L'Eglise-nation canadienne-francaise au siecle des nationalites : regard croise sur l'ultramontanisme et le nationalisme.
Laniel, Jean-Francois
Abstract : This article studies the links between ultramontanism and French Canadian nationalism. If the influence of the ultramontane doctrine in French Canada, its networks and its politico-religious quarrels, has been the subject of many researchs, less has been written on its view of the national question. Unlike French ultramontanism--monarchist, critique of "national churches" and strongly universalist--, French Canadian ultramontanism readily adheres to a certain romantic idea of nations: the project of a "counter-society", fully Catholic, here becomes a project of nation-building. To explore this "elective affinity" between ultramontanism and nationalism in French Canada, this article first provides an overview of the thought of "reformist" Etienne Parent, on which Fernand Ouellet observed the influence of "theocratic doctrines ". It then studies various facets of Mennaisian ultramontanism, especially the providential role given to the people and its customs, its will to institutionalize social life, and its fierce combat for the Church's independance. In so doing, it situates French Canadian nationalism among the many types of nation building, that of "cultural nations without sovereign state", where the constitution of a "Church-Nation" has the best chance to occur.
Resume : L'influence de la doctrine et de la pensee ultramontaines au Canada francais, de ses reseaux et de ses luttes politico-religieuses, a fait l'objet de nombreuses recherches. Cependant, l'etude de ses aspects originaux eu egard a la question nationale reste peu exploree. Contrairement a l'ultramontanisme francais--monarchiste, critique des Eglises nationales et resolument en faveur d'un catholicisme universaliste--sa variante canadienne-francaise a fait sienne une certaine idee romantique de la nation : l'avenement d'une <<contre-societe>> integralement catholique s'y est fait projet d'edification nationale. C'est sur cette <<affinite elective>> entre l'ultramontanisme et le nationalisme canadien-francais que porte cet article. En effet, la traduction sociopolitique de l'ultramontanisme mennaisien en sol canadien-francais n'est pas sans reserver plusieurs surprises, qu'aident a cerner le role providentiel devolu au peuple et a ses coutumes, son ambition d'institutionnalisation du social et son parti pris farouche pour l'autonomie de l'Eglise. A ce titre, la pensee <<reformiste>> d'Etienne Parent, sur laquelle Fernand Ouellet a deja souligne l'influence des <<doctrines theocratiques>>, exprime ce melange de nationalisme et d'ultramontanisme, et suggere l'attrait plus large qu'il suscite dans le cadre tumultueux de l'Acte d'Union du Haut et du Bas Canada, puis du <<renouveau religieux>>. Une telle analyse permet a fortiori de situer le nationalisme canadien-francais parmi les types d'edification nationale, ceux des <<nations culturelles sans Etat souverain>>, oU precisement la constitution d'une <<Eglise-nation>> est susceptible d'advenir.
<<A funny thing happened to French-Canadian nationalism on its way to a responsible government. It became ultramontane.>>
Jacques Monet, <<French-Canadian Nationalism and the Challenge of Ultramontanism>>, p. 413.
Pour reprendre l'expression evocatrice de Louis Rousseau, nous reflechirons dans cet article a la <<construction religieuse de la nation>> (4) canadienne-francaise, c'est-a-dire a son edification referentielle et a son edification institutionnelle, soit la constitution d'un Sujet historique et politique national, par le biais de l'Eglise catholique. Il s'agit de prendre au serieux l'hypothese soumise et developpee notamment par Fernand Dumont, selon laquelle l'Eglise catholique a joue pour la population francophone et catholique du Bas-Canada l'equivalent du role joue par les Etats historiques d'Europe de l'Ouest dans leur processus d'edification nationale, en leur fournissant une conscience politique et historique d!elles-memes, ainsi que des moyens d'action et d'institutionnalisation. Car, en faisant du catholicisme la tradition nationale des Canadiens francais et de ses institutions le vehicule de leur expression collective, l'Eglise catholique canadienne-francaise <<a fait une societe>> (5), permettant notamment une integration differenciee et une participation graduelle de la nation canadienne-francaise a la modernite, semblable au parcours du catholicisme lui-meme.
1--L'edification nationale religieuse des petites nations sans Etat
L'edification d'une nation par le biais du christianisme et d'une Eglise n'est pas, a proprement parler, unique au Canada francais. Comme le notait l'historien hongrois Istvan Bibo au sujet des nationalismes d'Europe de l'Est, ceux-ci, contrairement aux Etats-nations d'Europe de l'Ouest, <<ne tarderent pas a s'apercevoir que personne n'avait accompli a leur place et pour leur benefice la tache qui consistait a jeter les bases d'une organisation etatique nationale et moderne, alors que dans le reste de l'Europe, ce travail avait ete execute au cours du XVIIe et du XVIIIe siecle>> (6). Ces nations d'Europe de l'Est, dites aussi petites, ou plus pejorativement <<sans histoire>> (7), puisque sans Etat, ne se definirent non pas a partir d'un cadre politique, etatique et territorial preexistant, s'exprimant d'abord par un nationalisme politique ou civique, mais selon une definition culturelle d'elles-memes, a partir de traits culturels et historiques partages, au premier rang desquels la religion (8). Si le rationalisme des Lumieres a favorise la constitution desdites << premieres democraties>> autour de la figure de l'Etat de droit et de la citoyennete, c'est davantage le romantisme, avec son amour de la tradition, de la religion, du sentiment et du peuple historique qui a fonde en legitimite et en discours le nationalisme des petites nations (9). <<For small nations, their culture and history have become both means and ends of their existence [...] For it defines their very raison d'etre as a separate unit>> (10). Ce qui ne veut pas dire pour autant que leurs aspirations nationales n'etaient fondees que sur l'idee d'une culture distincte. <<La plupart des peuples d'Europe centrale et orientale, precise Bibo, les Polonais, les Hongrois, les Tcheques, les Grecs, les Roumains, les Bulgares, les Croates, les Lituaniens ont dispose, pendant de longs siecles, d'Etats ou d'organisations quasi etatiques : ils avaient chacun une conscience politique>> (11). Ces peuples etaient encore presents a euxmemes <<par leurs institutions ou dans les souvenirs, sous forme de symboles, cadres qui, malgre leur etat anarchique, malgre leur caractere regional, representaient des moteurs politiques plus puissants que les organisations en place, mais faiblement implantes, du pouvoir d'Etat existant>> (12). Ce sont ces fragiles cadres nationaux, parmi lesquels les Eglises tenaient une place d'importance (13), que mobiliserent les mouvements nationalistes et democratiques d'Europe de l'Est, en faisant appel a la culture, a l'histoire et a la langue de leurs populations, ce qu'exprime significativement la notion de <<renaissances nationales>>. Ainsi, c'est d'abord comme <<peuple d'heritage>>, plutot que <<peuple d'individus>> qu'adviennent a la modernite nationale les petites nations (14).
Seulement, si les nations d'Europe de l'Est pouvaient puiser a meme un vaste reservoir de traditions pour construire leur reference nationale, n'ayant certes pas la longevite politique des nations d'Europe de l'Ouest, mais certainement leur longevite culturelle, la nation canadienne-francaise etait une <<collectivite neuve>>, une collectivite tres jeune lorsqu'approche le siecle des nationalites (15). Contrairement aux petites nations d'Europe de l'Est, la nation canadienne-francaise n'a pas de conscience historique autonome d'elle-meme a la Conquete, ni meme a la veille des Rebellions (16), et tres peu d'institutions sur lesquelles s'appuyer, se (re)fonder, se (re)inventer (17). Si elle partage cela avec les autres nations d'Amerique, contrairement a elles toutefois, la nation canadienne-francaise fut conquise par une nationalite etrangere, a l'instar des petites nations d'Europe de l'Est: contrairement aux nations neuves d'Amerique, l'existence et la definition de la nation canadienne-francaise ne se posent pas d'emblee sous le signe de l'evidence, autour d'un territoire et d'un Etat commun, dans la lutte proprement politique contre une metropole de meme culture, mais aux visees politiques divergentes. Certes, semblables en cela aux revolutions democratiques du continent americain, les luttes patriotes qui menent aux Rebellions cherchent a democratiser la vie publique, a obtenir un gouvernement responsable, mais c'est a titre de sujets de la Couronne britannique, afin de realiser les promesses des <<libertes anglaises>>. Si les Patriotes, liberaux et republicains, dotent le Bas-Canada d'une conscience politique, il ne s'agit pas encore d'une conscience nationale, qui attendra l'echec de leur projet patriotique et democratique pan-canadien (18). Cet echec tua dans l'oeuf la naissance d'un Sujet national canadien, au profit d'un projet national distinct pour les Canadiens francais : ceux-ci se decouvrent dans la lutte politique separes non seulement de la Couronne, mais des compatriotes de langue anglaise en sol canadien, qui ne soutiennent pas leur projet liberal et republicain (19). Ils apprendront a se definir culturellement, vis-a-vis des Britanniques puis des Canadiens anglais, pour considerer ensuite leur avenir politique : le Sujet historique national est a construire, avec les moyens du bord.
