"Jeunes a risque": genealogie d'un langage problematique.
Caron, Caroline ; Souliere, Marguerite
CE TEXTE A pour point de depart notre questionnement commun sur la responsabilite des chercheurs dans la distorsion des representations sociales de l'adolescence et de la jeunesse (Lesko 1996, 2001). Plusieurs adolescents interroges dans nos travaux respectifs (Caron 2009; Souliere 2009) expriment avec frustration leur perception d'un decalage important entre leur experience subjective de l'adolescence et les representations qu'en donnent les experts et les chercheurs universitaires dans les medias et les milieux savants. Rapportant sa stupefaction a la lecture d'un article scientifique portant sur la consommation de drogues chez les adolescents, Mireille, 15 ans, s'offusque: "A la fin de leur recherche, les chercheurs presentaient une liste de mots employes par les jeunes pour parler des drogues a l'insu des adultes. Eh bien, je suis jeune, et pourtant, je ne les connais meme pas!! Comme jeune, je ne me reconnais pas dans ce genre d'article!"
Les chercheurs s'entendent generalement sur le fait que les jeunes consommateurs de drogues, comme les jeunes dits "vulnerables," "a problemes" ou" a risque", ne constituent pas un echantillon representatif de la population adolescente. Pourtant, c'est principalement a travers le prisme deformant de ces categories stigmatisantes que les realites des jeunes tendent le plus souvent a etre apprehendees. En tant que chercheures ceuvrant de dans le champ de la jeunesse et de l'adolescence, comment assumer la part de responsabilite qui nous revient dans ce phenomene? Lorsque la production des connaissances est en grande partie mobilisee pour pointer vers la marge, vers ce qui fait defaut ou ce qui s'ecarte de la norme, n'y a-t-il pas lieu d'interroger l'objet de recherche qui est au coeur meme de notre travail scientifique? Et le langage que nous utilisons pour parler des jeunes en leur nom?
Dans un souci de representation ethique et d'inclusion de la diversite de la jeunesse, les New Childhood Studies et les Critical Youth Studies ont emerge dans les annees 1990 en tant que courant de recherche engage dans la formulation et la mise en oeuvre d'alternatives aux theories et aux methodologies traditionnelles de la psychologie developpementale et de la sociologie de la jeunesse et de la famille (James et Prout 1990; Jenks [1996] 2005; Lesko 1996). La reflexivite (1) est non seulement partie integrante de ce courant critique, elle en dynamise, de plus, les priorites et les axes de recherche (Best 2007). Elle denote un "engagement radical" envers l'etablissement de rapports ethiques, voire egalitaires, entre chercheurs (adultes) et (jeunes) participants de recherche, ainsi qu'une reconnaissance de la position privilegiee qu'occupent les savoirs cautionnes par l'institution universitaire dans la construction de la realite sociale: "we [must] recognize that the account we provide [as youth scholars] shape and construct reality as much as they describe it" (Best 2007:9). Vu sous cet angle, la responsabilite des chercheurs ne s'arrete pas a la reconnaissance des effets de distorsion induits par rabondante masse de travaux et de discours traitant des "jeunes a problemes" et des "jeunes a risque," elle appelle un projet de transformation des representations que faconne un langage, lui-meme issu et perpetue par des connaissances produites a travers le scheme dominant de la pensee du risque. C'est ce projet de transformation qui motive notre demarche commune dans ce premier article conjoint.
Dans nos travaux de recherche respectifs anterieurs menes aupres d'adolescents (Souliere 2008) et d'adolescentes (Caron 2009), nous nous etions engagees, chacune de notre cote, dans l'elaboration de cadres methodologiques centres sur la responsabilite ethique que comporte le fait de parler a la place des jeunes et en leur nom. Nous avons par la suite joint nos efforts dans une demarche commune de conceptualisation de principes qui pourraient constituer, selon nous, les bases theoriques et pratiques d'une methodologie engagee de recherche "avec" les jeunes. Il nous a semble, toutefois, que la realisation et la mise en ceuvre de ce projet necessitaient une analyse prealable de certains elements contextuels dans lesquels sont ancres les dispositifs faconnant et regulant la pratique de la recherche aujourd'hui. L'environnement sociohistorique et institutionnel dans lequel ce processus prend place affecte de maniere determinante, croyions-nous, non seulement son deroulement, mais aussi ses limites et ses possibilites.
Dans cet article, qui sera eventuellement suivi d'un texte portant sur des principes methodologiques de recherche "avec" les jeunes, nous souhaitons forer une breche permettant d'eclairer le processus de recherche non pas de l'interieur (les phases de son deroulement), mais plutot de l'exterieur (le contexte de son deploiement). Nous proposons, de maniere plus specifique, une analyse genealogique du langage du risque qui nous semble constituer un facteur structurant determinant dans rexercice du metier de chercheur aupres des jeunes aujourd'hui. Suivant la methode initialement proposee par Michel Foucault (2001:105), une genealogie propose une "histoire du present," c'est-a-dire, dans le contexte de cet article, une mise en lumiere de diverses series d'incitatifs, de sites, de techniques et de procedures qui facilitent et encouragent le recours a la categorie du risque quand il s'agit de documenter les realites que vivent les jeunes.
Notre expose montrera qu'un langage du risque s'est impose, voire naturalise, au til du temps, grace a l'instauration d'un paradigme de recherche centre sur la notion de risque et la categorie des "jeunes a risque." En examinant le contexte sociohistorique qui a produit cette categorie--la societe du risque--nous montrerons, dans la premiere partie, que le langage des "jeunes a risque" est le produit de contingences historiques et qu'a ce titre, ce langage possede une histoire qu'une pratique de recherche reflexive et engagee ne saurait ignorer.
Dans la deuxieme partie du texte, nous examinerons l'ampleur de la dispersion de ce langage en examinant certains sites ou celui-ci se deploie de maniere influente en depit des critiques methodologiques en ayant serieusement erode les fondements scientifiques. Notre examen approfondi des bases de donnees des revues specialisees et notre investigation exploratoire des subventions publiques de recherche au Canada relevent de choix methodologiques en accord avec la theorisation de la gouvernementalite proposee par Peter Miller et Nikolas Rose (2008:14-16). Selon ces auteurs, dans les democraties liberales avancees, la gestion du social procede d'une part, de manieres de penser, c'est-a-dire de "rationalites" ou "rationalites politiques" qui soumettent le monde social a des calculs et des programmes, et, d'autre part, de manieres d'agir sur le monde social, c'esta-dire de "technologies" qui traduisent ces rationalites en programmes d'action a des fins de gouvernement des populations. L'expertise joue un role essentiel dans ce processus de gestion du social (Rose et Miller [1992] 2010), d'ou l'allocation de fonds publics pour la recherche dans des secteurs designes prioritaires et l'importance determinante des savoirs scientifiques dissemines dans les revues specialisees qui leur conferent un statut de scientificite et donc, de legitimite sociale et politique.
