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文章基本信息

Archive en scene: 'im-pressions' de lecture/Arquivo em cena: 'im-pressoes' de leitura.


Romao, Lucilia Maria Sousa ; Galli, Fernanda Correa Silveira ; Patti, Ane Ribeiro 等


"Chaque echo transporte une voix ... qui decante dans chaque coin ... qui pour un seul instant sera ..."

(Arnaldo Antunes)

Introduction

L'objectif de cet article est de presenter une discussion, de nature theorique, sur le concept d'archive. A cette fin, nous nous sommes attachees a la lecture d'oeuvres qui traitent de cette notion, et plus specifiquement d'auteurs comme Derrida, Foucault, Pecheux, Freud et Lacan, sans necessairement suivre cet ordre-la, mais en vue d'un dialogue entre eux, dans les interstices de ce qu'ils ont dit et theorise. Sur la base de l'approche particuliere de chacun, nous souhaitons que notre proposition s'organise de facon a rendre compte des points de contact entre les divers traitements donnes par les auteurs a la notion d'archive.

C'est donc dans les interstices de cette tentative de rapprochement, sans pour autant laisser les divergences de cote, que nous livrerons nos 'impressions' (1) de lecture a propos de l'archive. Il convient au prealable de preciser que notre chemin n'aura rien d'une ligne droite; il se rapproche plutot de la spirale, tournant autour du mot archive et produisant des gestes de lecture et d'ecriture qui nous amenenta penser et a dire. Pour entamer notre reflexion, nous partirons de la citation suivante: "Il y a toujours plus d'un--et plus ou moins de deux. Dans l'ordre du commencement aussi bien que dans l'ordre du commandement" (DERRIDA, 2001, p. 12). Bien que l'arkhe designe un commencement et un commandement, de tels principes semblent le plus souvent relever de l'illusion, de l'impossibilite, comme le dit encore Derrida (2001, p. 11): "Tout serait plus simple s'il y avait un principe ou deux principles". La condition de l'archive, bien au-dela d'un retour a l'origine, a un souvenir, a une memoire, peut etre pensee comme "[...] mise en oeuvre topographique d'une technique de consignation, constitution d'une instance et d'un lieu d'autorite (l'archonte, l'arkheion ...)" (DERRIDA, 2001, p. 8).

L'arkhedesigne ce principe de la nature, un commencement, un chaos (phusis); et le principe de la loi, le commandement, est celui qui intervient et delimite avec la loi des accords qui impliquent ce qui doit/peut ou non etre legitime par celle-ci. Nous sommes donc la dans l'ordre du politique, du culturel (DERRIDA, 2001). Depuis Freud (2006a), il existe une difference marquee entre representation-mot et representation-objet qui instaure un hiatus (reel) et qui rend possible l'organisation symbolique et les constructions et deconstructions historiques; un meme signifiant peut revetir divers signifies, c'est-a-dire qu'il y a decalage entre objet et representations (2). L'archive prend justement de l'ampleur en incorporant des representations du savoir sur les objets, mais "[...] on ne pourra jamais l'objectiver 'sans' reste" (DERRIDA, 2001, p. 88), ce qui nous permet de penser l'archive comme une "[...] hypotheque sur l'avenir" (DERRIDA, 2001, p. 31).

Lacan a egalement reflechi a la question d'un symbolique qui creerait un reel, un 'il y a' qui se constitue conjointement a un 'il n'y a pas' (DIDIER-WEILL, 1998), qui est absent des le commencement et dont nous ne prenons connaissance que retrospectivement dans la chaine signifiante (3), le referent etant ici decrit comme le lieu de l'impossible a designer:

Peut-etre que l' 'Im Anfang war die Tat', comme il dit l'autre la, que l'agir etait tout au commencement, c'est peut-etre 'exactement' la meme chose que de dire: [TEXT NOT REPRODUCIBLE IN ASCII] [en archei], 'au commencement etait le verbe' (LACAN, 2009, p. 45, grifos do autor).