Ainsi, malgre les velleites de certains radicaux, notamment des Rouges annexionnistes (20), ce n'est pas sous la figure d'une nation politique neuve que se sont imagines les descendants americains des Francais, mais c'est bien, pour le meilleur et pour le pire, selon une vision culturelle, francaise et surtout catholique que s'edifiera la nation canadienne-francaise : <<l'idee de nation et celle de republique se rencontrent ; elles n'arrivent pas a se fondre. Chacune est reactive par rapport a l'autre. Si la republique est volonte d'egalite, il faudra montrer que les institutions nationales heritees s'y conforment. Sinon, n'aura-t-on pas a supprimer ces institutions pour que la republique advienne selon la purete de ses principes?[...] on ne survit qu'a condition de justifier sa difference.>> (21) En outre, <<depuis bien avant la Conquete, observe Fernand Dumont, la cohesion de ce peuple s'effectuait par le bas>>, a partir de la religion, <<plus importante des institutions nationales>>, elle qui <<penetre la vie quotidienne, les croyances et les moeurs ; de haut en bas, elle contribue a encadrer la collectivite>> (22). Avec l'exil ou l'execution des chefs patriotes et la dissolution de la Chambre d'Assemblee du Bas-Canada, c'est par l'Eglise catholiques et les elites politiques dites reformistes (23) que se developpera la nation desormais canadienne-francaise.
La <<renaissance nationale>> du Canada francais, pour parler le langage du siecle des nationalites, sera ainsi tout autant, sinon davantage, une renaissance religieuse, prenant la forme d'une <<revolution ultramontaine>> (24). L'elaboration de la <<premiere reference nationale>> des Canadiens francais coincida avec un <<reveil>> ou <<renouveau>> religieux, ainsi qu'une acculturation et institutionnalisation du catholicisme ultramontain au Canada francais (25). Cette <<coincidence>> historique ne tient pas du hasard. Dans la contingence historique bas-canadienne, cette coincidence se nourrirait pour beaucoup, pensons-nous, d'une affinite elective entre l'ultramontanisme et le nationalisme, a laquelle participe le catholicisme romantique.
C'est sur cette affinite au fondement de l'edification nationale canadienne-francaise que nous nous pencherons ici. afin de mieux comprendre, chemin faisant, certaines particularites et certains ressorts de l'Eglise-nation canadienne-francaise, cet <<Etat d'une nation sans Etat>> (26). Pour ce faire, il faut a notre tour nous demander comment s'est elabore, au sein d'une <<societe defaite>>, <<un nouveau message apte a declencher la transformation>> du renouveau catholique et nationaliste (27), lequel pave la voie a l'edification nationale canadienne-francaise par l'entremise de l'Eglise-nation ultramontaine. Loin de s'opposer, sentiment religieux et volonte d'institutionnalisation s'articulaient indissociablement au sein de l'ultramontanisme : il ambitionnait de parler aux ames comme a la raison publique, en batissant une nouvelle societe chretienne (28).
2--Les deux Etienne Parent, ou le parcours d'une collectivite neuve et petite
Un detour par le parcours politique et intellectuel d'Etienne Parent, lui que Gerard Bergeron a surnomme <<notre premier intellectuel>> (29), lui dont Jean-Charles Falardeau a ecrit <<qu'il fut le premier a elaborer en une doctrine globale les composantes de la pensee nationale>>, qu' il fut <<l'engendreur de Canadiens francais qui ont appris de lui ce que representait leur pays>> (30), aide a cerner les transformations nationalitaires qui ont cours chez les francophones bas-canadiens au mitan du XIXe siecle et qui consacrent, chez ce liberal et ancien Patriote, l'emergence de l'Eglise catholique comme institution nationale. Le parcours d'Etienne Parent est semblable a celui qu'a connu la pensee en Europe de l'Est, oU une premiere formulation de l'idee de nation par le biais du rationalisme abstrait des Lumieres, dans quelques cercles, de Prague a Varsovie en passant par Budapest (31), fut progressivement delaissee au profit d'une conception romantique, enracinee et particulariste du peuple, permettant la popularisation, la massification et la politisation du sentiment national (32).
Le <<jeune Parent>>, celui d'avant l'echec des Rebellions et la proclamation de l'Acte d'Union, se considerait d'abord comme sujet britannique, voire comme citoyen du territoire canadien (33). Patriote, sa conception de la nation englobait indistinctement l'ensemble des habitants du Haut et du Bas-Canada. Ses revendications politiques visaient l'obtention, a titre de sujet britannique, des libertes democratiques octroyees aux citoyens de Grande-Bretagne, au premier chef un gouvernement responsable, elu. Ces libertes lui semblaient aussi necessaires que naturelles, tout particulierement en Amerique, terre de la democratie (34).
L'echec des Rebellions (1837-1838), contre lesquelles Parent s'etait prononce en s'opposant aux Patriotes plus radicaux dits republicains, enterrera ses projets et espoirs de liberalisation et de democratisation du regime canadien. La defaite du combat democratique et la reprise du projet d'union du Haut et du Bas-Canada, deja tente en 1811 et en 1822, qui ambitionnait d'assimiler les Canadiens francais, le plongerent dans une profonde depression. Celle-ci l'amenera meme a se resigner a l'assimilation de la majorite francophone a la minorite anglophone, ce qu'il nommera une << soumission honorable >>, pourvu qu'elle ressemble au sort de la Louisiane, enviable par sa douceur et sa prosperite (35). Malheureusement, notait-il, le risque etait toutefois bien reel que feu le Bas-Canada vivrait plutot, sous l'Union promulguee en 1840, un sort semblable a celui de la tragique Pologne, maltraitee par l'Empire russe (36).
Parent ne s'en tiendra toutefois pas a ce scenario noir. Et lorsqu'il passera du journalisme a la carriere de fonctionnaire et de conferencier, le desormais <<vieux Parent>> ne revint a son public ni radicalise, a la maniere de la quete republicaine et democratique des Rouges, ni en caressant quelque projet futur de nationalite unitaire avec les Canadiens anglais, dont il jugeait que les Canadiens francais n'avaient plus rien a attendre. C'est a la nation proprement canadienne-francaise et catholique qu'il vouera ses energies : << nos institutions, notre langue, nos lois >>. Et cette fois, le progres national des Canadiens francais passera par un role de premiere importance pour l'Eglise catholique, son clerge et sa doctrine.
Surtout, le role devolu a l'Eglise catholique par Parent semble a plusieurs egards en phase avec le discours et les pretentions ultramontaines. Comme le souligne d'emblee Fernand Ouellet dans un article paru en 1955 sur le catholicisme dit << social >> d'Etienne Parent, le catholicisme du vieux Parent ne peut etre aisement reduit a un usage utilitaire, instrumental et pragmatique, ni meme a un liberalisme timidement matine de catholicisme (37). L'ampleur possible de cette conclusion semble d'ailleurs susciter un certain malaise chez Ouellet : << Sans doute, Parent a ete influence par les doctrines theocratiques, mais il se refuse a l'union de l'Eglise et de l'Etat et a l'acceptation de l'Eglise comme puissance economique. Son domaine est le spirituel et son role est de vivifier les institutions politiques et economiques par la religion>> (38). Que comprendre de cette nuance en demi-teinte, s'agissant d'une doctrine ultramontaine souhaitant elle-meme la separation etanche du spirituel et du temporel, tout en ne concedant que peu de limites au domaine spirituel ? Plus que le constat d'un laicisme de bon aloi, n'est-ce pas surtout la mysterieuse influence des doctrines dites theocratiques sur la pensee d'Etienne Parent qui interpelle?
Dans sa celebre conference << Du pretre et du spiritualisme dans leurs rapports a la societe>> (39), prononcee a l'Institut canadien de Montreal en 1848, annee de la promulgation du gouvernement responsable, Etienne Parent, apres avoir appele a <<la realisation sociale de l'evangile>> (40), apres avoir deplore qu'il manquait <<aux peuples une grande puissance morale au-dessus et en dehors des interets et des passions terrestres >> (41), exhorte a un << sacerdoce renove, un sacerdoce qui ait une pleine conception de la societe nouvelle, et qui sache se placer a sa hauteur ou a son niveau>> (42), c'est-a- dire au sein meme de la societe. Qu'il realise <<tout l'evangile, mais l'evangile tout entier, avec toutes ses consequences>> (43). Dans ce sacerdoce renove, les <<deux puissances [temporelles et spirituelles] doivent se donner la main pour pousser et diriger l'humanite dans la voie du perfectionnement et du bien-etre>>. Mais ces deux puissances ne sont pas pour autant egales, car le pretre <<tient sa mission d'en-haut, et nulle puissance d'en-bas ne saurait l'abroger, ni la limiter. Cette mission se rattache aux fonctions de l'ame qui est hors de l'atteinte de toute puissance humaine, et qui ne peut reconnaitre d'autre tribunal que celui de Dieu meme>> (44). Ainsi, de poursuivre Parent, se positionnant dans un debat qu'il voyait peut-etre venir, c'est au pretre principalement, comme organe du principe le plus noble, qu'appartient la surveillance generale de ce grand travail [celui de retablir l'equilibre entre les deux puissances] [...] Pour interdire au pretre toute action sur la societe politique, il faut nier ou perdre de vue la part qu'il a du avoir et qu'il a eue en effet dans l'institution primitive de la societe et qui donne la mesure et la raison de celle qu'il doit avoir dans sa conversation et son avancement. [...] On peut donc affirmer que la societe est principalement due au spiritualisme, dont le pretre est l'organe, la personnification sociale (45).