Alors que le monde de la recherche tend a se representer en dehors du politique, l'approche analytique de la gouvernementalite montre qu'il en va tout autrement (voir Kelly 2000; Kemshall 2010). Pour Rose et Miller ([1992] 2010:279), le gouvernement est une vaste entreprise de problematisation du social qui ne peut etre accomplie ni directement ni seulement par l'Etat; cette problematisation se materialise a travers un processus dynamique non centralise permettant la traduction (translation) de rationalites politiques en programmes de gouvernement. La troisieme partie de notre expose examinera le contexte institutionnel qui faconne le travail du chercheur universitaire aujourd'hui, orientant sa pratique professionnelle sur la voie de l'administration des conduites individuelles et collectives (Rose et Miller [1992] 2010). Examinant les fondements de l'etude des problematiques psychosociales et des realites des jeunes d'aujourd'hui, cette partie de notre expose mettra en lumiere une contrainte epistemologique institutionnalisee du risque, qui se pose en obstacle au double projet que constituent la transformation du langage des "jeunes a risque" et le decentrage du paradigme de recherche lui etant associe. Cette derniere etape de notre analyse souligne la fertilite d'une pratique de recherche reflexive soucieuse de situer la pratique professionnelle du chercheur au confluent de contingences sociohistoriques, institutionnelles et politiques. Nous terminerons en abordant la question du positionnement du chercheur dans cette vaste entreprise de gouvernementalite.
Selon Rose et Miller ([1992] 2010:299), la possibilite de creer des alternatives aux modes contemporains de gestion du social depend en bonne partie de notre capacite a comprendre comment le pouvoir s'exerce, dans les democraties liberales avancees, a l'exterieur de l'Etat. Nous croyons qu'une genealogie de la categorie des "jeunes a risque" constitue une methode d'analyse du present pouvant nous aider a nous situer, comme chercheurs, dans cette conjoncture contemporaine eminemment complexe. Nous croyons qu'une meilleure comprehension du role de l'expertise academique dans la gestion du social, et des contraintes institutionnalisees a produire et reproduire un langage normalisant, ouvre la voie a une vigilance critique et a une approche realiste pouvant constituer une condition prealable fructueuse au projet de creation de nouveaux vocabulaires et modes d'apprehension des realites des jeunes. Fruit de notre demarche reflexive, ce point de vue souligne notre preoccupation ethique d'engendrer des rapports egalitaires et solidaires avec les jeunes avec lesquels nous travaillons.
LES "JEUNES A RISQUE": UNE CATEGORIE ET UNE METAPHORE DES SOCIETES POSTINDUSTRIELLES
Dans l'influent ouvrage Risk society. Towards a new modernity, le sociologue allemand Ulrich Beck (2001) decrit l'avenement de la "societe du risque" comme une condition mondialement partagee des societes postindustrielles. Cette transition survient, convient-il, lorsque la perception de dangers et de menaces se met a guider les representations et les pratiques d'une societe (Beck dans Te Riele 2006:133).
Au debut des annees 1980, des accidents tragiques dans certaines centrales nucleaires (Three Miles Island en 1979 et Tchernobyl en 1986) et une usine de pesticides (Bhopal en 1984) commencerent a ebranler les certitudes scientifiques et la confiance envers les progres technologiques qui sont aux fondements des societes industrielles. Dans les annees 19902000 survinrent aussi de graves problemes de contamination d'eau, de sang et d'animaux en Amerique du Nord et en Europe. Comment cela avait-il pu se produire? Quelles en seraient les consequences? Ces evenements ont demontre que les societes postindustrielles sont menacees par leurs propres activites et que les institutions echouent a assurer un controle securitaire adequat. C'est dans cette conjoncture sociohistorique que s'est effectuee la transition des societes postindustrielles aux societes du risque (Burton-Jeangros 2004).
Dans les memes annees, de la fin des annees 1980 au debut des annees 1990, un nouvel ordre politique et economique mondial s'est consolide apres la dissolution du Bloc de l'Est. Les institutions democratiques des EtatsNations, tout comme leur pouvoir politique, se sont fragilisees au sein des frontieres nationales. Avec la mondialisation des marches, les ententes de libre-echange, la dereglementation et la privatisation que promouvaient les organisations economiques transnationales (FMI, OCDE, BM), s'est imposee une marchandisation de tous les secteurs de l'activite humaine. Ce neoliberalisme transnational a accentue l'impression d'une perte d'emprise sur le present local (competitivite a l'echelle de la planete, restructuration et fermeture d'entreprises, pertes d'emplois). Il a aussi accru le sentiment d'incertitude face a l'avenir (krach economique et surendettement).
Contrairement aux societes industrielles organisees autour d'une logique de classes qui poursuivent un ideal d'egalite, les societes du risque sont preoccupees de controle securitaire: "Tandis que l'utopie de regalite est riche d'une quantite d'objectifs de transformations sociales a contenu positif, l'utopie de la securite reste singulierement negative et defensive: au fond, il ne s'agit plus d'atteindre quelque chose de bien, mais simplement d'empecher que ne se produise le pire" (Beck 2001:89-90, italiques dans l'original).
Pour debusquer aujourd'hui les dangers susceptibles de compromettre la securite presente et future des populations et des nations, les societes doivent se mettre sous examen perpetuel. Cette transformation sociohistorique importante, induite par le regard scrutateur des societes sur elles-memes, est qualifiee de "modernisation reflexive" par Ulrich Beck. Selon lui, notre epoque assiste moins a un accroissement de risques qu'a une perception accrue de ceux-ci, a cause, justement, de la categorie censee les neutraliser: le risque. Une societe tout occupee a debusquer les risques d'aujourd'hui et de demain accroit inevitablement sa perception de l'instabilite et de la dangerosite du monde.