L'on doit se poser la question de savoir si l'arkhe auquel se referent les deux auteurs est le meme. Il convient de preciser que pour Lacan, le langage est la base de tous les commencements, quelque chose qui precede l'entree du sujet dans le monde symbolique, etant donne que celui-ci est verbalise par l'Autre (4) avant que lui-meme ne prenne la parole. En ce sens, le verbe constitue la garantie d'"[...] une presence dans cet au-dela du voile", quelque chose qui fonctionne comme condition a l'existence des archives, des sujets et des discours, ce que Lacan definira en ces termes: "[...] pour que la questionelle-meme voie le jour, il faut qu'il y ait langage" (LACAN, 1998, p. 529). Une telle affirmation implique de ne pas considerer le sens a priori, dans un etat fige, mais plutot au sein d'une retroactivite, d'un flux de retour permanent a des signifiants deja poses dans des discours anterieurs.

Le signifiant a quoi se refere le discours a 'l'occasion', quand il y a discours ... il apparait, nous ne pouvons guerey echapper a ce qui est discours.c'est a quoi se refere le discours a propos de quelque chose dont il peut bien, ce signifiant, etre le seul support. Il evoque, de sa nature, un referent. Seulement ca ne peut pas etre le bon et c'est pour ca que le referent est toujours reel, parce qu'il est impossible a designer. Moyennant quoi, il ne reste plus qu'a le construire. Et on le construit si on peut (LACAN, 2009, p. 43, grifo do autor).

Encore a ce propos, soulignons que l'archive se constitue dans cet entrelacs de dires sur et sous les dires, d'ordres d'emboitement et d'imbrication fondes par le langage, etant donne qu' "[...] il n'est aucune signification qui se soutienne sinon du renvoi a une autre signification" (LACAN, 1998, p. 501). Ainsi, par l'entremise du langage, l'archive est tissee et inscrit en elle ces tissages. Il lui faut pour cela un lieu pour se construire (operation topographique) et pour s'organiser (operation de langage). Ce processus englobe encore la 'technique de consignation', c'est-a-dire le principe de reunion, d'organisation et d'exclusion de donnees, ce qui est pour nous l'indice de ce qui correspond a l'acte d'inscrire celui d'effacer, l'inscription d'un element dans l'archive impliquant necessairement l'abandon de certains autres.

Cette apparente contradiction nous amene a considerer l'archive comme un lieu discursif de tension, a l'instar de Pecheux (1995), qui pensait le discours comme un effet, comme un flux de significations en transit qui avancent toujours de conserve avec ce qui ne peut ou ne doit etre dit. Ainsi, en tant que lieu d'impression, de 'chiffrage des inscriptions', les forces desarchontes (de l'autorite, du pouvoir, de l'ordre ...) peuvent censurer, manipuler et reprimer des lectures, en coupant dans la chair de l'archive pour l'ajuster a divers interets et pouvoirs. L'impression, quant a elle, peut etre selectionnee, memorisee, repetee ou resignifiee; Derrida (2001, p. 22) dit qu'elle est assuree par l'archive, qui conserve des liens avec une certaine exteriorite, car il n'existe "[...] nulle archive sans dehors", sans un lieu qui puisse garantir les possibilites de memorisation, de re-production et/ou de re(im-)pression.

Precisons encore qu'un tel processus trouve sa materialite dans/par le langage, vu que l'archive en vient a se materialiser par l'im-pression du verbe, l'impression au sens ou on la retrouve dans l'ecriture freudienne. Meme si Freud n'a pas conceptualise l'archive en tant que telle, il decrit les contingences subjectives de notre perception quant a l'a-venir. Plus que dans la volonte, c'est en ce qui est refoule que l'im-pression trouve sa force et rend possible une archive, en ce que "[...] les traces les plus intenses et les plus durables des souvenirs sont justement celles qui ont ete imprimees par un processus qui n'a jamais reussi a atteindre la conscience" (FREUD, 2006b, p. 140). Derrida lie egalement l'archive au registre de ce qui manque et dit a ce propos que l'archive est hypomnesique:

L'archive, si ce mot ou cette figure se stabilisent en quelque signification, ce ne sera jamais la memoire ni l'anamnese en leur experience spontanee, vivante et interieure. Bien au contraire: l'archive a lieu au lieu de defaillance originaire et structurelle de ladite memoire (DERRIDA, 2001, p. 22).