Certes, Parent n'entend pas confondre les <<deux puissances>>, ni faire du pretre un homme politique, n'ecartant pas la possibilite de restreindre par la loi un exercice indu (46). Mais si les deux spheres sociales existent, avec leurs prerogatives, la sphere spirituelle est hierarchiquement superieure : c'est d'abord contre la relegation du pretre a la sphere privee que s'en prend Parent, tout en appelant le pretre a se hisser a la hauteur des defis du siecle. Car, apres s'etre emporte contre les vieux pretres gallicans, ceux qui se contentent du salut prive des ames ou n'osent elever la voix contre les pouvoirs politiques et les modes du temps (47), apres s'en etre pris vigoureusement au materialisme, principe anglo-saxon qui n'aurait de place que subordonne au spirituel (48), puis contre ceux qui voudraient limiter le role societal du pretre, Parent conclut son discours en presentant des exemples de ce << sacerdoce renove>>, celui qu'il espere, mais voit trop peu a l'oeuvre. Ceux qu'il cite en exemple, <<comme autrefois l'arche d'alliance devant le peuple d'Israel, marcher a la tete de notre peuple vers la terre promise du progres et de la liberte >> (49), sont nul autre que Mgr Ignace Bourget, Louis-Francois Lafleche (alors simple pretre), l'abbe Chiniquy, apotre de la temperance, c'est-a-dire les figures phares de l'ultramontanisme et du renouveau religieux ... Fort de ces modeles, Parent conclut sa conference en appelant a ce que << se forme [...] entre notre clerge et la partie active de notre peuple une sainte et patriotique alliance, ayant pour objet notre avancement politique et national >> (50).
Il y a dans cette << attitude >> << une enigme >>, selon Fernand Ouellet : << Ce n'est pas seulement le probleme de Parent qui apparait, mais celui d'une bonne partie de la bourgeoisie canadienne-francaise de l'epoque>> (51), celui d'une bourgeoisie liberale sinon catholique, sinon ne pouvant faire fi de l'importance du clerge dans le cadre canadien. N'est-il pas etonnant que ce soient les figures les plus actives de l'ultramontanisme que Parent erige en modeles (d'autres auraient ete possibles), que ce soit en elles qu'il voit les allies de la nation canadienne-francaise, elles qu'il appelle a collaborer activement sinon decisivement a l'edification d'une societe nouvelle, et ce, sans avoir le sentiment d'y sacrifier le progres national, mais au contraire d'y travailler au mieux ? A force d'opposer les << ultramontes >> aux Rouges, la tradition a la modernite, la reaction au progressisme, ne passe-t-on pas a cote de ce qui expliquerait l'enthousiasme et les voeux, certes inquiets, d'Etienne Parent, d'autres liberaux, et des futurs <<clerico-nationalistes>> ? Ce qui permettrait de comprendre le ralliement de la population bas-canadienne a cette << sainte et patriotique alliance >>, a cet << ultramontanisme populaire >> que Guy Laperriere distingue, a la limite, d'un << ultramontanisme doctrinal >> (52) ? Bref, quelque chose d'un ethos et d'un projet partages?
<<Entre l'ultramontanisme canadien et europeen, de souligner avec justesse Nadia F. Eid, il y a une difference notable>>. <<Alors qu'en Europe les ultramontains s'affirmaient comme catholiques et romains beaucoup plus que nationalistes, au Canada ils ne cesseront de se reclamer d'qn ideal profondement national>> (53). Mgr Lartigue, l'un de nos premiers ultramontains, fut-il egalement un fervent nationaliste (54). Des sa parution en 1841, le journal ultramontain de Mgr Bourget, Les Melanges religieux, liait explicitement les projets de la nation a ceux de <<catholicisation>> du Canada francais (55). Mgr Lafleche, dans son celebre breviaire ultramontain, Quelques considerations sur les rapports de la societe civile avec la religion et la famille (56), usait des termes <<progres>> et <<bonheur>> pour parler de l'avenir de la nation, tout en justifiant l'importance societale premiere de l'Eglise catholique non pas d'abord par l'existence certaine de Dieu, selon une apologetique classique, mais par ses effets et ses causes historiques et sociologiques, tout comme Parent (57). A nouveau, quelles sont les affinites electives entre le nationalisme et l'ultramontanisme, elles qui semblent avoir travaille les coeurs et les esprits bien avant 1840 ? Car, si la soudainete du reveil religieux peut etonner, n'est-il pas tout aussi etonnant qu'il fut d'emblee nationaliste, a tout le moins chez ses porte-paroles?
3--De quelques affinites electives entre l'ultramontanisme et le nationalisme, ou le peuple elu du catholicisme societal
Il peut etre utile de revenir a certaines des premieres formulations de l'ultramontanisme au Bas-Canada, tel qu'il a ete popularise par le premier Felicite de Lamennais, mais aussi par Charles de Montalembert et par Louis Veuillot, surtout apres la double condamnation de Lamennais, suivant l'aventure du journal Y Avenir (qui cesse de paraitre en 1832), condamne dans Mirari Vos (1832), et la publication des Paroles d'un croyant (1834), condamne dans Singulari Nos (1834) (58).
Grace aux travaux pionniers de Philippe Sylvain et de Pierre Savard, et avant cela du chanoine Michel Couture (59), il est desormais connu que Lamennais a exerce une grande influence intellectuelle au Bas-Canada, lui aupres duquel s'est <<d'abord et avant tout>> abreuve l'ultramontanisme canadien-francais selon Nive Voisine (60). Lamennais fut lu aussi bien par le clerge que par les Patriotes (Louis-Joseph Papineau le rencontra a plusieurs reprises a Paris lors de son exil (61) et Louis-Antoine Dessaulles communia a sa pensee), et l'on sait qu'il etait abondamment etudie et commente au college de Saint-Hyacinthe, veritable foyer mennaisien et ultramontain (62), ou il etait tres apprecie de l'abbe Joseph Sabin Raymond, qui entretint une riche correspondance avec plusieurs personnalites du catholicisme ultramontain et romantique francais (63). Lamennais etait evidemment lu par Mgr Lartigue, qui possedait un grand nombre de ses livres, dont ceux de son brillant discipline l'abbe Philippe Gerbet, et n'aurait pas cesse de le lire meme apres la condamnation romaine, qui lui fut douloureuse, jusqu'a prendre sur lui de departager le bon du mauvais Lamennais (64). Quant a Mgr Bourget, il <<a ete forme par son predecesseur [Mgr Lartigue], il a communie a toutes ses passions et il a pu ainsi recueillir son heritage >> : si Mgr Lartigue fut <<l'initiateur>> de l'ultramontanisme au Canada francais, Mgr Bourget <<est responsable, dans une grande mesure, de son succes populaire >> (65). Pour leur part, Montalembert et Veuillot furent, selon Philippe Sylvain, les deux plus grandes influences intellectuelles du XIXe siecle canadien-francais, ce qui est peu dire (66). Tout bon intellectuel canadien- francais, relate meme Benoit Lacroix, avait leurs livres dans sa bibliotheque, encore dans a la fin des annees 1920, ou figurait egalement Chateaubriand (67). Quant a la formation clericale, <<vers 1875 [...] les theses ultramontaines etaient professees partout>> (68) dans les colleges-seminaires du Canada francais.
Pour Lamennais et Montalembert, l'Eglise catholique devait prendre acte de la Revolution francaise, non pour en epouser le positivisme, le liberalisme, l'atheisme ou l'etatisme, tout au contraire, mais pour prendre conscience du monde qui mourrait avec elle et les possibles qui s'ouvraient alors au catholicisme et a la societe (69). Si la Revolution francaise avait au moins un merite pour ces ultramontains, c'etait de reveler deux choses : l'etat de privation avilissant dans lequel l'Eglise catholique gallicane avait ete placee sous la monarchie absolutiste, subordonne a l'Etat et a ses interets, jusque dans le dogme, et, ainsi donc, les bienfaits qu'un esprit de liberte << bien compris >> pouvait apporter a l'Eglise catholique dans ce siecle nouveau, avec les libertes d'association, d'expression, de religion. Deprise de son ancien et encombrant allie politique et resolue a ne plus avoir de maitres, l'Eglise catholique pouvait desormais, selon ces ultramontains, reaffirmer sa preeminence ontologique sur le temporel, dont l'infaillibilite papale, et reaffirmer la superiorite de l'Eglise sur l'Etat en matieres mixtes, au premier chef en education. Au risque de troubler les categories usuelles de la pensee politique, l'independance de l'Eglise par rapport a l'Etat etait ainsi revendiquee par les ultramontains francais, comme moult autres libertes, non par liberalisme, individualisme ou democratisme, mais pour liberer l'Eglise de l'Etat et ainsi mener a bien la <<christianisation>> de la societe.
