer aux Affaires municipales. Quelle perte de temps et d'efficacite!
Ainsi, ce qui ressort du cas des Regions, c'est d'abord la complexite du dossier et la consequence sous-jacente a l'effet que la solution << ideale >> est difficile a concevoir. Ensuite, l'importance des regions quant aux resultats des elections semble avoir des incidences quant au fait de considerer les regions comme un dossier prioritaire ou non.
Selon des fonctionnaires rencontres, les trois dernieres restructurations ayant touche les Regions se sont averees particulierement spectaculaires et ont demande beaucoup d'energie au personnel de l'organisation. D'abord, en 1998, les Regions ont acquis plus de visibilite et d'autonomie, devenant un ministere a part entiere. Le personnel a ainsi ete mobilise pour batir de toute piece une nouvelle organisation, avec sa mission et ses couleurs. Ensuite, en 2003, les Regions ont du se joindre au mega-ministere des Finances, de l'Economie et de la Recherche conformement a la volonte du gouvernement liberal. Cet arrimage n'a pas ete facile puisqu'il a exige, comme pour la Recherche en 2002, de renoncer a une autonomie nouvellement acquise. Enfin, le recent demenagement des Regions au ministere des Affaires municipales a ete tout aussi important, ayant amene les employes, en moins de deux ans, a s'integrer a deux organisations tout a fait differentes. Amene a retracer le parcours des Regions au cours des huit dernieres annees, voici comment un des fonctionnaires a explique les effets de tout ce mouvement sur le moral du personnel, ainsi que sur la prestation de services aux citoyens:
Les employes de l'Etat, quand ils regardent une fusion, ils vont regarder cela plus en termes de realisation de la mission. On oublie trop souvent qu'ils croient en ce qu'ils font. Eux, tis vont jauger la decision du gouvernement en fonction de ce qu'ils pensent que cela va produire sur le contenu meme de leur tache, sur l'efficacite de leurs efforts, sur la mission du ministere. Tu veux, dans le fond, travailler pour une cause noble, pour une mission, tu veux t'identifier. [...] Il y a quelque chose qui s'appelle << le sens de la mission >>. Et puis, si tu veux motiver les gens pour qu'ils appuient correctement les volontes legitimes du gouvernement--les elus qui disent que c'est par la qu'on s'en va--si tu veux que les troupes suivent, il faut qu'elles sachent ce qu'on attend d'elles, qu'elles trouvent ca noble, grand, et motivant. Puis, quand tu changes trop souvent [de structure], le << sens de la mission >> se perd. Si tu changes aux deux ans, juste installer une vision dans un ministere, [...] ca prend des annees pour faire ca.
La realite des restructurations au niveau des Regions accentue la difficulte a changer d'orientation frequemment, en termes a la fois d'engagement des employes et d'efficacite dans la prestation au citoyen. De meme, ce cas renforce l'idee de consequences non negligeables sur le moral des employes.
Le cas du Quebec est interessant dans la mesure ou il fait ressortir deux traits caracteristiques des restructurations repetees au gouvernement. D'abord, une raison pour restructurer emerge des cas de la Faune et des Regions, a savoir qu'il existe des dossiers complexes, dont la frequence de restructurations illustre plus l'ignorance de la solution, qu'un reel projet porteur de sens. Ensuite, une restructuration est rarement assortie d'une seule raison. Parmi les raisons apparues plus frequemment, notons les raisons politiques, la complexite du dossier et le fait de considerer un dossier comme prioritaire.
Le cas du gouvernement federal
A l'image du gouvernement du Quebec, il arrive que le gouvernement federal restructure ses organisations lors de remaniements ministeriels ou de changements de gouvernement. Toutefois, selon un consultant interroge, ce n'est pas une pratique a laquelle il se livre serieusement depuis longtemps. << Cette maladie (les changements de structures a repetition), tout comine comme la grippe aviaire, a procede de l'est vers l'ouest. C'est parti du Quebec, puis cela a touche au federal. Le federal est un petit peu plus calme, en general, sauf deux ou trois episodes, mais la, le federal vraiment fonctionne de maniere cyclique, comme le Quebec la-dessus [...]. >> La realite d'un nombre restreint de restructurations au federal est corroboree par les resultats de Davis, Weller, Craswell et Eggins (1999 : 28). Dans une etude longitudinale de nature comparative entre plusieurs pays, ces auteurs identifient quelques cas d'amenagements structurels au Canada par rapport a des reorganisations d'envergure en Australie.
