Stephane Frioux, Les batailles de l'hygiene.
Dagenais, Michele
Stephane Frioux, Les batailles de l'hygiene. Villes et environnement de Pasteur aux Trente Glorieuses (Paris: Presses universitaires de France, 2013), 387 p.
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Dans cet ouvrage solidement documente, Stephane Frioux s'emploie a reconstituer les longues batailles menees par les instances locales afin d'assainir les villes francaises, depuis la revolution pasteurienne qui <<transforme le regard sur l'environnement quotidien des citadins>> (p. 26) jusqu'a la fin des annees 1950 marquees par une forte reprise de l'urbanisation et surtout, par l'avenement de la Ve Republique <<technocratique, planificatrice>> (p. 321) et centralisatrice. Les merites de cette monographie sont nombreux. L'auteur y examine comment ont ete mis en pratique les preceptes hygienistes/sanitaires au-dela de la periode initiale de la deuxieme moitie du XIXe siecle, la plus etudiee a ce jour, et sur le terrain peu visite des petites et moyennes villes. L'auteur a aussi le merite d'aborder la question de l'hygiene urbaine dans plusieurs de ses ramifications puisqu'il considere a la fois la question de la proprete, de la gestion des eaux (potable et usees) et des dechets. Frioux est bien au fait de l'historiographie et prend soin de situer son enquete en relation avec la litterature dans le domaine. Cependant, si son ouvrage a la suite d'autres etudes montre eloquemment combien <<les enjeux sanitaires et techniques etaient dans le meme temps sociaux et politiques>> (p. 316), il aborde moins explicitement la dimension environnementale des batailles de l'hygiene urbaine malgre ce que suggere son titre.
Les batailles sous enquete se deroulent principalement a l'echelle des administrations municipales, plus precisement a Lyon et sa region (Rhone-Alpes) et dans quelques autres villes (dont Avignon, Clermont-Ferrand, Nancy, Toulon), mises en relations avec les echelles regionale, nationale et transnationale. L'auteur suit au plus pres toute une panoplie d'acteurs qui interviennent a un niveau ou un autre dans le debat: maires et elites municipales, experts et specialistes tels medecins, architectes, ingenieurs et fonctionnaires, et dans une moindre mesure proprietaires fonciers, contribuables et associations de riverains. Comme c'est le processus decisionnel qui interesse avant tout l'auteur, l'ouvrage traite surtout des dynamiques qui l'entourent. La structure de l'ouvrage en temoigne; elle evolue depuis la presentation des <<dispositifs mis au point par la technologie sanitaire>> (p. 15) jusqu'aux meandres de la diffusion et de l'adoption des innovations en la matiere, en passant par les acteurs en presence, y compris les associations dont l'Association generale des ingenieurs, architectes et hygienistes municipaux et les canaux de cette diffusion : congres nationaux et internationaux, correspondances, revues specialisees, traites, memoires, etc.
Si le choix de decomposer les batailles de l'hygiene en n'adoptant pas une logique chronologique mais en suivant plutot les debats et les tensions permet de saisir toute la complexite des processus a l'oeuvre, il en resulte cependant des chapitres plutot touffus dont la coherence est parfois difficile a suivre. Et pour cause puisque non seulement les cas etudies sont nombreux, mais aussi parce que l'elaboration des savoirs et les processus de diffusion des technologies n'epousent pas tous la meme temporalite. Il suffit pour s'en convaincre de consulter la tres utile liste des <<affaires etudiees>> que l'auteur a pris soin d'inclure aux pages 369 a 371. A de rares exceptions pres, on constate qu'historiquement, c'est d'abord la bataille de l'eau potable qui preoccupe, suivie par le probleme de l'assainissement (evacuation des eaux usees). Ces deux questions dominent dans les debats et les echanges de la fin du XIXe siecle aux annees 1930. A partir des annees 1910-1920 se greffe la question du traitement des ordures menageres, qui predomine nettement en fin de periode. Des etudes de cas presentant plus en detail notamment des enjeux (la pollution de l'air), des acteurs (les travailleurs de l'ombre), des villes (Privas) ou des innovations (la verdunisation ou procede de purification de l'eau) ponctuent de maniere utile chacun des chapitres.
Stephane Frioux confirme combien la periode de la fin du XIXe siecle et du debut du XXe a ete cruciale dans la recherche de solutions pour regler les questions d'approvisionnement en eau potable et d'assainissement urbain. Aussi importante dans le cas francais fut l'adoption de la Loi nationale sur les mesures sanitaires de 1902, amendee en 1935, qui rend obligatoire la gestion de la sante publique a l'echelle locale. Or, loin d'avoir attendu cette loi pour mettre en place des mesures d'assainissement de leurs villes, les autorites locales de nombreuses petites et moyennes municipalites ont joue un role precurseur sur ce plan. L'auteur en rend bien compte, soucieux d'eclairer le dynamisme des instances a cette echelle et de montrer que, contrairement aux idees recues, l'innovation circulait autant et parfois plus de la peripherie vers le centre, et des petites localites vers les grandes dont Paris, que l'inverse.
Mentionnons enfin que les lecteurs apprecieront la bibliographie qui presente de maniere exhaustive les fonds d'archives consultes et les riches annexes (cartes, illustrations, chronologie) et index (des noms de lieux et de personnes) qui permettent de degager une vue synthetique de cet ouvrage fouille.
Michele Dagenais
Departement d'histoire
Universite de Montreal