En effet, c'est sur le terrain de la societe meme que le catholicisme ultramontain entendait combattre les erreurs de l'epoque : il lui semblait dorenavant possible pour l'Eglise catholique de batir une veritable cite chretienne, sur son modele, celui de la societe parfaite. Une telle ambition temporelle, brouillant les frontieres entre le temporel et le spirituel, entre l'icibas et l'au-dela, conduisit Lamennais a epouser les causes revolutionnaires, notamment en Belgique et surtout en Pologne, lorsqu'elle n'amenait pas les ultramontains canadiens-francais a imposer un << programme catholique >> aux politiciens (70). Ambitieux, englobant et ferocement oppose aux dites erreurs liberales et materialistes de la modernite, cet ultramontanisme, trop peu etudie selon Rene Remond, <<est un systeme complet et coherent [...] [il] proposait une vision globale de l'ordre du monde et comportait reponse a tous les problemes de la destinee humaine et de la vie des societes, au meme titre que le liberalisme ou le marxisme>> (71). Cette ambition de <<catholicisation>> integrale aura d'ailleurs une grande posterite et donnera naissance, selon Emile Poulat et Jean-Marie Mayeur, a <<l'integralisme>>, sous les formes successives de l'ultramontanisme, du catholicisme social et de la democratie chretienne (72). Ici, clercs et laics sont egalement mobilises, et peu de moyens temporels (de la presse aux romans en passant par les associations) sont negliges, a fortiori en contexte democratique, ou l'electeur est a convaincre (73).
Cette nouvelle societe chretienne a construire, inspiree du Moyen Age comme les Lumieres s'inspiraient de l'Antiquite, avait bien souvent le peuple pour allie politique--ce qui n'eliminait pas pour autant la seduction exercee par la Restauration ou l'Empire, selon qu'ils pouvaient faire progresser le <<catholicisme d'abord>>. Aux yeux des catholiques romantiques tels Lamennais, Montalembert, Chateaubriand, Lacordaire ou Ballanche (74), le peuple seul semblait etre demeure fidele a la tradition et a la religion, le seul a ne pas s'etre laisse tenter par la demagogie revolutionnaire, par l'esprit anti-religieux du siecle, au contraire des bourgeois et meme des aristocrates. Pour ces ultramontains qui ne craignaient pas la science, mais y puisaient a pleine main pour y trouver et/ou y confirmer les desseins de la Providence et de l'Eglise, la fidelite du peuple au catholicisme avalisait leur philosophie de l'histoire, suivant laquelle l'Eglise catholique etait appelee a revitaliser integralement la societe. La religiosite du peuple confirmait la necessite historique et sociologique de l'Eglise catholique, au principe et au fondement de toutes les societes, suivant les theories de la <<revelation primitive >> et du <<sens commun>> (75). Comme la laicite, la science ou les libertes modernes, la democratie ne se justifiait pas en elle-meme, selon l'idee de la souverainete absolue des peuples a decider d'eux-memes, mais pour ce qu'elle permettait dans l'avenement d'une nouvelle chretiente, voire comme pis-aller pour lutter contre les charges antireligieuses et anticlericales.
De fait, selon l'image programmatique que se faisait Lamennais du pontificat moyenageux de Gregoire VII (1073-1085), les peuples trouvaient secours et protection aupres du Pape, lequel ne devait pas hesiter a intervenir dans les affaires politiques europeennes (76). Par-devers les pouvoirs monarchiques et les pouvoirs politiques, l'alliance des peuples catholiques avec le Pape semblait une vision aussi ideale que naturelle a ces ultramontains (77). On comprend ainsi leur enthousiasme pour les luttes revolutionnaires de la Belgique, de l'Irlande et surtout de la Pologne, ces rebellions de peuples catholiques contre les empires protestant et orthodoxe. Si, pour plusieurs, c'est sur cette question que se trouve la rupture entre Lamennais et Rome, Gregoire XVI refusant d'appuyer le combat politique revolutionnaire des Polonais contre le tsar russe, cette vision de l'alliance des peuples catholiques et du Pape continua neanmoins de fleurir chez ceux restes fideles a la papaute, tel Montalembert (78). D'ailleurs, une telle reserve politique de la papaute n'apparut-elle pas tendanciellement averee pour les Canadiens francais, a la vue des difficiles lendemains des Rebellions patriotes ? Et que dire des mises en garde contre le principe absolu de la souverainete des peuples, risquant de soumettre les Canadiens francais a l'arbitraire de la majorite anglophone, une fois cette derniere majoritaire, entre l'Acte d'Union et la Confederation?
Une telle Eglise ultramontaine, sure d'elle-meme devant le siecle et devant le temporel, pouvait difficilement ne pas trouver preneur au Canada francais. Face a un gouvernement anglican et une societe protestante, a fortiori cherchant son assimilation et sa conversion, le Canada francais trouvait dans F ultramontanisme une doctrine d'edification et de souverainete nationales grace a la suprematie du spirituel sur le temporel, ainsi qu'une volonte d'institutionnaliser une societe catholique et francaise. Les ultramontains, par exemple, furent aux premieres loges du combat lors des crises scolaires au Canada. Pour reprendre l'expression evocatrice de Roberto Perin, l'Eglise ultramontaine canadienne-francaise ambitionnait d'etre une << Eglise-nation libre et souveraine >> (79). Ainsi, dira Fernand Dumont, << on a parle de l' 'apolitisme' traditionnel des Canadiens francais. L'expression me parait inexacte : on a cherche l'Etat la ou il ne se trouvait pas. L'Etat, c'etait d'abord l'Eglise. Pourquoi en eut-il fallu un autre ?>> (80) Vincent Petit observe d'ailleurs un mimetisme de l'Eglise romaine vis-a-vis des nouveaux Etat-nations : Comme les Etats contemporains qui se sont fondes sur l'ordre social issu de la Revolution, l'Eglise entame un processus de modernisation, elle se pense a son tour comme un ensemble unitaire et coherent, d'un point de vue doctrinal et identitaire, elle s'affirme comme une entite monarchique en s'appropriant les concepts d'autorite et de souverainete, dont l'acme est atteint avec la proclamation du dogme de l'infaillibilite pontificale (81).
Face a une Amerique materialiste et protestante, le Canada francais trouvait avec ce catholicisme conquerant une vocation universelle, une election divine (82), en plus d'un appui et d'une legitimite des plus precieux : le Canada avait deja connu six constitutions en 1872, rappelait M. Simeon Pagnuelo, avocat-conseiller de Mgr Bourget sur P auto-gouvernement de l'Eglise: n'etait-il pas hasardeux d'assurer l'avenir de la nationalite sur l'arbitraire et la fragilite de la politique (83)? Le droit naturel et l'appui papal pouvaient sembler plus solides que le droit elabore par les puissants.
C'est dire aussi que, pour le jeune peuple canadien-francais n'ayant pas a sa disposition un large eventail de traditions nationales dans lesquelles aller puiser, la tradition catholique romaine, ses rituels, ses symboles, ses institutions, ses projets arrivaient a point nomme. D'une part, l'ascendant de l'Eglise catholique sur le siecle se traduisait par une <<piete ultramontaine>> que l'on dirait romantique, demonstrative et publique, contribuant ici, dans ses prestations triomphales, a construire un espace public canadien-francais distinct, surtout dans des villes anglophones comme Montreal (84). D'autre part, la morale ultramontaine, liguorienne plutot que rigoriste, etait a la fois plus exigeante dans la frequentation du culte, mais plus souple dans la confession et le pardon, plus collective qu'individuelle, plus rituelle que personnelle, favorisant ainsi la massification de la pratique religieuse (85). C'est d'ailleurs Mgr Bourget qui s'en fit Tardent defenseur au Canada francais, a l'encontre des voeux des gallicans Sulpiciens (86). Autrement dit, ostentatoire et popularisee, la romanisation ultramontaine etait aussi, ici, une forme de nationalisation catholique. <<L'Eglise [se dotait] d'un langage unique et d'une symbolique uniforme a l'image des Etats-nations, et [faisait] de l'Eglise une patrie oU la liturgie romaine tient lieu de langue maternelle >> (87). Et ce, jusqu'a fournir un premier drapeau national au Canada francais au tout debut du XXe siecle, le Carillon-Sacre-Coeur, des heros nationaux tels les <<Saint-Martyrs-Canadiens>>, en 1930 (88), voire une politique et une visibilite internationales, avec les Zouaves pontificaux et les oeuvres missionnaires.
C'est dire, enfin, que le voeu d'Etienne Parent, celui d'une d'intervention sociale et nationale de l'Eglise catholique canadienne-francaise en faveur du progres collectif n'avait rien de farfelu, ni d'incomprehensible : l'Eglise ultramontaine, en ambitionnant de faire societe autour d'elle et en liant l'avenir de la catholicite a l'avenir d'un Sujet historique et politique national, ne pouvait faire autrement que de s'interesser egalement a la chose sociale et economique. Comme l'a bien explique Paul-Andre Turcotte, la dynamique propre a l'Eglise nationale est celle de l'expansion, qui l'amene naturellement a prendre en compte l'evolution du social et a y oeuvrer (89). L'Eglise catholique pouvait difficilement, par exemple, rester indifferente a l'immigration de son peuple elu aux Etats-Unis, faute de travail (90). Le catholicisme integral est-il indissociablement un catholicisme social, T Eglise-nation, une Eglise- providence? Emile Poulat semble le suggerer : le catholicisme integral [...] par nature, ne peut etre qu'un catholicisme social ; a la tentation du compromis, le devoir de l'intransigeance; au refus d'une societe condamnee par ses propres erreurs, la vision d'une Eglise porteuse de la societe a instaurer; a l'atheisme social du laicisme, l'ordre social chretien du Christ-roi (91).