Le ministere des Ressources humaines
Le ministere des Ressources humaines a ete restructure regulierement au cours des dernieres annees. Anciennement le ministere de l'Emploi et de l'Immigration, il est devenu, avec l'arrivee aux commandes de Kim Campbell en 1993, le ministere du Developpement des ressources humaines Canada (DRHC), appellation conservee sous Jean Chretien. Mais, des que Paul Martin est devenu premier ministre, celui-ci l'a divise en deux, placant ses fonctions d'aide aux personnes a Developpement social Canada (DSC) et confiant la formation des travailleurs a Ressources humaines et developpement des competences Canada (RHDCC). A peine plus de deux ans apres cette scission, Stephen Harper annonce qu'il souhaite redonner vie a l'ancienne structure, qui devrait porter le nom de ministere des Ressources humaines et du Developpement social et ce, dans le but d'obtenir une meilleure reddition de comptes et accroitre l'efficacite (Gaboury 2006 : 6). La presidente de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada, Michele Demers, avoue n'y rien comprendre, comme le rapporte Pierre Gaboury, du journal Le Droit :
Madame Demers note [...] que de nombreux fonctionnaires risquent de ne pas comprendre pourquoi certains ministeres seront encore touches par des changements structurels alors que plusieurs venaient a peine de s'habituer aux nouvelles structures mises en place par les liberaux de Paul Martin. [...] C'est le cas au ministere des Ressources humaines et du Developpement des competences, qui fusionne avec celui du rninistere du Developpement social pour former le ministere des Ressources hurnaines et du Developpement social [...]. Les liberaux avaient decide, eux, de fractionner ce ministere [...], alors que la, on veut en faire un seul. << J'ai lu les explications et je ne comprends pas vraiment >>, a admis Mme Demers.
Les Affaires etrangeres
Le gouvernement de Stephen Harper souhaite egalement fusionner Affaires etrangeres Canada (AEC) et Commerce International Canada (CICan). Ce qui est digne d'interet, ici, c'est que le gouvernement Martin a donne naissance a ces deux entites sans avoir reussi a faire adopter son projet de loi C-31, qui visait precisement a scinder le ministere du Commerce international du ministere des Affaires etrangeres et du Commerce international. Malgre la defaite alors en chambre du projet, de loi, le gouvernement avait procede a la scission (Schmitz et Lee 2005). A l'epoque, le gouvernement disait souhaiter developper l'economie du 21e siecle en creant << a strengthened department of international trade to provide centralized support for integrated federal trade and investment promotion (253) >>. Le ministre Pettigrew avait alors declare que c'etait pour souligner l'importance du domaine pour le Canada. Resultat : le gouvernement conservateur fusionnera deux organisations qui n'ont jamais ete defusionnees legalement par un vote a la Chambre des communes. Comme l'a resume dans Le Soleil le professeur Nelson Michaud (2006 : A29), le gouvernement de Paul Martin a agi a l'encontre des legislateurs, et il en est resulte deux organisations dont le cadre legal ne correspond pas a leur cadre administratif. On peut penser qu'une telle situation engendre des problemes administratifs non negligeables. Les milieux d'affaires n'avaient pas demande un tel changement et n'en voyaient pas l'utilite car il y avait deja un probleme d'eloignement de la population dans le processus de formulation de la politique (Schmitz et Lee 2005 : 258-62:). Derek Burney et Allan Gotlieb, qui ont occupe certains des postes les plus eleves et prestigieux aux Affaires etrangeres, avaient alors predit que deux ans de perturbations administratives suivraient la separation du ministere en deux.