Comme mode de pensee, le risque traverse les societes postindustrielles de part en part, articulant etroitement l'idee de menace a celle du controle (Peretti-Watel 2000). Il se presente comme un mode de raisonnement rationnel et efficace permettant la prediction et la prevention des dangers omnipresents, reels ou anticipes. Procedant de calculs probabilistes a grande echelle, la notion de risque est passee d'un concept mathematique neutre a un synonyme de danger qui dicte le present et "colonise le futur" (Lupton 1993; Peretti-Watel 2000). Bref, la pensee du risque elabore un rapport au monde qui produit des representations du reel reliant les menaces du monde incertain aux preoccupations securitaires, posant ainsi l'imperatif d'un controle croissant.
C'est dans cette conjoncture sociohistorique que la categorie des "jeunes a risque" a pu etre constituee. Alors que les jeunes delinquants retenaient principalement l'attention de la sociologie de la jeunesse dans les annees 1960 et 1970, circonscrite d'ailleurs a une sociologie de la deviance (voir Cohen [1972] 2002; Hall et al. 1978), l'avenement de la societe du risque a substitue la categorie totalisante des "jeunes a risque" a celle, beaucoup plus circonscrite, des jeunes "deviants" ou "dangereux." Selon Kelly (2000), cette transition a opere une transformation determinante et durable des representations sociales de l'adolescence et de la jeunesse. Desormais, chaque comportement, chaque pratique sociale et chaque groupe de population peuvent etre envisages comme des risques presents ou futurs pour soi-meme, autrui, et la societe. Dans les societes du risque, ce ne sont plus seulement les jeunes deviants--marginaux, drogues, delinquants--qui compromettent l'avenir de la societe: tous les jeunes risquent de devier, a un moment ou l'autre, d'une trajectoire et d'un futur desirables. Conformement a la pensee duale qu'elle incarne, la pensee du risque invite alors a documenter les menaces et a indiquer des moyens de controle susceptibles d'eviter que le pire ne survienne parmi les jeunes ou encore, a cause des jeunes.
La jeunesse, l'adolescence en particulier, est la metaphore parfaite des societes du risque. A l'image des Etats et des economies geopolitiques mondiales, les adolescents sont consideres etre en transition et relativement demunis devant la complexite des defis poses a leur"developpement." Meme si l'approche du risque n'est qu'une des modalites de la recherche et de l'intervention dans le secteur de la jeunesse, il demeure frequent, dans le langage courant des chercheurs et des milieux d'intervention, de parler des adolescents a partir de risques et de problemes. Cet automatisme semble traduire le rapport ambigu des adultes envers les jeunes: ces derniers inspirent un espoir qui est mitige par la crainte de les voir echouer a devenir les citoyens dont nos societes ont besoin (Lesko 2001). Les jeunes incarnent le futur, mais dans un monde incertain ou l'avenir suscite tant d'apprehensions, ils incarnent aussi l'idee meme du risque et font peur, en quelque sorte.
LES "JEUNES A RISQUE": UN PARADIGME DE RECHERCHE ET UN LANGAGE PROBLEMATIQUES
Diffusion savante et subventions de recherche
La notion de "jeunes a risque," nous venons de le voir, est issue du contexte sociohistorique particulier des societes du risque. Cette nouvelle categorie s'est imposee comme theme recurrent de preoccupation dans les pays occidentaux de puis les annees 1980 (Bessant, Hil, et Watts 2003; Molgat 2011). Aux Etats-Unis seulement, plus de 2 500 articles et conferences ayant porte sur ce theme ont ete recenses pour les annees allant de 1989 a 1995 (Swadener et Lubeck 1995). En Angleterre, une analyse recente des publications gouvernementales parues entre 1997 et 2010 montre que si le recours a la notion de risque a ete restreint a la criminologie dans un passe recent, elle s'insinue desormais dans tous les champs et disciplines pouvant possiblement etre lies aux jeunes (Turnbull et Spence 2011).
Aux fins de notre analyse genealogique de la categorie des jeunes a risque, nous sommes allees voir d'un peu plus pres l'ampleur de sa dispersion dans les revues savantes. Avec plus de 6 000 publications academiques traitant des jeunes dans une perspective de risque recensees dans les bases de donnees consultees au cours des six dernieres annees, notre propre recension des ecrits (2) confirme que dans le domaine de l'enfance et de la jeunesse, la recherche, les politiques publiques et l'intervention psychosociale s'enoncent et se mettent largement en ceuvre en reference a cette categorisation. Il nous parait toutefois particulierement significatif que nos requetes dans les mots-cles a partir des syntagmes "jeunes a risque" et "at-risk youth" aient echoue a rendre compte des proportions reelles de la recherche menee aupres ou a propos des jeunes dans cette perspective. Cela semble effectivement corroborer l'idee que le concept de "jeunes a risque" ne renvoie pas tant a une categorie se referant a des segments de population, qu'a un veritable langage "ordinaire," une forme de scheme de pensee herite d'une approche de recherche s'etant instituee en veritable paradigme de recherche au cours des dernieres decennies.
La base de donnees Scholars Portal, qui interroge environ 13 500 revues specialisees dans le monde et plus de vingt millions d'articles revises par les pairs, repertorie seulement 21 documents ayant ce syntagme pour mot-cle pour la periode 2006-2012. (3) Pourtant, la meme requete dans les resumes et dans le contenu des articles produit des resultats exponentiels: 146 resumes d'articles contiennent au moins une occurrence du concept "jeunes a risque," tandis que ce dernier apparait dans le contenu de 1 990 articles! En combinant les termes "jeunes" et "risque," notre requete limitee aux seuls resumes d'articles a repere pres de 6 000 articles, soit 40 fois plus de resultats qu'a la toute premiere recherche! Etendue au contenu des articles, la meme requete dans le contenu des articles a fait litteralement exploser ces resultats avec plus de 100 000 occurrences.
Des resultats comparables ont ete obtenus a notre examen sommaire des resultats des concours nationaux du CRSH. Une investigation, meme sommaire, de l'octroi de subventions publiques de recherche nous paraissait egalement incontournable. Il s'agit la d'un dispositif majeur de traduction des rationalites politiques sous forme de programmes qui produisent et renforcent une certaine problematisation du social (Miller et Rose 2008; Rose et Miller [1992] 2010). Parmi les 349 projets portant sur la jeunesse contemporaine qui ont obtenu le financement sollicite, seulement 25 titres de projets recourent explicitement a la categorie ou a l'approche du risque, soit 7% des projets finances. (4) Un examen des titres des projets permet toutefois d'identifier 129 occurrences lexicologiques appartenant aux champs semantiques de la prevention, de la violence, de la deviance, de la delinquance et des troubles du developpement--des thematiques generalement inscrites dans le registre du risque--faisant alors passer les resultats a 37%.