L'Eglise catholique ayant depuis 1844 la possibilite de decouper, d'administrer, de recruter et d'uniformiser son territoire a sa guise, suivant l'erection de la premiere province ecclesiastique canadienne (92), le clerge canadien-francais disposait d'un precieux espace de liberte societal et la rare ambition d'y amenager une societe. Rien, d'ailleurs, ne resistera a l'encadrement diocesain, touchant aussi bien la colonisation, l'agriculture, les caisses populaires, le syndicalisme ouvrier (agriculteurs, foresterie, pecheurs, ouvriers, patrons, enseignants, etc.), que le systeme scolaire, le service des loisirs, les services sociaux, les hopitaux, etc. (93) Catholicisation et nationalisation allaient de pair, un peu a l'image du mouvement de temperance, qui <<reorganisa>> a ses fins la Societe Saint-Jean Baptiste, periclitant depuis les Rebellions (94). L'intention nationalitaire profondement eprouvee des francophones a l'ouest du Quebec depuis la fin du Canada francais, et l'absence d'intention nationalitaire chez les Cadiens de la Louisiane, ne temoignent-elles pas, a contrario, du role societal et historique de l'Eglise catholique (95) ?
Conclusion
L'etude du Canada francais catholique et nationaliste recele encore de nombreuses surprises, visibles et saisissables au regard de celui qui n'y cherche ni l'absence de modernite conquerante, ni la figure-repoussoir des verites contemporaines.
Delaissee depuis plusieurs annees maintenant, l'etude de l'ultramontanisme nous semble d'une riche diversite et d'une tenace complexite. Ses origines mennaisiennes, pour ne nommer qu'elles, eclatent en de multiples filiations, revendiquees ou non, qui exigent d'autres recherches, autrement plus poussees et exhaustives. Tous, a l'epoque, furent en quelque sorte mennaisiens. C'est pour s'y retrouver un peu qu'Emile Poulat suggerait, a ceux qui souhaiteraient retracer la posterite de Lamennais--que certains ont conduite jusqu'a la democratie chretienne ou a la theologie de la liberation --de scruter d'abord attentivement le milieu et la culture de ceux qui s'en revendiquent (96). On pourrait en dire autant de l'ultramontanisme, qui evolua ici en democratie liberale, pour ne pas dire grace a une << laicite ouverte >>, selon les mots d'aujourd'hui, se pretant au jeu de la democratie populaire, a l'occasion furieusement, sans possibilite ni reelle ambition d'un retour a l'Ancien Regime, contrairement a la France, longuement tentee par la Restauration et l'Empire. Le caractere reactionnaire de l'ultramontanisme canadien-francais ne pouvait qu'en etre profondement modifie, voire altere, ce que semblent parfois constater avec surprise ceux qui se sont penches sur notre <<Louis Veuillot canadien>>, Jules-Paul Tardivel, a certains egards curieusement moderne et americain (97).
La polyphonie des influences et posterites ultramontaines contribue a expliquer la difficulte de dater la fin de l'ultramontanisme tant au Canada francais qu'a l'etranger, oU le <<catholicisme identitaire>> et intransigeant reprend aujourd'hui vie en France. Retiendra-t-on ses plus eminents et revendicateurs porte-paroles, ses plus apres luttes, que l'ultramontanisme canadien-francais pourrait se clore avec la demission et le deces de Mgr Bourget, avec le proces et la condamnation pour << influence spirituelle indue>> en politique, voire la division du diocese de Trois-Rivieres, defavorable a Mgr Lafleche, qui surviennent tous autour de 1880. Choisirat-on plutot la perennite de ses principales et plus desirees victoires, dont le monopole en education, la definition catholique de la nation, voire l'ambition de batir une societe chretienne originale, et Toree de la Revolution tranquille est davantage plausible. Entre les deux, libre a chacun de constater la part d'ultramontanisme d'Henri Bourassa ou de Lionel Groulx, de Mgr Paquet ou de Mgr Villeneuve, sinon <<Tultramontanisme modere>> de Mgr Taschereau. Dans cet effort de periodisation, certains prefereront le charisme ou sa routinisation, l'effervescence ou son institutionnalisation, la clarte des filiations ou la complexite des heritages.
L'influence ultramontaine canadienne-francaise est peut-etre ainsi a l'image de son projet de societe, celui d'une <<societe globale>>, plurielle sous son horizon unitaire. Autour de la figure de T Eglise-nation, l'ethos ultramontain federerait divers courants et diverses sensibilites, certaines plus populaires, certaines plus institutionnelles, certaines plus sociales, spirituelles ou politiques, suivant l'evolution de la societe a (re)christianiser, suivant le principe d'action ou celui d'institution. A l'evidence, il pourrait y avoir risque de dispersion a parler ainsi de l'ultramontanisme et de sa posterite. Mais ce serait peut-etre suivre son intention canadienne-francaise premiere, celle d'eriger une societe nouvelle, sensible aux inflexions romaines et a l'evolution societale, puisque d'abord et avant tout integralement catholique.
En ce sens, si l'Eglise catholique fut le trait d'union entre les Canadiens et les Francais dans l'ethnonyme canadien-francais (98), l'ultramontanisme fut peut-etre le trait d'union entre l'Eglise et la nation.
Jean-Francois Laniel (2)
(1.) Je tiens a remercier les directeurs de ce numero special, MM. Michel Bock et E.--Martin Meunier, ainsi que les evaluateurs anonymes pour leurs judicieux commentaires.
(2.) Jean-Francois Laniel est candidat au doctorat au Departement de sociologie de l'Universite du Quebec a Montreal. Ses recherches portent sur les liens entre la religion et le politique, entre le catholicisme et le nationalisme, dans les societes de tradition majoritairement catholique, plus particulierement au Quebec et dans les << societes sans Etat >>. Ses publications recentes incluent <<La laicite quebecoise est-elle achevee? Essai sur une petite nation, entre societe neuve et republique >>, dans Le Quebec et ses mutations culturelles : sept questions pour l'avenir d'une societe, sous la direction d'E.-Martin Meunier (a paraitre), et <<Qu'en est-il de la 'religion culturelle'? Secularisation, nation et impregnation culturelle du christianisme>>, dans Catholicisme et cultures. Regards croises Quebec/France, sous la direction de Solange Lefebvre, Celine Beraud et E.-Martin Meunier (a paraitre).
(3.) Jacques MONET, <<French-Canadian Nationalism and the Challenge of Ultramontanism>>, Historical Papers/Communications historiques, 1, 1 (1966), p. 41.
(4.) Louis ROUSSEAU, <<La construction religieuse de la nation>>, Recherches sociographiques, 46, 3 (septembre-decembre 2005), p. 437-452.
(5.) <<L'Eglise catholique a edifie l'ideologie de la societe francophone du Canada. Elle en a fait une societe. [...] Telle fut sa conscience de soi et sa difference.>> Fernand DUMONT, << Mutations de la culture religieuse dans le Quebec francophone >>, Religion/ Culture Comparative Canadian Studies. Etudes canadiennes comparees, W. WESTFALL, L. ROUSSEAU, F. HARVEY et J. SIMPSON (dirs.), Association des etudes canadiennes, VII (1985), p. 12.
(6.) Istvan BIBO, Misere des petits Etats d'Europe de l'Est, Paris, Albin Michel, 1993, p. 136.
(7.) En reference aux <<peuples sans histoire>>, <<anhistoriques>>, de Hegel (que reprend par exemple Engels), puisque l'histoire s'accomplissait par l'Etat, fondement et acteur politique de la conscience de soi collective, et signe intemporel des grandes nations, ainsi naturalisees et justifiees dans leur existence. Cette expression est evidemment mieux connue au Canada francais par l'usage qu'en a fait Lord Durham, dans son celebre rapport, parlant d'<< un peuple sans histoire et sans litterature >> pour decrire les Canadiens francais. D'oU l'importance d'une premiere reference nationale, d'oU l'importance, ici, de l'Eglise, institution d'objectivation, de reflexivite et d'action collectives : la nation <<pour soi>> plutot qu' <<en soi>>, la nation plutot que l'ethnie. Georg W. F. HEGEL, La raison dans l'Histoire, Paris, Pocket, 2012.
(8.) Anthony D. Smith distingue les peuples fondes autour d'une dynastie de ceux fondes par la communaute de culture ; les Etats-nations construits dans le passage de l'Etat a la nation, et ceux de la nation a l'Etat. Anthony D. SMITH, The Ethnie Origins of Nations, Oxford, Basil Blackwell, 1988 (1986).
(9.) Peter F. SUGAR, <<External and Domestic Roots of Eastern European Nationalism>>, dans Peter F. SUGAR et Ivo John LEDERER (dirs.), Nationalism in Eastern Europe, Washington, University of Washington Press, 1994 (1969), p. 3- 54.
(10.) A. D. SMITH, The Ethnic Origins, p. 217.
(11.) I. BIBO, Misere des petits Etats d'Europe de l'Est, p. 136.
(12.) Ibid., p. 135.
(13.) Voir notamment Bernard MICHEL, <<Les communautes religieuses>>, Nations et nationalismes en Europe centrale, XIXe-XXe siecle, Paris, Editions Aubier, 1995, p. 181-199.
(14.) Joseph Yvon THERIAULT, Critique de l'americanite. Memoire et democratie au Quebec, Montreal, Editions Quebec Amerique, p. 295.