En psychanalyse, depuis Freud, nous parlons de registres, non pas seulement en termes de topique (plus encore chez Lacan) et de dynamique, mais surtout en prenant en consideration le facteur economique des processus psychiques. La qualite de l'impression, la quantite d'excitation causee par l'impression et l'espace-temps dans lequel auront lieu les impressions sont lies au plaisir et au deplaisir, ainsi qu'aux modes selon lesquels le sujet les exprimera et les inscrira dans/par le langage. C'est probablement pour cette raison que l'impression est egalement decrite par Derrida (2001, p. 41) comme une inscription "[...] qui laisse une trace en superficie ou dans l'epaisseur d'un support", evoquant ce que Lacan decrit comme la pluie signifiante, une metaphore creee par le psychanalyste francais pour conceptualiser le mode selon lequel la voix de l'Autre marque la constitution du sujet en position 'd'infans' (5).

Bien qu'il y aitpresque toujours, a partir de l'impression, le desir de permanence et de perennisation d'un passe, il est impossible de penser a une fixite de l'archive, etant donne qu'il existe un processus d'effacement (presque toujours) necessaire a son renouvellement. Decrire l'archive dans sa totalite, dans sa completude, nous est impossible, en ce que ses probabilites de description et de consignation impliquent aussi, et inevitablement, le controle et la rencontre avec l'impossible, c'est-a-dire avec le reel, un concept lacanien capable de definir ce qui nous echappe toujours. En ce qui concerne ce pouvoir d'interdiction, Foucault (2002) soulignait l'impossibilite de description de notre propre archive, etant entendu que c'est,

[...] a l'interieur de ces regles que nous parlons, puisque c'est elle qui donne a ce que nous voulons dire--et a elle-meme, objet de notre discours--ses modes d'apparition, ses formes d'existence et de coexistence, son systeme de cumul, d'historicite et de disparition (FOUCAULT, 2002, p. 150).

D'un cote, nous avons donc le desir de memoire, de stabilisation du passe, de congelation des donnees et de projection d'un avenir; de l'autre s'instaure le desir d'exclusion, de destruction et de suspension d'un (autre) avenir--contradiction interne que Derrida designe comme le 'mal d'archive'. Ainsi, ce que Derrida (2001) entend par 'mal d'archive' semble intimement lie a la notion de pulsion de mort, que Freud (2006b) presente comme une hypothese de ce qu'il existerait un trouble compulsif [Wiederholungszwang] qui depasse reellement le principe du plaisir, dans le sens meme de le supplanter grace a ce qu'il a de plus elementaire, archaique et pulsionnel. La repetition est toutefois necessaire a l'archive en vue de l'accumulation et de la capitalisation de la memoire, mais elle peut egalement constituer sa mort, sa claustration comme 'violence archivale' ou comme 'conservateur' (DERRIDA, 2001, p. 17), donnant lieu a des fixations, des resistances, des naturalisations.

L'epaisseur des souvenirs et des oublis, la patine de fragments de lettres et de signifiants, la rature de ce qui est en fonctionnement dans ce qui s'absente et de ce qui sous l'apparence de l'effacement emerge subitement: l'univers avec lequel la psychanalyse doit composer evolue au sein des binomes memoire-oubli, savoir-meconnaissance, repetition-deplacement. L'on estime que meme lorsque le traitement donne a de tels mecanismes est different --etant donne que la relation psychanalytique a lieu entre un analysantet son analyste--, l'archive est en (dis-)cours. Ainsi, si l'archive existe, c'est parce qu'il y a en meme temps et de facon contradictoire ce que Foucault appellera l'apparition et l'effacement, tandis que Derrida (2001, p. 32) parle de memoire des evenements (6) et de destruction des donnees: Il n'y aurait certainement pas de desir d'archive sans la finitude radicale, sans la possibilite d'un oubli qui ne se limite pas au refoulement. Surtout, et c'est la le plus grave, au-dela ou en-deca de cette simple limite que l'on appelle finitude, il n'y aurait pas mal d'archive sans la menace de cette pulsion de mort, d'agression ou de destruction. Or, cette menace est in-finie: elle balaie la logique de la finitude et les simples limites factuelles, l'esthetique transcendantale, c'est-a-dire les conditions spatiotemporelles de la conservation.