En depit du caractere parcellaire de ces resultats, qui pourraient etre investigues plus a fond ulterieurement, et malgre les limites de ce coup de sonde exploratoire, ces derniers nous paraissent revelateurs. Ils illustrent, en effet, que la recherche sur les "jeunes a risque" n'a pas besoin de recourir explicitement au vocabulaire du risque pour se deployer, car elle s'enonce surtout en fonction d'imperatifs de prevention (precoce) et de transition (reussie) (voir Parazelli, Levesque, et Gelinas 2012): c'est une maniere de penser, au sens de "rationalites politiques" (Miller et Rose 2008; Rose et Miller [1992] 2010). Or, la fonction des rationalites politiques, qui reposent sur les savoirs tires non pas de l'Etat, mais de formes variees d'expertise, est de soumettre le monde social a des technologies de gouvernement, c'est-a-dire, des manieres d'agir sur le monde. Davantage qu'une rhetorique, le langage des jeunes a risque est une "technologie intellectuelle" qui traduit en programmes de gouvernement (action) une expertise permettant de gouverner la conduite des individus (savoir) dans les democraties neoliberales avancees (Rose et Miller [1992] 2010).
Par ailleurs, les resultats presentes en annexe illustrent que ce sont majoritairement les projets centres sur les problemes et les problematiques sociales qui recoivent un financement materiellement et symboliquement superieur a la moyenne. Bien qu'il importe certainement de les traiter, force est de constater que ces problematiques se rapportent a des experiences de vie toutes particulieres: ce n'est qu'une minorite d'adolescents, par exemple, qui fait l'experience de l'itinerance, des gangs de rue ou de la detention dans un etablissement carceral pour jeunes delinquants. Les ecarts parmi les montants accordes sont, a cet egard, eloquents. Si les projets finances recoivent un montant moyen s'elevant a un peu plus de 25,0005, 32 projets se demarquent par l'obtention de sommes "nettement superieures" (45,000$ a 74,999$) ou "exceptionnelles" (plus de 75,0005). Seulement 10 de ces 32 projets beneficiant de ressources accrues annoncent une approche s'ecartant de l'approche dite "a problemes." La majorite, soit 22 d'entre eux, traitent de delinquance et de violence juveniles, ou encore, de problematiques liees au developpement psychosocial, telles les difficultes affectives, la puberte et les comportements sexuels precoces, la maternite adolescente, l'itinerance, l'anorexie et la boulimie.
D'un cote, les donnees examinees confirment que dans l'ensemble, la recherche subventionnee sur la jeunesse est diversifiee, faisant appel a un large eventail de perspectives theoriques et methodologiques. De l'autre, les projets finances a hauteur "nettement superieure" ou "exceptionnelle" tendent a s'enoncer en fonction d'un scheme de pensee et d'un paradigme de recherche centres sur la notion de risque. Autrement dit, pris dans leur ensemble, les resultats des concours nationaux illustrent la coexistence bien reelle de l'approche du risque avec une pluralite d'approches et de discours savants. Toutefois, les disparites dans les sommes octroyees indiquent clairement une inegalite de statut: le poids relatif de la recherche centree sur ce qui pose probleme, ou ce qui pourrait eventuellement poser probleme, est nettement preponderant au plan de la valorisation materielle et symbolique. Or, la preponderance de travaux concernant des segments somme toute marginaux de la population jeune entretient des representations sociales negatives et biaisees qui se reportent sur l'ensemble des jeunes.
Notre investigation nous amene a constater, enfin, que la categorie des "jeunes a risque" est devenue beaucoup plus englobante que ne retaient auparavant, dans la sociologie et la criminologie des annees 1960 et 1970, les notions de jeunes "deviants" et "dangereux." Alors qu'a l'epoque, la delinquance et la deviance juveniles faisaient l'objet d'une bonne part de la recherche sur les jeunes, le langage des "jeunes a risque" opere maintenant a la maniere d'un spectre immense, scrutant un eventail quasi infini de thematiques et de problematique sociales: delinquance, criminalite, violence (subie ou perpetree), sexualite (maladies transmises sexuellement, abus sexuels, precocite des comportements sexuels, parentalite adolescente), education et insertion socioprofessionnelle (decrochage scolaire, chomage, pauvrete), et habitudes de vie (malnutrition, obesite, sedentarite, consommation d'alcool et de drogues, conduite au volant). Comme l'avaient constate, il y a dix ans, les auteurs Bessant et al. (2003), la pensee du risque ne s'incarne pas seulement dans les spheres academiques, elle se propage dans plusieurs secteurs d'activite: Talk about risk has been rendered "normal" and part of the contemporary common sense in social science disciplines including social work, sociology, the health sciences, psychology, criminology, and youth work. Talk of risk has also percolated into the human services professions working directly with individuals, families, and neighbourhoods. In these agencies the talk of "risk" is of "risk indicators," "risk reduction," and "risk management." Indeed, one should find it difficult these days to find a government agency or community sector organisation working in human services that does not accept the concept of risk in their daily operations. (Pp. 2-3)
Meme si la proliferation des risques et de leur construction sociale a emprunte, en sciences sociales, une multitude d'approches theoriques et de cadres conceptuels (Chantraine et Cauchie 2008:65-66), c'est bel et bien une forme de raisonnement et un langage communs qui leur conferent une intelligibilite (Schinckus 2008; Swadener et Lubeck 1995). La documentation critique sur l'approche du risque dans le secteur de la jeunesse a questionne les fondements scientifiques de ce langage en soulignant, notamment, son ambiguite conceptuelle et l'inadequation d'un paradigrne modele sur le modele epidemiologique.
