Brian Titley, Into Silence and Servitude. How American Girls Became Nuns, 1945-1965, Montreal et Kingston, McGill-Queen's University Press, 2017, 304 p.

Dans cette etude solide, Brian Titley rend compte des facteurs culturels, ecclesiaux et sociologiques expliquant l'entree massive de jeunes filles dans les congregations religieuses americaines, entre 1945 et 1965, periode correspondant a une augmentation continue des besoins educatifs de la population americaine, dus au baby-boom. Il met au jour un systeme de marketing plutot evolue, petri par des approches sociologiques contemporaines, mais aussi relaye par les differentes institutions educatives tenues par des religieuses americaines, ainsi que par le personnel ecclesiastique en general. Compte tenu du peu d'etudes portant sur la vie religieuse au cours de cette periode particulierement riche du point de vue des transformations culturelles, ecclesiales et sociales en Occident, cet ouvrage merite notre attention. Il pourrait bien receler des pistes pertinentes pour la poursuite de telles recherches en contexte quebecois ou canadien.

Alors que les quatre premiers chapitres explicitent les conditions de l'etablissement de congregations religieuses feminines dans le contexte americain, en survolant les transformations qui les ont marquees au cours d'un peu plus de trois siecles et demi de presence sur ce sol. L'auteur montre ensuite comment des elements structurels contribuaient au recrutement de jeunes filles et femmes au sein des congregations religieuses americaines enseignantes, notamment le reseau des ecoles paroissiales et privees dirigees par des religieuses, servant de lieux d'emulation sur le plan religieux en particulier. Dans ce deuxieme chapitre, Titley decrit de maniere detaillee le type d'argumentaire mis en place par le personnel ecclesiastique, a partir d'outils tires de la sociologie, pour convaincre ces jeunes filles de la valeur de la vie religieuse consacree. Autrement dit, on a veritablement affaire, a l'epoque, a une sociologie des vocations, permettant d'approfondir la connaissance qu'ont les divers intervenants, a l'epoque, des conditions socio-economiques dans lesquelles evoluent les candidates potentielles, par exemple. Ce faisant, il montre aussi bien comment les conditions socioculturelles sont en train de changer, rendant l'option de vie consacree moins attrayante pour de plus en plus de jeunes adolescentes americaines, au tournant des annees 1950.

Les elements contenus dans les deux premiers chapitres concourent a montrer comment la ligne entre l'appel et le choix est mince. Plusieurs jeunes femmes, dans les annees 1940 et 1950, ont ete identifiees comme presentant un profil ideal pour la vie religieuse consacree: pieuses, appliquees, dociles et posees. Ce faisant, elles etaient systematiquement identifiees, approchees selon diverses strategies, la vie consacree leur etant presentee comme la voie la plus sure vers la perfection et la saintete, des etats eminemment convoites a l'epoque dans le monde catholique. L'ecole catholique representait la pierre angulaire du processus de recrutement. Des difficultes se presentaient toutefois sur la voie de la vocation religieuse, notamment des objections parentales relatives a l'age du recrutement, dont la moyenne se situait a 14 ans. En reponse, les parents etaient rappeles a la valeur superieure de l'etat de vie consacree ainsi qu'a l'importance de suivre la volonte de Dieu afin d'etre de bons catholiques.

Ce systeme comportait une etape, celle d'aspirante, qui se concretisait dans des ecoles ou les jeunes filles recrutees entraient comme pensionnaires et etaient, en quelque sorte, pre-formatees pour poursuivre les autres etapes de la vie religieuse. Elles etaient initiees a une vie d'etude, mais surtout, a un quotidien rythme par la cloche, les prieres, les devotions et autres exercices de piete. Bien que peu nombreuses (meme si elles avaient connu une recrudescence au cours des decennies 1940 et 1950), ces ecoles-pensionnats mises en place par diverses congregations religieuses enseignantes pour des aspirantes a la vie religieuse avaient pris pour modeles les petits seminaires. Les jeunes filles y entrant vivaient deja separees du monde, comme une serre chaude, seule l'idee de la vocation religieuse leur etant presentee sur une base continue. Les etapes subsequentes du postulat et du noviciat sont marquees du mystere propre a la vie conventuelle. Plus ces jeunes femmes se rapprochaient de leurs voeux, plus leur coupure du monde etait importante. De la meme maniere, l'accent mis sur la soumission et l'obeissance aveugle aux decisions des superieures, a commencer par la maitresse des novices, etaient pratiquement survalorisees par rapport aux deux autres voeux, bien que le respect integral du voeu de chastete--ou toute forme d'activite sexuelle etait proscrite--ait ete tres difficile a vivre pour plusieurs de ces jeunes femmes.

Le dernier chapitre revient, a partir d'une prise en consideration de la theorie de la secularisation, sur la decroissance de la vie religieuse feminine aux Etats-Unis. Titley identifie la desagregation interne de l'Eglise, notamment dans la foulee de son aggiornamento, la liberalisation des moeurs, mais aussi la secularisation des emplois autrefois occupes par des religieuses comme autant de facteurs explicatifs de cette decroissance. Les nouvelles generations de femmes souhaitaient plutot entamer des etudes universitaires ou entreprendre une carriere plutot que d'entrer dans une congregation religieuse. En parallele, plusieurs membres des congregations decidaient d'emprunter la voie de sortie, plusieurs se rendant compte qu'elles n'avaient en fait jamais eu la vocation religieuse. Dans ce contexte, inviter des jeunes filles a envisager serieusement la vie religieuse pouvait apparaitre contradictoire et tres a contre-courant des normes sociales ambiantes, c'est le moins que l'on puisse dire ...

Cet ouvrage est important puisqu'il permet d'entrer dans la structure ecclesiale et sociale qui a preside a l'entree massive de jeunes Americaines dans les congregations religieuses au cours de la periode allant de 1945 a 1965. Brian Titley propose une etude comprehensive a partir du vecu d'actrices, de chacune des etapes de cette experience. Cependant, et c'est la que me semble resider une limite importante de l'etude, alors qu'on annonce une analyse basee en partie sur des sources orales, ces dernieres sont absentes, remplacees par des temoignages ecrits par des religieuses ou d'anciennes religieuses, au sujet de leur engagement dans la vie consacree. Cela permet de saisir plusieurs aspects de la structure de recrutement que met en lumiere Titley, notamment du point de vue du sens que l'actrice donne a son vecu, mais le fait de ne pas avoir eu acces directement a ces femmes ne permet pas d'approfondir certaines affirmations contenues dans ces recits autobiographiques, ni de confronter certaines informations se trouvant dans les archives des congregations religieuses consultees.

Catherine Foisy

Professeure agregee au Departement de sciences des religions

Universite du Quebec a Montreal