L'archive fait ainsi emerger

[...] les regles d'une pratique qui permet aux enonces a la fois de subsister et de se modifier regulierement. 'C'est le systeme general de la formation et de la transformation des enonces' (7) (FOUCAULT, 2002, p. 150, grifo do autor) (8).

Tel un systeme qui regit l'apparition et le fonctionnement d'enonces en tant qu'evenements singuliers, l'archive se forme donc a partir de choix, toujours politiques. Au sein de cette formation et transformation, l'archive allie "[...] la description des formations discursives, l'analyse des positivites (9), le reperage du champ enonciatif" (FOUCAULT, 2002, p. 151). En d'autres termes, "[...] l'archive designe une (pre-)condition a la construction d'une archeology" (10) (GALLI, 2008, p. 101).

A l'instar de Derrida dans 'Tours de Babel', nous ferons ici appel a la metaphore de Babel, qui rend egalement compte de l'impossibilite de finitude et de limite de l'archive, de la memoire et du discours --lesquel sexhibent "[...] un inachevement, l'impossibilite de completer, de totaliser, de saturer, d'achever quelque chose qui serait de l'ordre de l'edification" (DERRIDA, 2002, p. 11-12), soulignant ainsi la diversite, la dispersion, bref, l'idee d'un 'systeme en[constante] deconstruction'. Et c'est ainsi que nous apparait l'archive: une Tour de Babel, sans commencement precis ni fin instituee; elle nous renvoie soit au passe, en faisant emerger la memoire, soit au present, en fonctionnement; elle peut aussi regarder vers le futur, en devenir. Selon Derrida (2001, p. 48), c'est cet avenir que l' "[...] archive devrait mettre en question". Nous sommes d'accord avec l'auteur dans la mesure ou, beaucoup plus qu'une chose du passe, et meme bien au-dela, l'archive instaure une organisation autre:

[...] l'archive s'augmente, elle s'engrosse, elle gagne en auctorictas. Mais elle perd du meme coup l'autorite absolue et meta-textuelle a laquelle elle pourrait pretendre. On ne pourra jamais l'objectiver sans reste. L'archiviste produit de l'archive, et c'est pourquoil'archive ne se ferme jamais. Elle s'ouvre depuis l'avenir (DERRIDA, 2001, p. 88).

Une telle affirmation nous confronte a ce que nous pourrions appeler la charniere de l'archive, selon une metaphore qui nous permet de penser le dedans et le dehors, le passe et le present, la production et l'emiettement de l'archive. Pour etre plus clair, la piece de metal formee de deux plaques unies sur un axe commun, et autour duquel tourne la porte, represente la dimension de ce qui permet aussi bien l'ouverture que la fermeture d'un passage; si on la met en mouvement, les deux s'etablissent simultanement. L'archive permet egalement de tels mouvements de passage vers l'avenir, en jouant aussi bien avec ce qui y est condense qu'avec ce qui a ete oublie ou empeche d'etre la. Le mouvement s'etire et le flux s'elargit: l'archive est ainsi dans sa condition de gerondif, toujours en train d'exister au sein de conditions historiques ponctuelles.