Ambiguite d'un langage et inadequation d'un paradigme
Une premiere critique de flou conceptuel se traduit par une categorisation tout aussi ambigue des populations dites a risque. Dans la documentation examinee, nous avons pu degager au moins trois interpretations distinctes de ce qui y est generalement englobe. Selon une premiere interpretation, les jeunes a risque renvoient a des segments de population consideres vulnerables par exposition a des facteurs de risque (generalement correles aux situations familiales et aux conditions socioeconomiques). Une seconde interpretation recourt plutot a la notion de conduites a risque, procedant d'une identification de comportements juges nocifs ou dangereux: conduite automobile temeraire, consommation de drogue et d'alcool, precocite sexuelle, modes et styles de vie atypiques (voir Colombo 2010; Le Breton 2007). Enfin, une troisieme interpretation courante voit les jeunes comme un risque pose a la societe. Cette representation se batit sur les phenomenes de deviance et de mesadaptation sociale: delinquance juvenile, trafic de drogue, gangs de rue, decrochage scolaire, etc. C'est cette derniere interpretation qui est au coeur du resserrement des cadres legislatifs auxquels ont recemment procede plusieurs pays, dont le Canada, a propos des jeunes contrevenants.
Une deuxieme critique importante, dans la documentation internationale investiguee, concerne les limites et les derives possibles du modele epidemiologique, a l'origine de l'approche du risque, dans l'analyse des problematiques en sciences sociales. Certains auteurs insistent sur le fait que le risque n'est pas le danger en soi, mais l'outil et le produit de calculs actuariels fondes sur l'agregation de donnees (Kemshall 2010). Il s'agit la d'une nuance importante, puisqu'elle revele que l'approche centree sur le risque substitue la probabilite a la cause (Pierret 2008:46). La notion de risque ne peut donc pas etre interpretee comme une realite objective au present ni comme un pronostic infaillible quant aux evenements futurs. La panoplie des risques imputes aux jeunes, dans le monde contemporain, ne resulte donc pas d'une observation empirique ni d'une pensee neutre sur le plan ideologique; elle reflete plutot un raisonnement probabiliste cherchant a anticiper les problemes pour les prevenir ou les gerer (Cote 2001; Fine 1993; Kelly, 2000, 2001; Schinckus 2008; Schissel 2006). La subtile permutation entre cause et probabilite n'est pas etrangere a la fausse perception, largement repandue, selon laquelle tous les jeunes iraient mal et feraient face a des dangers et des difficultes d'une ampleur inegalee. Cette fausse perception agit comme une distorsion cognitive, entretenant un climat social anxiogene propice a l'accroissement du controle social envers les jeunes et a rinstitutionnalisation de la mefiance envers eux (Barron 2011; Caron 2009; Kelly 2001).
Notre analyse genealogique du langage et du paradigme des jeunes a risque met en relief les conditions de possibilites de son foisonnement a partir d'une etude des publications savantes et des organismes subventionnaires. Nous en arrivons a un double constat. En premier, la legitimite institutionnelle de ce langage provient du fait qu'il renvoie aux rationalites politiques de par sa reference implicite a un postulat bien actuel (la menace de nouveaux dangers inherents aux societes du risque et l'imperatif de controle pour en assurer la protection). De plus, ces institutions de soutien et de diffusion de la recherche constituent de puissants leviers pour la problematisation du social dans une perspective de gouvernementalite. Elles participent de plain-pied, au moyen de la production d'expertise, a la gestion des conduites des jeunes. En effet, comme mentionne plus haut, les subventions les plus elevees sont octroyees a des projets qui promettent de proteger, prevenir, accompagner, outiller pour faire face a des enjeux consideres comme majeurs (violence, sexualite, jeunesse autochtone, developpement, delinquance, etc.).
En deuxieme, nous constatons que la categorie des "jeunes a risque" et l'approche qui la sous-tend en recherche comme en intervention font l'objet de critiques de la part d'experts issus des institutions memes qui produisent et renforcent les paradigmes dominants. Cette critique peutelle etre interpretee comme une breche (comme celle souhaitee dans le present texte) dans un apparent consensus? Jusqu'a quel point a-t-elle pour effet d'attenuer la performativite du langage et du paradigme des "jeunes a risque?" Cette critique contribue-t-elle a la transformation de ce scheme de pensee dominant? Entre l'indeniable popularite de ce langage aupres des institutions subventionnaires et son utilisation problematique dans la pratique de la recherche, comment nous responsabiliser, comme chercheures aupres des jeunes? Comment transformer ce langage? Comment parvenir a considerer les jeunes et les adolescents en dehors de ce scheme de reference devenu si familier?
UNE CONTRAINTE INSTITUTIONNELLE A L'EPISTEMOLOGIE DU RISQUE
Notre analyse genealogique du langage du risque, initiee en vue d'eclairer les processus exterieurs qui conditionnent la pratique de la recherche aupres des jeunes, conduit a une necessite de problematiser la position qu'occupe le chercheur dans les structures institutionnalisees des productions des connaissances. La fonction structurante des modeles dominants et la subordination de la recherche aux imperatifs de gouvernementalite posent des limites importantes au projet de transformation des cadres communs de references sur les jeunes.
Fonction structurante des modeles de recherche dominants
La contextualisation du travail des chercheurs dans la vaste entreprise de gouvernementalite aide a mieux saisir le recours a certains modeles de recherche dominants qui ont investi avec autorite le champ de la recherche sociale, principalement celle qui touche les enfants, les jeunes et les familles.
En depit des reserves mentionnees plus haut en matiere de validite scientifique, la vision de la realite que repand le langage du risque se concretise dans des etudes positivistes menees en epidemiologie sociale et modelisees en ecologie sociale du developpement. Cette approche fait figure de reference en recherche sociale et dans les pratiques professionnelles d'intervention (Lesemann 1992; Parazelli et al. 2003). Le modele ecologique social se presente sous forme de poupees russes ou s'emboitent l'un dans l'autre des niveaux de structures qui ensemble representent l'environnement influencant le developpement d'une personne: du plus immediat des relations dans la vie de tous les jours, au plus distancie, au politique, a l'economique et a l'ideologique (Bronfenbrenner 1977).
Ces modeles operent a partir du paradigme du risque (facteurs de risque, comportements, environnement, familles, etc. a risque). Or, ce langage, et son application dans les modeles de recherche, presuppose des parametres de reference. Comme l'explique Kelly (2001) a propos des jeunes a risque, "Discourses of youth at risk are framed by the idea that youth should be a transition from normal childhood to normal adulthood." (p. 24). Ce presuppose est loin d'etre neutre. Comme rindique Souliere (2009), cette idee meme de "normalite" comporte une dimension descriptive ("ce que sont les choses dans la majorite des cas") et prescriptive (l'ideal qui la sous-tend mobilise des normes selon l'age, le sexe, la classe sociale, l'ethnicite, les capacites physiques et l'orientation sexuelle).