Comme dans d'autres pays et egalement dans la province de Quebec (Bernier 1996), le ministere des Affaires exterieures et du Commerce international aura vecu fusions et defusions un certain nombre de fois au fil des decennies. Cela dit, la fusion de 1982 entre << Affaires etrangeres >> et << Commerce >> etait percue positivement par plusieurs journalistes, universitaires, et anciens ministres (Schmitz et Lee 2005 : 254), d'ou le revirement du gouvernement Harper par rapport a la reorganisation de son predecesseur avec les couts et les frustrations engendres chez le personnel.
Ces deux changements sont les plus recents a etre survenus au federal. Par le passe, ce gouvernement a quand meme change certaines de ses structures a plusieurs reprises, dont le cas des Parcs. En fait, de 1966 a 1979, Parcs nationaux historiques etait l'une des cinq divisions du ministere des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC). Uorganisme dedie aux parcs nationaux est devenu, en 1979, Parcs Canada, qui a releve du ministere de l'Environnement jusqu'en 1993, et du ministere du Patrimoine canadien jusqu'en 2003. Or, entre-temps, Parcs Canada est devenu une agence en 1998, l'Agence Parcs Canada. Elle releve desormais du ministere de l'Environnement depuis 2003. Les deux cas federaux recents illustrent, pour l'un, une volonte de faire mieux et pour l'autre, un dossier a prioriser.
Au federal, les reactions au til des ans sont enoncees par l'editorialiste Michel Vastel (1993 : A8) :
Partout, fonctionnaires municipaux, provinciaux, federaux, sont en beau maudit contre << le >> gouvernement. Demandez, par exemple, a un employe de Parcs Canada, ce qu'il pense de ces reorganisations successives qui l'ont fait passer du ministere des Affaires indiennes, a l'Environnement puis au Patrimoine canadien. Du plus obscur messager au chef de service, chacun sait ce qu'il en coute de demenager des bureaux, transferer les lignes de telephone, reimprimer des cartes d'affaires et des en-tetes de lettres. Bref, de cet argent qui degouline des organigrammes quand il faut se serrer la ceinture avec des salaires geles et taxes retroactivement!
Ainsi, cet exemple federal accentue les frais administratifs et budgetaires lies aux restructurations et attire simultanement notre attention sur les effets pervers de ces couts alors que quelquefois, la volonte de les reduire est en amont des restructurations.
Le cas de la Nouvelle-Ecosse
Developpement economique
Les changernents qu'a du vivre le domaine du developpement economique en Nouvelle-Ecosse ont attire notre attention. I1 a subi fusion, defusion, ajout de responsabilites et pertes de responsabilites au cours de periodes rapprochees.
Sous le regne des progressistes conservateurs en 1987, le ministere qui etait connu depuis plusieurs annees sous le nom de ministere du Developpement (Department of Development), a ete divise pour creer le ministere de l'Industrie, du Commerce et de la Technologie (Department of Industry, Trade and Technology) et le ministere du Developpement des Petites Entreprises (Department of Small Business Development). Le successeur de Roger Bacon, Donald Cameron, egalement progressiste conservateur, decida de reunir ces ministeres en 1992 et de redonner vie au defunt ministere du Developpement. II changea toutefois la denomination pour ministere du Developpement economique (Department of Economic Development). Uobjectif de cette fusion etait de faire des economies par la reduction de personnel. Le gouvernement d'alors affirmait ainsi vouloir remedier au dedoublement de services qui existaient entre certains ministeres tout comine certains emplois qui se recoupaient.
En 1993, sous le premier ministre John Savage, le ministere du Developpement economique est une fois de plus dans la mire des changements de structures.
[...] we hear that more than a few people at the provincial Department of Economic Development are nervously awaiting the coming amalgamation of that department with the department of Tourism. A correspondent within the department teus us the merger, which is probably going to happen within the next two or three weeks, means the end of the road for several people in Economic Development. Our source says that minister Ross Bragg considers the department too bulky and loaded with people who just aren't producing, and he's going to use the merger of the two departments as an excuse to get rid of this deadwood. Considering how poorly the department has performed the past few years, it's probably a change that's long overdue (Pross 1993 : 2).