Derrida (2001) illustre cela en faisant reference a la maison de Sigmund Freud transformee en musee: documents personnels, lettres et autres annotations privees du psychanalyste sont devenues des attractions touristiques ouvertes au public. Une telle evolution ne peut avoir lieu de facon integrale, etant entendu que l'on a affaire a des coupes, a des choix, a des selections et a la mise de cote de certains materiaux, c'est-a-dire que montrer certains elements de la residence du fondateur de la psychanalyse correspond au fait d'en passer d'autres sous silence. En outre, dans la lecture de chacun face a cette archive freudienne, une autre archive est tissee a son tour, une lecture solitaire qui garde des im-pressions, souffre des refoulements, et qui se mele a l'archive du sujet jusqu'ici construite (structure) dans une rencontre avec la nouvelle archive-residence (evenement), une intersection entre passe et futur.La residence de Freud nous permet de mettre en perspective dans quelle mesure le manque (le refoulement) s'impose dans une archive qui tente malgre tout d'esquiver le lacunaire et de s'inscrire dans une totalite illusoire. L'archive ne comporte pas tout et il n'est pas de sa nature de pouvoir tout conserver en elle; il existe encore une condition structurelle de tout archivage qui, comme nous l'avons vu precedemment, doit etre prise en compte, la non-neutralite de ce qui est retenu comme effet de verite.

Le trouble de l'archive tient aun mal d'archive. Nous sommes en mal d'archive. A ecouter l'idiome francais, et en lui l'attribut 'en mal de', 'etre en mal d'archive' peut signifier autre chose que souffrir d'un mal, d'un trouble ou de ce que le nom 'mal' pourrait nommer. C'est bruler d'une passion. C'est n'avoir de cesse, interminablement, de chercher l'archive la ou elle se derobe. C'est courir apres elle la ou, meme s'il y en a trop, quelque chose en elle s'anarchive. C'est se porter vers elle d'un desir compulsif, repetitif et nostalgique, un desir irrepressible de retour a l'origine, un mal du pays, une nostalgie du retour au lieu le plus archaique du commencement absolu (DERRIDA, 2001, p. 118, grifos do autor).

Dans l'extrait ci-dessus est exprime le desir de retour au tout, a quelque chose d'inaccessible a l'homme, vu que le retour au commencement absolu de l'archive (et des actes de langage) nous est totalement impossible. En effet, creer une archive et lui restituer un corps materiel compte toujours avec l'instance de la limite, etant donne que nombre de documents (et autres dires) nous echappent a mesure que d'autres s'ajoutent dans le cadre institutionnel. Nous donnons raison a l'auteur francais (DERRIDA, 2001, p. 81) lorsqu'il affirme que le mort soutient l'archive en prenant l'exemple de la voix enregistree sur le repondeur automatique qui fait survivre ce qui, a un moment anterieur, etait une presence vivante, mais qui ne l'est deja plus, car il s'agit d'une voix '[...] qui ne repondra plus' et qui demeure dans la repetition et dans l'effacement, tel des filaments gorges d'une re-presence. Ce qui est mort, mais egalement ce qui ne peut etre vivant, fondent l'archive en ce qu'elle a d'incomplete et fugitive, en instituant toujours un revers et une absence.

Tout cela nous permet d'etablir un dialogue avec Pecheux (1997, p. 57), pour qui l'archive est un champ discursif lacunaire, non-tout et sociohistoriquement date, c'est-a-dire entendu au sens large de "[...] champ de documents pertinents et disponibles sur une question". Ce champ doit etre lu et traite dans le cadre du mouvement discursif deja explicite ici: dire et passer sous silence, archiver et laisser s'infiltrer des dires dans les fentes de l'oubli ; c'est pour cela, continue l'auteur, qu'il y a,

[...] de fortes raisons de penser que les conflits explicites renvoient en sourdine a des clivages souterrains entre des manieresdifferentes, voire contradictoires, de lire l'archive (PECHEUX, (1997, p. 57).

Comprendre le clivage comme la metaphore d'une propriete physique, grace a laquelle les cristaux se fragmentent et produisent diverses facettes possibles d'un meme cristal, nous invite a considerer l'archive comme un assemblage supposement homogene et entier d'un champ de documents heterogenes et incomplets, qui se ramifient en differentes possibilites de lectures.

Ce sont ces filaments fragmentes dans et, surtout, de ce champ et de ces documents qui permettent la comprehension de ce que quelque chose fonctionne (dans l'archive) au-dela du litteral, au-dela de la lecture autorisee par les instances officielles d'archives, au-dela de l'ordre du repetable. Par consequent, un travail conceptuel et analytique avec l'archive,

[...] consisterait a marquer et a reconnaitre les evidences pratiques qui organisent ces lectures, en plongeant la 'lecture litterale' (en tant qu'apprehension du document) dans une 'lecture interpretative'--qui est deja une ecriture (PECHEUX, 1997, p. 57, grifos do autor).