(15.) Gerard BOUCHARD, Genese des nations et cultures du Nouveau Monde. Essai d'histoire comparee, Montreal, Boreal, 2001 (2000).
(16.) Voir a ce titre le classique de Fernand Dumont, et le passage progressif d'un sentiment national a une conscience politique, puis a une conscience historique et a une reference nationale. Fernand DUMONT, Genese de la societe quebecoise, Montreal, Boreal, 1993.
(17.) Entre autres exemples, le tres jeune Parlement du Bas-Canada, qui donna aux <<Canadiens>> une conscience politique d'eux-memes, fut dissout en 1838.
(18.) C'est ce qui, d'ailleurs, distingue la conception de la nation desdites premieres democraties (et a plusieurs egards des nations d'Amerique) des secondes, celles du siecle des nationalites. Le peuple chez les premieres est une categorie qui va de soi, qui n'a pas a etre definie : le peuple evoque les citoyens d'un Etat auquel ils s'identifient naturellement. Ici, l'Etat cree le nationalisme. Dans le second cas, c'est le nationalisme qui cree l'Etat, ce dernier ne correspondant pas a la categorie de peuple : c'est ce que decouvrirent par exemple douloureusement les petites nations de l'Empire austro-hongrois lorsque leur fut imposee a l'ecole la langue vernaculaire allemande (jusqu'alors le latin). Se decouvrant dans un Etat etranger, il leur faut alors se definir, se constituer volontairement en sujet de l'histoire.
(19.) On pourrait etablir ici un lien avec la Revolution americaine telle que presentee par Francois Charbonneau, qui fut d'abord et avant tout une lutte politique au nom des libertes anglaises qui deboucha, frustree et radicalisee, par la constitution d'un nouveau pays, contre la metropole anglaise (Francois CHARBONNEAU, Une part egale de liberte. Le patriotisme anglais et la revolution americaine, Montreal, Liber, 2013). Au Canada, pour qu'un tel mouvement de democratisation ait pu suivre cette voie propre aux societes neuves, jusqu'a l'independance, il aurait fallu, d'une part, une veritable solidarite ou unite pancanadienne et, d'autre part, un relais sociologique plus grand de la pensee des Lumieres au Bas-Canada. Les Canadiens (francais) furent renvoyes a leur ethnicite dans une lutte politique qu'ils crurent d'abord universellement celle de tous les sujets britanniques au Canada, pavant la voie a une premiere reference nationale canadienne-francaise. Voir notamment sur le rapport ambigue a l'idee de nation chez les Patriotes, a tout le moins a l'idee d'une nation francophone distincte au Canada, Gerard BERNIER et Daniel SALEE, <<Les Patriotes, la question nationale et les rebellions de 1837-1838 au Bas-Canada>>, Michel SARRA-BOURNET (dir.), avec la collaboration de Jocelyn SAINT-PIERRE, Les nationalismes au Quebec du XIXe au XXIe siecle, Quebec, Presses de l'Universite Laval, 2001, p. 25-36. Voir aussi tous les recents travaux d'Yvan LAMONDE, Marc CHEVRIER et Louis-Georges HARVEY.
(20.) Jean-Paul BERNARD, Les Rouges. Liberalisme, nationalisme et anticlericalisme au milieu du XIXe siecle, Montreal, Presses de l'Universite du Quebec, 1971.
(21.) Fernand DUMONT, Genese de la societe quebecoise, p. 177 et 184.
(22.) Ibid., p. 189, p. 177. Voir egalement Jean-Charles FALARDEAU, <<La paroisse canadienne-francaise au XVIIe siecle>> et <<Role et importance de l'Eglise au Canada>>, La societe canadienne-francaise, Marcel RIOUX et Yves MARTIN (dirs.), Montreal, Hurtubise HMH, 1971, p. 33-43, p. 349-361. Sur la tension entre nation politique et nation culturelle au Canada francais, et la difficulte d'une nation politique canadienne-francaise au XIXe siecle, voir F. DUMONT, Ibid., mais aussi Fernand DUMONT, <<Quelques reflexions d'ensemble>>, Ideologies au Canada francais, 1850-1900, Fernand DUMONT, Jean-Paul MONTMINY et Jean HAMELIN (dirs.), Quebec, Presses de l'Universite Laval, 1971, p. 1-12; Jean-Paul BERNARD, Les Rouges.
(23.) Eric BEDARD, Les Reformistes. Une generation canadienne-francaise au milieu du XIXe siecle, Montreal, Boreal, 2009.
(24.) Christine HUDON, Pretres et fideles dans le diocese de Saint-Hyacinthe, 1820-1875, Sillery, Septentrion, 1996, p. 14.
(25.) Tel que Rene Hardy et Louis Rousseau l'ont eloquemment mis en lumiere, au-dela de leurs divergences, ou la hausse des devotions et des vocations, et jusqu'a l'unanimisme celle de la pratique de la communion et de la confession, va de pair avec l'institutionnalisation voire la <<disciplinarisation>> catholique de la societe, son extension a tous les aspects du social. Lire notamment Rene HARDY, Controle social et mutation de la culture religieuse au Quebec, 1830-1930, Montreal, Boreal, 1999; Rene HARDY, <<Regards sur la construction de la culture catholique quebecoise au XIXe siecle>>, The Canadian Historical Review, 88, 1 (mars 2007), p. 7-40; Louis ROUSSEAU et Frank W. REMIGGI, Atlas historique des pratiques religieuses : le Sud-Ouest du Quebec au XIXe siecle, Ottawa, Presses de l'Universite d'Ottawa, 1998; Louis ROUSSEAU, <<A propos du 'reveil religieux' dans le Quebec du XIXe siecle : oU se loge le vrai debat?>>, Revue d'histoire de l'Amerique francaise, 49, 2 (1995), p. 223-245.
(26.) Jean-Philippe WARREN, <<L'invention du Canada francais : le role de l'Eglise catholique>>, Balises et references. Acadies, francophonies, Martin PAQUET et Stephane SAVARD (dirs.), Ste-Foy, Presses de l'Universite Laval, 2007, p. 25.
(27.) Louis ROUSSEAU, <<Impulsions romantiques et renouveau religieux quebecois au XIXe siecle : quelques questions a propos de Joseph-Sabin Raymond>>, Le romantisme au Canada, Maurice LEMIRE (dir.), Quebec, Nuit blanche editeur, 1993, p. 212, p. 199.
(28.) Sur le lien intime entre renouveau religieux et renouveau national, lire Roberto PERIN, Ignace de Montreal. Artisan d'une identite nationale, Boreal, Montreal, 2008; Louis ROUSSEAU, <<La construction religieuse de la nation>> ; Rene HARDY, Controle social, p. 211-217. Une telle lecture encourage par ailleurs a lier plutot qu'a opposer les phenomenes de charisme et de routinisation (Max Weber), d'effervescence et d'institutionnalisation (Emile Durkheim), opposition tranchee que semble parfois mettre en scene le debat entre le <<reveil>> (populaire, authentiquement religieux, spontane et <<revolutionnaire>>) et le <<renouveau>> religieux (inculturation institutionnellement imposee, coercitive, progressive). S'il nous faut nous prononcer a ce sujet, nous dirions, un peu a l'exemple de ce que nous croyons voir chez Christine Hudon et Roberto Perin, que les deux interpretations peuvent etre conciliees : que la massification de la pratique religieuse n'a pas ete entierement realisee des 1840 (mais plutot en 1870-1880), qu'elle ne suivait pas un moment d'atheisme complet au Bas-Canada (mais une autre conception, notamment gallicane des rapports Eglise-Etat et rigoriste de la pratique religieuse), ce qui confirme simplement que tout changement societal d'ampleur n'est pas a proprement parler instantane. Le constater n'en diminue pas la nouveaute, la popularite et la portee, et explique qu'un tel changement ait pu apparaitre comme un <<reveil>> par ses contemporains, surtout avec les figures charismatiques de l'epoque, tel Mgr Forbin-Janson. De meme, mais inversement, l'angle d'analyse du <<renouveau>> a le grand merite de montrer les rouages institutionnels et culturels d'une transformation societale de grande ampleur, et de l'inscrire dans la duree sociohistorique. Apres tout, la Revolution francaise elle-meme n'est-elle pas l'aboutissement de deux siecles de pensee des Lumieres, et ne mit-elle pas pres d'un siecle (avec la Troisieme Republique) a s'institutionnaliser? En outre, toute autorite, meme celle qui fait usage de la coercition (symbolique ou materielle) n'est pas pour autant illegitime et impopulaire (dont il faut alors etudier le charisme), car toute autorite, aussi legitime et populaire soit-elle, ne peut se passer de l'usage du pouvoir (dont il faut etudier l'usage, la routinisation). Le theme de <<l'Eglise- nation>> nous semble precisement inviter a reflechir les fondements ideologiques populaires du <<reveil>> religieux et son travail progressif d'institutionnalisation, qui apparait alors davantage comme <<renouveau>>. Sur l'autorite, voir notamment le bel ouvrage de Myriam REVAULT d'ALLONNES, Le pouvoir des commencements. Essai sur l'autorite, Paris, Seuil, 2006. Nous en profitons pour regretter, comme le relevait Guy Laperriere, la faible diffusion des travaux et hypotheses de Roberto Perin sur cette question. Guy LAPERRIERE, <<Vingt ans de recherche sur l'ultramontanisme>>, Recherches sociographiques, 27, 1 (1986), p. 88. Sur l'histoire mouvementee de l'ultramontanisme et du catholicisme au Canada francais voir notamment les travaux de Philippe Sylvain et de Pierre Savard, les travaux de Jean-Paul Bernard et d'Yvan Lamonde sur le conflit entre le liberalisme et l'ultramontanisme, ainsi que les syntheses historiques du catholicisme canadien- francais, celle dirigee par Nive Voisine et celle, plus recente, de Lucia Ferretti, Breve histoire de l'Eglise catholique au Quebec, Montreal, Boreal, 1999.