Ainsi en 1994, le ministere du Developpement economique reprend la responsabilite du Tourisme qu'il avait perdue en 1971, et devient l'Economic Renewal Agency. En 1999, ce ministere perd de nouveau la responsabilite du Tourisme et est alors renomme ministere du Developpement economique.
En 2000, c'est au tour de John Hamm, devenu premier ministre, de proceder a une importante restructuration du gouvernement. Le developpement economique ne sera pas oublie, le ministere accueille cette annee-la la division marketing des etudes superieures ainsi que la division du developpement du marche du travail jadis au ministere de l'Education. Deux ans plus tard, en 2002, ce dernier ministere perd la responsabilite du developpement des affaires (business). I1 obtient toutefois, en 2002, la responsabilite de la technologie et de l'innovation pour devenir le Bureau du developpement economique. La principale responsabilite du ministere : << [...] is planning for economic growth. It serves as a central agency for economic policy development and planning >> (http://www.gov.ns.ca/nsarm/ gaho/authorities.asp?Search=&fieldSelect=departments&submit.x=23 &submit.y=9), Nova Scotia Government, Government Administrative Histories Online, 2006, consulte en avril 2006).
I1 semble que depuis 2002, le ministere beneficie d'un peu de repit. I1 y a eu des changements de ministres, mais il n'y a pas eu d'autre changement dans sa structure. Dans le cas present, il semble qu'une raison ayant favorise plusieurs restructurations soit la recherche d'efficience, l'idee de faire mieux a moindre cout. Les restructurations de 1992 et de 1993 s'expliquent de cette facon. Par ailleurs, le detachement du Tourisme au ministere du Developpement economique, son raccord successif et son nouveau detachement peuvent laisser croire a un dossier complexe, dont la complementarite avec d'autres ministeres reste a creer.
Un commentaire du vice-president du syndicat des employes du gouvernement de la Nouvelle-Ecosse, Neil McNeil, souligne l'insecurite qui s'installe chez les employes lors de l'annonce d'une restructuration. << Our members in today's briefing sessions were hearing that there may well be major job cuts and in some cases forced competitions just to keep their own jobs >> said Neil McNeil, vice-president of the Nova Scotia Government Employees Union (Nicoll 2006 : 4).
De plus, le travail que necessite la transition d'un ministere a un autre est aussi a considerer selon le meme article : << Government employees were told about the changes yesterday morning. Such issues as new job descriptions, classifications and retraining issues will be settled during the transition period >> (4).
Dans un article commentant les propositions de reforrnes d'un groupe de travail forme par le gouvernement de la Nouvelle-Ecosse, Paul Pross (2000 : 2) mentionne qu'il est faux de croire que les restructurations et les reformes sont le meilleur moyen pour couper les depenses de l'Etat et bien qu'elles puissent etre requises, il faut reflechir avec attention aux changements qu'elles entrainent :
The most immediate criticism of the call for major reorganization is that it is unwise to start major structural reforms at the same time that the public service is being asked to tighten its belt and to conduct a major, cost-cutting programme review. Major change is a challenge for any large organization. New priorities have to be set. Budgets must be recalculated. Offices have to be moved. Responsibilities must be redefined. New reporting relationships have to be worked out. Some employees must leave. Positions must be reclassified. Competitions have to be held so that the redefined positions can be filled. Employees have to learn to work with new colleagues, new procedures and new responsibilities. Throughout ali of this there are delicate and timeconsuming negotiations with unions. There is also a constant problem of maintaining morale amongst employees who will be affected, or think they will be affected. All of this takes lot of time and energy - and therefore, money.
Les restructurations de cette province confirment les consequences identifiees precedemment et ajoutent a ces dernieres. De fait, les propos de Nicoll vont dans le sens d'une absence de reperes, a lier avec l'orientation qui doit teinter le ministere. Mc Neil, pour sa part, commente sur les repercussions ayant eu lieu sur les employes et ultimement sur le climat de travail. Enfin, le fait de s'attarder a la mise en oeuvre du changement et a la charge de travail qui y est associee tend a montrer les effets pervers des restructurations, dont l'operationnalisation coute cher et nuit a l'atteinte de cibles budgetaires restreintes.