L'auteur continue en affirmant que de cette facon,

[...] commencerait a se construire un espace polemique des manieres de lire, une description du travail d'archive en tant que relation de l'archive avec elle-meme, avec une serie de conjonctures, un travail de la memoire histoire en conflit perpetuel avec elle-meme (PECHEUX, 1997, p. 57).

Loin de nous faciliter la tache, ce theoricien attire ici notre attention sur ce qui a lieu en sourdine, dans l'axe du souterrain, dans la sphere des clivages, dans le cadre de la polysemie, ou les significations--de l'archive--sont toujours pretes a nous echapper et a etre autres.

En ce sens, il convient de noter que Derrida, Foucault, Freud et Lacan ont aussi touche du doigt, chacun a sa facon, la meme condition erranteet fugitive sur laquelle Pecheux assoit sa pensee. Soulignons que ce dernier a mis en oeuvre un travail radical visant a conceptualiser et a affronter la contestation de ses propres affirmations, laissant ainsi transpirer une pensee scientifique inquiete au sein de laquelle l'errance tient lieu de professeur et de maitre. D'ailleurs, Lacan et Freud se sont egalement inscrits dans cet espace sinueux et tendu de production de changements de cap dans leurs theories. Dans l'un de ces derniers textes, Pecheux (1997, p. 64) parle d'un, [...] travail de pensee en conflit avec sa propre memoire, qui caracterise la lecture-ecriture de l'archive, selon ses differentes modalites ideologiques et culturelles, contre tout ce qui tend aujourd'hui a effacer ce travail.

Comprendre, lire et travailler avec la constitution, la production et la circulation d'archive(s) se base sur le processus ideologique qui fait apparaitre comme evident que l'on dise d'une maniere et non d'une autre (PECHEUX, 1995), que l'on organise les textes d'une facon donnee et non d'une autre, bref, que telle archive soit disponible et non une autre.

Nous en concluons par consequent qu'a chaque archive instituee correspondent de nombreuses autres qui ont cesse d'etre la; nous avons la un effet de l'ideologie et de l'historicite sur la langue, ainsi que le postule l'auteur lui-meme:

Ce rapport entre la langue, comme systeme intrinsequement passible de jeu, et la discursivite, comme inscription d'effets linguistiques materiels dans l'histoire, est l'objet meme du travail de lecture de l'archive (PECHEUX, 1997, p. 63).

A cet effet, il convient de prendre en compte la materialite de la langue--ou du langage, qui a lui aussi fait de subtiles incursions dans les travaux des autres theoriciens ici mobilises--, qui ordonne, archive et inscrit des possibilites de calcul, comme Pecheux (1997, p. 62) lui-meme l'a affirme: "La materialite de la syntaxe est vraiment l'objet possible d'un calcul". Mais cette meme langue est en meme temps un rituel faillible et accidente, elle se nourrit de ses faux pas et de ses anfractuosites,

[...] elleechappe [a ce calcul] dans la mesure ou le glissement, la faille, et l'ambiguite sont constitutifs de la langue et que c'est par la que la question du sens surgit de l'interieur de la syntaxe (PECHEUX, 1997, p. 62).

Nous sommes ici face a la tentative du sujet de restituer un effet de completude dans/avec la langue, tentative d'ores et deja vouee a l'echec vu que le sens peut toujours nous echapper et 'etre autre' (ORLANDI, 1996, p. 64). Nous en arrivons au meme constat en ce qui concerne l'archive qui, en instituant un commencement et un commandement pour l'institutionnalisation de dires, se prend les pieds dans ce qui ne peut y etre dit ou conserve. Discursivement, l'archive tente de restituer un effet d'entierete a partir de la saturation de certaines significations et, ce faisant, participe de l'exclusion d'une serie de dires consideres comme marginaux, condamnes a l'oubli, a l'interdiction ou a d'autres mouvements d'inscription. Notons au passage que ce qui ne peut etre dit d'une maniere l'est d'une autre, mieux encore, que ce qui ne peut etre conserve dans une archive officielle ne cesse pas pour autant d'exister ou d'etre (bien) dit, de se manifester d'une autre maniere.

