摘要:MCF, Dpt de sociologie, Univ. de Tours, Laboratoire ETTOSS (Orléans). Étudier l'impact des médias sur la vie implique d'étudier comment les représentations s'y diffusent. En voici un exemple particulier puisqu'il implique une représentation d'ordinaire cachée de l'exposition médiatique. La personne âgée, en effet, ne présente pas un corps envié, propice au rêve et à la marchandisation. Comme le principal procédé publicitaire repose sur l'identification et que, en même temps, l'identification à une personne âgée n'est pas enviable, comment faire pour susciter la consommation de produits ciblés pour la vieillesse sans utiliser le «corps vieux»? Pour répondre à cette question, il faut déjà séparer les deux catégories de la vieillesse: celle des seniors qui offre un marché potentiellement important et celle de la «vieillesse ingrate» qui n'intéresse pratiquement pas l'offre de consommation. Ensuite, il faut dégager des quelques publicités, montrant des personnes âgées, des cibles et des procédés ; en effet, l'emploi d'un «corps vieux» n'a pas nécessairement pour objectif de s'adresser à des personnes âgées; dans le cas contraire, de multiples procédés sont utilisés qui, pour la plupart, cherchent à éluder le «corps» pour, malgré tout, favoriser l'identification. 1. La «vieillesse ingrate» et l'institutionnalisation du «corps vieux» La catégorie statistique des institutions comme l'INSEE fixe l'âge de la «vieillesse» à 60/65 ans. Pourtant, la représentation de la «personne âgée», pour le sens commun, renvoie à des personnes bien plus «âgées» correspondant aux «vieillards». Progressivement, la plupart des sociétés occidentales ont connu une institutionnalisation du parcours de la vie de leurs citoyens, notamment de l'enfance et de la vieillesse qui se sont ainsi détachées de la sphère privée. La rationalisation de la structure sociale générale s'est introduite dans l'existence de chacun, particulièrement lors des temporalités non productives (enfance, chômage, retraite) et a projeté l'homme dans son avenir (préparer sa retraite). La retraite est alors devenue une récompense pour l'homo economicus (l'ancienneté) lui assurant au présent un avenir, une sécurité au présent et à venir. Cette bureaucratisation de la société se dévoile pleinement avec la taxinomie euphémisante découpant la vie en strates arithmétiques: - «premier âge» = petite enfance; - «deuxième âge» = non usité; - «troisième âge» = à partir de l'âge de la retraite (60-65 ans); - «quatrième âge» = à partir de 75 ans. Il faut bien envisager ici que la vieillesse est, tout comme la mort qu'elle représente, soumise à une volonté de dissimulation sociale. Les euphémismes utilisés à son égard sont manifestes et viennent troubler le recensement arithmétique de l'âge et, plus largement, des strates de la vie. Ainsi, la jeunesse est positivée par toute une série d'adjectifs: l'âge «tendre», l'adolescence «fragile et sentimentale»; le «bel» âge; la «fleur de l'âge», etc.; elle est en même temps «rejetée» sans être niée: «l'âge ingrat» ou «l'âge critique» (servant aussi pour caractériser les femmes ménopausées), l'adolescence «rebelle»; elle est également «particularisée» comme une époque spécifique: «avoir passé l'âge» ou «ce n'est plus de ton âge», séparant l'âge de raison et/ou de la responsabilité, de l'âge de l'insouciance enfantine; il en est de même de l'«âge de raison» qui sépare arbitrairement à 7 ans l'âge de la petite enfance de l'enfance pouvant raisonner. L'âge adulte, qui n'a d'ailleurs pas de formes nominales spécifiques, est, quant à lui, occulté: même l'expression «être entre deux âges» indique un «entre deux», ni jeune, ni vieux, inconsistant. La vieillesse, enfin, est dissimulée par une multitude de locutions rarement «positives»: «être dans la force de l'âge», l'«âge canonique» ou «on apprend à tout âge» qui renvoient à l'expérience, l'accumulation des années étant une force; elle est tout aussi bien «négatrice»: «d'un certain âge», pour ne pas dire un âge certain, pas encore vieux mais suffisamment vieux pour ne pas être cité; «personne âgée» qui n'a aucune consistance puisque, par définition, toute personne est âgée; «chaque âge a ses plaisirs» pour signifier qu'à la vieillesse les pouvoirs sexuels s'amoindrissent et que la personne est «contrainte» de diriger ses jouissances (la locution montrant que le plaisir suprême est la relation sexuelle.) dans d'autres directions. Une séparation est à noter concernant deux temporalités liées à la vieillesse que l'on peut dater à partir de la généralisation des régimes de retraite après la seconde guerre mondiale: - le temps de la retraite (récompense liée à une vie de travail) ; - et le temps de l'invalidité. Avec ce premier temps, c'est la notion même de travail qui s'est vue modifiée, devenant ainsi une activité nécessaire et souvent contraignante en attente des temps de repos (rythmés par les vacances, puis entiers avec la retraite). Les acceptions pour