Le cas de I'Ontario
Pour les fonctionnaires rencontres, la raison principale des restructurations est symbolique. << At the beginning of reforms, symbolism is the strongest, not results. >> Ainsi, l'accent porte davantage sur l'idee de resolution d'un probleme que sur l'atteinte de meilleurs resultats. Ils donnent l'exemple de la prevention en sante qui est un dossier important dans la gestion de la sante et pour lequel on vient de creer une entite administrative qui va gerer 50 millions sur les 36 milliards du budget annuel de la sante en Ontario. Cette transformation, comme les chiffres l'indiquent, etait plus symbolique qu'autre chose.
Plus recemment, ce sont les dossiers comme l'immigration, la recherche et l'innovation et les infrastructures publiques, importants pour le premier ministre ontarien, qui ont eu de l'elan et de nouvelles structures. Selon ces fonctionnaires, ces changements ont ete faits non pas a cause du poids politique des ministres mais pour des raisons de communication ou de politiques publiques.
Un ministere ontarien perpetuellement en difficulte est celui de l'industrie et du commerce. C'est un portefeuille qui a porte au til des ans sur les grandes et les petites entreprises, le commerce exterieur, le tourisme, l'innovation, le developpement regional et la technologie. I1 y a eu tellement de changements a ce ministere qu'il y a ete difficile de developper une expertise et un sens de la mission. C'est aussi un ministere qui a de la difficulte a se trouver des sympathisants, etant souvent devalorise par les gens du milieu. I1 n'y a pas de coalition plaidant en leur faveur. De la meme maniere, le developpement rural a ete ballotte entre divers ministeres comme la Culture et le Tourisme. On peut retenir de ces changements frequents dans certains ministeres qu'il s'agit d'un dossier complexe.
En Ontario, il semble se degager une tendance a l'effet que plusieurs reorganisations sont menees pour montrer la volonte politique de prioriser certains dossiers, de montrer qu'on leur accorde de l'importance. Le programme electoral du premier ministre McGuinty prevoyait, alors qu'il a ete elu la premiere fois, des reformes en education, pour les enfants et pour le systeme electoral. Des restructurations ont ete faites en ce sens. Une fois elu, comme au Quebec, son gouvernement a retouche le ministere de la Recherche et de l'Innovation mais aussi les services aux consommateurs, les infrastructures ainsi que les agences centrales. La transformation du ministere de la Recherche et de l'Innovation est vue par les fonctionnaires rencontres comme une idee du premier ministre pour des raisons de politique publique et de communication. I1 apparait egalement que le ministere de l'Industrie et du Commerce, ainsi que celui du Developpement rural, aient vecu plusieurs reorganisations a cause de la complexite du dossier. Ces ministeres sont par ailleurs mal-aimes par leurs clienteles. Le ministere de l'Industrie a du avoir une demi-douzaine d'appellations au fil des 25 dernieres annees, ce qui temoigne de la difficulte de cerner sa mission. On lui a joint et enleve au fil des ans les petites et grandes entreprises, le commerce, le tourisme, l'innovation, le developpement regional, la technologie, le developpement economique.
Ces ministeres connaissent des cycles de transformation parce que l'on n'arrive pas a trouver la bonne structure. Par ailleurs, certaines transformations sont jugees des succes. Par exemple, le ministere des Services a l'enfance et a la jeunesse a la responsabilite des services correctionnels pour sa clientele. Ce decouplage du systeme pour adultes est percu comme un progres. Le ministere des Affaires municipales et de l'Habitation semble aussi bien fonctionner.