Conclusion

La notion d'archive ici abordee--a partir de Derrida, Foucault, Pecheux, Freud et Lacan--echappe, comme nous l'avons montre au long de ce texte, a la definition issue (presque toujours) du sens commun, dans la mesure ou elle porte en elle la non-permanence, la non-plenitude, l'impossibilite de cloture et de totalisation. L'archive nous reserve au contraire l'apparition desordonnee des donnees, la mise sous silence de dires, la multiplicite d'autres voix, bref, l'archive, comme "[...] depositaire des significations, [...] dans un mouvement necessaire qui oscille entre presence et absence, entre souvenir et oubli" (FERREIRA, 2008, p. 22), constitue un champ ouvert et vierge pour le manque et l'impossible, ce 'mal d'archive' dont nous avons parle auparavant.

Ainsi, l'archive n'est pas vue comme un ensemble de 'donnees' objectives dont serait exclue l'epaisseur historique, mais comme une materialite discursive qui porte les marques de la constitution des significations. Le materiel de l'archive est sujet a interpretation et plus encore a la confrontation entre differentes formes d'interpretation; il ne correspond donc pas a un espace de 'corroboration' supposant une interpretation univoque (NUNES, 2005, grifos do autor).

De notre point de vue, ce qui fonde la condition d'archive, c'est le langage, dont la "[...] nature morcelee, divisee contre elle-meme et alteree [. ], a perdu sa transparence premiere" (FOUCAULT, 1999, p. 49). Nous considerons donc la langue comme effet d'opacite et incompletude, et c'est justement parce qu'elle n'est pas tout et qu'elle ne presente pas de garantie de completude que les sujets tendent a continuer a dire et a se deplacer avec elle, tissant a l'envi l'inespere. Cette condition fonde nombre d'attitudes au sein de la valorisation actuelle des archives (electroniques avant tout), de la sauvegarde et de la preservation de la memoire orale dans des institutions tenues pour des archives reconnues, et face a l'inquietude provoquee par l'instabilite et le caractere provisoire des archives electroniques. Le culte de l'archivage, la preoccupation de la conservation doivent justement aujourd'hui leurs exces a ce quelque chose qui manque, de l'ordre du 'mal d'archive', et qui nous echappe a chaque (nouvelle) tentative de production et d'organisation de champs de documents. En interlocution avec la psychanalyse, signalons que les memes mouvements sont ici a l'oeuvre. Plus la science s'approche d'un suppose controle des processus vitaux au moyen de la microbiologie, de la genetique et de la pharmacologie, plus nous constatons de fissures dans la chair et dans la structure psychique des sujets, empeches de desirer et de dire leurs desirs. Nous ne pretendons pas montrer ici comment tout cela s'ancre dans la contemporaneite, mais il convient de souligner que, comme dans la langue et dans l'archive, le sujet du desir et de l'inconscient est egalement confronte aux anfractuosites, aux empechements, aux impossibilites de completude, incarnes dans/par les nouvelles pathologies. Langue, archive et inconscient s'entrelacent alors conceptuellement au sein de ce que nous cherchons a debattre ici. Et c'est donc au sein du jeu (incertain) du langage que s'operent les lectures et les interpretations de l'archive sur l'inconscient, l'emergence des significations possibles et impossibles, en fonction de l'heterogeneite du sujet, qui dans 'chaque echo transporte une voix ... qui decante dans chaque coin ... qui pour un seul instant sera ...'. Voici pour le moment nos impressions, provisoires et incompletes, comme il se doit a la condition de ce qui est humain.

Doi: 10.4025/actascilangcult.v34i2.15928

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Received on February 2, 2012.

Accepted on April 14, 2012.

(1) Soulignons que pour parler d'archive, Derrida utilise le terme 'impression' dans differents sens: i) l'impression comme inscription, telle une imprimante qui permet la reproduction ou la repetition; ii) l'impression comme quelque chose de vague, d'imprecis et d'indefini; iii) l'impression comme marque de la culture, comme la "[...] trace d'une balafre sur la peau" (DERRIDA, 2001, p. 33).