Suivant cette perspective normalisante, la recherche aupres des adolescents est fortement influencee par les approches behavioristes, ellesmemes intriquees dans des theories sociobiologiques du developpement (Parazelli et al. 2003). L'enfant, vu comme un adulte en devenir, y est envisage comme un etre qui evolue au gre d'etapes naturelles et previsibles de croissance. Selon cette conception, l'enfant est egoiste et agressifpar nature; il faut lui enseigner les comportements socialement adequats, sinon il pourrait devenir un adolescent deviant (Tremblay 2000; Wilson 1982). Cette representation naturalisee d'une toxicite latente chez tous les enfants, a la base des modeles de recherche et d'intervention, participe a la dissemination du langage des jeunes a risque. Ces theories biologisantes reprennent du service apres etre tombees en desuetude pendant quelques decennies (Parazelli et al. 2003:90) justement parce qu'elles justifient scientifiquement le controle "efficace" que promettent des interventions precoces et les approches behavioristes visant la rehabilitation des jeunes en difficulte. C'est dans la singularite d'un moment historique (societes du risque postindustrielles) et d'une gouvernementalite neoliberale que ces theories biologisantes trouvent leur justification.
Plus qu'une approche d'intervention procurant une aide necessaire a des personnes ou a des segments de populations dont les besoins sont averes, l'operationnalisation du langage des "jeunes a risque" au sein d'un paradigme de recherche projette sur les individus une deviance anticipee par rapport a des normes socialement construites (reussite scolaire, employabilite, parentalite conforme aux modeles privilegies, etc.). Cette procedure permet de (re)orienter, a l'avance, des comportements, attitudes et situations que predisent calculs et evaluations. Le mode d'interpretation et d'action que privilegie cet "individualisme methodologique" (agir sur les individus par anticipation plutot que sur les causes structurelles des problemes psychosociaux actuels) (Bessant et al. 2003) va de pair avec des strategies d'anticipation et d'encadrement des risques qui sont, est-il besoin de le dire, des formes contemporaines de gouvernementalite (Bessant, Hil, et Watts 2003; Kelly 2000; Kemshall 2010; Rose et Miller [1992] 2010).
En plus d'orienter la nature et le contenu meme des donnees en fonction de leur utilite (Piron et Couillard 1996) pour la gestion du social, les etudes epidemiologiques produisent des categories "a risque" constituees artificiellement a des fins methodologiques et qui se retrouvent avec force dans l'espace social. Investiguee sous tous les aspects possibles et imaginables, la categorie des "jeunes a risque" en vient a s'imposer comme une nouvelle realite sociale perpetuellement sujette a de nouvelles investigations et interventions. Constituee en referent connaissable, chiffrable et utile, celle-ci devient une ressource discursive strategique fort seduisante a la disposition des chercheurs dans leur recherche de financement.
Subordination de la recherche aux imperatifs de la gouvernementalite
Plus d'un chercheur critique en sciences sociales a releve l'existence des liens etroits entre les connaissances que produisent leurs disciplines et les modifications ou le renforcement, au til du temps des discours et des pratiques institutionnels (Cicchelli et Pugeault-Cicchelli 2006; Franssen 2008; Lesemann 1992; Piron 2005; Piron et Couillard 1996). Miller et Rose (2008) vont plus loin et pointent le role crucial des chercheurs dans le cadre des nouvelles formes d'exercice du gouvernement dans les societes neoliberales. L'expertise que produisent les institutions de recherche repose sur des savoirs reconnus du fait de leur scientificite. Leur utilisation a des fins de gouvernementalite neoliberale permet d'assurer un encadrement politique du prive en toute coherence avec une politique etatique non interventionniste (Miller et Rose 2008). Comme nous avons vu plus haut, ce sont les chercheurs qui, en interaction dynamique avec d'autres acteurs, participent a la problematisation du social, a l'identification d'axes prioritaires de recherche, a la definition des problemes et des interventions pour les resoudre. Ce sont eux qui traduisent les preoccupations politiques (production economique, developpement industriel, stabilite sociale, ordre, etc.) dans un langage de gestion, de sciences sociales, de medecine et de psychologie (Miller et Rose 2008). Les chercheurs sont aussi a l'ecoute des preoccupations quotidiennes des individus et leur livrent dans un langage legitime les verites rassurantes dont ils ont besoin pour mieux gerer leur vie, etre en meilleure sante, mieux elever leurs enfants, participant a ce que Miller et Rose (2008) qualifient de regulation de la liberte.
Dans cette vaste entreprise de gouvernement des populations dans lequel le savoir academique joue un role indeniable, il devient concretement difficile d'y soustraire ses travaux recherche. La gestion du social repose en effet sur une serie interminable de prescriptions produites par les experts, constituant ainsi une expertise fondamentale articulee aux rationalites et technologies politiques actuelles des societes du risque: assurer le controle social et politique pour contrer les dangers qui nous menacent a tout moment.
Le langage du risque s'inscrit, nous semble-t-il, a la jonction des demandes institutionnelles et des preoccupations des individus et des groupes. Comme nous avons vu, le flou semantique du langage et l'ambiguite de ce a quoi il renvoie permettent son utilisation autant dans une intention compassionnelle face aux inegalites et a la souffrance sociale que dans une intention politique et economique de gerer plus efficacement et a moindre cout les problemes sociaux. L'ambiguite conceptuelle permet de ratisser large et d'englober un imposant eventail de preoccupations et d'intentions des gestionnaires, praticiens et chercheurs.
Cette mise a plat d'enjeux de pouvoir qui traversent de part en part l'exercice de notre metier, mais qui demeurent la plupart du temps dans l'ombre grace a un langage et un scheme de pensee devenus familiers, procure un eclairage des plus pertinents sur le domaine dans lequel nous ceuvrons. Prendre conscience de la dimension eminemment politique de la recherche que nous faisons incite a une vigilance accrue envers les effets de pouvoir des connaissances que nous produisons. Cela motive d'autant plus notre engagement a transformer un langage et un paradigme qui, selon nous, participent de maniere mitigee a l'emancipation de la generation montante et a la creation de solidarites intergenerationnelles.
Comment, alors, obtenir du financement pour nos travaux de recherche qui, visiblement, ne s'attaqueront pas directement a des problemes en vue de repondre a des "besoins" immediats ou aux demandes de l'Etat, des entreprises ou d'autres instances? Comment garder cette conscience et cette vigilance, comment preserver notre liberte intellectuelle, dans cet immense projet de gouvernement, tout en prenant notre part de responsabilite dans la documentation, la comprehension, voire l'allegement de la souffrance sociale (Blais 2008)?