Les fonctionnaires ontariens concluent que les restructurations ne doivent pas etre liees a la personnalite des ministres, les consequences depassent alors les benefices. Ils evaluent egalement qu'il faut eviter de creer des ministeres gargantuesques trop difficiles a gerer. Ils considerent egalement que les restructurations fonctionnent bien lorsqu'on combine des services proches comine ce fut le cas pour l'enfance. On pourrait aussi, selon eux, repenser les fusions autrement en regardant les possibilites de partager des services administratifs ou des batiments, au lieu de restructurer les organisations qui offrent directement les services. On peut donc retenir du cas ontarien, l'importance d'accorder les structures aux objectifs gouvernementaux, l'importance symbolique des restructurations et la difficulte de certains domaines comme celui de l'industrie.
Que retenir?
Les cas relates, tous territoires confondus, nous amenent a formuler deux types de constats. Tout d'abord, deux domaines semblent plus problematiques, et ce, dans plusieurs provinces. I1 s'agit du developpement economique (ou d'Industrie Commerce) que ce soit au Quebec, en NouvelleEcosse ou en Ontario et des domaines lies a l'environnement (Parc, Faune) au Quebec et au federal. Toutefois, les similitudes s'arretent la. Les raisons derriere les restructurations concernant ces secteurs different. Cette question des ministeres problematiques n'etait pas couverte dans les travaux recenses dans la premiere section de cet article.
En fonction de la documentation presentee dans cette premiere section, et compte tenu des cas que nous avons etudies, on peut retenir que les raisons politiques sont celles qui expliquent les restructurations de ministeres davantage que l'amelioration de l'efficience du secteur public. Ces raisons politiques peuvent etre liees aux programmes des nouveaux gouvernements ou des nouveaux premiers ministres. L'aspect symbolique des restructurations peut etre positif. Uidee largement repandue que les reorganisations sont faites pour des raisons de politiques, de partisanerie et de personnalite comme Osbaldeston (1993) l'a ecrit s'avere donc exacte mais a nuancer. Les raisons politiques ont plusieurs visages : les priorites gouvernementales expliquent quatre cas et dans deux autres cas, les considerations politiques et la recherche de l'efficience s'entremelent pour expliquer les restructurations. La rhetorique au sens de la litterature etudiee explique un cas.
Les deux hauts fonctionnaires de la Saskatchewan que nous avons rencontres ont ajoute un aspect tres particulier avant les dernieres elections generales qui ont eu lieu dans cette province. La capacite des ministres de negocier certaines restructurations a ete importante. Avec une majorite d'un seul siege, les ministres ont pu << faire chanter >> le premier ministre et lui demander des redecoupages administratifs qui avaient plus a voir avec des interets personnels que la saine gestion publique. Comme on a parfois reproche au Quebec a Guy Chevrette certaines restructurations, ses semblables ont fait de meme en Saskatchewan.
Ainsi, l'idee de s'interesser aux restructurations pour en connaitre les raisons sous-jacentes et apprendre de leur mise en oeuvre permet de savoir ce qui se fait et d'en tirer des lecons. Connaitre les domaines complexes et difficiles a cerner nous apparait porteur. Nous retenons egalement que comme la politique prime sur la recherche de l'efficience, restructurer moins est mieux structurer et aussi que la litterature scientifique couvre mal le sujet.
Dans un chapitre consacre aux restructurations, l'OCDE (2005) souligne que celles-ci sont souvent couteuses, qu'elles troublent l'attention du personnel et accroissent son insecurite, en plus de detourner l'attention de la direction des difficultes immediates. Louis Bernard soulignait en entrevue qu'on sous-estime generalement le cout reel d'une restructuration. I1 est trop facile pour un premier ministre de reorganiser l'Etat. Il faudrait eviter de reorganiser les ministeres lors des remaniements ministeriels. Des regles generales sont impossibles. Ainsi, l'idee de valoriser un modele ideal de structure ou de chercher a en importer un d'un autre pays n'est pas d'emblee la solution a retenir. Ce constata egalement ete fait recemment suite a la restructuration du gouvernement central au Japon et a sa comparaison aux modeles Europeen et Anglo-Saxon (Kaneko 2006; Schwartz 1997). A certains moments, il faut creer de nouveaux ministeres. Le cout d'une restructuration est double, premierement en temps. Alors que le gouvernement n'est en place que pour un mandat de quatre ans, la machine administrative doit prendre le temps de se reorganiser. Deuxiemement, l'experience accumulee dans l'ancien contexte est en partie perdue. Des contacts utiles sont alors a refaire. Si on en etait plus conscient, on serait plus prudent. A la suite des cas de restructurafion evoques plus tot, regardons les consequences qui se sont manifestees.