définir la personne âgée se multiplient ensuite. Dans les années 1970, c'est la notion de «troisième âge» comme temps d'activité (voyages notamment) qui vient ajouter à la trajectoire de l'homme une nouvelle temporalité de passage, transformée à partir des années 1980 par celle des «seniors»; celle de troisième âge est alors repoussée vers celle de «personnes âgées dépendantes» ou de «quatrième âge» (de moins en moins usitée comme si cette strate arithmétique était trop explicite et ne cachait pas suffisamment l'inéluctable) se diffusant également à partir des années 1980 . La vieillesse est aujourd'hui devenue une propriété du monde biomédical, l'associant à la dépendance, la dépendance à la perte d'autonomie que la société médicale se doit de combattre. Cette vieillesse «inadaptée» demeure partagée entre le monde privé et le monde institutionnel et connaît, du fait d'un désengagement social (étatique par exemple), un va-et-vient entre les services de soins à domicile, différentes structures d'hébergement communautaires et l'hospitalisation, malgré une fin de trajectoire bien connue (l'hospitalisation et la mort). La «véritable» vieillesse est bien celle du handicap comme Christian Lalive d'Épinay propose de la définir à partir d'un «statut fonctionnel» départagé en trois groupes (les «indépendants» qui accomplissent tous les actes retenus; les «fragiles» qui éprouvent des difficultés à en accomplir au moins un seuls; les «handicapés» qui n'y parviennent pas au moins pour un acte). La moitié des plus de 80 ans ferait partie de ces deux dernières catégories. La vieillesse est ainsi représentée comme une maladie incurable. Elle devient redoutable et signe un contrat d'exclusion avec la société. Il suffit, pour s'en rendre compte, d'analyser les définitions des dictionnaires pour comprendre cet état de fait. Ainsi, le Robert (1989) précise que le «troisième âge commence à 60 ans» et le «quatrième âge» ou «la vieillesse» «au-delà de 75 ans» et une simple analyse des synonymes donne à la «vieillesse» les correspondances suivantes: «sénilité, affaiblissement, déclin, décrépitude.». Il en est de même des locutions qui font que le «vieux» est aux antipodes de la vie de couple: un célibataire anormatif avec les locutions nominales «vieux garçon» ou «vieille fille»; on y lit l'expression «ridée» de son visage avec les locutions nominales «vieille noix», «vieux tableau» (évoquant les craquelures); il y est également «dépassé» avec les locutions adjectivales «vieux jeu», «vieille souche» et les locutions comparatives «vieux comme Hérode», «vieux comme Mathusalem», «vieux comme le monde» et l'expression un «vieux de la vieille» jusqu'à exprimer la mort avec la locution verbale «ne pas faire de vieux os». Cette stigmatisation de la vieillesse aura évidemment des répercussions sur les représentations sociales et, en particulier, sur la représentation du corps dans les médias. 2. Le corps de la vieillesse comme cible marketing Le vieillissement de la population offre un marché économique particulièrement intéressant au moins pour deux raisons: - c'est un marché ouvert dans le sens où peu d'offres ont encore été faites à l'égard de cette «nouvelle» population (en 2003, 95% des dépenses de marketing ont été faites pour les moins de 50 ans); - pour un certain nombre de personnes âgées, les besoins «primaires» (domiciliaires, notamment) sont assouvis; elles possèdent par conséquent des capitaux exploitables. Le problème est qu'en termes marketing la personne âgée n'est pas un produit vendeur. Se pose la question de savoir comment vendre «pour les vieux» sans montrer «du vieux». Si les personnes âgées représentent une cible particulière, il est difficile d'utiliser la cible en marketing. Il faut alors distinguer les différentes publicités à partir des produits à vendre. Trois types peuvent être dégagés. Le premier est tourné spécifiquement en direction des seniors; il se scinde en deux catégories: celle de la consommation avec des offres touristiques ou des produits de luxe et celle de la protection et de la prévoyance avec des produits de santé, d'épargne et d'obsèques. Le deuxième utilise la vieillesse dans son acception de «sagesse» et d'«expérience» afin d'aborder d'autres générations ou encore pour sensibiliser la personne âgée afin qu'elle s'occupe de sa filiation intergénérationnelle. Enfin, le troisième emploie des personnes âgées de manière détournée en se servant de leurs stéréotypes négatifs pour toucher des cibles plus jeunes. Le marketing va donc utiliser des techniques spécifiques afin de correspondre à telle ou telle cible et de vanter les qualités de tel ou tel produit. Mais, dans presque tous les cas, il ne se servira pas du corps de la personne âgée qui est trop marqué négativement en société. La technique la plus exemplaire en la matière consiste à utiliser des pictogrammes qui ont l'avantage à la fois d'interpeller le récepteur et d'éviter de montrer une personne âgée.