Dependant des subsides de l'Etat et d'organismes subventionnaires publics et prives, les chercheurs pratiquent leur metier dans un contexte de competitivite croissante (moins du quart des demandes soumises aux organismes canadiens sont subventionnees).
Comment convaincre, alors, de la pertinence sociale de questions de recherche qui apprehendent l'experience des adolescents autrement qu'a partir d'imperatifs de prevention, de reduction des couts et de controle? Comment simplement rendre compte de la vie que vivent les jeunes? Comment saisir, de l'interieur, la complexite et la diversite de l'experience d'avoir 16 ans aujourd'hui?
POUR CONCLURE: LE POSITIONNEMENT DU CHERCHEUR
Notre demarche de reflexivite conduit a traiter du positionnement du chercheur. Si nous reconnaissons faire partie, meme malgre nous, d'une imposante entreprise de gouvernementalite, nous pensons possible de nous y approprier un espace de liberte pour le transformer de l'interieur. Une surveillance attentive et soutenue du maillage serre des dispositifs de pouvoir peut contribuer a en affaiblir les effets. La breche que nous y avons faite, afin d'en saisir la nature et la mesure, nous semble avoir le potentiel d'ouvrir la voie a une fertile remise en question. C'est en positionnant notre travail aupres des jeunes dans une forme d'exercice de pouvoir que nous prenons toute la mesure de notre responsabilite. A quelle definition des jeunes et des relations intergenerationnelles voulons-nous contribuer? A quelle vision du monde voulons-nous participer? Ce positionnement est d'autant plus significatif que la gouvernementalite ne peut pas etre associee a une instance precise, au-dessus de nous, a laquelle nous pourrions nous opposer. Elle opere en de multiples sites, simultanement, et souvent de maniere discontinue et invisible. De ce fait, la resonnance et l'impact des rationalites et des technologies politiques dominantes ne sont jamais fixes, ces dernieres etant toujours sujettes a contestation, reformulation et reorganisation, meme au sein des dispositifs qui les mettent en operation. C'est dans ce processus dynamique de resistance, de prise de pouvoir et de changement que s'inscrit notre projet de transformation du langage problematique des "jeunes a risque."
Au depart, nous envisagions notre demarche de reflexivite comme un prealable a la proposition d'une approche methodologique alternative. Desireuses de faire de la recherche "avec" les jeunes, de "regarder de l'interieur" (Souliere 2009) et d'"ecouter vraiment" (Caron 2009), nous souhaitions donner un ancrage theorique a notre projet methodologique. Nous etions loin de nous douter que notre projet de transformation des representations dominantes des adolescents et des jeunes avait des ancrages politiques de cette profondeur. La genealogie du langage des "jeunes a risque" nous a menees bien au-dela de notre intention initiale. Prenant conscience de son statut de langage, au sens de scheme de pensee dominant ou de rationalite politique, cette genealogie permet un recadrage de notre travail de recherche qui fait eclater les frontieres disciplinaires et thematiques. Elle nous ancre dans un positionnement qui clarifie nos choix et nos objectifs. Malgre que nous devions composer avec de puissantes contraintes institutionnelles, il importe d'avoir une lecture critique du contexte externe dans lequel notre demarche prend place afin d'envisager et de localiser les espaces et les lieux possibles d'intervention et d'action en fonction d'imperatifs de transformation. Notre position de chercheures nous procure aussi un espace de pouvoir a partir duquel produire des connaissances qui portent l'intention ethique de construire un monde de justice et d'emancipation pour tous les individus et les groupes.
Dans le deuxieme article, donnant suite a ce premier, nous proposerons des principes pour developper une approche methodologique de recherche "avec" les jeunes sous l'angle de la reciprocite intergenerationnelle. Cette proposition fera echo, nous l'esperons, a la demande de Timothee:
Y'a un mur [entre nous et les adultes] parce que quand les adultes nous voient agir en gang, quand ils nous voient deconner, ils vont dire: "Nos generations futures, y font juste niaiser, pis y prennent rien au serieux." Au contraire, je dirais qu'on prend beaucoup de choses au serieux. [...] Fait que faudrait plus nous connaitre, pis la le monde se rendrait compte que oui on niaise souvent, mais en dedans, meme dans nos jokes, y' a des affaires vraies. Je dirais[aux adultes]: connaissez les jeunes avant de les juger.
Timothee, 15 ans
Annexe
Liste et categorisation des projets centres sur la jeunesse contemporaine ayant beneficie d'un financement nettement ou exceptionnellement superieur a la moyenne.