En fait, les exemples recenses indiquent que les consequences sont essentiellement de trois ordres. Premierement, il y ales consequences administratives et budgetaires, c'est-a-dire les couts lies aux demenagements, aux transferts telephoniques, a l'imprimerie, etc. Ensuite, il y a les consequences relatives a l'orientation du ministere, soit les considerations liees a la mission et a la vision de celui-ci. Essentiellement, il s'agit de rendre possible la realisation de la mission et de veiller aux interets d'un bon programme. Finalement, il est question des consequences sur le personnel et ces dernieres sont nombreuses. Il y ales pertes d'emploi et leur incidence sur le moral des employes, il y a la question de l'engagement par rapport a la vision vehiculee du ministere a la suite de la restructuration et il y a egalement l'insecurite relative aux nouvelles facons de fonctionner et a la perte de reperes traditionnels. La premiere et la troisieme serie de consequences ont pour autre effet de creer de nouvelles depenses alors qu'a certains moments, les couts et leur compression sont a l'origine des restructurations. Il n'y a guere d'economie a esperer d'une restructuration. C'etait vrai du temps de Roosevelt et cela n'a guere change (March et Olsen 1983). Il y a donc reellement lieu d'etre plus sensible aux raisons en amont des restructurations et a leur realisation subsequente lors de la mise en oeuvre.
Conclusion
Avec la montee du nouveau management public, on a souvent etudie les << meilleures pratiques >> du secteur public. Les restructurations, sauf exception, ne devraient pas etre retenues parmi les changements a accomplir. En principe, les structures administratives ont ete developpees pour rendre applicable le principe de la responsabilite ministerielle tel qu'introduit au XIXe siecle et pour organiser logiquement le travail entre differents ministeres. Une restructuration peut etre rendue necessaire si les priorites etatiques changent. Or dans les cas que nous avons etudies, ces priorites ne changent guere. On ne semble pas savoir comment s'organiser pour faire le travail.
Dans cet article, nous avons choisi de traiter des raisons a l'origine des restructurations et des consequences de ces dernieres. L'idee etant de valider si les raisons empiriques de restructurer coincident avec les raisons recensees dans la litterature et surtout, chercher a comprendre si certaines restructurations semblent plus legitimes et utiles que d'autres. De plus, nous voulions inciter une reflexion concernant le nombre eleve de restructurations et leurs lendemains decevants.
Il y a de bonnes raisons de restructurer. Par exemple, de nouveaux dossiers attirent l'attention des gouvernements, comme ce fut le cas de l'environnement ou de la recherche et de la technologie. Les exemples presentes ici ont permis de decouvrir qu'il y a une raison de restructurer qui n'etait pas reellement recensee, a savoir les cas ou le dossier ministeriel est complexe. On cherche alors une solution. Les fonctionnaires rencontres en Ontario soulignent que ce sont les memes domaines qu'au Quebec qui sont problematiques chez eux. C'est le cas du dossier des regions et du developpement economique qui hante les gouvernements. Certains ministeres semblent perpetuellement en restructuration comme Brian Hogwood (1988) a decrit le ministere britannique de l'Industrie et du Commerce. Les exemples de la Nouvelle-Ecosse et du gouvernement canadien vont dans le meme sens. Dans de telles situations, la frequence des reorganisations est liee a une recherche de solutions pour gerer adequatement un dossier qui suscite une pluralite d'interpretations. Il nous apparait plus opportun de proceder a des restructurations dans de telles situations par rapport aux cas oh seul l'interet politique du detenteur du ministere est considere. La visibilite que les gouvernements veulent donner a certains dossiers semble egalement justifier des restructurations. Les politiques publiques peuvent etre une facon d'organiser les restructurations (Chanin et Radin, 2009). En entrevue, Louis Bernard disait qu'il n'y a pas de recette optimum. La question est tres complexe et il existe donc differents modeles ayant chacun ses avantages et ses inconvenients. Il faut toujours concilier deux elements et donc faire un compromis entre, d'une part, les besoins de l'administration et, d'autre part, une conception de la configuration de l'Etat (avoir 15 ministres par exemple), et creer une structure en consequence. Il faut aussi etre capable de vivre avec des inefficacites.