(2) Freud a elabore un schema relatif a l' 'appareil de langage' dans un memoire sur les aphasies, dans lequel il a entre autres theorise la difference entre representation de chose et representation de mot (FREUD, 2006a). Cette theorie est fondamentale pour pouvoir comprendre le travail de Lacan dans ses differents seminaires et, plus particulierement, dans son Discours de Rome (1998), ou il instaure une fois pour toutes le hiatus entre ces representations et fonde le reel en tant que "[...] verite qui ne dit pas son dernier mot" (LACAN, 1998, p. 271).

(3) La chaine signifiante est une "[...] articulation temporelle d'un signe avec un autre sur l'axe des oppositions, ou axe syntagmatique" (KAUFMANN, 1996, p. 73), ou les signes acquierent leur valeur au sein d'une relation dialectique 'a posteriori' et retroactive. Pour Lacan, dans cette relation en chaine, la suprematie signifiante sur le signifie acquiert sa valeur, faisant scintiller le desir dans le reseau signifiant et permettant qu'un sujet soit represente par un signifiant a un autre signifiant, principe meme de la metaphore paternelle.

(4) "La conception lacanienne du signifiant implique une relation structurelle entre le desir et le 'grand Autre'. Cette notion de 'grand Autre' est concue comme un espace ouvert de signifiants que le sujet rencontre depuis son entree dans le monde; il s'agit d'une realite discursive dont parle Lacan dans le seminaire 20; l'ensemble des termes qui constituent cet espace renvoie toujours a d'autres et ils participent de la dimension symbolique bordee par l'imaginaire. L'instance imaginaire du moi se forge en fonction de ce qui manque a l'autre" (KAUFMANN, 1996, p. 385, grifo do autor).

(5) A sa naissance, le bebe est plonge dans les signifiants avec lesquels la mere desire (peut ou doit) tisser un artisanat de dires sur lui; ainsi, le bebe est entoure de significations qui lui sont attribuees par le desir de cet autre auquel il est attache, lie, duquel il est dependant. De cette maniere, l'archive de dires delimitee par l'Autre contourne les limites du corps de l'infanset promeut une archive de sons qui seront ulterieurement trames par les signifiants qui auront du sens pour ce sujet, en organisant comme une "[...] chaine sinueuse ... ce coeur parlant que nous appelons inconscient" (LACAN apud KAUFMANN, 1996, p. 474).

(6) Nous entendons l' 'evenement' comme l'insertion de la materialite au sein de conditions sociohistoriques donnees; "[...] il se produit comme effet de et dans une dispersion materielle" (FOUCAULT, 2003, p. 57-58).

(7) Soulignons, a partir de Foucault, que le concept d'enonce' ne se limite pas au verbal: "[...] un enonce appartient a une formation discursive" et chacun d'eux "[...] y occupe une place qui n'appartient qu'a lui" (FOUCAULT, 2002, p. 135, 138).

(8) C'est l'auteur qui souligne.

(9) D'apres Foucault (2002, p. 146), la positivite joue "[...] le role de ce qu'on pourrait appeler un a priori historique".

(10) Le terme 'archeologie' revient dans le titre de trois ouvrages: Naissance de la clinique. Une archeologie du regard medical (1963), Les mots et les choses. Une archeologie des sciences humaines (1966), L'archeologie du savoir (1969). A partir du debut des annees 1970, Foucault adopte le concept de 'genealogie' (propre a Nietzsche) en substitution du terme 'archeology' (REVEL, 2005, p. 16).

Lucilia Maria Sousa Romao, Fernanda Correa Silveira Galli * et Ane Ribeiro Patti

Faculdade de Filosofia Ciencias e Letras, Ribeirao Preto, Universidade de Sao Paulo, Av. dos Bandeirantes, 3900, 14040- 901, Ribeirao Preto, Sao Paulo, Brasil. * Autorpara correspondencia. E-mail: fcsgalli@hotmail.com
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