La chronologie, les ressorts et les modalités de l'essor des langues nationales ont été jusqu'à présent balisés par l'historiographie. La Croatie ne fait pas exception à cet égard. Mais à partir de l'exemple croate, c'est l'envers de l'engouement pour la langue populaire qui peut être mis au jour : la désaffection à l'égard de la langue dominante, en l'occurrence de l'allemand, langue de l'administration, de l'armée et de toutes les couches supérieures de la société. Or, ce sont souvent les mêmes personnes qui, au cours de leur existence, vivent le passage d'une prédominance linguistique à une autre. Si la langue allemande est peu à peu évacuée, le paradigme allemand de développement culturel reste prégnant, car la langue allemande demeure celle des échanges avec le monde. À travers l'itinéraire professionnel et personnel de l'institutrice croate Caroline/Dragojla Jarnević, qui écrivit des décennies durant son journal intime, l'article tente de mettre en évidence les deux faces de la présence de la langue allemande aux confins des Empires habsbourgeois et ottoman : refoulée et structurante à la fois.