Des entrevues, une raison claire de ne pas restructurer est ressortie : un remaniement ministeriel. Pourtant, pour plusieurs hauts fonctionnaires, lorsqu'un gouvernement arrive au pouvoir, il peut vouloir organiser les structures en fonction de ses priorites (6). Or, les restructurations qui suivent un remaniement sont generalement improvisees et donnent des resultats mediocres si elles ne sont pas contreproductives. Restructurer a chaque remaniement ministeriel n'est pas synonyme d'ameliorer les structures, bien au contraire. Il faudrait que les premiers ministres organisent leur jeu de chaises musicales sans changer les structures gouvernementales.
De plus, les consequences des restructurations et les couts sous-jacents sont multiples et meritent une reflexion sur la pertinence de restructurer aussi souvent et aussi facilement. Les restructurations sont percues comme un moyen simple d'apporter des changements. Leur apparente simplicite n'est toutefois pas gage d'efficacite. De surcroit, il faut relativiser entre la facile formulation de la restructuration et sa difficile mise en ceuvre. La majorite des cas illustre un decouplage entre volonte de changer et realisation du changement. Finalement, pendant que des energies sont investies pour restructurer, la gestion quotidienne est negligee et les problemes ne sont pas resolus d'emblee. Il faut donc songer au cout << cache >> des restructurations, celui qui est inherent a la perturbation de l'ordre etabli. Combien de temps faut-il pour creer une culture organisationnelle coherente qui peut etre brisee par des restructurations trop frequentes? Les politiciens ont l'illusion de regler des problemes en changeant frequemment les structures ministerielles alors qu'en fait, ils nuisent a leur necessaire institutionnalisation.
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Notes
(1) Les termes << restructurations >> et << reorganisations >> sont utilises alternativement. Restructuration signifie ici une transformation des structures d'un ministere. Il en va de meme pour << structures >>, << arrangements organisationnels >> et << structures administratives >>. Voir Guy B. Peters, << Government Reorganization: a theoretical analysis >>, International Political Science Review 13, 1992 : 199-217.
(2) Les raisons invoquees dans le prive sont differentes : creation d'une nouvelle compagnie ou division, croissance anticipee, promotion de carriere, changement strategique, changements a d'autres niveaux hierarchiques de l'organisation, changement majeur dans l'environnement externe, performance insatisfaisante. Extrait de J. Galbraith, D. Downey et A. Kates, Designing dynamic organization. New York : Amacom (2002).
(3) Le terme raison politique est employe ici dans le sens d'offrir un capital symbolique a des politiciens par l'acte de reorganisation. OCDE, La modernisation du secteur public : la modification des structures organisationnelles, Organisation de cooperation et de developpement economique, Paris, 2004; et E. Ferlie, J. Hartley et S. Martin, << Changing Public Service Organizations and Future Prospects >>, British Journal of Management 14, 2003, (S1-S14).
(4) Par exemple, en 2001, suite a l'election du gouvernement Campbell, l'administration publique en Colombie-Britannique a ete radicalement restructuree. Les cas de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique sont utilises dans ce texte comine base de comparaison mais ne sont pas cites au meme titre que les autres.
(5) La Societe de developpement industriel du Quebec (SDI) est devenue, par la suite, Investissement Quebec.
(6) Par exemple, en 2001, le nouveau gouvernement de Colombie-Britannique qui etait donne gagnant avec un an d'avance par les sondages, avait pu penser a son programme et aux structures pour le realiser.