摘要:Face au passé, Maurice Fourré m’a d’abord semblé un anti-Gracq. C’est comme cela que je l’ai utilisé ailleurs 1 . Dans Les Carnets du grand chemin , Gracq consacre un paragraphe apparemment méprisant à la ville de Richelieu 2 ; Fourré paraissait par avance lui répondre comme en une « évocation réparatrice ». Là où le premier, saisi par la décadence de la cité ducale (« un faubourg Saint-Germain repeuplé par Charonne et en route vers le bidonville »), s’offusquait d’apercevoir de la Grand rue un « dédale de courettes, d'appentis, de bonbonnes de butane, de cages à lapin », le second voyait des « hôtels alanguis dans la pierre dure » offrant derrière leurs porches solennels « l’embuscade borgne de courettes secrètes, géométriquement cloisonnées, que réunissent pour des cheminements occultes d’étroits pertuis » 3 . Mais en fait, à mieux y regarder, je crois que les deux auteurs voient la même chose à Richelieu, qui n’est pourtant pas la même chose : Gracq évoque un état (le délabrement), Fourré des actions possibles en l’état, inévitables mêmes, imposées par la spécificité du rapport d’un lieu au temps : il ne déplore pas les manifestations hideuses d’une perte, qui défigurerait une identité inscrite dans l’histoire, pour dessiner plutôt le filigrane enlevé d’une discrète transfiguration. Pour lui, ou son héros, la vie actuelle dans le lieu représenterait en douce ce qui a fait naître ce lieu. L’emprise du lieu sur cette vie qui l’habite et qu’il habite, en une réciproque possession, subvertit la linéarité du temps en des raccourcis dramatiques. D’autant mieux que la vie des vivants est aussi celle des morts. « La cité bouleversante du cardinal » qui apparaît la nuit dans sa « civile majesté nécropolaire » est ceinte de « remparts fantomatiques » à l’ombre desquels ne peut échapper le Mable vivant, ce « minime et gracieux affluent ». La majesté nécropolaire d’une ville qui apparaît, qui revient, qui hante le rapport au passé de qui l’aime, la désigne-t-elle comme ville-fantôme ? Ce serait la rabaisser au rang des bourgs abandonnés d’une quelconque ruée vers l’or. Car ce n’est pas sa monumentalité qui impose la présence du passé, mais c’est la co-présence de la monumentalité et du délabrement qui permet de le faire advenir dans l’événement répété d’apparitions et de disparitions qui laissent des traces ne serait-ce que dans l’intuition d’une absence. C’est ainsi que dans « le grand parc vide » il arrive que la présence de ce qui a disparu impose la hantise de ce qui n’a jamais été là, tels « les cygnes noirâtres qui ont rencontré dans l’au-delà le rire métallique du château ducal ». Ces cygnes qui « languissent et revivent » sous « un morceau de lune et des éclats stellaires qui se lassent de tournoyer » figurent des spectres au retour d’un ailleurs insignifiant. Sur l’eau noire des fausses douves du château absent, ils manifestent la coalescence maintenue de la disparition semeuse de traces (le château) et de la présence habitée (la ville), rencontre séculaire des contraires qui donne lieu au spectre ou plutôt à l’attente du spectre.