Concours du CRSH, 2006-2010 (n = 32) Projets ayant beneficie un financement Themes et approches des nettement superieur a la moyenne projets subventionnes de 45,000$ a 74,999$ (n = 24) Delinquance et violence 1. L'ordonnance de probation destinee aux juveniles (approche adolescents contrevenants au Canada: par problemes) controle ou readaptation--controle et readaptation (32,640$) 2. Street youth, differential coercion, and chronic offending ($48,005) 3. Delinquent and criminal networks: the social organization of crime in Canada ($59,750) 4. Incarcerated serious and violent young deviants ($57,000) 5. Youth and community development in Canada and Jamaica: a transnational approach to youth violence ($69,090) 6. Promoting youth-led interventions against peer aggression and its negative effects: individual, interpersonal, and group-level factors ($50,000) 7. Chaire de recherche du Canada sur les trajectoires d'usage de drogues et les problematiques associees (50,000$) Problematiques liees au 1. The role of attachment in adolescents' developpement use of social networking Web sites for psychosocial coping ($50,000) (approche par 2. Etude de la demande d'aide chez les problemes jeunes (2007-2008; 46,115$) * 3. Parental monitoring, parent-child relationship, and adolescent disclosure: a longitudinal examination of adolescent internalizing problems ($50,000) 4. Reconstruction identities in precarious times: youth and the politics of culture in Nigeria ($43,000) 5. Negotiating resilience: an exploration of tensions between homogeneity and heterogeneity in accounts of well-being among children in transition ($52,184) 6. Puberte precoce et problems d'adaptation psychosociale et sexuelle chez la jeune femme caucasienne, de culture canadienne-francaise et de milieu urbain (52,163$) 7. Attentional and hormonal correlates of maternal behavior in teenage mothers ($64,704) 8. Listening to adolescent experiences of eating, dieting, and other weight focused behavior: a voice centered analysis (2006-2007; $47,000) 9. Listening to adolescent experiences of eating, dieting, and other weight focused behavior: a voice centered analysis (2007-2008; $43,000) 10. Street youth's transitions to adulthood ($49,627) Les jeunes dans leurs 1. Urban youth engagement in sport: communautes process, access, and participation (approche positive ou ($45,000) neutre) 2. Transforming practices: emancipatory approaches to youth engagement ($63,716) 3. National arts and youth demonstration project: phase II ($62,692) 4. Youths' joint projects in the transition to adulthood ($45,625) 5. Bridging borders: international explorations of youth use of information and communication technology ($65,000) 6. The use of useless wooden toys: skateboarding, spatial politics, and the struggle for urban community ($50,000) 7. Olympic legacies, education, and urban restructuring: investigating the impact of Vancouver 2010 and London 2012 on low-income young people ($49,334) Total des sommes 1,245,645$ accordees Projets ayant beneficie d'un financement Themes et approches des exceptionnal de 75,000$ Total projets subventionnes et plus (n = 8) n = 32 Delinquance et violence 1. Gang-related youth n = 9 juveniles (approche violence in Surrey, par problemes) BC: protecting youth by identifying modifiable preventive factors and fostering relevant assets ($99,047) 2. Resilience to offending: listening to youth on-reserve ($91,007) Problematiques liees au 1. Projet: outiller n = 13 developpement les jeunes face a psychosocial l'hypersexualisation (133,473$) (approche par 2. Canada Research Chair in problemes) Adolescents' Sexual Health Behaviour ($75,000) 3. Pathways to resilience: formal service and informal support use patterns among youth in challenging social ecologies ($100,000) Les jeunes dans leurs 1. Studying the impact n = 10 communautes of youth participation (approche positive ou and engagement in the neutre) decades for youth and development initiative of the Nishnawbe Aski nation ($100,000) 2. Canada Research Chairs in School to Work Transition ($75,000) 3. Assets coming together for youth: linking research, policy, and action for positive youth development ($100,000) Total des sommes 773,527$ 2,019,172$ accordees Notes: D'apres les donnees fournies par 1'organisme, tous programmes confondus. Selon ces donnees, 374 projets ont ete finances durant les quatre annees, pour un investissement total d'un peu plus de neuf millions de dollars. La moyenne des montants accordes par projet est de 26,171$. * Ce projet a beneficie d'une subvention de 32,510$ l'annee precedente.
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CAROLINE CARON
Universite du Quebec en Outaouais
MARGUERITE SOULIERE
Universite d'Ottawa
Les auteures remercient Arianne Cote pour sa participation a la recherche documentaire et a la codification du corpus bibliographique, ainsi que ses demarches aupres des organismes subventionnaires. Elles remercient aussi Frederic Hodgson pour la correction linguistique du texte. Les auteures reconnaissent la part egale de leur contribution dans la redaction de cet article. Elles remercient egalement le comite de redaction et les evaluateurs anonymes pour leurs commentaires et suggestions qui ont permis d'ameliorer la premiere version de ce texte. Enfin, Carol DiPalermo est chaleureusement remerciee pour son minutieux travail d'edition.
Caroline Caron, Departement des Sciences Sociales, Universite du Quebec en Outaouais, 283 boulevard Alexandre-Tache, bureau C-3335 C.P. 1250, succursale Hull Gatineau, QC, Canada J8X 3X7. E-mail: Caroline.Caron@uqo.ca et Marguerite Souliere, Ecole de service social, Universite d'Ottawa, 120, rue Universite, bureau 12032, Ottawa, Canada KIN 6N5. E-mail: Marguerite.Souliere@uottawa.ca
(1) A la suite des ecrits de Michel Foucault sur le savoir-pouvoir, les Critical Youth Studies adherent a une definition de la reflexivite qui s'etend au-dela des proprietes iteratives des processus de recherche. Cette approche << critique >> de la reflexivite remet en cause les rapports inevitablement hierarchises entre les chercheurs adultes et les participants de recherche d'age mineur (voir Best 2007). L'ethique de ces rapports et le role de la subjectivite des chercheurs dans le processus de production des cormaissances ont fait l'objet d'une volumineuse documentation au sein de ce courant (voir Alderson et Morrow 2011; Tisdall, Davis, et Gallagher 2009). Dans cet article, notre projet pointe dans une autre direction, cherchant plutot a situer le chercheur contemporain dans la conjoncture historique singuliere qui oriente la pratique de son metier. Nous le verrons dans cet article, une telle approche de la reflexivite permet d'aborder la question des rapports de pouvoir qui marquent la pratique de la recherche de rexterieur (le contexte institutionnel, social et politique au sein duquel celle-ci est exercee), plutot que de l'interieur (le processus de recherche: les etapes et les procedures de son deroulement).
(2.) Du mois d'octobre 2011 au mois de juillet 2012, nous avons interroge plusieurs fois les bases de donnees ERIC, FRANCIS, Erudit et Scholars Portal. Le corpus d'articles publies en francais et anglais que nous avons constitue a ete code grace a l'identification, a partir des titres et des resumes, des themes et des sous-themes traites, ainsi que l'orientation privilegiee dans leur traitement (positive, neutre ou negative).
(3.) Notre recherche etant exploratoire, nous avons initialement limite la periode investiguee aux cinq dernieres annees. Nous avons par la suite redefini la periode et effectue de nouvelles requetes afin d'uniformiser nos resultats avec la periode couverte par l'information fournie par le CRSH, dont il sera question plus loin.
(4.) Seules les donnees procurees par le CRSH sont assez significatives pour etre discutees dans cet article. Elles comprennent le nom et l'affiliation institutionnelle des candidats, le titre du projet soumis, le montant accorde, l'annee d'attribution et le code de programme pour les annees 2006-2010. Nous avons estime pertinent d'examiner de pres le vocabulaire employe par les chercheurs dans le titre dorme i leur proposition de recherche. Un titre a pour fonction d'exposer succinctement et clairement la nature du projet et de capter l'attention. En sa qualite de condense, il suppose une reflexion strategique du vocabulaire employe. Dans une etape ulterieure de notre demarche, il serait pertinent d'approfondir cet examen en incluant les projets eux-memes, ce qui n'etait pas possible pour les fins du present article.