(29.) Gerard BERGERON, Lire Etienne Parent, 1802-1874 : notre premier intellectuel, Sainte-Foy, Presses de l'Universite Laval, 1994.
(30.) Jean-Charles FALARDEAU, Etienne Parent, 1802-1874, Montreal, Editions La Presse, 1975, p. 11 et 12.
(31.) Voir notamment liona KOVACS (dir.), Debut et fin des Lumieres en Hongrie, en Europe centrale et en Europe orientale, Budapest et Paris, Akademiai Kiado et Editions du CNRS, 1987; Teodora Shek BRNARDIC, <<Intellectual Movements and Geopolitical Regionalization : the Case of the East European Enlightenment>>, East Central Europe/L'Europe du Centre-Est, 32, 1-2 (2005), p. 147-177.
(32.) Miroslav HROCH, Social Preconditions of National Revival in Europe. A Comparative Analysis of the Social Composition of Patriotic Groups Among the Smaller European Nations, New York, Columbia University Press, 2000 (1985).
(33.) Sur les deux Parents, en sus de l'ouvrage precedemment cite de Gerard Bergeron, voir Joseph Yvon THERIAULT, << Etienne Parent : les deux nations et la fin de l'histoire >>, dans Michel SARRA-BOURNET (dir.), avec la collaboration de Jocelyn SAINT-PIERRE, Les nationalismes au Quebec du XIXe au XXIe siecle, Sainte-Foy, Presses de l'Universite Laval, 2001, p. 37-56.
(34.) Joseph Yvon THERIAULT, <<Etienne Parent>>, p. 44.
(35.) Gerard BERGERON, Lire Etienne Parent, p. 120.
(36.) Ibid., p. 139.
(37.) Il y a lieu de croire que Parent n'est pas seul a partager une sensibilite ultramontaine parmi ceux qu'Eric Bedard a nomme les Reformistes. Comme le note a juste titre Bedard, cela ne veut pas dire que les reformistes sont << soumis >> a l'Eglise et <<obei[ssen]t aux vues>> des eveques (p. 251); cela ne veut pas dire non plus que leur catholicisme, parce qu'il s'exprime pour beaucoup socialement, serait tendanciellement instrumental ou secondaire--Parent fait d'ailleurs bien plus qu'utiliser le terme <<spiritualisme>>, mais emploie a moult occasions les termes religion, christianisme, Eglise, Evangile, pretres, Christ, en plus de nommer quelques figures du catholicisme. La religion, dit Parent, est l'aspect social du spiritualisme, lequel est peut- etre synonyme chez lui de foi ou de sentiment religieux. Nous cherchons a comprendre, precisement, l'aspect eminemment societal de l'ultramontanisme et donc son affinite elective avec le nationalisme. Il faudrait y voir plus clair, par exemple, chez Joseph-Edouard Cauchon, avec son Journal de Quebec, qui fut <<'pendant des annees l'idole du clerge'>> selon Henry-Raymond Casgrain, tel que le rapporte Philippe Sylvain dans <<Liberalisme et ultramontanisme au Canada francais: affrontement ideologique et doctrinal (1840- 1965)>>, dans W. L. MORTON (dir.), Le Bouclier d'Achille. Regards sur le Canada de l'ere victorienne, Toronto-Montreal, McClelland and Stewart Limited, 1968, p. 114. Voir aussi, a ce sujet, J. MONET, <<French-Canadian Nationalism>>, p. 41-55. Eric BEDARD, Les Reformistes.
(38.) Fernand OUELLET, <<Etienne Parent et le mouvement du catholicisme social (1848)>>, Bulletin des recherches historiques, 61, 3, p. 112.
(39.) Etienne PARENT, <<Du pretre et du spiritualisme dans leurs rapports a la societe>>, ETIENNE PARENT. Discours, edition critique par Claude COUTURE et Yvan LAMONDE, Montreal, PUM, 2000, p. 227-266.
(40.) Ibid., p. 231.
(41.) Ibid.
(42.) Ibid., p. 232.
(43.) Ibid., p. 263.
(44.) Ibid., p. 244.
(45.) Ibid., p. 244-245.
(46.) Ibid., p. 246.
(47.) Ibid., p. 243.
(48.) Ibid., p. 249.
(49.) Ibid., p. 264.
(50.) Ibid., p. 266. Il loue egalement, par exemple, et ailleurs dans le texte, les qualites du sulpicien Charbonnel, <<surnomme le Lacordaire canadien>>. Leon POULIOT, <<Impulsion donnee par Mgr Bourget a la pratique religieuse>>, Revue d'histoire de l'Amerique francaise, 16, 1 (juin 1962), p. 72.
(51.) F. OUELLET, <<Etienne Parent.>>, p. 117.
(52.) G. LAPERRIERE, <<Vingt ans de recherche>>, p. 92.
(53.) Nadia F. EID, <<Les Melanges religieux et la revolution romaine de 1848>>, Ideologies au Canada francais, p. 116.
(54.) Gilles CHAUSSE, << Un eveque nationaliste, M*1" Jean-Jacques Lartigue, premier eveque de Montreal>>, Session d'etude--Societe canadienne d'histoire de l'Eglise catholique, 35 (1968), p. 9-19; Gilles CHAUSSE, <<Lartigue et Lamennais>>, Revue de l'Universite d'Ottawa, 57, 3 (juillet/septembre 1987), p. 81-86; Francois BEAUDOIN, <<L'influence de la Mennais sur Mgr Lartigue, premier eveque de Montreal>>, Revue d'histoire de l'Amerique francaise, 25, 2 (septembre 1971), p. 225-237.
(55.) Voir notamment Denise LEMIEUX, <<Les Melanges religieux, 1841-1852>>, Ideologies au Canada francais, p. 63-92.
(56.) Mgr L.-F. LAFLECHE, Quelques considerations sur les rapports de la societe civile avec la religion et la famille, Montreal, Eusebe Senecal, Imprimeur- Editeur, 1866.
(57.) Voir notamment, sur Mgr Lafleche, Nive VOISINE, Louis-Francois Lafleche. Deuxieme eveque de Trois-Rivieres, tome 1, Saint-Hyacinthe, EDISEM, 1980; Louis ROUSSEAU, <<Louis-Francois Lafleche. Quelques considerations sur les rapports de la societe civile avec la religion et la famille>>, dans Claude CORBO (dir.), Monuments intellectuels de la Nouvelle-France et du Quebec ancien. Aux origines d'une tradition culturelle, Montreal, Presses de l'Universite de Montreal, 2014, p. 235-246.
(58.) Condamnation qui mena a la rupture de Lamennais avec l'Eglise, inaugurant la periode dudit <<deuxieme Lamennais>>. Voir notamment l'ouvrage classique de Louis LE GUILLOU, L'evolution de la pensee religieuse de Felicite Lamennais, Paris, A. Collin, 1966.
(59.) Michel COUTURE, <<Le mouvement mennaisien>>, Rapport de la Societe canadienne d'histoire de l'Eglise catholique, 1939-1940, p. 67-88.
(60.) Nive VOISINE, <<L'ultramontanisme canadien-francais au XIXe siecle>>, dans Nive VOISINE et Jean HAMELIN (dirs.), Les ultramontains canadiens-francais. Etudes d'histoire religieuse presentees en hommage au professeur Philippe Sylvain, Montreal, Boreal Express, 1985, p. 68.
(61.) Ruth L. WHITE, Louis-Joseph Papineau et Lamennais : le chef des Patriotes canadiens a Paris: 1839-1845: avec correspondance et documents inedits, La Salle, Quebec Hurtubise HMH, 1983.
(62.) Voir notamment Thomas MATHESON, <<La Menais et l'education au Bas- Canada>>, Revue d'histoire de l'Amerique francaise, 13, 4 (mars 1960), p. 476-491; C. HUDON, <<La formation clericale>>, Pretres et fideles, p. 167-219.
(63.) Claude GALARNEAU, <<L'abbe Joseph-Sabin Raymond et les grands romantiques francais, 1834-1857>>, Rapports annuels de la Societe historique du Canada, 42,1 (1963), p. 81-88 ; Philippe SYLVAIN, <<Le premier discipline canadien de Montalembert : l'abbe Joseph-Sabin Raymond (avec une lettre inedite)>>, Revue d'histoire de l'Amerique francaise, 17, 1 (1963), p. 93-103; Philippe PRUVOST, La polemique L.-A. Dessaulles et J.-S. Raymond ou le liberalisme contre l'ultramontanisme, these de doctorat en histoire, Montreal, Universite du Quebec a Montreal, 1988 ; L. ROUSSEAU, <<Impulsions romantiques et renouveau religieux>>
(64.) F. BEAUDOIN, <<L'influence de la Mennais>>, p. 226, p. 231.
