Rommel's Desert War: Waging World War II in North Africa, 1941-1943.

Capet, Antoine

Rommel's Desert War: Waging World War II in North Africa, 1941-1943, par Martin Kitchen. Cambridge Military Histories. New York, Cambridge University Press, 2009. xvii, 598 pp. $38,00 US (couverture rigide).

Apres Douglas Haig and the First World War de J.P. Harris (voir notre recension sur H-Diplo, 2009), la collection de creation relativement recente (2007) Cambridge Military Histories, dirigee par Hew Strachan et Geoffrey Wawro, vient de publier un autre copieux ouvrage fort bienvenu sur un sujet vraisemblablement inepuisable--et l'expression << la guerre du desert >> a naturellement ete remise au gout du jour par les evenements de ces dernieres annees. Tout est la, donc, pour susciter l'interet du lecteur, qui--disons-le d'emblee--ne sera pas decu par la remarquable somme de Martin Kitchen, qui nous a deja donne notamment en matiere d'histoire militaire allemande A World in Flames: A Short History of the Second World War in Europe and Asia, 1939-1945 (Longman, 1990), Nazi Germany at War (Longman, 1994), The German Offensives of 1918 (Stroud: Tempus, 2001) et The Third Reich: Charisma and Community (Longman, 2008).

Il est clair que, comme il se doit pour toute ambitieuse monographie qui se veut la reference dans son domaine, l'auteur a << tout lu >> : il nous fait dans son introduction un panorama critique a la fois tres concis et tres eclairant de ce que ses predecesseurs, anglophones et allemands, ont pu ecrire sur le sujet depuis Rommel lui-meme. Des financements canadiens (Martin Kitchen est professeur emerite a l'universite Simon Fraser de Vancouver) lui ont permis de retourner etudier les archives allemandes, et il ne se fait naturellement pas faute de les utiliser : les notes (helas regroupees fort peu commodement a la fin du livre au lieu de figurer en bas de page--contrairement a ce qu'on pourrait attendre d'une collection a vocation ouvertement universitaire) regorgent de << BAMA >> (Bundesarchiv-Militararchiv, Fribourg-en-Brisgau) et autres << PAAA >> (Politisches Archiv Auswartiges Amt, Berlin).

C'est d'ailleurs sur une note plus << politique >> que << militaire >> que debute le premier chapitre. Certes, les deux sont rarement tranches, mais Martin Kitchen fonde toute son argumentation sur un rappel bien necessaire quand on a a l'esprit les caricatures britanniques du temps de guerre ou Mussolini n'apparaissait que comme le jouet d'Hitler. Il revient fort opportunement sur les conceptions qu'on baptiserait aujourd'hui << geo-politiques >> d'Hitler--conceptions qui faisaient de l'Italie un pilier essentiel de l'alliance contre << l'hydre juive mondiale >>, au point qu'il n'abandonna jamais Mussolini. C'est a la suite de cet engrenage que les Allemands sont contraints d'envoyer des troupes en Afrique du nord, a la rescousse d'Italiens qui avaient imprudemment surestime leurs forces en les envoyant depuis la Libye chasser vers le Nil celles d'un Royaume-Uni juge moribond a l'automne 1940. Tout decoule de ce mauvais pari initial d'Hitler--aveugle par l'ideologie et sourd aux avertissements d'un entourage plus realiste.

C'est Rommel qui est choisi personnellement par Hitler contre le gre du grand etat-major de l'armee (OKH) et, nous dit Kitchen, il le presente a Mussolini comme << 'the most exceptional (verwegensten) tank general that we have in the German army' >> (p. 49)--ce qui nous conduit a douter de la connaissance de l'allemand que peut avoir Kitchen, car mon dictionnaire donne << temeraire, audacieux, hardi >> comme sens a verwegen. Ce soldat << temeraire, audacieux, hardi >> est techniquement sous les ordres du commandement italien lorsqu'il debarque a Tripoli le 12 fevrier 1941, mais une clause lui permet d'en appeler directement a Hitler--et sa temerite ira jusqu'a lui faire negliger les ordres de l'ancien caporal. Sa 5e Division legere mettra quant a elle quarante-deux jours a debarquer vu l'exiguite du port et l'ensemble des forces allemandes prendra le 21 fevrier le nom officiel de Deutsches Afrika Korps, appele a la celebrite que l'on connait sous le raccourci Afrikakorps. Rommel << l'audacieux >> voit ses premiers preparatifs d'offensive frustres par les restrictions en hommes et en materiel imposees par Berlin : c'est qu'Hitler amasse alors ses forces pour l'operation Barberousse sans mettre Rommel dans le secret.

Notre auteur n'est pas le premier a insister sur tout ce qui entoure en amont la confrontation decisive sur le champ de bataille--on pense ici notamment a Anthony Cave Brown (Bodyguard of Lies. Toronto: Fitzhenry & Whiteside, 1975 / Le rempart des mensonges. Paris : Pygmalion, 1981), qui avance que jamais Montgomery n'aurait pu gagner a El Alamein sans l'interception et le dechiffrage des transmissions allemandes grace a Ultra. Ici, Kitchen met plutot l'accent sur la logistique, cle du succes dans la << guerre du desert >>, et il va jusqu'a dire que Montgomery doit sa victoire aux sacrifices sans gloriole du Royal Army Service Corps. On lit donc en creux que si Rommel a perdu la bataille finale, c'est qu'il n'a jamais beneficie du meme soutien logistique. Cette these en vaut d'autres, en ce domaine oU l'on ne pourra jamais rien prouver.

Toutes les operations qui menent Rommel de son arrivee a Tripoli (fevrier 1941) a son depart de Tunisie (mai 1943--Kitchen baptise 'Tunisgrad' son chapitre 12, consacre entre autres au baroud d'honneur du col de Kasserine, de triste memoire dans l'armee americaine sous le nom de Kasserine Pass, et sur lequel s'acheve son texte) via El Alamein (novembre 1942) sont naturellement expliquees et commentees en detail, avec la description des chefs et des unites des deux camps, l'etude des chars, des avions et des pieces d'artillerie, l'analyse des tactiques et des ruses de guerre le tout excellemment replace dans le contexte des intrigues et debats a Berlin et a Rome, mais aussi a Londres et a Alger, et parfaitement illustre par de nombreuses cartes qui permettent de suivre le mouvement des forces en presence et par des photographies d'epoque toujours pertinentes pour tenter de recreer le decor ambiant. C'est la un regal pour les specialistes de la chose militaire.

Une bibliographie de 56 pages, qui comprend ouvrages et articles principalement en anglais, mais aussi en allemand et parfois en italien, avec quelques references en francais (un cas limite etant un article en italien publie dans la Revue internationale d'histoire militaire en 1978), vient couronner le livre et malgre de graves erreurs de nom (ceux de Gravina, Salmond, Steffens, Tillmann, Wilkinson-Latham, Winton sont estropies) ou de titre (le classique de Wingate, The Fighting Tenth, devient The Fighting Truth ; Panzer Bait est incomprehensible sous le titre Paner Bait) elle sera d'une utilite considerable pour ceux qui voudraient pousser plus loin les analyses deja fort completes et toujours eclairantes des differents aspects de la << guerre du desert >>--celle de 1941-1943, s'entend.

Antoine Capet

Universite de Rouen