(65.) N. VOISINE, <<L'ultramontanisme canadien-francais ...>>, p. 71.
(66.) P. SYLVAIN, <<Le premier discipline ...>>, p. 93.
(67.) Benoit LACROIX, La religion de mon pere, Montreal, Editions Bellarmin, 1986, p. 10.
(68.) C. HUDON, <<Pretres et fideles>>, p. 186.
(69.) Nous nous inspirons surtout ici des travaux de Jean-Rene DERRE, Lamennais, ses amis et le mouvement des idees a l'epoque romantique, 1824-1834, Paris, Librairie C. Klincksieck, 1962, ainsi que de Frederic LAMBERT, Theologie de la Republique. Lamennais, prophete et legislateur, Paris, L'Harmattan, 2001.
(70.) Nadia F. EID, <<Les ultramontains et le Programme catholique>>, Les ultramontains canadiens-francais, p. 161-181.
(71.) Rene REMOND, Religion et societe en Europe. La secularisation aux XIXe et XXe siecles, 1789-2000, Paris, Editions du Seuil, 1998, p. 119.
(72.) Emile POULAT, Eglise contre Bourgeoisie. Introduction du catholicisme actuel, Paris, Breg International, 2006 ; Jean-Marie MAYEUR, Catholicisme social et democratie chretienne. Principes romains, experiences francaises, Paris, Cerf, 1986.
(73.) Lire notamment Nive VOISINE et Philippe SYLVAIN, <<L'Eglise et la politique >>, Histoire du catholicisme quebecois, p. 365-396.
(74.) Ceux que Paul Benichou nomme les <<neo-catholiques>>. Paul BENICHOU, <<Le temps des prophetes>>, Romantisme francais I, Paris, Editions Gallimard, 2004 (1977), p. 443-986.
(75.) Yvan TRANVOUEZ, <<Lamennais et le catholicisme intransigeant post- revolutionnaire : la logique de l'Essai sur l'indifference>>. Actes du Colloque Lamennais, Universite Paris X--Nanterre, juin 1975, p. 20-43; F. LAMBERT, Theologie de la Republique ... ; Vincent PETIT, <<Vox populi, vox dei>>, Eglise et Nation. La question liturgique en France au XIXe siecle, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 99-110.
(76.) Guilhem LABOURET, <<Lectures du Moyen Age chez les catholiques romantiques: mythe de l'age d'or ou temps de l'erreur?>>, dans Elodie BURELERRECADE et Valerie NAUDET (dirs.), Fantasmagories du Moyen Age : entre medieval et moyen-ageux [en ligne], Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2010; F. LAMBERT, Theologie de la Republique, p. 97 144. 144.
(77.) Sur l'ultramontanisme et le pape, voir notamment Richard F. COSTIGAN, <<Lamennais and Rohrbacher and the Papacy>>, Revue de l'Universite d'Ottawa, 57, 3 (juillet/septembre 1987), p. 53-65.
(78.) Louis LE GUILLOU, <<Actualite de Lamennais>>, Revue de l'Universite d'Ottawa, 57, 3, (juillet/septembre 1987), p. 11-22.
(79.) R. PERIN, Ignace de Montreal, p. 302. C'est d'ailleurs un feroce ultramontain, Jules-Paul Tardivel, qui proposa parmi les premiers la souverainete du Canada francais, dans un roman d'anticipation. Jules-Paul TARDIVEL, Pour la patrie. Roman du XXe siecle, presentation par John Hare, Montreal, Hurtubise HMH, 1975 (1895).
(80.) F. DUMONT, << Mutations de la culture >>, p. 13. Naturellement, une telle Eglisenation n'aura aucune peine a collaborer avec un Etat liberal minimal. Gilles BOURQUE, Jules DUCHASTEL et Jacques BEAUCHEMIN, La societe liberale duplessiste, Montreal, PUM, 1994.
(81.) V. PETIT, Eglise et Nation, p. 15.
(82.) Gabriel DUSSAULT, <<Dimensions messianiques du catholicisme quebecois au dix-neuvieme siecle>>, Religion/Culture Comparative Canadian Studies, p. 64-71 ; Sylvie LACOMBE, La rencontre des deux peuples elus. Comparaison des ambitions nationale et imperiale au Canada entre 1896 et 1920, Sainte-Foy, Presses de l'Universite Laval, 2002.
(83.) C'est aussi l'une des theses, certes critique, que propose Michel Brunet pour expliquer que les Canadiens francais n'aient pas profite de l'Etat provincial, apres la Confederation, pour batir un Etat davantage national et interventionniste. Michel BRUNET, <<Trois dominantes de la pensee canadienne-francaise: l'agriculturalisme, T anti-etatisme et le messianisme>>, La presence anglaise et les Canadiens, Montreal, Beauchemin, 1958, p. 146-159. Simeon PAGNUELO, Etudes historiques et legales sur la liberte religieuse en Canada, Montreal, Beauchemin et Valois, 1872, cite dans Roberto PERIN, <<Elaborating a Public Culture: The Catholic Church in Nineteenth-Century Quebec >>, dans Marguerite VAN DIE (dir.), Religion and Public Life in Canada. Historical and Comparative Perspectives, Toronto, University of Toronto Press, 2001, p. 87- 105.
(84.) R. PERIN, << Elaborating a Public Culture >> ; R. PERIN, Ignace de Montreal.
(85.) << 'ni trop severe ni trop laxiste' >>. << 'Dieu ne condamne que ceux qui pechent formellement par malice ou par ignorance coupable, mais n pas ceux qui agissent avec bonne foi et certitude morale de leur agir.' Elle se voulait avant tout pragmatique, c'est-adire capable de resoudre les problemes auxquels un pretre etait confronte dans l'exercice de son ministere. Saint Alphonse pronait une pratique plus souple de la confession : le pasteur devait user de misericorde, exhorter ses penitents a la priere, a la devotion a la Vierge et a la communion frequente. C'est toujours avec prudence et douceur qu'il utilisait les delais d'absolution.>> C. HUDON, Pretres et fideles, p. 183 ; Christine HUDON, <<Le renouveau religieux quebecois au XIXe siecle: elements pour une reinterpretation>>, Studies in Religion / Sciences religieuses, 24, 4 (1995), p. 467-489. Voir egalement Michael PRINTY, << The Intellectual Origins of Popular Catholicism : Catholic Moral Theology in the Age of Enlightenment>>, The Catholic Historical Review, 91, 3 (juillet 2005), p. 438-461.
(86.) C. HUDON, Pretres et fideles, p. 182-187.
(87.) V. PETIT, Eglise et Nation, p. 58.
(88.) Guy LAPERRIERE, <<Religion, nationalisme et cultes populaires au Quebec>>, Revue d'etudes canadiennes, 27, 3 (1992), p. 115-127.
(89.) Paul-Andre TURCOTTE, <<The National Church as a Historical form of Church-Type. Elements of a Configurative Theorization >>, Social Compass, 59,4 (2012), p. 525-538.
(90.) Voir William F. RYAN, The Clergy and Economic Growth in Quebec (1896- 1914), Quebec, Presses de l'Universite Laval, 1966. En ce sens, <<one purpose of those promoting clerical nationalism was to find a middle ground where economic development would be fostered without damaging their tightly-knit society. This nationalism [...] did not want to preserve a pre-industrial society even though it was no doubt genuinely conservative. It sought rather to slow the pace of industrialization and urbanization in the province of Quebec and to encourage some sort of French-Canadian control over the economy. >> L'idee d'une hierarchie des preoccupations est a retenir, celle d'une hierarchie comme englobement et non elimination des contraires. Sylvie LACOMBE, <<French Canada: The Rise and Decline of a 'Church-Nation'>>, Quebec Studies, 48 (automne 2009-hiver 2010), p. 135.
(91.) Emile POULAT, <<'Modernisme' et 'Integrisme'. Du concept polemique a l'irenisme critique>>, Archives de sociologie des religions, 14e annee, 27 (1969), p. 26.
(92.) Lucien LEMIEUX, L'etablissement de la premiere province ecclesiastique au Canada, 1783-1844, Ottawa, Editions Fides, 1968.
(93.) Voir notamment Fernand HARVEY, <<Le diocese catholique au Quebec : un cadre territorial pour l'histoire sociale>>, Les Cahiers des dix, 56 (2002), p. 51-124.
(94.) D. LEMIEUX, <<Les Melanges religieux>>.
(95.) Les Cadiens de Louisiane furent les seuls, parmi les communautes francophones aux Etats-Unis issus des foyers de peuplement quebecois ou acadiens, a ne pas avoir eu d'ambition nationalitaire. Ils furent aussi les seuls a exister sans l'Eglise catholique. A ce sujet, Joseph Yvon THERIAULT, Evangeline: Contes d'Amerique, Montreal, Quebec/ Amerique, 2013, p. 279.
(96.) Emile POULAT, << La posterite de Lamennais >>, Revue de l'Universite d'Ottawa, 57, 3 (juillet/septembre 1987), p. 36.
(97.) Michel LAGREE, <<De Veuillot a Tardivel, ou les ambiguites de la haine moderne>>, Etudes d'histoire religieuse, 67 (2001), p. 251-259.
(98.) Cette expression viendrait de Nicole Gagnon, rapportee dans J.-P. WARREN, << L'invention du Canada francais >>, p. 23.